1.
La distinction entre la peine perpétuelle répressive
et la peine perpétuelle sécable. Alors
que la Cour européenne des droits de l’Homme a posé un arrêt de principe quant
à son contrôle de la peine perpétuelle sur le fondement de l’article 3 en juillet
2013 [CEDH,
gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autres
c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 :
Rec. CEDH, 2013 ; D., actu., 12 juil. 2013, obs. M. Léna ; ibid., 2013, p. 2081, note J.‑F. Renucci ; ibid., p. 2713, chron. G. Roujou de Boubée ; ibid., 2014,
p. 1235, chron. J.-P. Cere ; RFDA, 2014, p. 538, chron. L.
Labayle ; AJP, 2013, p.
494, obs. D. van Zyl Smit ; RSC, 2013, p. 625, chron. P. Poncela ; ibid., p. 649, obs. D. Roets ;
Dr. pénal, 2013, comm. n° 165,
obs. É. Bonis-Garçon ; ibid., 2014, chron. n° 3, obs. V. Peltier ; ibid., chron. n° 4, chron. E. Dreyer ;
JCP, 2014, n° 970, obs. L. Milano ; ibid., 2013, n° 918, obs. F. Sudre :
la Cour s’est prononcée dans cette affaire sur une condamnation à la
peine perpétuelle obligatoire en droit interne, prévue en cas d’assassinat,
s’agissant d’une peine créée à la suite de l’abrogation de la peine de mort, concernant
laquelle le juge avait étendu à la totalité de son exécution le mécanisme
empêchant l’accès du condamné à la libération conditionnelle], la Cour
européenne des droits de l’Homme a déjà eu à quatre reprises l’occasion d’en
préciser les apports, une fois quant au droit turque [CEDH,
sect. II, 18 mars 2014, Ocalan c. Turquie
(n° 2), req. nos 24069/03, 197/04 et 6201/06 : D.,
2014, p. 1235, chron. J.-P . Cere :
le requérant avait été condamné initialement à la peine de mort, commuée,
à la suite de l’abrogation de cette dernière, en une peine perpétuelle
aggravée, empêchant l’octroi de la libération conditionnelle], une fois quant au droit hongrois [CEDH,
sect. II, 20 mai 2014, Laszlo Magyar c. Hongrie,
req. n° 73593/10, en angl. : le
requérant avait été condamné à la perpétuité sans possibilité d’obtenir une
libération conditionnelle, du fait de sa qualité de récidiviste], une fois
quant au droit bulgare [CEDH,
sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c.
Bulgarie, req. nos 15018/11 et 61199/12, en angl. ;
v. notre
chron., n° 54 : le requérant avait été condamné à une
modalité spéciale de la peine perpétuelle, l’empêchant de bénéficier de la
libération conditionnelle, sauf à en obtenir la commutation en une peine
perpétuelle de droit commun, la peine dérogatoire ayant servi au remplacement
de la peine de mort] et une fois quant au droit français [CEDH,
sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France,
req. n° 40014/10 : la Cour s’est prononcée sur la perpétuité réelle du droit français, issue de
l’extension de la période de sûreté à la totalité de la peine, empêchant, sauf
relèvement, le bénéfice des principaux aménagements de peine, dont la
libération conditionnelle]. À chaque fois, c’est une modalité dérogatoire de la
peine perpétuelle qui était soumise au contrôle de la Cour européenne des
droits de l’Homme sur le fondement de l’article 3, celle-ci se substituant à la
peine de mort, au plus près ou plus loin de son abrogation, et se justifiant
par la gravité des infractions commises. La sévérité de la répression se
caractérise par l’exclusion de principe, durant la totalité de la peine, de
l’obtention des mesures d’aménagement de peine, la principale restant la
libération conditionnelle, à la différence des modalités moins sévères de peine
perpétuelle, empêchant uniquement l’obtention des mesures d’aménagement de
peine de droit commun durant un temps d’épreuve. Le panorama issu de ces cinq
arrêts montre la récurrence dans les États du Conseil de l’Europe [au moins,
donc, en France, en Angleterre, en Hongrie, en Bulgarie et en Turquie] de ces
peines perpétuelles particulièrement sévères. Plutôt que de perpétuité réelle [expression certes couramment
utilisée, mais impropre, dès lors que celle‑ci, au sens strict, celle
incompressible, qui suppose d’interdire de
facto et de jure toute
possibilité de libération, constitue assurément un traitement inhumain et
dégradant par nature ; CEDH,
gde ch., 12 févr. 2008, Kafkaris c.
