lundi 17 novembre 2014

[obs.] La perpétuité réelle française sous l’examen européen : certitudes et incertitudes du contrôle européen de la peine perpétuelle [à propos de l’arrêt Bodein]



1. La distinction entre la peine perpétuelle répressive et la peine perpétuelle sécable. Alors que la Cour européenne des droits de l’Homme a posé un arrêt de principe quant à son contrôle de la peine perpétuelle sur le fondement de l’article 3 en juillet 2013 [CEDH, gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autres c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 : Rec. CEDH, 2013 ; D., actu., 12 juil. 2013, obs. M. Léna ; ibid., 2013, p. 2081, note J.‑F. Renucci ; ibid., p.  2713, chron. G. Roujou de Boubée ; ibid., 2014, p. 1235, chron. J.-P. Cere ; RFDA, 2014, p. 538, chron. L. Labayle ; AJP, 2013, p. 494, obs. D. van Zyl Smit ; RSC, 2013, p. 625, chron. P. Poncela ; ibid., p. 649, obs. D. Roets ; Dr. pénal, 2013, comm. n° 165, obs. É. Bonis-Garçon ; ibid., 2014, chron. n° 3, obs. V. Peltier ; ibid., chron. n° 4, chron. E. Dreyer ; JCP, 2014, n° 970, obs. L. Milano ; ibid., 2013, 918, obs. F. Sudre : la Cour s’est prononcée dans cette affaire sur une condamnation à la peine perpétuelle obligatoire en droit interne, prévue en cas d’assassinat, s’agissant d’une peine créée à la suite de l’abrogation de la peine de mort, concernant laquelle le juge avait étendu à la totalité de son exécution le mécanisme empêchant l’accès du condamné à la libération conditionnelle], la Cour européenne des droits de l’Homme a déjà eu à quatre reprises l’occasion d’en préciser les apports, une fois quant au droit turque [CEDH, sect. II, 18 mars 2014, Ocalan c. Turquie (n° 2), req. nos 24069/03, 197/04 et 6201/06 :  D., 2014, p. 1235, chron. J.-P . Cere : le requérant avait été condamné initialement à la peine de mort, commuée, à la suite de l’abrogation de cette dernière, en une peine perpétuelle aggravée, empêchant l’octroi de la libération conditionnelle], une fois quant au droit hongrois [CEDH, sect. II, 20 mai 2014, Laszlo Magyar c. Hongrie, req. n° 73593/10, en angl. : le requérant avait été condamné à la perpétuité sans possibilité d’obtenir une libération conditionnelle, du fait de sa qualité de récidiviste], une fois quant au droit bulgare [CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, req. nos 15018/11 et 61199/12, en angl. ; v. notre chron., n° 54 : le requérant avait été condamné à une modalité spéciale de la peine perpétuelle, l’empêchant de bénéficier de la libération conditionnelle, sauf à en obtenir la commutation en une peine perpétuelle de droit commun, la peine dérogatoire ayant servi au remplacement de la peine de mort] et une fois quant au droit français [CEDH, sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France, req. n° 40014/10 : la Cour s’est prononcée sur la perpétuité réelle du droit français, issue de l’extension de la période de sûreté à la totalité de la peine, empêchant, sauf relèvement, le bénéfice des principaux aménagements de peine, dont la libération conditionnelle]. À chaque fois, c’est une modalité dérogatoire de la peine perpétuelle qui était soumise au contrôle de la Cour européenne des droits de l’Homme sur le fondement de l’article 3, celle-ci se substituant à la peine de mort, au plus près ou plus loin de son abrogation, et se justifiant par la gravité des infractions commises. La sévérité de la répression se caractérise par l’exclusion de principe, durant la totalité de la peine, de l’obtention des mesures d’aménagement de peine, la principale restant la libération conditionnelle, à la différence des modalités moins sévères de peine perpétuelle, empêchant uniquement l’obtention des mesures d’aménagement de peine de droit commun durant un temps d’épreuve. Le panorama issu de ces cinq arrêts montre la récurrence dans les États du Conseil de l’Europe [au moins, donc, en France, en Angleterre, en Hongrie, en Bulgarie et en Turquie] de ces peines perpétuelles particulièrement sévères. Plutôt que de perpétuité réelle [expression certes couramment utilisée, mais impropre, dès lors que celle‑ci, au sens strict, celle incompressible, qui suppose d’interdire de facto et de jure toute possibilité de libération, constitue assurément un traitement inhumain et dégradant par nature ; CEDH, gde ch., 12 févr. 2008, Kafkaris c. Chypre, req. n° 21906/04 : Rec. CEDH, 2008 : RSC, 2008, p. 692, obs. D. Roets ; § 97.], c’est plus justement la notion de peine perpétuelle répressive que nous évoquerons , celle-ci étant censée conserver durant la totalité de son exécution son objectif de punition, de répression ou encore de châtiment : elle est justifiée « lorsque la gravité de l’infraction est si exceptionnellement élevée qu’un juste châtiment exige que son auteur demeure en prison pour le restant de ses jours » [v. CEDH, sect. IV, 17 janv. 2012, Vinter et autres c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 : JCP, 2012, doctr., n° 924, chron. F. Sudre ; D., 2012, p. 1294, chron. J.‑P. Céré ; § 103 : la Cour citait ici la motivation employée par le juge national]. L’objectif permanent de répression justifie l’exclusion de l’application de l’article 5 § 4 à la peine perpétuelle répressive [l’article dispose que « toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale »], puisque la peine « ne [repose] pas sur des éléments risquant d’évoluer avec le temps » [ibid., § 102] et que « que l’examen de la légalité de la détention du requérant, imposé par l’article 5 § 4, [est] englobé dans la condamnation prononcée par le juge et qu’aucun réexamen n’[est] donc requis [sur ce fondement] » [ibid.] : elle est soumise à la théorie du contrôle incorporé, c’est-à-dire que la décision de condamnation du Tribunal, qui assure le contrôle de la légalité de la privation de liberté, épuise tout contrôle judiciaire ultérieur. La peine perpétuelle répressive doit en revanche être distinguée de celle d’un autre type, celle sécable « en une période punitive et une période de sécurité » [ibid.] ou qui « se [constitue] d’une période punitive (pour satisfaire à l’impératif de châtiment) et du reste de la peine, lorsque le maintien en détention avait été décidé à l’aune des critères du risque et de la dangerosité » [ibid., § 103] : le constat par la Cour européenne des droits de l’Homme du terme de sa période répressive entraîne la requalification de la peine en mesure de sûreté, au-delà des distinctions internes, aboutissant à reconnaitre pour la seconde partie seulement l’application de l’article 5 § 4, afin de solliciter devant le Tribunal une libération anticipée, fondée sur la disparition du « risque » ou « de la dangerosité », c’est-à-dire des éléments « risquant d’évoluer avec le temps », pour reprendre la terminologie européenne.
2. La perpétuité réelle française sous l’examen européen. L’affaire française intéresse, au‑delà du faible nombre de condamnations à la perpétuité réelle [selon les différents commentaires de presse, la perpétuité réelle française a été prononcée à quatre reprises depuis son instauration en 1994, la première fois en 2007, concernant la condamnation du requérant en première instance], non seulement pour son apport au droit national, mais aussi pour son apport quant à la jurisprudence européenne, notamment concernant l’application des principes de l’arrêt de Grande chambre Vinter dont la portée des apports n’est pas encore clairement fixée, et même pour confronter le raisonnement européen à un dispositif validé à deux reprises par le Conseil constitutionnel, une fois en 1994 [Cons. const., déc. n° 93-334 DC du 20 janv. 1994 relative à la loi instituant une peine incompressible et relative au nouveau Code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale : J. O., 26 janv. 1994, p. 1380 ; RFD const., 1994, p. 353, note Th. Renoux ; D., 1995, p. 340, obs. Th. Renoux ; ibid., p. 293, obs. É. Oliva] lors de son instauration [loi n° 94-89 du 1er févr. 1994 instituant une peine incompressible et relative au nouveau Code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale : J. O., 2 févr. 1994, p. 1803 ; JCP, 1994, actu., n° 100080, obs. F. le Gunehec ; RSC, 1994, p. 778, obs. M.‑L. Rassat ; ibid., p. 356, note P. Couvrat ; Gaz. Pal., 1994, doct., p. 968, obs. J. Brandeau], puis plus récemment en 2011 [Cons. const., déc. n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 relative à la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure : J. O., 15 mars 2011, p. 4630 ; v. F. Fourment, « Après l'abolition de la peine de mort, l'"abolition" de la peine de réclusion criminelle à perpétuité réelle ? » ; Gaz. Pal., 3 sept. 2011, n° 246, p. 26] lors de l’extension du dispositif [loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure : J. O., 15 mars 2011, p. 4582]. La perpétuité réelle française se caractérise par l’extension de la période de sûreté, mécanisme lui-même soumis au Conseil constitutionnel [Cons. const., déc. n° 78-98 DC du 22 nov. 1978 portant sur la loi modifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale en matière d'exécution des peines privatives de liberté : J. O., 23 nov. 1978] lors de son instauration en 1978 [loi n° 78‑1097 du 22 nov. 1978 modifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale : J. O., 23 nov. 1978, p. 3926], qui interdit l’octroi des mesures d’aménagement de peine [v. l’art. 720-2 CPP : « les dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l'extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle ne sont pas applicables pendant la durée de la période de sûreté »], durant la totalité de la peine, sur décision spéciale de la Cour d’assises, possibilité permise spécialement par le texte des incriminations concernées [v. l’art. 221-3 CP concernant les cas d’assassinat, « lorsque la victime est un mineur de quinze ans et que l'assassinat est précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie ou lorsque l'assassinat a été commis sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions » et l’art. 221-4 CP concernant les cas de meurtre, qui nécessitent la caractérisation des mêmes circonstances, sauf que l’article ajoute la circonstance de commission en bande organisée concernant l’hypothèse du meurtre commis sur le dépositaire de l’autorité publique]. Les quelques cas de perpétuité réelle, dès lors qu’ils concernent des cas de meurtre ou d’assassinat plus graves, au regard des circonstances la faisant encourir, circonstances aggravantes classiques du droit pénal, que ceux déjà réprimés par la perpétuité [le simple assassinat est déjà réprimé par la réclusion criminelle perpétuelle – v. l’art. 221-3 CPP – tandis que pour le meurtre, les circonstances aggravantes, visées par les hypothèses de perpétuité réelle en combinaison par deux, prises isolément, suffisent à faire encourir la réclusion criminelle perpétuelle – v. les art. 221-4 et 221-2 CPP], rappellent la volonté de créer un nouvel échelon de peine plus sévère que la perpétuité de droit commun [la période de sûreté, identique dans ses effets, mais plus limitée dans son étendue, s’applique automatiquement pour des infractions prévues spécialement par la loi pendant dix-huit ans en cas de condamnation à la peine perpétuelle, sauf décision spéciale de la Cour d’assises, qui peut « réduire ces durées » ou la porter à vingt-deux ans, et la Cour d’assises peut aussi, facultativement, décider, par décision spéciale, d’assortir la perpétuité de la période de sûreté pendant vingt-deux ans en dehors de ces cas – art. 132-23 CP], en faisant le substitut de la peine de mort, objet désormais d’une interdiction constitutionnelle [art. 66-1 de la Constitution], quand bien même un décalage temporel important existe entre son abrogation [v. la loi n° 81-908 du 9 oct. 1981 portant abolition de la peine de mort : J. O., 10 oct. 1981, p. 2759] et l’instauration de la perpétuité réelle.
