vendredi 27 juin 2014

[chron.] Premier bilan jurisprudentiel du contrôle judiciaire de la retenue pour vérification du droit au séjour : la conservation par l'autorité de police d'une large marge de manœuvre

La retenue pour vérification du droit au séjour, créée à l'article L. 6111-1-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par la loi n° 2012 1560 du 31 déc. 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées [J. O., 1er janv. 2013, p. 48 ; AJP, 2013, p. 8, comm. R. PARIZOT ; RSC, 2013, p. 421, note N. CATELAN ; Gaz. Pal., 12 mars 2013, comm. L. ROBERT et P. GAGNOUD ; JCP, 2013, n° 74, obs. N. GUIMEZANES ; Procédures, 2013, comm. n° 52, obs. J. BUISSON ; Dr. admin., 2013, comm. n° 23, note V. TCHEN], est devenue la principale voie d'entrée en privation de liberté de l'étranger en situation irrégulière dans l'attente de son éloignement.

L'étranger, qui "n'est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de séjourner en France" à l'issue d'un contrôle d'identité [art. 78-1 Cpp et s.] ou à l'issue de "toute réquisition des officiers de police judiciaire" [art. 611-1 CESEDA] peut être placé en retenue pour vérification du droit au séjour, pendant une durée maximale de seize heures, celle-ci pouvant servir à préparer l'adoption d'une décision d'éloignement et son placement consécutif en rétention administrative, une fois sa situation irrégulière établie [si la directive retour impose en principe d'accorder à l'étranger un délai lui permettant d'exécuter volontairement la décision d'éloignement, la législation française a transposé la directive en interprétant largement les exceptions permettant l'exécution forcée de la décision sans accorder de délai de départ volontaire ; v. l'art. L. 551-1 CESEDA]. La privation de liberté a donc un champ particulièrement large [par ex., en vertu de l'art. 611-1 CESEDA, l'étranger en audition libre en raison de l'usage d'un faux permis peut être placé en retenue pour vérification du droit au séjour s'il ne peut justifier de son titre de séjour requis par l'officier de police judiciaire durant celle-ci ; v. Cass. civ. I, 2 avr. 2014, n° 13-50.036 : inédit].

La retenue pour vérification du droit au séjour a succédé à la pratique du placement en garde à vue pour préparer le placement en rétention administrative, du fait de la pénalisation de la situation irrégulière, sans apport fondamental pour la protection de la liberté individuelle. 

La fermeture du recours à la garde à vue est issue de la neutralisation par la Cour de justice de l'Union européenne, concernant les étrangers visés par la directive retour, de la répression par une peine d'emprisonnement de l'incrimination de la simple situation irrégulière [CJUE, gde ch., 6 déc. 2011, Achughbabian, n° C-329/11 : D., 2012, p. 333, note G. POISSONNIER ; Gaz. Pal., 14 févr. 2012, p. 17, comm. P. HENRIOT] ou du maintien sur le territoire national en violation d'un simple ordre national d'éloignement [CJUE, 28 avr. 2011, El Dridi, n° C-61/11 PPU : AJP, 2011, p. 362, note S. SLAMA et M. L. BASILIEN GAINCHE ; AJP, 2011, p. 502, comm. L. AMBROSIO ; Rev. crit. DIP, 2012, p. 834, note K. PARROT], non pas sur le fondement de principes propres à l'encadrement de la privation de liberté, comme la nécessité ou la proportionnalité, mais en raison de l'atteinte aux objectifs de la directive, qui vise un éloignement rapide et efficace des étrangers. Ainsi, la Grande chambre estimait que l’infliction d’une peine à l’étranger du fait de sa seule situation irrégulière était « susceptible de faire échec à l’application des normes et des procédures communes établies par la directive 2008/115 et de retarder le retour, portant ainsi, à l’instar de la réglementation en cause dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt El Dridi […], atteinte à l’effet utile de ladite directive » [§ 39]. Dès lors, elle affirmait que la directive « s’oppose à une réglementation d’un État membre réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales, pour autant que celle-ci permet l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers qui, tout en séjournant irrégulièrement sur le territoire dudit État membre et n’étant pas disposé à quitter ce territoire volontairement, n’a pas été soumis aux mesures coercitives visées à l’article 8 de cette directive et n’a pas, en cas de placement en rétention en vue de la préparation et de la réalisation de son éloignement, vu expirer la durée maximale de cette rétention ». Par ricochet, puisque le droit français subordonne la possibilité de placer un suspect en garde à vue au reproche d'une infraction punie d'emprisonnement [art. 62-2 Cpp], l'impossibilité communautaire de réprimer la situation irrégulière ou le maintien sur le territoire en violation d'un simple ordre national d'éloignement par une peine d'emprisonnement empêchait, dans de telles situations, le placement en garde à vue [Cass. crim., 5 juin 2012, n° 12-09.002, avis : D., 2009, p. 1997, avis C. MATHON et note S. SLAMA ; Gaz. Pal., 10-12 juin 2012, p. 9, obs. CH. POULY ; RSC, 2012, p. 621, note J. DANET ; AJP, 2012, p. 410, comm. C. SAAS], sans apport à l'encadrement de la privation de liberté.