Chypre, req. n° 21906/04 : Rec. CEDH, 2008 : RSC,
2008, p. 692, obs. D. Roets ; §
97.], c’est plus justement la notion de peine perpétuelle répressive que nous évoquerons , celle-ci étant censée conserver durant
la totalité de son exécution son objectif de punition, de répression ou encore
de châtiment : elle est justifiée « lorsque la gravité de l’infraction est si exceptionnellement élevée
qu’un juste châtiment exige que son auteur demeure en prison pour le restant de
ses jours » [v. CEDH,
sect. IV, 17 janv. 2012, Vinter et autres c. Royaume-Uni,
req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10
: JCP, 2012, doctr., n° 924,
chron. F. Sudre ; D., 2012, p. 1294, chron. J.‑P. Céré ; § 103 : la Cour citait
ici la motivation employée par le juge national]. L’objectif permanent de
répression justifie l’exclusion de l’application de l’article 5 § 4 à la peine
perpétuelle répressive [l’article
dispose que « toute personne privée
de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours
devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa
détention et ordonne sa libération si la détention est illégale »],
puisque la peine « ne [repose] pas sur des éléments risquant d’évoluer avec
le temps » [ibid., § 102] et
que « que l’examen de la légalité de
la détention du requérant, imposé par l’article 5 § 4, [est] englobé dans la condamnation prononcée par
le juge et qu’aucun réexamen n’[est] donc requis [sur ce fondement] » [ibid.] : elle est soumise à la
théorie du contrôle incorporé, c’est-à-dire que la décision de condamnation du
Tribunal, qui assure le contrôle de la légalité de la privation de liberté,
épuise tout contrôle judiciaire ultérieur. La peine perpétuelle répressive doit en revanche être
distinguée de celle d’un autre type, celle sécable
« en une période punitive et une période
de sécurité » [ibid.] ou qui
« se [constitue] d’une période punitive (pour satisfaire
à l’impératif de châtiment) et du reste de la peine, lorsque le maintien en
détention avait été décidé à l’aune des critères du risque et de la
dangerosité » [ibid., §
103] : le constat par la Cour européenne des droits de l’Homme du terme de
sa période répressive entraîne la requalification de la peine en mesure de
sûreté, au-delà des distinctions internes, aboutissant à reconnaitre pour la
seconde partie seulement l’application de l’article 5 § 4, afin de solliciter
devant le Tribunal une libération anticipée, fondée sur la disparition du
« risque » ou « de la dangerosité », c’est-à-dire
des éléments « risquant d’évoluer
avec le temps », pour reprendre la terminologie européenne.
2.
La perpétuité réelle française sous
l’examen européen. L’affaire française intéresse, au‑delà
du faible nombre de condamnations à la perpétuité réelle [selon les différents commentaires de presse, la perpétuité réelle française a été prononcée à
quatre reprises depuis son instauration en 1994, la première fois en 2007,
concernant la condamnation du requérant en première instance], non seulement
pour son apport au droit national, mais aussi pour son apport quant à la
jurisprudence européenne, notamment concernant l’application des principes de l’arrêt
de Grande chambre Vinter dont la
portée des apports n’est pas encore clairement fixée, et même pour confronter
le raisonnement européen à un dispositif validé à deux reprises par le Conseil
constitutionnel, une fois en 1994 [Cons.
const., déc. n° 93-334 DC du 20 janv. 1994 relative à la loi
instituant une peine incompressible et relative au nouveau Code pénal et à
certaines dispositions de procédure pénale : J. O., 26 janv. 1994,
p. 1380 ; RFD const.,
1994, p. 353, note Th. Renoux ;
D., 1995, p. 340, obs. Th. Renoux ; ibid., p. 293, obs. É. Oliva]
lors de son instauration [loi
n° 94-89 du 1er févr. 1994 instituant une peine incompressible et
relative au nouveau Code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale :
J. O., 2 févr. 1994, p. 1803 ;
JCP, 1994, actu., n° 100080,
obs. F. le Gunehec ;
RSC, 1994, p. 778, obs. M.‑L. Rassat ; ibid., p. 356, note P. Couvrat ; Gaz. Pal., 1994, doct., p. 968,
obs. J. Brandeau], puis
plus récemment en 2011 [Cons.