3. Le standard constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a haussé son contrôle de la période de sûreté pour la perpétuité réelle [déc. n° 93-334 DC du 20 janv. 1994 : préc. ; consid. n° 13 : le Conseil constitutionnel y a découvert en 1994 que les principes contenus à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen [soit la légalité, la nécessité, la proportionnalité ou encore la non-rétroactivité] « ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s’étendent au régime des mesures de sûreté qui les assortissent »], par rapport à son contrôle du mécanisme de droit commun [déc. n° 78‑98 DC du 22 nov. 1978 : préc. ; consid. n° 6 : le Conseil constitutionnel y estimait qu’« une telle mesure, qui ne concerne que l’exécution d’une peine, ne peut donc être regardée comme constituant elle-même une peine » et que « dès lors, les décisions relatives à son application ne sont pas soumises aux règles qui régissent le prononcé des peines »]. Mais c’était pour reconnaître une large marge d’appréciation au législateur dans le domaine de l’exécution des peines [ déc. n° 93-334 DC du 20 janv. 1994 : préc. ; consid. n° 11: « considérant qu'il est loisible au législateur de fixer les modalités d'exécution de la peine et notamment de prévoir les mesures énumérées à l'article 132-23 du code pénal ainsi que de déterminer des périodes de sûreté interdisant au condamné de bénéficier de ces mesures »] et dans le choix des incriminations ouvrant la perpétuité réelle, sans véritable contrôle de celles‑ci d’ailleurs [ibid., consid. n° 10 : « en l'absence de disproportion manifeste avec l'infraction commise, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer sa propre appréciation à celle du législateur »], lui permettant de privilégier l’un ou l’autre des objectifs de la peine, parmi ceux dressés par la décision [ibid., consid. n° 12 : « considérant que l'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion »], sauf à commettre une erreur manifeste d’appréciation [ibid., consid. n° 13]. Le Conseil constitutionnel s’intéressait plutôt à la possibilité de relèvement de la période de sûreté [v. l’anc. art. 720-4 CPP : le relèvement permet au condamné de bénéficier des mesures d’aménagement, dont la libération conditionnelle, selon les conditions de droit commun], pour valider la perpétuité réelle, la réécrivant même en partie en réalité, définissant ses critères [le Conseil constitutionnel notait que le relèvement était permis « au regard du comportement du condamné et de l'évolution de sa personnalité », alors que la loi visait l’existence de « gages sérieux de réadaptation sociale »], élargissant l’ouverture de la procédure de relèvement [alors que la loi avait uniquement confié au juge de l’application des peines l’initiative de la saisine d’« une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation », le Conseil constitutionnel avait précisé que la disposition devait s’entendre comme « ouvrant au ministère public et au condamné le droit de saisir le juge de l'application des peines » ; ibid., consid. n° 13 – il est à noter qu’à l’origine, la loi prévoyait uniquement que le juge d’application des peines « pouvait » saisir la Commission], et précisant, dans le silence de la loi, « qu'une telle procédure peut être renouvelée le cas échéant » [ibid.]. C’est bien la qualité du recours judiciaire permettant de relever la période de sûreté qui assurait le respect de la Constitution, le législateur conservant une marge d’appréciation pour fixer le temps d’épreuve ouvrant la procédure [en l’espèce, et dès l’origine, trente ans] ou les autres formalités procédurales [la loi d’origine prévoyait déjà l’obligation de « saisir un collège de trois experts médicaux désignés par le bureau de la Cour de cassation sur la liste des experts agréés près la cour, qui se prononce sur l'état de dangerosité du condamné »]. Pourtant, le Conseil constitutionnel n’a pas adopté de formulation de principe, ni ne s’est référé à l’article 66 de la Constitution, qui fait du juge judiciaire le « gardien » de la liberté individuelle, deux moyens qui lui auraient permis de constitutionnaliser plus directement le recours judiciaire en cours d’exécution de la perpétuité réelle. L’emploi l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme rappelait toutefois que le relèvement judiciaire assurait, plutôt que de sa « nécessité », notion visée par le Conseil constitutionnel [c’est bien le terme utilisé par le texte de la disposition, mais c’est sur ce fondement que le Conseil constitutionnel fonde le contrôle de la proportionnalité des peines : Cons. const., déc. n° 86-215 DC du 3 sept. 1986 portant sur la loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance : J. O., 5 sept. 1986, p. 10788 ; consid. n° 7], le contrôle de la proportionnalité de la peine perpétuelle pendant son cours, ou autrement dit, le contrôle du maintien de sa nécessité dans le temps. Le même raisonnement a été repris par le Conseil constitutionnel lors de son examen de l’extension du mécanisme en 2011, celui-ci semblant même améliorer la garantie judiciaire, pour prendre soin d’indiquer, de manière redondante par rapport à la loi [le nouveau système législatif a supprimé le « pouvoir » du juge de l’application des peines d’initier la procédure, pour rendre compétent le Tribunal d’application des peines, l’article 720-4 nouveau du Code de procédure pénale renvoyant à l’article 712-7 du même Code pour organiser sa saisine selon les modalités de droit commun, « sur la demande du condamné, sur réquisitions du procureur de la République ou à l'initiative du juge de l'application des peines »], que « cette disposition doit être entendue comme ouvrant au ministère public et au condamné le droit de saisir le tribunal de l'application des peines » [déc. n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 : préc. ; consid. n° 28 et s.].
4. Les certitudes du contrôle européen de la peine perpétuelle répressive. Examinée sous l’angle de l’article 3, sans que sa qualification ne fasse discussion, la perpétuité réelle française apparait comme un cas de peine perpétuelle répressive, échappant à un contrôle approfondi sous l’angle de l’article 5 [le contrôle principal consiste à vérifier que la condamnation a bien été prononcée « par un tribunal compétent » ; art. 5 § 1er-a)], échappant en tout cas aux dispositions de l’article 5 § 4, et dont le contrôle ressort principalement de l’article 3. La caractérisation d’un droit au réexamen permet d’assurer la validité de la peine perpétuelle répressive au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme : « en ce qui concerne les peines perpétuelles, l’article 3 doit être interprété comme exigeant qu’elles soient compressibles, c’est-à-dire soumises à un réexamen permettant aux autorités nationales de rechercher si, au cours de l’exécution de sa peine, le détenu a tellement évolué et progressé sur le chemin de l’amendement qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne permet plus de justifier son maintien en détention », principe répété dans l’arrêt Bodein [préc. ; § 55] et directement issu d’une citation de l’arrêt de Grande chambre Vinter [préc. ; § 119]. La Cinquième section s’est donc directement, et logiquement, placée dans les pas de la Grande chambre, appliquant les conditions que cette dernière a érigées, et d’ailleurs son raisonnement apparaît plus direct, sans les longues circonvolutions de l’arrêt Vinter ni celles de l’arrêt Harakchiev et Tolumov [préc. : il est vrai que ce dernier arrêt a aussi réalisé un apport par rapport à l’arrêt Vinter, concernant le contrôle du contenu de la peine perpétuelle répressive ; v. notre chron., n° 26], les principes applicables apparaissant désormais plus certains. Aucune peine perpétuelle réelle ou incompressible n’est conforme à la Convention européenne des droits de l’Homme, dès lors que l’existence d’un droit au réexamen est exigée, celle-ci établissant leur caractère « compressible » [Bodein : préc. ; § 53 et s.]. Le raisonnement européen n’est pas sans rappeler celui du Conseil Constitutionnel.
5. Les incertitudes du contrôle européen de la peine perpétuelle répressive. Si le développement de la jurisprudence européenne quant au contrôle du caractère « compressible » de la peine perpétuelle répressive a abouti à réduire le pouvoir discrétionnaire des autorités nationales en la matière, l’arrêt de Grande chambre Vinter constituant une étape décisive de ce mouvement, pour fixer un standard contraignant pour les États, l’arrêt Bodein leur maintien une large marge d’appréciation, qui complique l’appréciation de la portée réelle du contrôle. D’autre part, la reconnaissance certaine d’un droit au réexamen ne dissipe pas toute interrogation quant à la réelle nature de la peine examinée. La qualification de peine perpétuelle répressive n’apparaît pas d’une clarté indiscutable, alors que le droit français semble considérer la période de sûreté comme une mesure de « sûreté » par nature, qu’il s’agisse de son intitulé législatif ou de sa qualification attribuée par le Conseil constitutionnel lors des examens de la perpétuité réelle [la Cour de cassation se réfère à la notion de « modalité d’exécution de la peine » ; v. notre chron., n°4], montrant d’emblée la fragilité de la distinction des peines perpétuelles, l’empêchement de la libération anticipée du condamné apparaissant autant justifié par la dangerosité du condamné que par sa répression.
L’application des principes issus de l’arrêt de Grande chambre Vinter, malgré les velléités affichées, apparaît malaisée, pour poser des conditions précises engageant les États, tout en leur reconnaissant aussi sur d’autres points une large marge d’appréciation. Ce sont ces impératifs contradictoires que l’arrêt Bodein tente de ménager, en réalisant des apports confortant les certitudes du contrôle de la peine perpétuelle répressive [I.] et d’autres accentuant ses incertitudes [II.].