De plus, si le législateur a bien été doté la nouvelle retenue pour vérification d'identité du paquet de droits généré par l'arrestation, dans ses composantes traditionnelles, à savoir le droit à l'assistance d'un avocat, le droit de bénéficier d'un examen médical, le droit de prévenir un tiers, le droit à la notification des droits du paquet et le droit d'être informé des raisons de l'arrestation [art. 611-1-1 CESEDA], celui-ci a été critiqué pour son infériorité à celui de la garde à vue [v. l'avis de la CNCDH et R. PARIZOT, « Loi relative à la retenue pour vérification du droit au séjour versus avis de la CNCDH : quel bilan ? » : AJP, 2013, p. 8]. Au moins doit-on reconnaître que la loi développe un véritable droit de la défense contre la privation de liberté [v. L. Mortet, Essai d'une théorie générale des droits de la personne privée de liberté, th., Nancy, 2014] en reconnaissant à l'étranger le droit à l'assistance de l'avocat durant les auditions, sans le conditionner à sa mise en cause dans la commission d'une infraction pénale [art. 611-1-1 CESEDA].

Enfin, la nouvelle retenue n'améliore que marginalement la célérité de la première intervention du juge judiciaire, l'Habeas corpus [v. L. Mortet, op. cit.], pour la détention de l'étranger, en cas de placement consécutif en rétention administrative, par rapport à l'ancien usage de la garde à vue préliminaire. Puisque la durée de la retenue ne s'impute pas sur celle de la rétention, le premier contrôle judiciaire interviendra, au plus tard, à six jours [le juge des libertés et de la détention doit être saisi au bout de cinq jours de rétention, et doit trancher dans les vingt-quatre heures ; art. L. 552-1 CESEDA] et 16 heures, soit un progrès de huit heures, par rapport à la limite maximale antérieure de sept jours, en cas de garde à vue antérieure non contrôlée par un magistrat judiciaire [Cons. const., déc. n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 portant sur la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité : J. O., 17 juin 2011, p. 10306 ; AJDA, 2011, p. 1174, obs. M.-C. DE MONTECLER ; Constitutions, 2012, p. 597, obs. V. TCHEN].

Si la retenue pour vérification du droit au séjour apparaît comme un cadre privatif de liberté récent en retrait dans la protection de la liberté individuelle, un premier bilan jurisprudentiel de son contrôle judiciaire est possible, alors que la Cour de cassation a déjà rendu six arrêts au visa de l'article 611-1-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont trois ayant fait l'objet d'une publication au Bulletin.

Sur le fondement de l'article 66 de la Constitution, le juge judiciaire de la prolongation de la rétention administrative doit contrôler la légalité de l'"interpellation" de l'étranger ou de la mesure privative de liberté à laquelle la rétention administrative a immédiatement succédé, leur vice se communiquant à la totalité de la procédure et entraînant la libération de l'étranger [Cass. civ. II, 28 juin 1995, Bechta et autres, nos 94-50.002, 94-50.005 et 94-50.006 : Bull. Civ. II, nos 216, 221, 211 et 212 ; JCP, 1995, II, n° 22504, avis J. SAINT ROSE ; D., 1996, p. 102, obs. F. JULIEN LAFERRIERE ; AJDA, 1996, p. 72, A. LEGRAND ; Rev. crit. DIP, 1996, p. 275, N. GUIMEZANES ; RTD civ., 1996, p. 235, comm. J. NORMAND ; Gaz. Pal., 1995, doct., p. 1356, comm. J.-É. MALABRE].