const., déc. n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 relative à la loi d'orientation et
de programmation pour la performance de la sécurité intérieure :
J. O., 15 mars 2011, p. 4630 ;
v. F. Fourment, « Après
l'abolition de la peine de mort, l'"abolition" de la peine de
réclusion criminelle à perpétuité réelle ? » ; Gaz. Pal., 3 sept. 2011, n° 246, p. 26] lors de l’extension du
dispositif [loi
n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la
performance de la sécurité intérieure : J. O., 15 mars 2011, p. 4582]. La
perpétuité réelle française se
caractérise par l’extension de la période de sûreté, mécanisme lui-même soumis
au Conseil constitutionnel [Cons.
const., déc. n° 78-98 DC du 22 nov. 1978 portant sur la loi modifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale en
matière d'exécution des peines privatives de liberté : J. O.,
23 nov. 1978] lors de son instauration en 1978 [loi n° 78‑1097
du 22 nov. 1978 modifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale :
J. O., 23 nov. 1978, p. 3926], qui
interdit l’octroi des mesures d’aménagement de peine [v. l’art.
720-2 CPP : « les dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la
peine, le placement à l'extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté
et la libération conditionnelle ne sont pas applicables pendant la durée de la
période de sûreté »], durant la totalité de la peine, sur décision
spéciale de la Cour d’assises, possibilité permise spécialement par le texte
des incriminations concernées [v. l’art. 221-3
CP
concernant les cas d’assassinat, « lorsque
la victime est un mineur de quinze ans et que l'assassinat est précédé ou
accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie ou lorsque
l'assassinat a été commis sur un magistrat, un fonctionnaire de la police
nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de
l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de
l'autorité publique, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions »
et l’art.
221-4 CP concernant les cas de meurtre, qui nécessitent la
caractérisation des mêmes circonstances, sauf que l’article ajoute la
circonstance de commission en bande organisée concernant l’hypothèse du meurtre
commis sur le dépositaire de l’autorité publique]. Les quelques cas de perpétuité réelle, dès lors qu’ils concernent des cas de meurtre ou
d’assassinat plus graves, au regard des circonstances la faisant encourir,
circonstances aggravantes classiques du droit pénal, que ceux déjà réprimés par
la perpétuité [le simple assassinat
est déjà réprimé par la réclusion criminelle perpétuelle – v. l’art. 221-3 CPP
– tandis que pour le meurtre, les circonstances aggravantes, visées par les
hypothèses de perpétuité réelle en
combinaison par deux, prises isolément, suffisent à faire encourir la réclusion
criminelle perpétuelle – v. les art.
221-4 et 221-2
CPP],
rappellent la volonté de créer un nouvel échelon de peine plus sévère que la
perpétuité de droit commun [la période de sûreté, identique dans ses effets,
mais plus limitée dans son étendue, s’applique automatiquement pour des
infractions prévues spécialement par la loi pendant dix-huit ans en cas de
condamnation à la peine perpétuelle, sauf décision spéciale de la Cour
d’assises, qui peut « réduire ces
durées » ou la porter à vingt-deux ans, et la Cour d’assises peut
aussi, facultativement, décider, par décision spéciale, d’assortir la
perpétuité de la période de sûreté pendant vingt-deux ans en dehors de ces cas
– art.
132-23 CP], en faisant le substitut de la peine de mort, objet
désormais d’une interdiction constitutionnelle [art.
66-1 de la Constitution], quand bien même un décalage temporel
important existe entre son abrogation [v. la loi
n° 81-908 du 9 oct. 1981 portant abolition de la peine de mort :
J. O., 10 oct. 1981, p. 2759] et
l’instauration de la perpétuité réelle.
3.