I.                   Les apports de l’arrêt Bodein aux certitudes du contrôle européen de la peine perpétuelle répressive

6. Un standard conforté. L’arrêt Vinter de Grande chambre n’a pas seulement consacré un droit au réexamen au profit de la personne condamnée à une peine perpétuelle répressive [ibid., § 110], mais a déterminé ses modalités pratiques, forgeant le modèle abstrait du droit au réexamen, en tout cas un standard, malgré les nombreuses précautions prises pour rappeler l’existence, en la matière, d’une marge d’appréciation pour les États [ibid., § 104, § 105, § 120]. Le droit au réexamen peut être sollicité au terme d’un temps d’épreuve de vingt-cinq ans [ibid., § 120 : « il se dégage des éléments de droit comparé et de droit international produits devant elle une nette tendance en faveur de l’instauration d’un mécanisme spécial garantissant un premier réexamen dans un délai de vingt-cinq ans au plus après l’imposition de la peine perpétuelle »], il est périodique [ibid.], il doit exister dès le début de l’exécution de la peine perpétuelle répressive [ibid., § 122], et celui-ci doit aboutir à reconnaître une obligation « de libérer tout détenu dont le maintien en détention se révélerait incompatible avec l’article 3, par exemple parce qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne permettrait plus de justifier cette mesure », par opposition à toute mesure discrétionnaire ou arbitraire [ibid., § 125]. En appliquant ces différents principes, pour participer à la réduction du pouvoir discrétionnaire des autorités nationales [A] et dessiner l’ébauche d’un contrôle de proportionnalité [B], concernant la peine perpétuelle répressive, au moyen du contrôle de l’existence d’un droit au réexamen, l’arrêt Bodein renforce ce standard et ses certitudes.

A. Le droit au réexamen : la réduction du pouvoir discrétionnaire des autorités nationales

7. Plus que l’existence d’une chance d’être libéré. La peine perpétuelle de jure et de facto incompressible, sans aucune possibilité de libération, est prohibée depuis longtemps dans la jurisprudence européenne, pour constituer par nature un traitement inhumain et dégradant [Kafkaris, gde ch. : préc. ; § 97]. Celle-ci s’en tenait toutefois à la simple existence pour le condamné de « chances d’être libéré » pour établir leur caractère compressible [ibid., § 98]. En réalité, la moindre chance d’être libéré suffisait à valider la peine perpétuelle répressive, même à ce qu’elle soit mince, voire minime, même à ce qu’elle soit discrétionnaire, voire arbitraire [v. pour la validation européenne au regard de la possibilité d’obtenir une grâce présidentielle discrétionnaire, Kafkaris, gde ch. : préc., ou aussi CEDH, sect. V, 2 sept. 2010, Iorgov c. Bulgarie (n° 2), req. n° 36295/02 : Dr. pénal, 2011, n° 4, chron. E. Dreyer – v. pour la validation européenne au regard de la possibilité hypothétique d’obtenir une libération conditionnelle, CEDH, sect. III, 16 oct. 2001, Einhorn c. France, req. n° 71555/01, déc. : Rec. CEDH, 2001‑XI ou CEDH, sect. V, 3 nov. 2009, Meixner c. Allemagne, req. n° 26958/07, déc., en angl. : Dr. pénal, 2011, n° 3, chron. É. Garçon]. L’exigence du droit au réexamen posé par la Grande chambre dans l’arrêt Vinter aboutit à des exigences supérieures, plus précisément la nécessité de caractériser une chance d’être libéré qualifiée, déliée d’un pouvoir discrétionnaire, en tout cas dénuée d’un pouvoir arbitraire, comme l’a montré la censure postérieure à l’arrêt Vinter de la peine perpétuelle répressive bulgare [Harakchiev et Tolumov : préc.], alors que la Cour européenne des droits de l’Homme avait préalablement validé le même droit [Iorgov (n° 2) : préc.]. Avant même l’arrêt Vinter, l’arrêt Iorgov [2], même sans aboutir au constat de violation, avait marqué une première hausse des exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme, pour réaliser une étude plus poussée de l’existence de la chance d’être libéré in facto [ibid., § 48 et s.], l’accroissement progressif du contrôle de la peine perpétuelle répressive ressortant d’un mouvement jurisprudentiel européen identifiable depuis 2010.
8. Plus qu’une mesure de libération humanitaire. Des différents arrêts, un principe commun émerge : le droit au réexamen dont doit bénéficier le condamné à une peine perpétuelle répressive ne saurait se limiter à une mesure de libération humanitaire [Vinter, gde ch. : préc. ; § 127 : le droit au réexamen ne se confond pas avec « la mise en liberté pour motifs d’humanité pouvant être accordée aux personnes atteintes d’une maladie mortelle en phase terminale ou d’un grave handicap physique […] si elle se résume à permettre à l’intéressé de mourir chez lui ou dans un hospice plutôt qu’entre les murs d’une prison » - Ocalan (n° 2) : préc. : § 203 : le pouvoir du Président de la République, prévue par le droit turc, de libérer immédiatement ou à effet différé un condamné à perpétuité, en cas de maladie ou de vieillesse, « ne correspond pas à la notion de “perspective d’élargissement” pour des motifs légitimes d’ordre pénologique » - Bodein : préc. ; § 59 : le droit au réexamen ne peut se résumer, en droit français, à « la suspension de peine pour raisons médicales qui, bien que constituant une garantie pour assurer la protection de la santé et du bien-être des prisonniers, n’est pas un mécanisme qui correspond à la notion de “perspective d’élargissement” pour des motifs légitimes d’ordre pénologique »]. C’est bien la question du bien-fondé de la continuation de la peine perpétuelle qui doit faire l’objet d’un réexamen, au regard de ses motifs juridiques, leur disparition justifiant la libération, et non pas au regard de l’affliction concrète provoquée par celle-ci : la pertinence de l’usage du fondement de l’article 3 interroge donc, appliqué en dehors de son apport naturel à la privation de liberté, celui de la vérification concrète du niveau de souffrance et d’humiliation généré par la détention, l’État ayant l’obligation positive d’assurer qu’il ne dépasse pas celui inévitablement causé par la privation de liberté par nature  [CEDH, gde ch., 26 oct. 2000, Kudla c. Pologne, req. n° 30210/96 : Rec. CEDH, 2000-XI ; AJDA, 2000, p. 1006, chron. J.‑F. Flauss ; RFDA, 2001, p. 1250, chron. H. Labayle et F. Sudre ; § 94 : « l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrances inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate » - v. pour l’application du principe au contrôle des conditions matérielles de détention, CEDH, sect. V, 25 avr. 2013, Canali c. France, req. n° 40119/09 ; D., 2013, p. 1138, obs. M. Léna ; AJDA, 2013, p. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; AJP, 2013, p. 403, note J.-P. Céré – v. pour l’application du principe au contrôle de la compatibilité de l’état de santé avec la détention, CEDH, sect. I, 14 nov. 2002, Mouisel c. France, req. n° 67263/01 : Rec. CEDH, 2002-IX ; LPA, 19 juin 2003, p. 15, comm. H. Tigroudja ; ibid., 16 juil. 2003, p. 13, comm. D. Roets ; D., 2003, p. 524, obs. J.‑F. Renucci ; ibid., p. 303, note H. Moutouh ; ibid., p. 919, chron. J.‑P. Céré ; RSC, 2003, p. 144, chron. F. Massias ; AJDA, 2003, p. 603, chron. J.‑F. Flauss – v. pour le contrôle de l’isolement pénitentiaire de sûreté, CEDH, sect. I, 27 janv. 2005, Ramirez Sanchez c. France, req. n° 59450/00 : D., 2005, p. 1272, comm. J.‑P. Cere].
9. Le défaut d’examen poussé de la mesure de libération d’humanité. Dans l’affaire Bodein, s’agissant d’un condamné susceptible, au regard du droit français, de solliciter la relèvement de sa période de sûreté uniquement en 2034 à l’âge de 87 ans, à supposer qu’il soit toujours en vie, l’examen de l’existence de la moindre chance d’être libéré, posé dans la jurisprudence antérieure, aurait dû nécessiter un examen poussé de la mesure de libération d’humanité, tant celui-ci présente le risque de ne jamais pouvoir profiter du droit au réexamen tel que formulé par le standard européen, en raison de son temps d’épreuve, comme le soulevait la juge Nusseberger, dans son opinion concordante. C’était l’occasion pour la Cour de faire cohabiter et d’opérer la liaison entre son ancienne et sa nouvelle jurisprudence, en assurant le contrôle poussé de l’existence pour le condamné d’une chance d’être libéré pour des motifs d’humanité, pendant le temps d’épreuve du droit au réexamen défini par le standard européen, pour valider la conventionnalité de la peine perpétuelle répressive, en plus de la vérification de l’existence, dès le début de l’exécution de la peine répressive, du droit au réexamen. Cette chance d’être libéré existe assurément en droit français, puisque la suspension médicale de peine permet la libération des « condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention », sans que la période de sûreté ne puisse s’y opposer et sans que l’exception du « risque grave de renouvellement de l'infraction » ne l’efface complétement même pour le condamné à la perpétuité réelle, par exemple en cas de déclin physique important [v. l’art. 720-1-1 CPP], d’autant plus que la prise en compte de la dangerosité dans l’appréciation de l’opportunité de libérer le détenu à l’état de santé incompatible intègre le standard européen [CEDH, sect. I, 15 janv. 2004, Sakkopoulos c. Grèce, req. n° 61828/00 : § 38 et s.]. Ce défaut de vérification [la Cour se contentait d’écarter que ces voies puissent caractériser le droit au réexamen : Bodein : préc. ; § 59] constitue un premier élément montrant le contrôle plutôt limité réalisé par la Cour européenne des droits de l’Homme de la perpétuité réelle française.
10. Moins qu’un recours devant le Tribunal. Fondé sur l’article 3, le réexamen possède tous les attributs du recours à bref délai devant le Tribunal pour contester la légalité de la privation de liberté consacré par l’article 5 § 4, puisque celui-ci vise à assurer le contrôle de sa proportionnalité [v. infra, n° 11], est périodique [v. sur la périodicité du recours de l’article 5 § 4, CEDH, plén., 24 juin 1982, Van Droogenbroeck  c. Belgique, req. n° 7906/77 : Rec. CEDH, série A, n° 50 ; § 48 : le recours se régénère dès que « les circonstances justifiant cette détention à l’origine peuvent changer au point de disparaître »], et est efficace à provoquer la libération [v. infra, n° 14]. À la différence du recours de l’article 5 § 4 cependant, qui saisit le Tribunal, défini par son indépendance, son impartialité, et l’application devant lui des grandes garanties du procès équitable [CEDH, gde ch., 29 mars 2001, D. N. c. Suisse, req. n° 27154/95 : Rec. CEDH, 2001-III], le droit au réexamen de la peine perpétuelle répressive supporte la compétence de l’organe dépendant de l’exécutif [Vinter, gde ch. : préc. ; § 120 : « la Cour tient toutefois à souligner que, compte tenu de la marge d’appréciation qu’il faut accorder aux Etats contractants en matière de justice criminelle et de détermination des peines […], elle n’a pas pour tâche de dicter la forme (administrative ou judiciaire) que doit prendre un tel réexamen » ; en l’espèce, le recours étudié, aux mains d’un ministre, n’était pas censuré quant à la qualité de l’autorité compétente - Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 258 et s. : une application du droit de grâce par l’autorité exécutive, non plus de manière discrétionnaire, mais de manière « cohérente et prévisible » (« that ruling gives weighty guarantees that the presidential power of clemency will be exercised in a consistent and broadly predictable way »), satisfait les exigences du droit au réexamen], de même que de simples exigences de transparence semblent constituer des garanties procédurales suffisantes [ibid. ], une marge d’appréciation importante demeurant au profit des États quant à la peine perpétuelle répressive. C’est cette dernière marge qui a définitivement disparu du domaine de la peine perpétuelle sécable, dont le constat de son basculement dans la partie de sûreté engendre l’application de l’article 5 § 4, raisonnement qui aboutit à intégrer pour celle-ci, dans le standard européen, la libération conditionnelle judiciaire [Weeks : préc.]. Le standard constitutionnel, qui a de nombreux points communs avec le standard européen, apparaît dès lors supérieur, pour insister sur la compétence judiciaire, circonstance qui explique peut-être, le peu d’intérêt manifesté dans son contrôle par la Cour européenne des droits de l’Homme pour les deux décisions du Conseil constitutionnel, au-delà de leur apport précisant les conditions de la procédure du relèvement, l’arrêt Bodein n’apparaissant pas comme une manifestation importante du dialogue des juges, malgré les accords. La Cour européenne des droits de l’Homme conserve même sa neutralité dans l’examen français, pour ne pas mettre en valeur le choix national de confier au juge judiciaire le droit au réexamen. Au regard de l’arrêt Bodein, le droit au réexamen aboutit à forcer l’autorité compétente à réaliser un contrôle de proportionnalité de la peine perpétuelle répressive pendant son cours.