Logiquement, le principe a été étendu pour la nouvelle retenue pour vérification du droit au séjour et il revient au juge judiciaire de la prolongation de la rétention administrative de contrôler sa validité [Cass. civ. I, 18 déc. 2013, n° 13-50.010 : publié au bulletin]. Trois moyens pour contester la légalité de la retenue pour vérification du droit au séjour, empêcher la prolongation de la rétention administrative et provoquer la libération de l'étranger, ont été avancés devant la Cour de cassation, avec des résultats plutôt décevants, au regard de la conservation par l'autorité de police d'une large marge de manœuvre : le moyen de la violation du contrôle en temps réel de la retenue par l'autorité judiciaire [I], le moyen de la violation du paquet de droits généré par l'arrestation [II] et le moyen de la contestation de la nécessité de la durée de la retenue [III].

I./ Le moyen de la violation du contrôle en temps réel de la retenue par l'autorité judiciaire

La consécration de l'autorité judiciaire comme le gardien de la liberté individuelle à l'article 66 de la Constitution, impose une "intervention" immédiate du juge judiciaire en cas d'arrestation, afin d'apprécier la légalité de la privation de liberté, dans une exigence tendant à la création d'un Habeas corpus français [Cons. const., déc. n° 79-109 DC du 9 janv. 1980 portant sur la loi relative à la prévention de l’immigration clandestine et portant modification de l’ord. n° 45-2658 du 2 nov. 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers et portent création de l’Office national d’immigration : J. O., 11 janv. 1980, p. 84 ; consid. n° 4 : « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible »]. La même disposition impose pour le suspect qu'un magistrat de l'autorité judiciaire, du siège ou du parquet donc [de solution constante, le Conseil constitutionnel estime que "l’autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet" ; Cons. const., déc. n° 94-355 DC du 10 janv. 1995 portant sur la loi organique modifiant l'ordonnance n° 58 1270 du 22 déc. 1958 relative au statut de la magistrature : J. O., 14 janv. 1995, p. 727], et pas seulement le juge judiciaire à la différence de l'Habeas corpus, exerce un contrôle "en temps réel" [L. Mortet, op. cit.] de la légalité de la privation de liberté, de l'arrestation à l'Habeas corpus : ce contrôle suppose d'informer immédiatement le magistrat de l'arrestation [Cons. const., déc. n° 93-326 DC du 11 août 1993 portant sur la loi modifiant la loi n° 93-2 du 4 janv. 1993 portant réforme du Code de procédure pénale : J. O., 15 août 1993, p. 11599 ; RFD const., 1993, p. 848, note Th. Renoux] et de le doter du pouvoir d'apprécier l'opportunité de la privation de liberté et d'y mettre un terme à tout moment [Cons. const., déc. n° 2010-14/22 QPC du 30 juil. 2010, [M. W.] : J. O., 31 juil. 2010, p. 14198 ; RTD civ., 2010 p. 513, obs. P. PUIG ; RSC, 2011, p. 139, obs. A. GIUDICELLI ; D., 2010, p. 2254, obs. J. PRADEL ; AJP, 2010, p. 470, comm. J.-B. PERRIER ; Constitutions, 2010, p. 571, comm. E. DAOUD et E. MERCINIER ; RSC, 2011, p. 165, obs. B. DE LAMY ; consid. n° 26].

En revanche, le Conseil constitutionnel a refusé d'étendre ce contrôle en temps réel à toute privation de liberté, et l'a écarté expressément pour le dégrisement, en raison de sa courte durée et de sa nature de mesure de police administrative [Cons. const., déc. n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012, [M. D.] : J. O., 9 juin 2012, p. 9796 ; Gaz. Pal., 5 juil. 2012, p. 11, comm. S. DETRAZ ; LPA, 25 mars 2013, p. 4, chron. V. TELLIER-CAYROL ; consid. n° 8 : "considérant, en second lieu, qu'eu égard à la brièveté de cette privation de liberté organisée à des fins de police administrative par les dispositions contestées, l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire ne méconnaît pas les exigences de l'article 66 de la Constitution"]. En conséquence, le même rejet pourrait s'appliquer à la retenue pour vérification du droit au séjour.