Le standard constitutionnel. Le Conseil
constitutionnel a haussé son contrôle de la période de sûreté pour la perpétuité
réelle [déc. n° 93-334 DC du
20 janv. 1994 : préc. ;
consid. n° 13 : le Conseil constitutionnel y a découvert en 1994 que les
principes contenus à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du
citoyen [soit la légalité, la nécessité, la proportionnalité ou encore la
non-rétroactivité] « ne concernent pas
seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais
s’étendent au régime des mesures de sûreté qui les assortissent »], par
rapport à son contrôle du mécanisme de droit commun [déc. n° 78‑98 DC
du 22 nov. 1978 : préc. ;
consid. n° 6 : le Conseil constitutionnel y estimait qu’« une telle mesure, qui ne concerne que
l’exécution d’une peine, ne peut donc être regardée comme constituant elle-même
une peine » et que « dès lors, les
décisions relatives à son application ne sont pas soumises aux règles qui
régissent le prononcé des peines »]. Mais c’était pour reconnaître une
large marge d’appréciation au législateur dans le domaine de l’exécution des
peines [ déc. n° 93-334 DC du 20 janv. 1994 : préc. ; consid. n° 11: « considérant qu'il est loisible au législateur
de fixer les modalités d'exécution de la peine et notamment de prévoir les
mesures énumérées à l'article 132-23 du code pénal ainsi que de déterminer des
périodes de sûreté interdisant au condamné de bénéficier de ces mesures »]
et dans le choix des incriminations ouvrant la perpétuité réelle, sans véritable contrôle de celles‑ci d’ailleurs [ibid., consid. n° 10 : « en l'absence de disproportion manifeste avec
l'infraction commise, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de
substituer sa propre appréciation à celle du législateur »], lui
permettant de privilégier l’un ou l’autre des objectifs de la peine, parmi ceux
dressés par la décision [ibid.,
consid. n° 12 : « considérant
que l'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et
criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la
punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et
préparer son éventuelle réinsertion »], sauf à commettre une erreur
manifeste d’appréciation [ibid.,
consid. n° 13]. Le Conseil constitutionnel s’intéressait plutôt à la
possibilité de relèvement de la période de sûreté [v. l’anc.
art. 720-4 CPP : le relèvement permet au condamné
de bénéficier des mesures d’aménagement, dont la libération conditionnelle,
selon les conditions de droit commun], pour valider la perpétuité réelle, la
réécrivant même en partie en réalité, définissant ses critères [le Conseil
constitutionnel notait que le relèvement était permis « au regard du comportement du condamné et de
l'évolution de sa personnalité », alors que la loi visait l’existence
de « gages sérieux de réadaptation
sociale »], élargissant l’ouverture de la procédure de relèvement [alors
que la loi avait uniquement confié au juge de l’application des peines
l’initiative de la saisine d’« une
commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation », le
Conseil constitutionnel avait précisé que la disposition devait s’entendre
comme « ouvrant au ministère public
et au condamné le droit de saisir le juge de l'application des peines » ;
ibid., consid. n° 13 – il est à noter
qu’à l’origine, la loi prévoyait uniquement que le juge d’application des
peines « pouvait » saisir
la Commission], et précisant, dans le silence de la loi, « qu'une telle procédure peut être renouvelée
le cas échéant » [ibid.].
C’est bien la qualité du recours judiciaire permettant de relever la période de
sûreté qui assurait le respect de la Constitution, le législateur conservant
une marge d’appréciation pour fixer le temps d’épreuve ouvrant la procédure [en
l’espèce, et dès l’origine, trente ans] ou les autres formalités procédurales
[la loi d’origine prévoyait déjà l’obligation de « saisir un collège de trois experts médicaux désignés par le bureau de
la Cour de cassation sur la liste des experts agréés près la cour, qui se
prononce sur l'état de dangerosité du condamné »]. Pourtant, le Conseil
constitutionnel n’a pas adopté de formulation de principe, ni ne s’est référé à
l’article 66 de la Constitution, qui fait du juge judiciaire le « gardien » de la liberté individuelle,
deux moyens qui lui auraient permis de constitutionnaliser plus directement le
recours judiciaire en cours d’exécution de la perpétuité réelle. L’emploi l’article 8 de la Déclaration des droits de
l’Homme rappelait toutefois que le relèvement judiciaire assurait, plutôt que
de sa « nécessité », notion
visée par le Conseil constitutionnel [c’est bien le terme utilisé par le texte
de la disposition, mais c’est sur ce fondement que le Conseil constitutionnel
fonde le contrôle de la proportionnalité des peines : Cons.
const., déc. n° 86-215 DC du 3 sept. 1986 portant sur la loi relative à la
lutte contre la criminalité et la délinquance : J. O., 5 sept. 1986, p. 10788 ; consid.
n° 7], le contrôle de la proportionnalité de la peine perpétuelle pendant son
cours, ou autrement dit, le contrôle du maintien de sa nécessité dans le temps.
