mercredi 9 juillet 2014

[obs.] Rappel européen des qualités du recours interne effectif en contestation de la dignité des conditions matérielles de détention [CEDH, sect. IV, 8 juillet 2014, HARAKCHIEV et TOLUMOV c. Bulgaire, req. n° 15018/11 et 61199/12, en angl.]

Dans l'arrêt signalé, en plus de contrôler l'infliction aux requérants d'une peine perpétuelle et leur placement puis leur maintien en isolement pénitentiaire de sûreté, la Cour européenne a aussi réalisé le rappel des qualités du recours interne effectif en contestation de la dignité des conditions matérielles de détention, seul point abordé dans ces observations.

Dès lors que les conditions matérielles de détention indignes, du fait de la surpopulation, ou de l'insalubrité et de la vétusté du lieu de détention, ou  encore de son inadaptation à la privation de longue durée, constituent une cause de violation de l'article 3, l'article 13 ouvre un droit de recours interne permettant de les contester et d'"offrir le redressement approprié"  [CEDH, gde ch., 21 janv. 2011, M. S. S. c. Belgique et Grèce, req. n° 30696/09 : Rec. CEDH, 2011 : JCP, 2012, doctr. n° 924, chron. F. SUDRE ; AJDA, 2011, p. 138, obs. M. C. DE MONTECLER ; AJDA, 2011, p. 1993, chron. L. BURGORGUE-LARSEN].

Pour la personne qui conteste ses conditions de détention actuelles, le recours effectif en droit interne issu de la combinaison des articles 3 et 13 doit permettre de changer "le statu quo" [§ 223], l’État ayant l'obligation de se mettre en conformité avec le standard pénitentiaire européen, sans que l'action aux fins d'indemnisation ne suffise [§ 222]. Autrement dit, "la décision du juge national doit avoir une incidence immédiate sur [les] conditions de détention [du détenu]" [CEDH, sect. IV, 22 oct. 2009, Sikorski c. Pologne, req. n° 17599/05 ; § 115]. Si la combinaison des articles 13 et 3 impose également l'existence en droit interne d'une action aux fins d'indemnisation, elle ne peut à elle seule satisfaire la Convention que s'agissant du requérant contestant ses conditions de détention passées [§ 225], soit qu'il a été libéré, soit qu'il bénéficie désormais de conditions respectant le standard européen  [la Cour européenne des droits de l'Homme a reconnu, pour la critique des conditions de détention passées, l'effectivité de l'action en responsabilité de l’État pour faute devant le juge administratif français, sans que celle-ci n'ait été encore reconnue par le Conseil d’État, mais au regard de son admission par les juges du fond, y compris certaines juridictions d'appel, si bien que l'épuisement des voies de recours internes suppose d'avoir usé de l'action - v. CEDH, sect. V, 13 sept. 2011, Lienhardt c. France, req. n° 12139/10, déc.CEDH, sect. V, 2 avr. 2013, Théron c. France, req. n° 21706/10, déc.CEDH, sect. V, 10 avr. 2012, Rhazali et autres c. France, req. n° 37568/09, déc.].

En conséquence, l'effectivité du recours interne concernant la critique de la dignité des conditions de détention actuelles réside dans le pouvoir d'injonction du juge national permettant de forcer l'administration pénitentiaire à se conforter au standard pénitentiaire européen, en la forçant, par exemple, à déplacer le détenu dans une cellule plus grande, à y installer des toilettes, ou à la rénover...[les exemples sont repris des analyses de la Cour concernant les recours en droit bulgare au § 225].

De ce point de vue, le développement par le juge administratif de son pouvoir d'injonction dans le cadre des procédures de référés portant la contestation de la dignité des conditions matérielles de détention, afin de forcer l'administration à réaliser des travaux les améliorant, a accru l'effectivité du recours interne en droit français [v. pour le référé-liberté CE, réf., 22 déc. 2012, Section française de l'observatoire international des prisons, n° 364584 : à paraître au Lebon ; D., 2013, p. 1304, chron. É. PÉCHILLON ; AJP, 2013, p. 232, obs. É. PÉCHILLON ; JCP, 2013, n° 87, note O. LE BOT ; ADL, 27 déc. 2012, note S. SLAMA ; JCP A, 2013, n° 2017, obs. G. KOUBI et TA Marseille, 13 déc. 2012, Section française de l'observatoire international des prisons,n° 1208103 : AJDA, 2012, p. 2414, obs. D. Necib - v. pour le référé mesures-utiles TA Marseille, 10 janv. 2013, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 1208146 : AJDA, 2013, p. 80, obs. D. Necib]. 

