mercredi 2 juillet 2014

[obs.] Sanction d'une détention provisoire d'une durée d'un an et quatre mois justifiée par le seul risque de trouble à l'ordre public [CEDH, 1er juillet 2014, sect. III, SIMON c. Roumanie, req. n° 34945/06]

L'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme reconnaît à la personne suspecte et traduite devant l'autorité judiciaire "le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure". Ce droit fonde le contrôle par la Cour européenne des droits de l'Homme de la détention provisoire, dont l'arrêt signalé rappelle  les principes applicables.

La Cour européenne des droits de l'Homme a défini sur ce fondement le champ abstrait de la détention provisoire, permise uniquement pour "quatre raisons fondamentales [...] : le risque que l’accusé ne prenne la fuite [...], et le risque que, une fois remis en liberté, il n’entrave l’administration de la justice [...], ne commette de nouvelles infractions [...] ou ne trouble l’ordre public [...]" [§ 36].

Elle réalise sur le même fondement le contrôle concret de la durée raisonnable de la détention provisoire, en se fondant sur l'étude de la motivation des juges nationaux qui ont prolongé la détention provisoire, ceux-ci devant avancer des "raisons pertinentes et suffisantes", par rapport aux quatre raisons fondamentales précitées [§ 37].

De jurisprudence constante, répétée ici, la durée de la détention provisoire se mesure du placement à la première décision de condamnation, même si celle-ci n'est pas définitive [§ 30], et l'épuisement des voies de recours internes concernant le grief de la durée de la détention provisoire ne nécessite pas de réaliser un appel contre chaque décision de prolongation, notamment lorsque celles-ci sont nombreuses [§ 32].

Par un raisonnement classique, la Cour rappelle que si la référence à l'une des quatre raisons fondamentales justifie le placement en détention provisoire et les premières prolongations [en l'espèce, le juge national s'était d'abord appuyé sur "les besoins de l'enquête" ; § 37], le contrôle judiciaire national de la détention provisoire doit s'accentuer au fil du temps, pour mettre en balance, à côté des quatre raisons fondamentales d'ordre public, les éléments de personnalité du prévenu, pouvant militer pour une remise en liberté, notamment la compatibilité de l'état de santé avec la détention, la situation familiale du prévenu, ou l'opportunité de privilégier des mesures alternatives ["la Cour observe que si les juridictions internes se sont assurées que l’état de santé du requérant était compatible avec la détention, elles ont prolongé cette mesure sans avoir égard à sa situation familiale et sans envisager des mesures autres que la détention" ; § 41]. La Cour européenne des droits de l'Homme dicte ainsi au juge national l'intensité et la méthodologie à adopter dans le contrôle de la durée raisonnable, un contrôle de proportionnalité, au sens de la recherche d'un équilibre ou d'une conciliation entre les éléments les plus larges servant à apprécier l'opportunité du maintien en détention provisoire, ceux d'ordre public et ceux de personnalité.

Si en l'espèce, la juge national n'avait pas réalisé ce contrôle de proportionnalité, c'est directement l'absence de véritable motif d'ordre public efficace pour justifier le maintien en détention provisoire que la Cour européenne des droits de l'Homme sanctionne. Bien qu'ayant utilisé dans ses motivations le motif du risque à l'ordre public, pris au sens strict de "l’impact négatif que [la] remise en liberté [est] susceptible d’avoir sur l’opinion publique" [§ 38], distinct du risque de réitération, le juge national n'avait pas démontré par des considérations concrètes son existence [§ 39]. Les considérations liées à la gravité de la peine encourue ou des faits, utilisées, ne sauraient suffire à le caractériser [§ 40].

Si le risque de trouble à l'ordre public justifie pour la Cour le placement en détention provisoire, y compris pour des faits de gravité relative [en l'espèce, le requérant était poursuivi des chefs d’escroquerie, de faux et d’usage de faux, ayant causé, pour sept sociétés et trois banques, un préjudice total d’environ 17 000 euros], la Cour exclut, dans une formulation abstraite, que ce seul critère serve à justifier la détention provisoire du requérant, d'une durée d'un an et quatre mois : "en tout état de cause, ce motif ne peut justifier à lui seul le maintien en détention provisoire pour une période assez longue" [§ 39].

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