Le même raisonnement a été repris par le Conseil constitutionnel lors de son
examen de l’extension du mécanisme en 2011, celui-ci semblant même améliorer la
garantie judiciaire, pour prendre soin d’indiquer, de manière redondante par
rapport à la loi [le nouveau système législatif a supprimé le « pouvoir » du juge de l’application
des peines d’initier la procédure, pour rendre compétent le Tribunal
d’application des peines, l’article 720-4 nouveau du Code de procédure pénale
renvoyant à l’article
712-7 du même Code pour organiser sa saisine selon les
modalités de droit commun, « sur la
demande du condamné, sur réquisitions du procureur de la République ou à
l'initiative du juge de l'application des peines »], que « cette disposition doit être entendue comme
ouvrant au ministère public et au condamné le droit de saisir le tribunal de
l'application des peines » [déc. n° 2011-625 DC du 10 mars
2011 : préc. ; consid. n°
28 et s.].
4.
Les certitudes du contrôle européen de la peine perpétuelle répressive.
Examinée sous l’angle de l’article 3, sans que sa qualification ne fasse discussion,
la perpétuité réelle française
apparait comme un cas de peine perpétuelle répressive,
échappant à un contrôle approfondi sous l’angle de l’article 5 [le contrôle
principal consiste à vérifier que la condamnation a bien été prononcée « par un tribunal compétent » ;
art. 5 § 1er-a)], échappant en tout cas aux dispositions de
l’article 5 § 4, et dont le contrôle ressort principalement de l’article 3. La
caractérisation d’un droit au réexamen permet d’assurer la validité de la peine
perpétuelle répressive au regard
de la Convention européenne des droits de l’Homme : « en ce qui concerne les peines perpétuelles, l’article 3 doit être
interprété comme exigeant qu’elles soient compressibles, c’est-à-dire soumises
à un réexamen permettant aux autorités nationales de rechercher si, au cours de
l’exécution de sa peine, le détenu a tellement évolué et progressé sur le
chemin de l’amendement qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne permet
plus de justifier son maintien en détention », principe répété dans
l’arrêt Bodein [préc. ; § 55] et directement issu d’une citation de l’arrêt de
Grande chambre Vinter [préc. ; § 119]. La Cinquième
section s’est donc directement, et logiquement, placée dans les pas de la
Grande chambre, appliquant les conditions que cette dernière a érigées, et
d’ailleurs son raisonnement apparaît plus direct, sans les longues
circonvolutions de l’arrêt Vinter ni
celles de l’arrêt Harakchiev et Tolumov [préc. : il est vrai que ce dernier arrêt a aussi réalisé un
apport par rapport à l’arrêt Vinter,
concernant le contrôle du contenu de la peine perpétuelle répressive ; v. notre
chron., n° 26], les principes applicables apparaissant désormais
plus certains. Aucune peine perpétuelle réelle
ou incompressible n’est conforme à la
Convention européenne des droits de l’Homme, dès lors que l’existence d’un
droit au réexamen est exigée, celle-ci établissant leur caractère « compressible » [Bodein : préc. ; § 53 et s.]. Le raisonnement européen n’est pas
sans rappeler celui du Conseil Constitutionnel.
5.
Les incertitudes du contrôle européen de la peine perpétuelle répressive. Si
le développement de la jurisprudence européenne quant au contrôle du caractère
« compressible » de la
peine perpétuelle répressive a abouti
à réduire le pouvoir discrétionnaire des autorités nationales en la matière,
l’arrêt de Grande chambre Vinter
constituant une étape décisive de ce mouvement, pour fixer un standard
contraignant pour les États, l’arrêt Bodein
leur maintien une large marge d’appréciation, qui complique l’appréciation
de la portée réelle du contrôle. D’autre part, la reconnaissance certaine d’un
droit au réexamen ne dissipe pas toute interrogation quant à la réelle nature
de la peine examinée. La qualification de peine perpétuelle répressive n’apparaît pas d’une clarté
indiscutable, alors que le droit français semble considérer la période de
sûreté comme une mesure de « sûreté »
par nature, qu’il s’agisse de son intitulé législatif ou de sa qualification attribuée
par le Conseil constitutionnel lors des examens de la perpétuité réelle [la Cour de cassation se réfère à
la notion de « modalité d’exécution
de la peine » ; v. notre
chron., n°4], montrant d’emblée la fragilité de la
distinction des peines perpétuelles, l’empêchement de la libération anticipée
du condamné apparaissant autant justifié par la dangerosité du condamné que par
sa répression.
L’application des
principes issus de l’arrêt de Grande chambre Vinter, malgré les velléités affichées, apparaît malaisée, pour poser des conditions précises engageant les
États, tout en leur reconnaissant aussi sur d’autres points une large marge
d’appréciation. Ce sont ces impératifs contradictoires que l’arrêt Bodein tente de ménager, en réalisant
des apports confortant les certitudes du contrôle de la peine perpétuelle répressive [I.] et d’autres accentuant ses incertitudes [II.].