Le législateur a malgré tout organisé un contrôle en temps réel de la retenue par l'autorité judiciaire, dans sa forme minimale en tout cas, en prévoyant que "le procureur de la République est informé dès le début de la retenue" [art. 611-1-1 I CESEDA] et celui-ci doit recevoir copie du procès-verbal rédigé par l'officier de police judiciaire mentionnant "les motifs qui ont justifié le contrôle, ainsi que la vérification du droit de circulation ou de séjour et les conditions dans lesquelles la personne a été présentée devant lui, informée de ses droits et mise en mesure de les exercer", précisant "le jour et l'heure du début et de la fin de la retenue et la durée de celle-ci et, le cas échéant, la prise d'empreintes digitales ou de photographies" et comportant en "annexe le certificat médical établi à l'issue de l'examen éventuellement pratiqué" [ibid.].

Au sujet de cette dernière formalité, la Cour de cassation a estimé que l'absence de transmission de ce procès-verbal "ne portait pas, en soi, atteinte aux droits de l'étranger[Cass. civ. I, 18 déc. 2013, n° 13-50.010 : publié au bulletin] : elle ne constitue donc pas une cause de nullité sans grief. Ce dernier procès-verbal est assurément récapitulatif, puisqu'il doit mentionner l'heure de fin de la retenue et certaines opérations réalisées durant celle-ci. Il sert donc surtout au contrôle a posteriori de la retenue de l'étranger, et son absence de transmission ne lèse pas, il est vrai, les droits de l'étranger libéré à son terme. Mais en cas de placement en rétention administrative consécutif, le procès-verbal devient un élément utile au procureur pour apprécier la légalité de la rétention administrative en train de se dérouler, dont il est également informé du placement [art.  L. 551-2 CESEDA], puisque la légalité de celle-ci est conditionnée par le juge judiciaire à la légalité de la retenue pour vérification du droit au séjour antérieure. De ce point de vue, le défaut de transmission du procès-verbal, qui assure au procureur de la République une information de tous les éléments utiles au contrôle de la légalité de la retenue, prive donc l'étranger du bénéfice d'un contrôle entier par l'autorité judiciaire en temps réel de la légalité de son placement en rétention administrative et devrait aboutir à constater "nécessairement" une atteinte à ses droits, sans démonstration concrète du grief [c'est ainsi que, s'agissant de la garde à vue, le retard ou l'absence d'information du magistrat de l'autorité judiciaire en charge du contrôle de la mesure est une cause de nullité sans grief, dès lors que "tout retard injustifié dans la mise en oeuvre de cette obligation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne gardée à vue" ; v. Cass. crim., 24 nov. 1998, Plomion, n° 98-82.496 : Bull. crim., n° 314 ; Procédures, 1999, comm. n° 138, obs. J. BUISSON].

La solution de la Cour de cassation revient à refuser de donner sa peine efficience au contrôle du magistrat du parquet de la détention de l'étranger et pourrait s'appuyer sur deux arguments, pourtant relatifs. D'abord, la jurisprudence constitutionnelle n'a pas imposé l'application de ce contrôle pour la privation de liberté de police administrative de courte durée [v. infra]. Cette solution n'a toutefois pas vocation à s'étendre à la rétention administrative de l'étranger, qui permet une privation de liberté de six jours avant la première intervention du juge judiciaire. Ensuite, le procureur de la République ne dispose pas de pouvoirs de direction sur les agents réalisant une opération de police administrative, à la différence des agents de police judiciaire [art. 12 Cpp], si bien qu'on pourrait douter de son pouvoir d'ordonner la libération de l'étranger, au sujet duquel il aurait constaté l'illégalité de la rétention administrative en raison d'un vice issu de l'exécution de la retenue pour vérification du droit au séjour antérieure. Pourtant, l'intervention du magistrat du parquet, inclus dans l'autorité judiciaire au sens de l'article 66 de la Constitution, semble bien se justifier par sa qualité de gardien de la liberté individuelle, et celle-ci suppose qu'il bénéficie d'un pouvoir de libération, directement fondé sur la disposition fondamentale, indépendamment de tout rapport hiérarchique [le Conseil constitutionnel tire d'ailleurs de l'article 66 l'existence du pouvoir de libération immédiat et sans condition du juge judiciaire intervenant comme gardien de la liberté individuelle ; v. Cons. const., déc. n° 97-389 DC du 22 avr. 1997 relative à la loi portant diverses dispositions relatives à l’immigration : J. O., 27 avr. 1997, p. 6432 ; AJDA, 1997, p. 524, comm. F. JULIEN LAFERRIERE ; JCP, 1997, II, n° 22890, obs. J. C. ZARKA ; RDP, 1997, p. 931, comm. F. LUCHAIRE ; consid. n° 60 : "lorsqu'un magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs que lui confère l'article 66 de la Constitution en tant que gardien de la liberté individuelle, décidé par une décision juridictionnelle qu'une personne doit être mise en liberté, il ne peut être fait obstacle à cette décision, fût-ce dans l'attente, le cas échéant, de celle du juge d'appel"].

