jeudi 26 juin 2014

[obs.] Définition de la privation de liberté et champ d'application de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme [CEDH, sect. I, 26 juin 2014, KRUPKO et autres c. Russie, req. n° 26587/07, en angl.]

Pour que la protection de l'article 5 de la Convention européenne s'applique, la mesure critiquée doit être qualifiée de privation de liberté, la simple restriction à la liberté d'aller et venir relevant de l'article 2 du Protocole n° 4.

La question de la qualification était posée dans l'arrêt rapporté, concernant l'irruption de forces de police lors d'un rassemblement de témoins de Jéovah, duquel plusieurs individus étaient retirés, puis conduits au poste de police, où ils restèrent trois heures.

Si la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme n'est pas toujours claire quant à sa définition de la privation de liberté [v. L. Mortet, Essai d'une théorie générale des droits d'une personne privée de liberté, th., Nancy, 2014], l'arrêt rappelle certains principes.

La privation de liberté est d'abord une mesure de "contrainte" physique [§ 36], dont la Cour s'autorise à rechercher l'existence de manière factuelle, indépendamment de la qualification interne, contrainte qui empêche la personne la subissant de quitter un périmètre dans lequel les autorités l'ont confinée : a contrario, la démonstration de la capacité de la personne à quitter librement le périmètre permet d'écarter la qualification [ibid.].

En cas de privation de liberté dans un poste de police, comme en l'espèce, la preuve de la contrainte peut être délicate, notamment lorsque l'Etat affirme que l'individu a collaboré volontairement avec les autorités [en l'espèce, l'Etat avait employé cet argument uniquement devant le juge interne, si bien que la Cour européenne des droits de l'Homme ne s'y intéressait pas].

La Cour européenne des droits de l'Homme admet alors que la preuve de la contrainte résulte du rassemblement d'un faisceau d'indices [v. par exemple, CEDH, sect. II, 11 déc. 2012, Venskute c. Lituanie, req. n° 10645/08, en angl. ; § 71 et s.],  méthode qui aurait suffi en l'espèce, alors que la police avait entouré en nombre le bâtiment dans lequel les individus se trouvaient, puis les avait escortés au commissariat et les avait inscrits, à leur arrivée, sur le registre des personnes arrêtées et détenues [§ 36].

La Cour a même dégagé une présomption de contrainte lorsque l'individu se trouve en apparence sous la mainmise des autorités au poste de police, l'Etat devant démontrer sa participation volontaire pour échapper à la qualification [CEDH, gde ch., 23 févr. 2012, Creanga c. Roumanie, req. n° 29226/03 : Dr. pénal, 2013, n° 4, chron. E. DREYER ; Gaz. Pal., 15 mars 2012, p. 31, obs. C. BERLAUD].

L'existence de la contrainte, non contestée en l'espèce, ne suffit pas à caractériser la privation de liberté, encore faut-il que celle-ci soit suffisamment sévère et intense pour déclencher la qualification, ce que réfutait l'Etat attaqué.

Le périmètre de confinement doit d'abord être suffisamment restreint. A l'échelle d'un bâtiment [en l'espèce, les individus bénéficiaient d'une certaine liberté de déplacement à l'intérieur du commissariat], la qualification de la privation de liberté s'applique sans difficulté [§ 36].

Ensuite, la contrainte doit avoir été appliquée durant une durée importante. Cette dernière condition n'est pas vraiment réductrice, puisqu'une durée de trois heures, comme en l'espèce, suffit [§ 36]. La Cour a même déjà qualifié des contraintes plus courtes en privation de liberté [v. pour une privation de liberté de vingt minutes, la qualification étant établie dans un obiter dictumCEDH, sect. IV, 12 janv. 2010, Gillan et Quinton c. Royaume-Uni, req. n° 4158/05, en angl. ; RFDA, 2011, p. 987, chron. H. LABAYLE et F. SUDRE - v. pour une privation de liberté de quarante-cinq minutes, CEDH, sect. I, 21 juin 2011, Shimovolos c. Russie, req. n° 30194/09, en angl. - v. pour une privation de liberté de seulement huit minutes, CEDH, sect. III, 24 janv. 2012, Brega et autres c. Moldavie, req. n° 61485/08, en angl.].

C'est donc, au moins dans les principes, une définition assez large de la privation de liberté que la Cour européenne des droits de l'Homme défend, sans la limiter à l'enfermement cellulaire, sans non plus la cantonner aux privations de liberté dépassant plusieurs heures.


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