I.
Les
apports de l’arrêt Bodein aux
certitudes du contrôle européen de la peine perpétuelle répressive
6.
Un standard conforté. L’arrêt Vinter de Grande chambre n’a pas seulement consacré un droit au
réexamen au profit de la personne condamnée à une peine perpétuelle répressive [ibid., § 110], mais a déterminé ses modalités pratiques, forgeant
le modèle abstrait du droit au réexamen, en tout cas un standard, malgré les
nombreuses précautions prises pour rappeler l’existence, en la matière, d’une
marge d’appréciation pour les États [ibid., §
104, § 105, § 120]. Le droit au réexamen peut être
sollicité au terme d’un temps d’épreuve de vingt-cinq ans [ibid., § 120 : « il
se dégage des éléments de droit comparé et de droit international produits
devant elle une nette tendance en faveur de l’instauration d’un mécanisme
spécial garantissant un premier réexamen dans un délai de vingt-cinq ans au
plus après l’imposition de la peine perpétuelle »], il est périodique
[ibid.], il doit exister dès le début
de l’exécution de la peine perpétuelle répressive
[ibid., § 122], et celui-ci doit
aboutir à reconnaître une obligation « de
libérer tout détenu dont le maintien en détention se révélerait incompatible
avec l’article 3, par exemple parce qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique
ne permettrait plus de justifier cette mesure », par opposition à
toute mesure discrétionnaire ou arbitraire [ibid.,
§ 125]. En appliquant ces différents principes, pour participer à la
réduction du pouvoir discrétionnaire des autorités nationales [A] et dessiner l’ébauche d’un contrôle
de proportionnalité [B], concernant
la peine perpétuelle répressive, au
moyen du contrôle de l’existence d’un droit au réexamen, l’arrêt Bodein renforce ce standard et ses
certitudes.
A. Le droit au réexamen : la réduction du pouvoir discrétionnaire des autorités nationales
7.
Plus que l’existence d’une chance d’être libéré. La
peine perpétuelle de jure et de facto incompressible, sans aucune
possibilité de libération, est prohibée depuis longtemps dans la jurisprudence
européenne, pour constituer par nature un traitement inhumain et dégradant [Kafkaris, gde ch. : préc. ; § 97].
Celle-ci s’en tenait toutefois à la simple existence pour le condamné de « chances d’être libéré » pour
établir leur caractère compressible [ibid.,
§ 98]. En réalité, la moindre chance d’être libéré suffisait à valider la peine
perpétuelle répressive, même à ce
qu’elle soit mince, voire minime, même à ce qu’elle soit discrétionnaire, voire
arbitraire [v. pour la validation européenne au regard de la possibilité
d’obtenir une grâce présidentielle discrétionnaire, Kafkaris, gde ch. : préc., ou aussi CEDH, sect. V, 2 sept. 2010, Iorgov c.
Bulgarie (n° 2), req. n° 36295/02 : Dr.
pénal, 2011, n° 4,
chron. E. Dreyer
– v. pour la validation européenne au regard de la possibilité
hypothétique d’obtenir une libération conditionnelle, CEDH,
sect. III, 16 oct. 2001, Einhorn c. France,
req. n° 71555/01, déc. : Rec.
CEDH, 2001‑XI ou CEDH,
sect. V, 3 nov. 2009, Meixner c. Allemagne, req. n°
26958/07, déc., en angl. : Dr. pénal,
2011, n° 3, chron. É. Garçon].
L’exigence du droit au réexamen posé par la Grande chambre dans l’arrêt Vinter aboutit à des exigences
supérieures, plus précisément la nécessité de caractériser une chance d’être
libéré qualifiée, déliée d’un pouvoir
discrétionnaire, en tout cas dénuée d’un pouvoir arbitraire, comme l’a montré
la censure postérieure à l’arrêt Vinter
de la peine perpétuelle répressive
bulgare [Harakchiev et Tolumov : préc.], alors que la Cour européenne des droits de l’Homme avait
préalablement validé le même droit [Iorgov
(n° 2) : préc.]. Avant même
l’arrêt Vinter, l’arrêt Iorgov [n° 2], même sans aboutir au constat de violation, avait marqué une
première hausse des exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme, pour
réaliser une étude plus poussée de l’existence de la chance d’être libéré in facto [ibid., § 48 et s.], l’accroissement progressif du contrôle de
la peine perpétuelle répressive ressortant
d’un mouvement jurisprudentiel européen identifiable depuis 2010.