B. Le droit au réexamen : l’ébauche d’un contrôle de proportionnalité de la peine perpétuelle répressive

11. La précision de la notion des « motifs légitimes d’ordre pénologique » justifiant le maintien en privation de liberté. Si le domaine du réexamen est fixé fermement par la jurisprudence européenne et concerne les « motifs légitimes d’ordre pénologique » de la continuation de la peine perpétuelle répressive [Vinter, gde ch. : préc. ; § 219 - Ocalan (n° 2) : préc. ; § 203- Laszlo Magyar : préc. ; § 50 : « legitimate penological grounds » - Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 246 - Bodein : préc. ; § 59], la notion n’est en elle-même pas véritablement limpide. Si la pénologie est la « science des peines » [B. Bouloc, Pénologie, Précis Dalloz, 3e éd., 2005, p. 2], ce sont donc a priori les motifs qui ont justifié la répression de l’individu qui seraient concernés [v. Vinter, gde ch. : préc. ; § 131 : la Cour y évoque parmi les motifs pénologiques ceux « de châtiment et de dissuasion » - v. Ocalan (n° 2) : préc. ; § 207 : le maintien du cours de la peine perpétuelle est justifié si le réexamen montre la persistance d’« impératifs de répression et de dissuasion »], ceux-là même qui ont déterminé la juridiction de jugement à prononcer la peine perpétuelle répressive, ceux-là même que la Cour européenne des droits de l’Homme estime insusceptibles d’évolution pour exclure l’application de l’article 5 § 4 de la Convention [Vinter, sect. IV : préc. ; § 102 et s.]. L’analyse de la jurisprudence montre que l’examen des « motifs légitimes d’ordre pénologique » tient aussi à l’étude, au regard de tout changement important dans la vie du condamné [Laszlo Magyar : préc. ; § 50], des gages de la réhabilitation de l’individu [Vinter, gde ch. : préc. ; § 112 : la Cour y évoque, pour justifier le droit au réexamen du condamné, la nécessité de mesurer « ses progrès sur la voie de l’amendement » - ibid., § 118 : la Cour pour justifier le même droit évoque l’objectif ressortant de différentes dispositions internationales de « réinsérer les condamnés à perpétuité » - Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 264 : « the authorities must also give life prisoners a proper opportunity to rehabilitate themselves »] et de son état de dangerosité [Vinter, gde ch., § 131 - Ocalan (n° 2) : préc. ; § 207 : le maintien du cours de la peine perpétuelle peut être justifié au cours du réexamen « par des raisons de dangerosité »], et le défaut du premier critère comme la persistance du second justifient la poursuite de la peine perpétuelle. C’est que la peine perpétuelle, comme le montrent la qualification de la période de sûreté en droit interne, la théorie européenne de la peine perpétuelle sécable et aussi l’inclusion de la dangerosité dans les « motifs légitimes d’ordre pénologique » justifiant la poursuite de la peine perpétuelle répressive, semble toujours mélanger un aspect répressif et un aspect de sûreté.
L’inclusion par la Cour dans les critères du réexamen de la peine perpétuelle répressive des « impératifs de répression et de dissuasion » réduit à première vue considérablement les gains de l’arrêt de Grande chambre Vinter. La simple survenue du droit au réexamen à l’épuisement du temps d’épreuve ne suffirait donc pas à altérer la nature répressive de la peine perpétuelle, l’autorité compétente pouvant toujours relever la persistance des « impératifs de répression et de dissuasion » pour reporter ce moment, dans une sorte d’individualisation in pejus et non judiciaire, au moins dans le standard, réalisée au cours de la peine, et pour se passer, encore à ce stade, selon sa propre appréciation, de l’analyse des gages de réhabilitation et de l’état de dangerosité présentés par le condamné. L’arrêt Bodein semble bien contredire cette analyse, le relèvement français se trouvant validé, parce qu’il a « précisément pour but de se prononcer sur sa dangerosité et de prendre en compte son évolution au cours de l’exécution de sa peine » [ibid., § 60], la Cour forgeant sa propre formulation, ne se contentant pas de citer les éléments pertinents de la législation française [l’art. 720-4 CPP se réfère explicitement aux «  gages sérieux de réadaptation sociale » et fait de la dangerosité un autre critère pour imposer au Tribunal de l’application des peines, désormais compétent, de rendre sa décision « après » la remise d’une expertise réalisée par un collège de trois experts et se prononçant « sur l'état de dangerosité du condamné »], ni même de reprendre la formulation du Conseil constitutionnel, qui a précisé que la juridiction devait apprécier le relèvement « au regard du comportement du condamné et de l'évolution de sa personnalité » [déc. n° 93-334 DC du 20 janv. 1994 : préc. ; consid. n° 13], pourtant citée par ailleurs par la Cour européenne des droits de l’Homme dans la suite de son raisonnement [Bodein : préc. ; § 60]. La formulation employée, et c’est un apport de l’arrêt Bodein, aboutit à faire du maintien de la dangerosité, ou à l’opposé, de la présentation de gages de réhabilitation suffisants, les critères à rechercher lors du réexamen et permettant le maintien du cours de la privation de liberté ou au contraire ouvrant la perspective de la libération : le dépassement du temps d’épreuve fixé par le standard européen, même pour la peine perpétuelle répressive, apparaît consommer sa transformation en une mesure de sûreté, ou en tout cas l’altération de sa nature répressive.
La référence par la Cour européenne des droits de l’Homme aux « impératifs de répression et de dissuasion » pourrait toutefois ne pas servir uniquement à justifier de la distinction, de plus en plus artificielle mais aux conséquences pourtant essentielles, entre la peine perpétuelle sécable et celle répressive, dès lors qu’elle pourrait être utile aussi à inclure parmi les critères du réexamen les autres critères classiques de l’aménagement de la peine tournés vers le passé plutôt que vers l’avenir, comme par exemple le comportement du condamné en détention, notamment concernant la discipline pénitentiaire, ou encore la préservation des troubles à l’ordre public, dans son sens strict et découplé de la dangerosité et du risque de réitération.
12. Un contrôle de la proportionnalité de la peine perpétuelle durant son cours. Si les cinq arrêts ont tous concernés le contrôle du droit national avant que ne soit exigible le droit au réexamen, dès lors que celui-ci doit exister dès le début de l’exécution de la peine perpétuelle, il faudra encore attendre pour connaître le contrôle européen sur les décisions nationales prises dans le cadre du réexamen, si les principes applicables n’ont pas changés d’ici là. Pourtant, le droit au réexamen porte bien en son sein le contrôle de la proportionnalité de la peine perpétuelle, comme la Grande chambre l’a d’ailleurs évoqué dans l’arrêt Vinter [préc. ; § 112 : « ainsi, même lorsque la perpétuité est un châtiment mérité à la date de son imposition, avec l’écoulement du temps, elle ne garantit plus guère une sanction juste et proportionnée »]. L’usage de l’article 3 interroge de nouveau, et si celui-ci a vocation à exclure par principe la conventionnalité de la peine perpétuelle de jure et de facto incompressible, dès lors que le texte se réfère directement aux « peines » inhumaines et dégradantes, le droit au réexamen, qui plus est périodique, afin d’apprécier la proportionnalité de la privation de liberté, devrait plus logiquement se fonder sur l’article 5 § 4 [v. pour ce contrôle périodique de la proportionnalité de la détention provisoire encadré par l’article 5, notre chron., n° 22]. Cependant, le contrôle de la proportionnalité de la privation de liberté sur le fondement de l’article 3 n’est pas non plus une innovation dans la jurisprudence européenne, alors que celui sert déjà au contrôle de la proportionnalité du maintien de l’isolement pénitentiaire de sûreté [v. par ex. Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 204 et s. : v. notre chron., n° 35]. Nul doute en revanche qu’un tel contrôle devrait reposer dans l’avenir sur la motivation de la décision des autorités nationales refusant d’accorder la perspective de libération au terme du réexamen, comme la Cour le réalise pour la détention provisoire et la prolongation de l’isolement pénitentiaire de sûreté.
La réduction de la marge d’appréciation des États concernant la peine perpétuelle répressive est flagrante, pour ne plus jauger sa conventionnalité à l’existence de la moindre chance de libération, mais pour exiger un véritable droit au réexamen de la persistance de motifs légitimes d’ordre pénologique, dépassant la simple mesure humanitaire, éléments confortés par l’arrêt Bodein. Celui-ci entérine aussi les limites du droit au réexamen, et parfois même les conforte.