Cette solution interroge nécessairement sur le sort du défaut d'information immédiate du procureur de la République, formalité exigée lors du placement en retenue pour vérification du droit au séjour [antérieurement, le défaut d'information du Procureur du placement en garde à vue ou son retard empêchait la prolongation de la rétention administrative subséquente sans démonstration du grief ; v. Cass. civ. II, 28 juin 1995, n° 94-50.006 : Bull. Civ. II, n° 212] et lors du placement en rétention administrative [la Cour de cassation a en effet considéré que l'absence d'information du procureur du placement en rétention administrative empêchait sa prolongation sans démonstration du grief ; Cass. civ. I, 14 févr. 2006, nos 05-14.028, 05-14.029, 05-14.030, 05-14.031, 05-14.032 et 05-14.033 : inédits]. Car à considérer le contrôle du magistrat du parquet comme un vague pouvoir de surveillance, sans véritable effet, au point de ne pas censurer le défaut de transmission du procès-verbal récapitulatif qui apporte pourtant une information décisive sur la légalité du placement en rétention administrative, on ne voit pas ce qui justifierait d'annuler la procédure pour le défaut de la simple information du placement en retenue pour vérification du droit au séjour ou du placement en rétention administrative, qui ne permet pas un contrôle poussé, si ce n'est afficher une solution de défense de la liberté individuelle, tout en laissant à l'autorité de police une certaine marge de manœuvre. Le souhait de ménager l'autorité de police apparaît de nouveau concernant le moyen de la violation du paquet de droits généré par l'arrestation.

II./ Le moyen de la violation du paquet de droits généré par l'arrestation

La violation du paquet de droits généré par l'arrestation, celui généré par le placement en garde à vue lorsqu'elle servait à préparer la rétention administrative [v. par ex. Cass. civ. II, 24 févr. 2000, 2 espèces, nos 99-50.001 et 99-50.002 : inédits], mais aussi celui généré par le placement en rétention administrative prévu à l'article L. 551-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile [Cass. civ. I, 31 janv. 2006, 5 espèces, nos 04-50.093, 04-50.121, 04-50.128, 04-50.129 et 04-50.157 : Bull. civ. I, n° 45 : AJP, 2006, p. 165, obs. H. GACON ; Rev. crit. DIP, 2006 p. 369, obs. P. LAGARDE], permet au juge judiciaire de la prolongation de la rétention administrative de libérer, sans caractérisation d'un grief. 

Logiquement, le vice du paquet de droits généré par la retenue pour vérification du droit au séjour justifie le refus du juge des libertés et de la détention de prolonger la rétention administrative [Cass. civ. I, 30 avr. 2014, n° 13-50.055 : publié au Bulletin].

Dans ce dernier arrêt, c'est l'appréciation de l'intensité de l'obligation mise à la charge des officiers de police judiciaire, concernant l'exercice par l'étranger de son droit "de prévenir à tout moment sa famille et toute personne de son choix" [art. 611-1-1 CESEDA], qui ménage une marge d'appréciation à l'autorité de police.

