mercredi 25 juin 2014

[obs.] Droits de l'aliéné dangereux arrêté dans le cadre des mesures provisoires : point de départ du délai de "l'intervention" du juge judiciaire et théorie générale de la protection juridique de la personne arrêtée [Cass. civ. I, 5 févr. 2014, n° 11-28.564 ; Bull. civ. I]

La théorie générale de la protection juridique de la personne arrêtée

Les législations spéciales des différents cas de privation de liberté convergent pour accorder à la personne un paquet identique de droits - droit à l'assistance d'un avocat, droit à un examen médical, droit à la notification des droits, droits à l'information des motifs de l'arrestation et droit de faire prévenir un tiers - généré par l'arrestation , celle-ci pouvant se définir comme le moment de la perte de la liberté individuelle de l'individu par application d'une contrainte physique [v. L. Mortet, Essai d'une théorie générale des droits d'une personne privée de liberté, th., Nancy, 2014]. Si l'exemple le plus emblématique de ce paquet tient dans les droits du suspect en garde à vue [art. 63-1 Cpp], un paquet similaire profite à l'aliéné faisant l'objet d'une hospitalisation psychiatrique forcée [art. L. 3211-3 CSP].

Outre ce paquet, la personne arrêtée bénéficie du droit - au sens strict, plutôt une garantie du fait de son automaticité - à l'"intervention" immédiate du juge judiciaire, nécessaire au maintien en privation de liberté [Cons. const., déc. n° 79-109 DC du 9 janv. 1980 portant sur la loi relative à la prévention de l’immigration clandestine et portant modification de l’ord. n° 45-2658 du 2 nov. 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers et portent création de l’Office national d’immigration : J. O., 11 janv. 1980, p. 84 ; consid. n° 4.« la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible »]. Cette garantie, un Habeas corpus à la française, s'applique à toute privation de liberté, du fait de son fondement général, l'article 66 de la Constitution, qui prohibe "la détention arbitraire" et fait de l'"autorité judiciaire" le "gardien" de la liberté individuelle [v. pour la censure de l'ancienne législation de l'hospitalisation forcée en raison de l'absence de contrôle judiciaire automatique de la privation de liberté, Cons. const., déc. n° 2010-71 QPC du 26 nov. 2010, [Mme S.] : J. O., 27 nov. 2010, p. 21119 ; Dr. Famille, 2011, comm. n° 11, note I. MARIA ; RFDA, 2011, p. 951, chron. A. PENA ; JCP, 2011, n° 189, note K. GRABARCZYK ; AJDA, 2011, p. 174, X. BIOY ; consid. n° 23 et s.]. Toute arrestation déclenche en conséquence cette garantie, sauf à ce qu'elle résulte directement d'un titre du tribunal rendu dans le respect des grandes garanties du procès équitable.

Une autre protection juridique de la personne arrêtée tient dans l'instauration d'un contrôle en temps réel de l'autorité judiciaire de la privation de liberté [dans son sens constitutionnel réunissant magistrats du parquet et magistrats du siège], de l'arrestation jusqu'à l'intervention du juge judiciaire [ou de l'autorité judiciaire indépendante] en Habeas corpus, se manifestant par l'information de l'autorité judiciaire de l'arrestation et par la consécration, à son profit, du pouvoir de libérer à tout moment [v. L. Mortet, op. cit.]. Cette dernière protection bénéficie d'une consécration constitutionnelle pour le suspect [Cons. const., déc. n° 93-326 DC du 11 août 1993 portant sur la loi modifiant la loi n° 93 2 du 4 janv. 1993 portant réforme du Code de procédure pénale : J. O., 15 août 1993, p. 11599 ; RFD const., 1993, p. 848, note TH. RENOUX] mais n'a pas été étendue à la courte privation de liberté de police administrative [Cons. const., déc. n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012, [M. D.] : J. O., 9 juin 2012, p. 9796 ; Gaz. Pal., 5 juil. 2012, p. 11, comm. S. DETRAZ ; Constitutions, 2012, p. 479, obs. X. BIOY ; LPA, 25 mars 2013, p. 4, chron. V. TELLIER-CAYROL : concernant le dégrisement, le Conseil constitutionnel établissait qu'« eu égard à la brièveté de cette privation de liberté organisée à des fins de police administrative par les dispositions contestées, l’absence d’intervention de l’autorité judiciaire ne méconnaît pas les exigences de l’article 66 de la Constitution »].