II.                Les apports de l’arrêt Bodein aux incertitudes du contrôle européen de la peine perpétuelle répressive

13. L’embarras européen dans le contrôle de la peine perpétuelle. L’opinion partiellement dissidente du Président Jean-Paul Costa [à propos de la dangerosité présentée par les condamnés à perpétuité et détenus depuis longtemps, il écrivait : « à mon avis, il n’y a en effet, malheureusement, pas de risque zéro, mais dans ces conditions il ne faudrait jamais accorder de libération conditionnelle : les peines à perpétuité seraient toujours des peines à vie, les peines à temps devraient être toujours purgées jusqu’à leur terme. Les victimes potentielles seraient peut-être mieux protégées (sauf les cas d’évasions), mais transformer des détenus soit en fauves soit en déchets humains, ne serait-ce pas créer d’autres victimes, et substituer à la justice la vengeance ? Je pose la question. »] au sujet de l’arrêt de Section dans l’affaire Léger [CEDH, sect. II, 11 avr. 2006, Léger c. France, req. n° 19324/02 : RSC, 2007, p. 134, comm. F. Massias ; D., 2006, p. 1800, note J. P. Cere ; AJP, 2006, p. 258, note S. Enderlin], d’autant plus au sujet d’un arrêt poursuivant l’extension des découvertes des cas de peine perpétuelle sécable [v. infra, n° 19], annonçait sans doute un meilleur contrôle de la peine perpétuelle, par extension de l’application de l’article 5 § 4, donc de la libération conditionnelle judiciaire, à la matière. Le développement du droit au réexamen sur le fondement de l’article 3, et non de l’article 5 § 4, a mis un coup d’arrêt à ce mouvement. S’il y a bien eu depuis, sur le fondement de la dignité, un mouvement pour réduire le pouvoir discrétionnaire des autorités nationales dans l’application de la peine perpétuelle répressive, l’arrêt de Grande chambre Vinter, pour poser fermement certains éléments du contrôle de cette peine, notamment quant au temps d’épreuve fixé à vingt-cinq ans, était particulièrement porteur d’espoirs. L’arrêt Bodein, dans l’application des principes posés par la Grande chambre, perpétue l’embarras de la Cour européenne des droits de l’Homme lorsqu’il s’agit d’encadrer la peine perpétuelle répressive, la portée réelle de l’arrêt Vinter apparaissant encore incertaine, dans le but maintenir encore une marge d’appréciation importante aux États [A]. Les apports de l’arrêt Bodein soulèvent d’autres incertitudes quant aux potentialités de la consécration du droit au réexamen [B.].