Alors que le juge du fond avait invalidé la procédure au regard du décalage de quarante minutes entre l'expression par l'étranger de son souhait de profiter de ce droit et l'exécution de celui-ci, la Cour de cassation estimait que l'exercice du droit "n'impose pas de diligence immédiate, dès lors que l'exercice effectif du droit de la personne retenue est mis en oeuvre dans un délai raisonnable". La célérité ainsi posée est souple, plus lointaine que l'immédiateté ou même des meilleurs délais. Il est vrai que la loi ne prévoit aucun délai à la réalisation des diligences permettant l'exercice du droit [par comp., la loi prévoit que l'avocat désigné ou le bâtonnier lorsque l'étranger sollicite un avocat désigné d'office doit être contacté par l'officier de police judiciaire "sans délai"]. Ce même délai jurisprudentiel pourrait d'ailleurs s'appliquer à d'autres droits du paquet de la retenue pour vérification du droit au séjour pour lesquels la loi ne règle pas non plus la célérité des diligences à la charge de l'officier de police judiciaire pour les mettre en oeuvre, soit le droit à l'examen médical et le droit à un interprète [en revanche, bien que la loi ne prévoit pas non plus la célérité de la mise en oeuvre du "droit d'avertir ou de faire avertir les autorités consulaires de son pays", celle-ci devra sans doute être plus rapide que le "délai raisonnable", en vertu de l’article 36 b) de la Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avr. 1963, qui prévoit que "si l'intéressé en fait la demande, les autorités compétentes de l'État de résidence doivent avertir sans retard le poste consulaire de l'État d'envoi lorsque, dans sa circonscription consulaire, un ressortissant de cet État est arrêté, incarcéré ou mis en état de détention préventive ou toute autre forme de détention"].

Si la consécration du délai raisonnable ne vide pas non plus la garantie de sa substance, l'interprétation téléologique de la disposition, c'est-à-dire celle conforme à son esprit, qui vise à assurer une protection efficace de la liberté individuelle, aurait dû aboutir à la consécration d'une célérité plus haute, par exemple les meilleurs délais [notamment en cas de demande de mise en exécution simultanée de plusieurs droits], d'autant plus que la diligence à réaliser n'est pas complexe, puisque qu'il s'agit de téléphoner ou de laisser l'étranger téléphoner. Une large marge de manœuvre serait définitivement concédée à l'autorité de police par le rejet du contrôle de la nécessité de la durée de la rétenue, solution vers laquelle la Cour de cassation semble s'engager.

III./ Le moyen de la contestation de la nécessité de la durée de la retenue

L'usage de la garde à vue pour préparer le placement en rétention administrative de l'étranger était d'autant plus choquant que la Cour de cassation ne réalisait aucun contrôle de la durée de celle-ci, y compris lorsque pratiquement aucun acte d'enquête n'était réalisé [Cass. mixte, 7 juil. 2000, n° 98-50.007 : Bull. crim., n° 257 ; JCP, 2000, II, n° 10418, note O. GUERIN ; Procédures, 2001, comm. n° 17, note J. BUISSON ; RSC, 2001, p. 189, obs. A. GIUDICELLI : en l’espèce, entre l’audition de l’individu réalisée en garde à vue et la fin de la mesure, dix-neuf heures s’étaient écoulées sans aucun acte d’enquête].

L'un des principaux progrès législatifs de la retenue pour vérification du droit au séjour réside dans le rappel du principe de la nécessité de sa durée : "l'étranger ne peut être retenu que pour le temps strictement exigé par l'examen de son droit de circulation ou de séjour et, le cas échéant, le prononcé et la notification des décisions administratives applicables". De surcroît, la retenue pour vérification du droit au séjour est une privation de liberté dépendant de l'article 5 § 1er-b) de la Convention européenne des droits de l'Homme, une détention pour "garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi" [la retenue pour vérification d'identité du droit français a été incluse dans cette catégorie ; v. Comm.EDH, 13 mai 1987, B. c. France, req. n° 10179/82 : D. R., n° 52, p. 111], et le contrôle de la Cour européenne des droits de l'Homme sur la privation de liberté de cette nature intègre notamment l'appréciation de la nécessité de sa durée [la recherche de l'"équilibre entre la nécessité dans une société démocratique de garantir l’exécution immédiate de l’obligation dont il s’agit et l’importance du droit à la liberté" suppose de tenir compte "de la nature de l’obligation, y compris son objet et son but sous-jacents, [de] la personne détenue et [des] circonstances particulières ayant abouti à sa détention et, finalement, [de] la durée de celle-ci" ; v. CEDH, sect. III, 24 mars 2005, Epple c. Allemagne, req. n° 77909/01 ; § 37]. Ces deux éléments militent pour que le juge de la prolongation de la rétention administrative intègre dans son contrôle l'appréciation la nécessité de la durée de la retenue pour vérification du droit au séjour et sanctionne l'inaction trop importante de l'autorité de police, sauf à démontrer l'existence de circonstances exceptionnelles.