8.
Plus qu’une mesure de libération humanitaire. Des
différents arrêts, un principe commun émerge : le droit au réexamen dont doit
bénéficier le condamné à une peine perpétuelle répressive ne saurait se limiter à une mesure de libération
humanitaire [Vinter, gde ch. :
préc. ; § 127 :
le droit au réexamen ne se confond pas avec « la mise en liberté pour motifs d’humanité pouvant être accordée aux
personnes atteintes d’une maladie mortelle en phase terminale ou d’un grave
handicap physique […] si elle se
résume à permettre à l’intéressé de mourir chez lui ou dans un hospice plutôt
qu’entre les murs d’une prison » - Ocalan
(n° 2) : préc. : §
203 : le pouvoir du Président de la République, prévue par le droit turc, de
libérer immédiatement ou à effet différé un condamné à perpétuité, en cas de maladie
ou de vieillesse, « ne correspond
pas à la notion de “perspective d’élargissement” pour des motifs légitimes d’ordre pénologique » - Bodein : préc. ; § 59 : le droit au réexamen ne peut se résumer,
en droit français, à « la suspension
de peine pour raisons médicales qui, bien que constituant une garantie pour
assurer la protection de la santé et du bien-être des prisonniers, n’est pas un
mécanisme qui correspond à la notion de “perspective d’élargissement” pour des motifs légitimes d’ordre pénologique »].
C’est bien la question du bien-fondé de la continuation de la peine perpétuelle
qui doit faire l’objet d’un réexamen, au regard de ses motifs juridiques, leur
disparition justifiant la libération, et non pas au regard de l’affliction
concrète provoquée par celle-ci : la pertinence de l’usage du fondement de
l’article 3 interroge donc, appliqué en dehors de son apport naturel à la
privation de liberté, celui de la vérification concrète du niveau de souffrance
et d’humiliation généré par la détention, l’État ayant l’obligation positive
d’assurer qu’il ne dépasse pas celui inévitablement causé par la privation de
liberté par nature [CEDH, gde ch., 26
oct. 2000, Kudla c. Pologne, req. n° 30210/96 : Rec. CEDH, 2000-XI ; AJDA,
2000, p. 1006, chron. J.‑F. Flauss ;
RFDA, 2001, p. 1250, chron. H. Labayle et F. Sudre ; § 94 : « l’article 3 de la
Convention impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des
conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les
modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse
ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrances
inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de
l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de
manière adéquate » - v. pour l’application du principe au contrôle des
conditions matérielles de détention, CEDH,
sect. V, 25 avr. 2013, Canali c. France,
req. n° 40119/09 ; D., 2013, p. 1138, obs. M. Léna ;
AJDA, 2013, p. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; AJP, 2013, p. 403, note J.-P. Céré – v. pour l’application du
principe au contrôle de la compatibilité de l’état de santé avec la détention, CEDH,
sect. I, 14 nov. 2002, Mouisel c. France,
req. n° 67263/01 : Rec. CEDH, 2002-IX ;
LPA, 19 juin 2003,
p. 15, comm. H. Tigroudja ; ibid., 16 juil. 2003, p. 13, comm. D. Roets ; D., 2003, p. 524, obs. J.‑F. Renucci ;
ibid., p. 303, note H. Moutouh ; ibid., p. 919, chron. J.‑P. Céré ; RSC, 2003, p. 144, chron. F. Massias ; AJDA, 2003, p. 603, chron. J.‑F. Flauss – v. pour le
contrôle de l’isolement pénitentiaire de sûreté, CEDH, sect. I, 27 janv. 2005, Ramirez Sanchez c. France, req. n°
59450/00 : D., 2005, p. 1272, comm. J.‑P. Cere].