Le paquet de droits, qui bénéficie d'une reconnaissance générale de valeur législative [sauf l'information des motifs de l'arrestation, qui s'applique à toute privation de liberté sur le fondement de l'article 5 § 2 de la Convention européenne des droits de l'Homme], l'"intervention" immédiate du juge judiciaire [ou l'Habeas corpus], qui bénéficie d'une reconnaissance générale de valeur constitutionnelle, et le contrôle en temps réel de l'autorité judiciaire, qui bénéficie d'une reconnaissance constitutionnelle pour le suspect uniquement, forment la théorie générale de la protection juridique de la personne arrêtée, à achever dans son étendue ou sa reconnaissance supra-légale.

Le cas de l'aliéné dangereux arrêté et détenu dans le cadre des mesures provisoires : l'apport mitigé à la théorie générale

L'arrêt ici signalé de la Cour de cassation éclaire sur le cas de l'aliéné dangereux arrêté dans le cadre des mesures provisoires du Code de la santé publique. L’article L. 3213-2 prévoit qu’« en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical, le maire et, à Paris, les commissaires de police arrêtent, à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires ». La disposition organise l’entrée en internement d’office en urgence et offre un temps à l’autorité administrative pour adopter l’arrêté d’internement qui réalisera le placement pérenne. 

La Cour de cassation reconnaît pleinement la possibilité d'arrêter et de priver de liberté l'aliéné dans le cadre des mesures provisoires [la Première chambre civile raisonne pour tout type de mesure provisoire, « fût-elle de même nature » que l’internement d’office, ce qui revient à admettre que celle-ci puisse être privative de liberté], ce qui n'est pas sans poser une difficulté au regard de la qualité de la loi [la loi privative de liberté de qualité doit en principe définir précisément la possibilité de recourir à la détention et organiser son régime, sans pouvoir renvoyer aux simples mesures nécessaires ; v. CEDH, gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03 : Rec. CEDH, 2010 ; D., 2010, p. 1386, obs. S. LAVRIC ; ibid., p. 1390, note P. HENNION-JACQUET ; ibid., p. 1386, note J.-F. RENUCCI ; ibid., p. 952, entretien P. SPINOSI ; ibid., p. 970, obs. D. REBUT ; AJDA, 2010, p. 648, obs. S. BRONDEL ; RSC, 2010, p. 685, obs. J. P. MARGUÉNAUD].

Le juge administratif avait déjà admis la même solution, en contribuant même à la théorie générale de la protection juridique de la personne arrêtée, en estimant que l'aliéné arrêté dans le cadre des mesures provisoires devait bénéficier du paquet de droits de l'article L. 3211-3 du Code de la santé publique, sans pour autant que la violation de ces droits ne remettent en cause la légalité de la décision adoptant les mesures provisoires, pour concerner sa seule exécution [CE, 13 mars 2013, Pft police c. VAUGENOT, n° 354976 : Rec. CE, T.]. La qualification d'"hospitalisation sans consentement" était alors utilisée par l'article L. 3211-3 du Code de la santé publique [la loi vise désormais la "personne atteinte de troubles mentaux [faisant] l'objet de soins psychiatriques"], et l'inclusion dans cette catégorie des mesures provisoires était évidente, puisque la disposition organisant les droits visait, comme champ d'application, les "dispositions des chapitres II et III du présent titre" dans lesquelles figure l'article L. 3213-2 du Code de la santé publique [ce champ est resté inchangé, si bien que l'application du paquet à la personne subissant les mesures provisoires demeure]. 