La Cour européenne des droits de l'Homme apporte donc une réponse individuelle au problème endémique de la surpopulation, puisque au regard de sa jurisprudence, le recours interne efficace contre elle est celui permettant de déplacer le détenu dans un établissement non touché ou dans une cellule plus grande du même établissement surpeuplé [la jurisprudence européenne sanctionne effectivement la surpopulation par rapport à la seule mesure de la surface individuelle du détenu dans sa cellule, sans tenir compte de ses effets au niveau de l'établissement, par exemple sur les activités collectives]. Sur ce dernier point, l'efficacité du recours interne devant le juge administratif français reste posée [dans le cadre du référé mesures-utiles, le juge administratif avait estimé ne pouvoir contraindre l'administration à modifier l'affectation des détenus, au regard de la condition légale lui interdisant de « faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative » ; v. l'art. L. 521-3 CJA].

La jurisprudence européenne ne dégage qu'un droit à l'amélioration des conditions matérielles de détention indignes actuelles et un droit à l'indemnisation des conditions matérielles de détention indignes passées [les deux droits s'appliquent en réalité conjointement pour les conditions de détention actuelles], sans reconnaître un droits à la libération, même cantonné à des conditions strictes. La capacité de l'article 3 à faire naître un droit à la libération, lorsque l'élargissement constitue le seul moyen de mettre un terme au traitement indigne, sauf en cas de particulière dangerosité du condamné, est pourtant reconnue pour le détenu dont l'état de santé est incompatible avec la privation de liberté [v. pour la synthèse de la jurisprudence européenne CEDH, sect. I, 15 janv. 2004, Sakkopoulos c. Grèce, req. n° 61828/00 ; § 39]. Reconnaître un droit à la libération dans le contentieux des conditions matérielles indignes, non pas absolu mais faisant l'objet d'un encadrement jurisprudentiel, n'apparaît pas véritablement injustifiable juridiquement [v. pour des développements plus poussés, L. Mortet, Essai d'une théorie générale des droits d'une personne privée de liberté, th., Nancy, 2014], d'autant plus depuis que la Cour suprême américaine à confirmer l'obligation juridictionnelle donnée à l’État de Californie de réduire sa population carcérale de près de 46.000 détenus en deux ans, pour remédier à la surpopulation, en raison de l'atteinte causée par celle-ci à la dignité [Cour suprême des États-Unis, Brown v. Plata, 563 U.S. 2011 : AJP ; 2012, p. 108, obs. D. van Zyl Smit ; ADL, 3 juin 2011, obs. J. Morri].

Le premier instrument conventionnel de lutte contre la surpopulation semble désormais provenir de l'arrêt-pilote et de la mise en place d'un processus plus "collaboratif" que "répressif". La Cour européenne des droits de l'Homme a recommandé aux États dans ceux-ci, pour lutter contre la surpopulation, la mise en place un système de contrôle administratif permettant de recueillir les plaintes des détenus et de les transférer dans des établissements plus adaptés [CEDH,sect. IV, 22 oct. 2009, Orchowski c.Pologne, req. n° 17885/04, en angl. : RSC, 2010, p. 497, chron. C. Nowak], la réduction du nombre de détenus placés en détention provisoire, à réserver aux seules  infractions les plus graves, "la libération des prisonniers dont la période de détention autorisée est sur le point de s’achever ou dont l’incarcération n’est plus nécessaire" , l'établissement "pour chaque maison d’arrêt [d']une capacité maximale et [d']une capacité opérationnelle", la reconnaissance de la capacité des "directeurs des maisons d’arrêt à refuser d’accueillir des détenus au-delà des capacités de leur établissement" [CEDH,sect. I, 10 janv. 2012, Ananyev et autres c. Russie, req. nos 42525/07 et 60800/08 : D., 2013, p. 201, chron. J.-F. Renucci, N. Fricero et Y. Strickler], ou encore le développement du "recours à des mesures punitives non privatives de liberté" [CEDH, sect. II, 8 janv. 2013, Torreggiani et autres c. Italie, req. nos 43517/09, 35315/10, 37818/10 : AJP, 2013, p. 361, obs. É. PÉCHILLON ; Gaz. Pal., 12 mars 2013, p. 16, comm. É. SENNA ; JCP, 2013, n° 319, note F. LAFFAILLE ; § 84 et s.]. La Pologne a d'ailleurs reçu un satisfecit pour ces mesures prises à la suite de l'arrêt-pilote, tenant dans la limitation de la période pendant laquelle les détenus peuvent être maintenus dans des cellules en violation de la surface minimale ou dans la suspension des peines d’emprisonnement, lorsque la population carcérale dépasse la capacité globale [CEDH, sect. IV, 12 oct. 2010, Lominski c. Pologne, req. n° 33502/09, déc., en angl.]. 

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