A. Le maintien d’une marge d’appréciation importante aux États dans l’application de la peine perpétuelle répressive

14. Une « perspective d’élargissement » qui demeure lointaine. Le droit au réexamen doit offrir une « perspective d’élargissement » [Vinter : gde ch. : préc. ; § 112 - Bodein : préc. ; § 59]. Le constat de la disparition de tout motif légitime d’ordre pénologique doit entraîner son acquisition, ce que la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle, a contrario, lorsqu’elle précise que la censure du droit national, fondée sur le défaut de l’existence du droit au réexamen dès le début d’exécution de la peine perpétuelle [Vinter, gde ch. : préc. ; § 131 – Ocalan (n° 2) : préc. ; § 207 - Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 241], alors que le droit au réexamen n’a pas encore pu être exercé par le condamné, qui se trouve toujours dans le temps d’épreuve, ne saurait conférer au condamné « une perspective d’élargissement imminent », à défaut d’avoir invoqué devant la Cour la disparition de tout motif légitime pénologique au maintien de la peine perpétuelle. De nouveau, l’utilisation de l’article 3, pour fonder un droit à la libération, n’apparaît pas pertinente, alors que l’article 5 § 4 prévoit expressément la sanction de l’« illégalité » de la privation de liberté par la « libération », l’illégalité, au sens de la disposition, s’entendant comme l’irrespect de « chacune des conditions indispensables à la "légalité" de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 » de l’article 5 [CEDH, gde ch., 17 janv. 2012, Stanev c. Bulgarie, req. n° 36760/06 : Rec. CEDH, 2012 ; RDSS, 2012, p. 863, note K. Lucas ; JDI, 2013, chron. n° 8, obs. X. Aurey ; §° 168], conditions parmi lesquelles figure la proportionnalité pour de nombreux cas de privation de liberté [v. pour la synthèse de la jurisprudence européenne quant à son contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de la privation de liberté CEDH, gde ch., 29 janv. 2008, Saadi c. Royaume-Uni, req. n° 13229/03 : Rec. CEDH AJDA, 2008, p. 978, chron. J.‑F. Flauss]. Une nouvelle fois, le raisonnement n’est toutefois pas novateur, la Cour européenne des droits de l’Homme ayant découvert dans l’article 3 une autre cause de libération, concernant le détenu à l’état de santé incompatible avec la détention [Mouisel : préc.].
L’arrêt Bodein rappelle toutefois que la « perspective d’élargissement » peut constituer un long cheminement vers l’obtention de la libération, pour être satisfaite par une procédure en deux temps, le premier tenant dans la saisine d’une autorité chargée de lever le régime dérogatoire de la peine perpétuelle, le second, en cas de relèvement acquis, tenant dans la saisine de l’autorité judiciaire chargée d’apprécier l’opportunité d’accorder les mesures d’aménagement de peine, en application du droit commun [v. aussi Harakchiev et Tolumov : préc. ; la perspective d’élargissement validée, à la suite de la réforme du droit de grâce, résidait dans la commutation par l’autorité exécutive de la peine perpétuelle dérogatoire en une peine perpétuelle ordinaire, autorisant alors le condamné à pouvoir bénéficier de la libération conditionnelle, devant l’autorité judiciaire compétente, selon les conditions de droit commun] : le droit au réexamen ne saurait s’analyser comme offrant à la personne condamnée la possibilité de saisir directement l’autorité compétente pour la libérer. On notera malgré tout une curiosité de l’arrêt Bodein : si la Cour cite bien l’article 720-4 du Code de procédure pénale dans sa version à jour, datant de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité [J. O., 10 mars 2004, p. 4567], applicable au 1er janvier 2005 [art. 207 II de la loi], dans sa partie consacrée au droit et à la pratique internes pertinents [Bodein : préc. ; § 20], elle se réfère en revanche au contenu de l’ancienne disposition, celui antérieur à la modification législative, dans son raisonnement sur l’existence du droit au réexamen, donc sur des éléments qui ont disparu de la législation, alors même qu’elle renvoie malgré tout dans celui-ci à la retranscription de la disposition au contenu différent figurant dans la précédente partie [ibid., § 58 : « Conformément à l’article 720-4 du code de procédure pénale (paragraphe 21 ci-dessus), à l’expiration d’une période de trente ans d’incarcération, le condamné est susceptible de bénéficier d’une mesure d’aménagement de peine. Pour cela, il faut que le juge de l’application des peines désigne un collège de trois experts médicaux avec mission de se prononcer sur l’état de dangerosité du condamné. Ensuite, il incombe à une commission de magistrats de la Cour de cassation de juger, au vu de l’avis du collège d’experts, s’il y a lieu de mettre fin à l’application de la décision de la cour d’assises. En cas de décision favorable, le requérant recouvrera alors la possibilité de demander un aménagement de peine. »]. Le sens à donner à cette curiosité interroge [si l’ancien régime législatif était applicable au moment du mandat de dépôt décerné contre le requérant, pour être antérieur au 1er janvier 2005, l’existence du droit au réexamen s’apprécie en principe au moment de l’imposition de la peine perpétuelle, fixée par la Cour à la condamnation en appel du requérant, soit à une date postérieure au 1er janvier 2005 – v. infra, n° 16], sauf à la considérer simplement comme une erreur. À défaut, il ressortirait du raisonnement mené sur l’ancien droit que l’ajout d’un troisième temps, dans le cheminement permettant in fine l’obtention de la mesure d’aménagement de peine, ne serait pas forcément contraire à la caractérisation d’une « perspective d’élargissement », malgré la lourdeur du processus. En effet, dans le droit antérieur, le juge d’application des peines « pouvait » déclencher la procédure, la loi lui en donnant la faculté, celle-ci s’ajoutant à la faculté de la Commission de relever la période de sûreté et à la faculté du juge de l’aménagement des peines d’accorder l’élargissement, la réserve constitutionnelle posée lors de l’instauration de la perpétuité réelle ne modifiant rien à l’existence de ce troisième échelon, pour préciser uniquement que la disposition devait s’entendre comme « ouvrant au ministère public et au condamné le droit de saisir le juge de l'application des peines », et non comme leur ouvrant directement le droit de saisir la Commission des magistrats de la Cour de cassation, alors compétente [déc. n° 93-334 DC du 20 janv. 1994 : préc. ; consid. n° 13].
15. Appréciation de jure de la « perspective d’élargissement » offerte par le droit au réexamen. La confrontation de la Cour européenne des droits de l’Homme à des cas de peine perpétuelle répressive peu usités et parfois récents empêche un examen poussé de l’existence d’une « perspective d’élargissement » de facto, du fait du défaut d’éléments connus sur la pratique des États en la matière. De telles circonstances ne l’avaient pas empêchée d’étudier longuement, lorsqu’elle s’en contentait, de l’existence d’une moindre chance d’être libéré, dans les faits, et non seulement en droit [Iorgov (n° 2) : préc. ; § 53 et s.]. La Cour européenne des droits de l’Homme apparaît désormais moins s’intéresser à ces vérifications, alors qu’elle a conclu, dans l’affaire française, à l’existence d’une perspective d’élargissement offerte par le relèvement de la perpétuité réelle, tout en notant le défaut « d’applications concrètes à ce jour de celui-ci » [Bodein : préc. ; § 60]. Elle n’a donc pas cherché au-delà à s’appuyer sur les statistiques des relèvements accordés pour les peines perpétuelles de droit commun, ou même pour les longues peines à temps, pouvant aussi être assorties d’une période de sûreté, ni ne s’est intéressée à la lourdeur de la procédure, qui suppose la réalisation d’une expertise sur « l’état de dangerosité » par un collège de trois experts inscrits sur la liste des experts agréés près la Cour de cassation, ni n’a relevé, au contraire, le double assouplissement du mécanisme réalisé par la dernière réforme, puisque le relèvement est désormais tranché par une juridiction de droit commun, le tribunal de l’application des peines, rompant avec solennité de la composition de la juridiction autrefois compétente, et puisque le Tribunal de l’application des peines peut désormais directement être saisi par le condamné, le juge d’application des peines perdant sa faculté d’initier la procédure [v. l’ancien et le nouvel art. 720-4 CPP]. Il est vrai que le droit français, pour confier le relèvement au juge judiciaire, dans le respect des grandes garanties du procès équitable [le Tribunal de l’application des peines statue selon les modalités posées à l’article 712-7 du Code de procédure pénale], dépasse le standard européen du droit au réexamen, et cette raison a sans doute participé à la modération du contrôle réalisé par la Cour européenne des droits de l’Homme de la « perspective d’élargissement ».
16. Appréciation souple du temps d’épreuve : quand trente font vingt-cinq. Dans le standard défini par l’arrêt de Grande chambre Vinter, la fixation précise du temps d’épreuve ouvrant le droit au réexamen à vingt‑cinq ans apparaissait téméraire, et d’une certaine manière, comme la contrepartie du refus d’imposer un recours judiciaire, par égard pour la marge d’appréciation des États, les deux principes figurant au même paragraphe, sans d’ailleurs que la Cour ne communique expressément sa référence à la marge d’appréciation à ses développements concernant spécifiquement la détermination du temps d’épreuve [Vinter, gde ch. : préc. ; § 120 : « cela étant, elle constate aussi qu’il se dégage des éléments de droit comparé et de droit international produits devant elle une nette tendance en faveur de l’instauration d’un mécanisme spécial garantissant un premier réexamen dans un délai de vingt-cinq ans au plus après l’imposition de la peine perpétuelle »]. Un tel délai, existant dans le système juridique anglo-saxon [ibid., § 90], était surtout inspiré du droit applicable aux peines perpétuelles prononcées par la Cour pénale internationale, organisant au bout de ce même délai un réexamen [ibid., § 118 – le même statut avait préalablement servi dans une opinion partiellement dissidente commune aux juges tulkens, Cabral Barreto, Fura‑Sandström, Spielmann et Jebens sous l’arrêt précité de Grande chambre Kafkaris pour pour appuyer leur exigence d’un meilleur contrôle de la peine perpétuelle sur le fondement de l’article 3]. Cette irruption du droit de la Cour pénale internationale dans le contrôle européen de la matière pénale, au moins quant au contrôle de l’exécution des peines, est sûrement à suivre. C’est en tout cas le respect de la condition de délai qui faisait peser le plus de doute sur la compatibilité à la Convention européenne des droits de l’Homme de la procédure de relèvement française, accessible lorsque le condamné « a subi une incarcération d'une durée au moins égale à trente ans » [art. 720-4 CPP], soit une durée substantiellement supérieure au délai de vingt-cinq ans.