Dans notre décision, la Cour de cassation a estimé en revanche que la durée de la privation de liberté découlant des mesures provisoires [au maximum 48 h selon l'article  L. 3213-2 du CSP] n'entrait pas en ligne de compte pour calculer le délai de quinze jours dans lequel le juge des libertés et de la détention doit être saisi pour prolonger l'hospitalisation forcée [le délai sera fixé par la loi à 12 jours, à compter du 1er septembre 2014 ; v. l'art. L. 3211-12-1 CSP]. Si les mesures provisoires privatives de liberté constituent bien une "hospitalisation sans consentement" au sens de l'article L. 3211-3 du Code de la santé publique pour le Conseil d'Etat, ce qui justifie l'application du paquet, elle ne fait pas l'objet d'une décision d'"admission en soins psychiatriques" au sens de l'article L. 3211-12-1 du même Code mais constitue une mesure qualifiée de "provisoire" pour la Cour de cassation, ce qui justifie que le délai de quinze jours dans lequel le juge judiciaire doit intervenir en Habeas corpus ne débute qu'à compter de la décision pérenne d'admission en hospitalisation d'office prise par le représentant de l'Etat .

Si la lecture combinée des deux solutions jurisprudentielles aboutit à des distinctions subtiles dans les termes de la législation, auxquelles l'opportunité ne semble pas étrangère, la jurisprudence constitutionnelle semble pourtant justifier une solution inverse quant au point de départ de l'intervention du juge judiciaire. C'est ainsi que le Conseil constitutionnel apprécie la célérité de l'Habeas corpus en se situant à l'arrestation, prise comme le début de la privation de liberté, quand bien même plusieurs cas de privation de liberté, au regard de leur cadre légal, se succéderaient [le Conseil constitutionnel a par exemple considéré que l'intervention du juge judiciaire pour prolonger la rétention administrative de l'étranger, prévue dans un délai de 6 jours après le placement en rétention selon l'article. L. 552-1 du CESEDA, devait se réaliser avant sept jours de privation de liberté au total, en cas de garde à vue préalable sans intervention du juge judiciaire ; Cons. const., déc. n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 portant sur la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité : J. O., 17 juin 2011, p. 10306 ; AJDA, 2011, p. 1174, obs. M.-C. DE MONTECLER ; Constitutions, 2012, p. 597, obs. V. TCHEN]. Dès lors, en obligeant le législateur à organiser l'intervention du juge judiciaire pour prolonger la privation de liberté dans un délai maximal de quinze jours, sans, il est vrai, se prononcer sur les mesures provisoires, la jurisprudence du Conseil constitutionnel milite pour fixer son point de départ à l'arrestation, sans considération pour la succession des cas différents de privation de liberté. Ce raisonnement apparaît d'autant plus pertinent que le juge de la loi avait utilisé la notion d'"hospitalisation sans consentement" dans sa décision censurant l'absence d'intervention automatique du juge judiciaire pour prolonger l'internement à la demande d'un tiers [déc. n° 2010-71 QPC du 26 nov. 2010, [Mme S.] : préc. ; consid. n° 25], qualification dans laquelle le Conseil d'Etat avait, à juste titre, inclu les mesures provisoires [dans sa seconde décision censurant l'ancienne législation de l'internement d'office pour le même défaut, le Conseil constitutionnel se référait plus précisément à la qualification d'"hospitalisation d'une personne atteinte de maladie mentale dans un établissement de soins", à l'intérieure de laquelle l'inclusion des mesures provisoires est moins nette ; v. Cons. const., déc. n° 2011-202 QPC du 2 déc. 2011, [Mme Q.] : J. O., 3 déc. 2011, p. 20498 ; Constitutions, 2012, p. 140, obs. D. FALLON ; RFDA, 2012, p. 629, note K. BLAY GRABARCZYK consid. n° 13].

Finalement, si l'aliéné dangereux arrêté et détenu dans le cadre d'une mesure provisoire bénéficie bien du paquet de droits généré par l'arrestation, il ne bénéficie pas de l'appréciation uniforme de la privation de liberté de l'arrestation jusqu'à la première intervention du juge judiciaire, la célérité de l'Habeas corpus s'appréciant à un point de départ postérieur au début de la privation de liberté et à l'arrestation, dans une solution qui ne renforce pas la théorie générale de la protection juridique de la personne arrêtée [au moins le législateur, en ramenant au 1er septembre 2014 le délai à douze jours, permettra à l'aliéné ayant subi les mesures provisoires de bénéficier de l'Habeas corpus avant quinze jours, en principe].

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