Saisie de ce moyen concernant un juge du fond qui avait conclu à l'irrégularité de la procédure de rétention administrative du fait de l'absence de diligences réalisées par l'autorité de police entre 20 h 10 et 8 h 15 le lendemain lors de la retenue pour vérification du droit au séjour, au motif que "les diligences effectuées pendant cette retenue doivent nécessairement être faites de façon continue", la Cour de cassation infirmait le raisonnement, dès lors que la retenue "n'avait pas dépassé le délai légal de seize heures", le juge du fond ayant "ajouté au texte susvisé des conditions qu'il ne comporte pas" [Cass. civ. I, 2 avr. 2014, n° 13-14.822 : publié au Bulletin].

La rédaction de l'arrêt est ambiguë et la fixation de la jurisprudence nécessitera sans doute un arrêt plus explicite. En reprochant au juge du fond l'ajout d'une condition praeter legem, alors que l'interdiction du dépassement de la durée strictement nécessaire figure bien dans la loi, on pourrait estimer que la sanction du juge du fond ne concerne pas le principe du contrôle concret de la nécessité de la durée, mais porte sur le critère de son appréciation retenu en l'espèce, celui des diligences réalisées de "façon continue", particulièrement sévère pour l'autorité de police. Autrement dit, la sanction de la latence de l'autorité de police par le juge des libertés et de la détention resterait possible, à condition qu'elle soit particulièrement longue, au contraire de la courte discontinuité, qui serait admissible. Pourtant, le constat de la Cour de cassation de l'absence de dépassement de la durée maximale abstraite, à l'image de sa motivation du rejet du contrôle de la nécessité de la durée concrète de la garde à vue [Cass. mixte, 7 juil. 2000, n° 98-50.007 : préc. : la Cour y notait que "la garde à vue [...] n'avait pas dépassé le délai légal de vingt-quatre"] semble pourtant interdire au juge le contrôle concret de la durée de la retenue, seul le dépassement de la durée maximale abstraite de seize heures pouvant caractériser le dépassement de la durée strictement nécessaire.

Le contrôle de la nécessité de la durée de la rétention n'est pourtant pas toujours exclu du droit de la privation de liberté de l'étranger. La ratio legis de la retenue pour vérification du droit au sujet est clairement posée : elle a pour but la réalisation de vérifications ["aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français"], si bien que la révélation par l'étranger dès le contrôle d'identité ou la réquisition de l'officier judiciaire [v. infra] de sa situation irrégulière empêche le placement en retenue, car aucune vérification sur sa situation n'est à réaliser [Cass. civ. I, 28 mai 2014, 2 espèces, n° 13-50.033 et 13-50.034 : inédits]. Pour autant, la privation de liberté de l'étranger, dans cette situation, est aussi autorisée par la Cour de cassation, dans un cas factuel sans reconnaissance légale, afin de préparer la décision administrative d'éloignement et le placement en rétention administrative [Cass. civ. I, 14 juin 2005, n° 04-50.063 : Bull. civ. I, n° 249]. Le juge judiciaire de la prolongation de la rétention administrative doit alors s'assurer que la durée séparant le contrôle d'identité et la notification des droits afférant au placement en rétention administrative n'est pas excessive et la qualité de sa motivation est contrôlée par la Cour de cassation [ibid.]. Alors que le défaut de légalité impose le contrôle de la nécessité de la durée de la rétention, les garanties légales de la retenue pour vérification du droit au séjour semblent permettre de se dispenser du contrôle de la nécessité de la durée, légalité et nécessité ne se cumulant jamais, mais s'appliquant alternativement, ménageant toujours une large marge de manœuvre à l'autorité de police, jusqu'au placement en rétention administrative.

  


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