C’est en décalant le point de départ de la période de sûreté du droit français du point de départ du temps d’épreuve fixé par sa jurisprudence que la Cour européenne des droits de l’Homme a abouti au constat de conventionnalité, le droit français respectant presque le délai de vingt‑cinq ans, dans une appréciation in concreto, tranchant avec la fixation abstraite du délai dans l’arrêt de Grande chambre Vinter. Il est désormais clair que le délai de vingt-cinq ans posé par ce dernier arrêt part effectivement « après l’imposition de la peine perpétuelle » [la citation issue de l’arrêt Vinter est reprise dans l’arrêt Bodein : préc. ; § 61], sans considération aucune pour la détention provisoire éventuellement exécutée auparavant pour la même affaire. En l’espèce, le moment de « l’imposition » de la perpétuité réelle est fixé par la Cour européenne des droits de l’Homme à la condamnation de la Cour d’assises saisie en appel [Bodein : préc. ; § 61], nonobstant la condamnation à la même peine en première instance ou encore la formulation par le requérant d’un pourvoi en cassation tranché en 2010, condamnation en appel qui ne correspond pas, dans la jurisprudence européenne, au moment à partir duquel la peine débute [de jurisprudence constante, la détention provisoire prend fin au premier jugement de condamnation sur le fond, la privation de liberté ultérieure relevant toujours, indépendamment de la qualification interne, de la détention « après condamnation par un tribunal compétent » - CEDH, ch., 27 juin 1966, Wemhoff c. Allemagne, req. n° 2122/64 : Rec. CEDH, série A, n° 7], ni ne correspond, en droit interne, au moment à partir duquel la peine est devenue exécutoire [la peine en droit français devient exécutoire au moment à partir duquel la décision de condamnation est devenue définitive - art. 708 CPP -, ce qui ressort, concernant notamment la peine privative de liberté, d’une combinaison de différentes dispositions du Code de procédure pénale: « pendant les délais d'appel et durant l'instance d'appel, il est sursis à l'exécution de l'arrêt sur l'action publique » – art. 381-4 CPP -, alors que, « dans les autres cas, tant que l'arrêt n'est pas définitif et, le cas échéant, pendant l'instance d'appel, l'arrêt de la cour d'assises vaut titre de détention jusqu'à ce que la durée de détention ait atteint celle de la peine prononcée » - art. 367 CPP -, et que « pendant les délais du recours en cassation et, s'il y a eu recours, jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour de cassation, il est sursis à l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel »- art. 569 CPPl’article 148-1 du Code de procédure pénale fixe d’ailleurs la juridiction compétente pour statuer sur une demande de remise en liberté « en cas de pourvoi et jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation », notamment lorsque « le pourvoi a été formé contre un arrêt de la cour d'assises »]. Le raisonnement servant à la fixation du moment d’imposition de la peine perpétuelle aurait sans doute gagné à être plus longuement expliqué, d’autant plus pour un élément devenu primordial concernant le contrôle de la peine perpétuelle répressive, à moins que la Cour n’ait tranché par opportunité. En effet, selon le mode de calcul adopté par la Cour européenne des droits de l’Homme, celui‑ci situant le point de départ de la période de sûreté au mandat de dépôt, soit en l’espèce le 1er juillet 2004, si bien que le condamné devenait éligible au relèvement en 2034 selon le délai de l’article 720-4, la fixation de l’« imposition » de la perpétuité à la première condamnation sur le fond, soit en juillet 2007, aboutissait à établir un temps d’épreuve au droit au réexamen de vingt-sept ans, tandis que la fixation de l’imposition à la condamnation d’appel, soit en octobre 2008, aboutissait à la mesure d’un dépassement plus acceptable du délai européen, pour établir un temps d’épreuve de vingt-six ans. C’est d’ailleurs, en retenant cette seconde solution, au regard du faible dépassement du délai de vingt-cinq ans, qualifié désormais de simple « tendance » [ibid., § 61], dans une citation tronquée de l’arrêt de Grande chambre qui relevait une « nette tendance » [Vinter, gde ch. : préc. ; § 120], compte-tenu « de la marge d’appréciation des États en matière de justice criminelle et de détermination des peines » [Bodein., § 61], considération pourtant non visée par la Grande chambre dans l’arrêt Vinter dans ses développements fixant le temps d’épreuve [Vinter, gde ch. : préc. ; § 120], que la Cour européenne des droits de l’Homme écartait la violation.
17. La critique de la fixation du point de départ du temps d’épreuve du droit au réexamen à l’ « imposition » de la peine perpétuelle. C’est donc la durée de la détention provisoire qui a permis d’éviter la condamnation française, et de ce point de vue, le risque de violation ultérieure, malgré le délai légal français de trente ans, apparaît limité, puisque, dans un schéma procédural classique, la détention provisoire sera toujours prononcée au regard de la gravité des infractions concernées par la perpétuité réelle, plus encore si le condamné fait appel de sa condamnation, ce qui aboutit mécaniquement à l’allonger. Le risque de constat de violation de l’article 3 n’est pas non plus définitivement écarté pour le droit français, en cas de courte durée de détention provisoire, par exemple en cas d’affaire simple cumulé au non‑exercice de la voie de recours. Il n’est en tout cas guère satisfaisant que des éléments hasardeux comme la complexité de l’affaire ou le choix du condamné d’exercer des voies de recours aient un poids autant prépondérant dans la détermination de la violation de la Convention, pour les États qui, comme la France, interdiraient le droit au réexamen pendant un temps d’épreuve supérieur à vingt-cinq ans, tout en fixant son point de départ au placement en détention provisoire. Surtout, dès lors que la Cour européenne des droits de l’Homme fixe le départ de la période de sûreté en l’espèce au mandat de dépôt par l’examen des seules dispositions législatives françaises, du fait de l’imputation de la détention provisoire sur la peine [art. 716‑4 CPP], en l’absence de précision supplémentaire dans les dispositions réglant la période de sûreté [l’art. 720-4 vise seulement l’« incarcération » comme point de départ au temps d’épreuve du relèvement], tout en maintenant le point de départ de son propre temps à l’« imposition » de la peine perpétuelle [Bodein : préc. ; § 61], le choix d’imputer ou non la durée de la détention provisoire dans la période répressive de la peine perpétuelle se trouve dans la marge d’appréciation des États, tant que le droit au réexamen intervient dans un délai de vingt-cinq ans après l’« imposition ». L’harmonisation des législations nationales par le standard européen apparaît ainsi compromise, tant la durée de privation de liberté déjà exécutée, celle résultant du cumul entre la durée de la détention provisoire et celle de la peine entamée depuis l’« imposition », avant de pouvoir bénéficier du droit au réexamen, pourra varier en pratique, selon le choix de l’État, concernant des affaires pour lesquelles le placement en détention provisoire sera quasiment systématique. Pour ces motifs, la solution européenne fixant le point de départ du temps d’épreuve du droit au réexamen à l’« imposition » de la peine perpétuelle n’apparaît pas d’une fiabilité incontestable, alors que la fixation du point de départ du délai au mandat de dépôt dans le standard européen devrait plus logiquement s’imposer.
18. Appréciation souple de la qualité de la loi. La Cour européenne des droits de l’Homme a imposé au droit au réexamen un impératif de sécurité juridique fort : celui-ci doit être prévu dès l’imposition de la peine perpétuelle, sous peine de violer la Convention, afin de permettre au condamné de régler sa conduite dès cet instant [Vinter, gde ch. : préc. ; § 122 : « il serait inconséquent d’attendre du détenu qu’il œuvre à sa propre réinsertion alors qu’il ne sait pas si, à une date future inconnue, un mécanisme permettant d’envisager son élargissement eu égard à ses efforts de réinsertion sera ou non instauré », si bien qu’«  un détenu condamné à la perpétuité réelle a le droit de savoir, dès le début de sa peine, ce qu’il doit faire pour que sa libération soit envisagée et ce que sont les conditions applicable »]. La Cour européenne des droits de l’Homme en a même tiré une conséquence prometteuse pour dégager l’obligation pour l’État d’apporter un contenu à la peine perpétuelle répressive de nature à permettre au condamné de bénéficier du droit au réexamen, même si sa portée doit encore être précisée [Harakchiev et Tolumov : préc. ; v. notre chron., n° 26]. Pourtant, la qualité de la loi organisant le droit au réexamen ne fait pas l’objet d’un contrôle poussé, nouvelle preuve de la marge d’appréciation demeurant en la matière. Dans l’arrêt Bodein, la démonstration européenne faisant du point de départ de la période de sûreté le mandat de dépôt apparaît légère, pour se cantonner au principe général de l’imputation de la détention provisoire sur la peine dans la législation nationale, sans étude de la jurisprudence [ibid., § 61], pourtant utile au regard de la contestation récente d’une telle solution en pratique et en doctrine, principalement en cas d’exécution en même temps que la détention provisoire d’une peine privative de liberté pour des faits distincts, aboutissant à un arrêt récent important de la Chambre criminelle, confortant, il est vrai, la solution européenne [Cass. crim., 25 juin 2014, n° 14-81.793 à paraître au Bulletin ; v. notre chron., n° 4]. Quant au débat français, les tenants de la contestation de la large imputation de la détention provisoire sur la période de sûreté se trouvent confortés par l’arrêt Bodein, puisque la Cour européenne des droits de l’Homme elle-même fait partir le point de départ du temps d’épreuve du droit au réexamen à l’« imposition de la peine perpétuelle », et non du placement en détention provisoire, ce qui a pour effet de retarder son épuisement. S’il serait tentant d’attribuer la mansuétude européenne, observée ici et à plusieurs autres endroits dans son contrôle de la perpétuité réelle française à la gravité des crimes commis par le requérant et à l’émotion importante suscitée par ceux-ci, voire de négliger les différents apports de l’arrêt Bodein pour cette raison, un tel raisonnement n’est pas vraiment convainquant, alors que le contentieux de la peine perpétuelle répressive amène par nature la Cour européenne des droits de l’Homme à traiter de faits de délinquance particulièrement graves. D’ailleurs, celle-ci a déjà exercé en la matière un contrôle lâche de la qualité de la loi organisant le droit au réexamen [v. par ex. pour le brevet de conventionnalité donné par avance à une procédure de grâce encadrée pour rationaliser son usage à la suite d’une réforme, malgré le regret de la Cour, formulé expressément, concernant la faiblesse de la valeur des sources, Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 261 : v. notre chron., n° 54]. Outre la portée des apports de l’arrêt de Grande chambre Vinter, rendue incertaine sur plusieurs points par les apports de l’arrêt Bodein, ces derniers rendent également incertaines les potentialités de la consécration du droit au réexamen.

B. Les potentialités incertaines de la consécration du droit au réexamen au cours de la peine perpétuelle répressive

19. La potentialité négative : la confortation de la théorie du contrôle incorporé. La progression, depuis l’arrêt Iorgov (n° 2), de la réduction du pouvoir discrétionnaire, voire arbitraire, précédemment abandonné au profit des autorités, dans l’exécution de la peine perpétuelle répressive, ne doit pas masquer le mouvement de la jurisprudence européenne plus ancien, en marche vers l’abandon de la théorie du contrôle incorporé pour la peine perpétuelle. C’est que, progressivement, la théorie de la peine perpétuelle sécable s’étendait, multipliant les cas d’application de l’article 5 § 4 à la peine perpétuelle, la jurisprudence élargissant à chaque fois ses démonstrations caractérisant la double nature de la peine perpétuelle et établissant le passage de la peine perpétuelle dans sa partie de sûreté par extinction de sa partie répressive. La Cour européenne des droits de l’Homme s’est d’abord intéressée aux motivations du juge ayant prononcé la peine perpétuelle pour justifier son choix, afin d’opérer ses opérations de requalification [v. pour la peine perpétuelle discrétionnaire anglaise, Weeks : préc. ; § 46 : le juge s’était prononcé ainsi : « (...) les circonstances de l’infraction et les témoignages relatifs à la personnalité et au caractère de l’accusé (...) me convainquent qu’il s’agit (...) d’un jeune homme très dangereux. (...) Une sanction de durée indéterminée me paraît adéquate pour quelqu’un de cet âge, de cette personnalité et de ce caractère, enclin à un tel comportement. Il appartiendra donc au ministre de le libérer si les personnes chargées d’observer et d’examiner l’intéressé estiment que le temps l’a rendu raisonnable. Cela peut aller vite, ou au contraire ne pas se produire avant longtemps ; j’ignore ce qui arrivera. (...) quant au premier chef d’accusation, je pense que la juste conclusion, si terrible qu’elle puisse sembler, consiste à prononcer la peine que la loi m’autorise à infliger pour un vol qualifié et pour une agression avec intention de commettre ce type de vol : la prison à perpétuité. Le ministre pourra intervenir dans le cas et au moment où il jugera prudent de le faire ».] ; elle avait ensuite inclus dans son analyse la pratique judiciaire de la peine perpétuelle [v. pour la même peine que dans l’affaire précédente, le constat de son utilisation en pratique pour réprimer les auteurs d’infractions graves aussi instables mentalement, caractérisant sa double finalité, et le constat de l’extinction de la période répressive de la peine du fait de l’obtention d’une libération conditionnelle ou simplement de l’utilisation des déclarations des autorités étatiques CEDH, plén., 25 oct. 1990, Thynne, Wilson et Gunnel c. Royaume-Uni, req. nos 11787/85, 11978/86 et 12009/86 : Rec. CEDH, série A, n° 190-A ; RSC, 1991, p. 144, obs. L. E. Pettiti] ; elle a aussi étendu ses raisonnements à la personnalité du condamné [la peine perpétuelle anglaise « pour la durée qu’il plaira sa majesté », pourtant automatique, donc a priori répressive pour réprimer uniquement la gravité des actes commis, était qualifiée de sécable, par nature, dès lors qu’elle concernait des mineurs, car il convient de « tenir compte des modifications qui interviennent inévitablement avec la maturité » - CEDH, ch., 21 févr. 1996, Singh et Hussain c. Royaume-Uni, 2 espèces, req. nos 23389/94 et 21928/93 : Rec. CEDH, 1996‑I ; RSC, 1997, p. 460, obs. R. Koering-Joulin ; RSC, 1996, p. 933, obs. L.‑E. Pettiti : § 53] ; la Cour européenne des droits de l’Homme a aussi intégré dans ses démonstrations la mise en évidence abstraite d’un mécanisme législatif bloquant la libération conditionnelle durant une première partie de peine, qu’il s’agisse du « tariff » anglais [CEDH, gde ch., 28 mai 2002, Stafford c. Royaume-Uni, req. n° 46295/99 : Rec. CEDH, 2002-IV ; D., 2003, p. 919, chron. J.‑P. Céré, M. Herzog‑Evans, É. Péchillon ; § 79 – la progression de l’abandon de la théorie du contrôle incorporé était ici nette, pour concerner la peine perpétuelle obligatoire ou automatique, qualifiée préalablement de peine perpétuelle répressive ; v. sur la solution plus ancienne, CEDH, 18 juil. 1994, Wynne c. Royaume-Uni, req. n° 15484/89 : Rec. CEDH, série A, n° 294-A ; RSC, 1994, p. 796, obs. L.-E. Pettiti ; § 35] ou de la période de sûreté française couvrant partiellement la durée de la peine perpétuelle [v. dans un obiter dictum, Léger, sect. II : préc.l’arrêt marquait un indéniable progrès de l’extension de la théorie de la peine perpétuelle sécable pour sortir des affaires anglaises] ; dans une extension toujours plus grande, la Cour européenne des droits de l’Homme a même inclus dans ses raisonnements l’étude des seuls motifs des décisions internes rejetant l’octroi d’une libération conditionnelle, caractérisant la peine perpétuelle sécable du simple fait « qu’elles ne sont pas dénuées de lien avec la dangerosité du requérant » [Léger, sect. II : préc. ; § 75 : en l’espèce, la peine perpétuelle du requérant n’avait pas été assortie de la période de sûreté]. L’arrêt Léger de Section avait même fini par poser un principe fort concernant le contrôle judiciaire de la proportionnalité de la peine perpétuelle sécable : « dès lors qu’il a été satisfait à l’élément punitif de la sentence, tout maintien en détention doit être motivé par des considérations de risque et de dangerosité » [ibid., § 91 - l’affaire a été radiée du rôle avant la saisine de la Grande chambre ; CEDH, gde ch., 30 mars 2009, Léger c. France, req. n° 19324/02, radiation ; RSC, 2009, p. 654, note D. Roets ; D., 2009, p. 1453, obs. J.‑F. Renucci]. Les derniers arrêts rendus sur le fondement de l’article 3 interrogent directement sur la portée de cette jurisprudence étendant les cas de peine perpétuelle sécable. Cependant, le développement du droit au réexamen sur le fondement de la dignité n’a concerné jusqu’à présent que des cas de peines perpétuelles dérogatoires, laissant penser que la théorie de la peine perpétuelle sécable persiste pour la peine perpétuelle de droit commun [la Cour européenne des droits de l’Homme a maintenu cette jurisprudence concernant les peines perpétuelles anglaises IPP, soumises au « tariff », dont la nature sécable était assez évidente, pour concerner des délinquants récidivistes, même pour des infractions de gravité limitée ; CEDH, sect. IV, 18 sept. 2012, James, Wells et Lee c. Royaume-Uni, req. nos 25119/09, 57715/09, 57877/09 et 18/09/2012, en angl. : D., actu., 8 oct. 2012, obs. O. Bachelet ; Dr. pénal, 2013, n° 4, chron. E. Dreyer]. On ne peut nier toutefois que la marche forcée vers l’abandon de la théorie du contrôle incorporé a subi un coup d’arrêt, les cas les plus sévères de perpétuité résistant toujours [à l’issue de ce mouvement jurisprudentiel, il semble cependant que la peine perpétuelle obligatoire ou automatique n’est plus un cas de perpétuité répressive par nature, sauf à ce que s’ajoute un dispositif excluant par principe l’octroi de mesures d’aménagement durant la totalité de son exécution].
20. L’introuvable justification de la mise à l’écart du Tribunal du droit au réexamen. L’arrêt Bodein, en rappelant que le droit au réexamen doit avoir « précisément pour but de se prononcer sur [la] dangerosité [du condamné] et de prendre en compte son évolution au cours de l’exécution de sa peine » [Bodein : préc. ; § 60], rappelle que la peine perpétuelle semble toujours, au bout d’un certain temps, se transformer en mesure de sûreté, justifiant un contrôle judiciaire périodique de sa proportionnalité sur le fondement de l’article 5 § 4 pour la peine perpétuelle sécable ou justifiant un réexamen par une autorité même dépendante sur le fondement de l’article 3. Il ne semble pas plus y avoir de perpétuité vraiment réelle que de peine perpétuelle vraiment répressive. Si l’on rapproche la citation de l’arrêt Bodein reprise plus haut pour la peine perpétuelle répressive de celle de l’arrêt de Section Léger pour la peine perpétuelle sécable, selon laquelle « dès lors qu’il a été satisfait à l’élément punitif de la sentence, tout maintien en détention doit être motivé par des considérations de risque et de dangerosité » [Léger, sect. II : préc. ; § 91], on a bien du mal à saisir la distinction si fondamentale qui justifie pour le second cas l’intervention du Tribunal et qui l’exclut pour le premier. Le rapprochement entre les deux types de peine perpétuelle apparaît plus fragrant encore quant à la déformation de l’article 3 pour lui conférer tous les attributs du droit de recours au Tribunal de l’article 5 § 4 – contrôle de proportionnalité, pouvoir de libération, périodicité – en dehors de son caractère judiciaire. Un pas supplémentaire a d’ailleurs été franchi dans l’alignement des deux types de peine perpétuelle dans la jurisprudence européenne qui impose pour chacune l’obligation d’apporter un contenu adapté à la personne condamnée [Harakchiev et Tolumov : préc. ; v. notre chron., n° 26]. Plus encore, le refus d’entrouvrir au condamné la « perspective d’élargissement » par l’autorité nationale du fait du maintien de la dangerosité devrait aboutir à la requalification de la peine perpétuelle répressive en peine perpétuelle sécable au regard de la jurisprudence de Section Léger [préc. : v. supra, n° 19], sauf à abandonner son apport. Compte-tenu de ces convergences, l’application de l’article 5 § 4 à la peine perpétuelle devrait toujours être reconnue, au plus tard dans un temps d’épreuve de vingt-cinq ans, la marge d’appréciation des États devant d’abord servir à faire fluctuer non pas le principe même de l’intervention du Tribunal, mais ses modalités, notamment les mécanismes procéduraux de sécurité, par exemple quant aux différentes expertises ou à la solennité de la juridiction saisie.
21. La potentialité positive : un meilleur encadrement des longues peines à temps. Alors que la Cour européenne des droits de l’Homme, par principe, refuse d’assurer le contrôle du quantum de la peine privative de liberté à temps et de son aménagement [Léger, sect. II : préc. ; § 72 : l’article 5 de la Convention ne permet pas de « contrôler le bien-fondé de la condamnation initiale », ni du « bien-fondé de la durée d’une détention », tandis que « les questions se rapportant au caractère approprié de la peine sortent en général du champ d’application de la Convention » : elle refuse « de décider quelle est la durée de détention qui convient pour une infraction donnée »], la fixation jurisprudentielle du temps d’épreuve à vingt-cinq ans pour le droit au réexamen de la peine perpétuelle répressive pourrait forcer la Cour à amender sa position classique. Si l’on suit le droit français, qui fait correspondre au temps d’épreuve du relèvement l’échelon le plus sévère de la peine à temps, construction finalement logique, dès lors que l’on admet que la peine perpétuelle a toujours une double finalité, sa première partie répressive, avant son basculement dans sa partie de sûreté, correspondant en réalité à l’application de la mesure « purement » répressive, donc la peine à temps, la plus sévère du droit national, au regard de la gravité des infractions commises, c’est directement l’échelon de peine de trente ans de réclusion criminelle qui apparaît menacé de remplacement par un nouvel échelon maximum de vingt-cinq ans pour la peine à temps, correspondant au délai d’épreuve du droit européen. La réalisation d’une telle éventualité, qu’on imagine au mieux lointaine, aurait sans doute d’autres conséquences encore en droit français, pour remettre en cause aussi vraisemblablement l’échelon de vingt ans, qui pourrait être considéré comme trop rapproché du nouvel échelon de peine à temps le plus sévère de référence. De ce point de vue, la fixation du point de départ du temps d’épreuve européen à l’« imposition de la peine perpétuelle », plutôt qu’au mandat de dépôt, permet aussi opportunément de préserver l’échelon de trente ans.
En tout cas, deux outils, qui prennent de l’ampleur dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, annoncent son meilleur contrôle de la peine à temps. D’abord, la Cour emploie de plus en plus souvent l’article 10 § 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui dispose que « le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social », pour développer ses différents contrôles de la peine perpétuelle.[v. Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 263 – v. Vinter, gde ch. : préc. ; § 118 – v. James, Wells et Lee : préc. ; § 208 – v. sur l’apport de la disposition quant au développement du contrôle du contenu de la peine perpétuelle, notre chron., n° 26]. Le champ d’application de la disposition n’est pourtant pas limité aux condamnés à des peines perpétuelles. Ensuite, la Cour européenne des droits de l’Homme s’est octroyée un nouveau contrôle de la peine sur le fondement de l’article 3, celui de sa « nette disproportion », dont la Cour a expressément reconnu son application à toute peine, même s’il n’a pas donné lieu encore à un constat de violation de la Convention [CEDH, sect. IV, 10 avr. 2012, Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni, req. nos 24027/07, 11949/08, 36742/08, 66911/09 et 67354/09, en angl. ; § 237 : la Cour utilise l’expression de « gross disproportionality » – CEDH, sect. IV, 17 janv. 2012, Harkins et Edwards c. Royaume-Uni, req. nos 9146/07 et 32650/07 ; RDP, 2013, chron., p. 725, obs. B. Pastre-Belda ; D., actu., 6 févr. 2012, obs. O. Bachelet : en l’espèce, la Cour vérifiait le discernement de l’extradé et sa majorité au moment des faits, la gravité de l’infraction poursuivie, un meurtre aggravé, en dehors de ces hypothèses, suffisant à écarter la disproportion manifeste même concernant la peine perpétuelle obligatoire sans possibilité de libération conditionnelle encourue par l’individu en cas d’exécution de son extradition, et  la Cour indiquait en plus que son contrôle de la disproportion devait être plus souple encore en cas de peine perpétuelle discrétionnaire, du fait du contrôle juridictionnel initial entier réalisé lors de la décision de condamnation – Vinter, gde ch. : préc. ; § 102 : « toute peine nettement disproportionnée est contraire à l’article 3 de la Convention », étant précisé « qu’il ne sera satisfait au critère de la nette disproportion que dans des cas rares et exceptionnels »]. Sans doute faudra-t-il suivre attentivement dorénavant le sort réservé à ces deux outils, notamment dans le domaine de la peine à temps, la réduction plus décisive de la marge d’appréciation des États dans le domaine de la peine perpétuelle exigeant sans doute une réduction de la même marge dans le domaine de la peine à temps, pour conserver les équilibres de la répression.


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