9. Le
défaut d’examen poussé de la mesure de libération d’humanité. Dans
l’affaire Bodein, s’agissant d’un
condamné susceptible, au regard du droit français, de solliciter la relèvement
de sa période de sûreté uniquement en 2034 à l’âge de 87 ans, à supposer qu’il
soit toujours en vie, l’examen de l’existence de la moindre chance d’être
libéré, posé dans la jurisprudence antérieure, aurait dû nécessiter un examen poussé
de la mesure de libération d’humanité, tant celui-ci présente le risque de ne jamais
pouvoir profiter du droit au réexamen tel que formulé par le standard européen,
en raison de son temps d’épreuve, comme le soulevait la juge Nusseberger, dans son opinion
concordante. C’était l’occasion pour la Cour de faire cohabiter et d’opérer la liaison
entre son ancienne et sa nouvelle jurisprudence, en assurant le contrôle poussé
de l’existence pour le condamné d’une chance d’être libéré pour des motifs
d’humanité, pendant le temps d’épreuve du droit au réexamen défini par le
standard européen, pour valider la conventionnalité de la peine perpétuelle répressive, en plus de la vérification
de l’existence, dès le début de l’exécution de la peine répressive, du droit au
réexamen. Cette chance d’être libéré existe assurément en droit français,
puisque la suspension médicale de peine permet la libération des « condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie
engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est
durablement incompatible avec le maintien en détention », sans que la
période de sûreté ne puisse s’y opposer et sans que l’exception du « risque grave de renouvellement de
l'infraction » ne l’efface complétement même pour le condamné à la
perpétuité réelle, par exemple en cas
de déclin physique important [v. l’art.
720-1-1 CPP], d’autant plus que la prise en compte
de la dangerosité dans l’appréciation de l’opportunité de libérer le détenu à
l’état de santé incompatible intègre le standard européen [CEDH,
sect. I, 15 janv. 2004, Sakkopoulos c.
Grèce, req. n° 61828/00 : § 38 et s.]. Ce défaut
de vérification [la Cour se contentait d’écarter que ces voies puissent caractériser
le droit au réexamen : Bodein : préc. ; § 59] constitue un premier
élément montrant le contrôle plutôt limité réalisé par la Cour européenne des
droits de l’Homme de la perpétuité réelle
française.
10.
Moins qu’un recours devant le Tribunal. Fondé sur l’article 3,
le réexamen possède tous les attributs du recours à bref délai devant le
Tribunal pour contester la légalité de la privation de liberté consacré par
l’article 5 § 4, puisque celui-ci vise à assurer le contrôle de sa
proportionnalité [v. infra, n° 11],
est périodique [v. sur la périodicité du recours de l’article 5 § 4, CEDH,
plén., 24 juin 1982, Van Droogenbroeck c. Belgique, req. n° 7906/77 :
Rec. CEDH, série A, n° 50 ; § 48 : le recours se régénère dès
que « les circonstances justifiant cette
détention à l’origine peuvent changer au point de disparaître »], et est
efficace à provoquer la libération [v. infra,
n° 14]. À la différence du recours de l’article 5 § 4 cependant, qui
saisit le Tribunal, défini par son indépendance, son impartialité, et l’application
devant lui des grandes garanties du procès équitable [CEDH,
gde ch., 29 mars 2001, D. N. c. Suisse,
req. n° 27154/95 : Rec.
CEDH, 2001-III], le droit au réexamen de la peine perpétuelle répressive supporte la compétence de
l’organe dépendant de l’exécutif [Vinter,
gde ch. : préc. ; §
120 : « la Cour tient toutefois
à souligner que, compte tenu de la marge d’appréciation qu’il faut accorder aux
Etats contractants en matière de justice criminelle et de détermination des
peines […], elle n’a pas pour tâche
de dicter la forme (administrative ou judiciaire) que doit prendre un tel
réexamen » ; en l’espèce, le recours étudié, aux mains d’un
ministre, n’était pas censuré quant à la qualité de l’autorité compétente - Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 258 et s. : une
application du droit de grâce par l’autorité exécutive, non plus de manière
discrétionnaire, mais de manière « cohérente
et prévisible » (« that ruling gives
weighty guarantees that the presidential power of clemency will be exercised in
a consistent and broadly predictable way »), satisfait les exigences du
droit au réexamen], de même que de simples exigences de transparence semblent
constituer des garanties procédurales suffisantes [ibid. ], une marge d’appréciation importante demeurant au
profit des États quant à la peine perpétuelle répressive. C’est cette dernière marge qui a définitivement disparu
du domaine de la peine perpétuelle sécable,
dont le constat de son basculement dans la partie de sûreté engendre l’application
de l’article 5 § 4, raisonnement qui aboutit à intégrer pour celle-ci, dans le
standard européen, la libération conditionnelle judiciaire [Weeks : préc.]. Le standard constitutionnel, qui a de nombreux points
communs avec le standard européen, apparaît dès lors supérieur, pour insister
sur la compétence judiciaire, circonstance qui explique peut-être, le peu
d’intérêt manifesté dans son contrôle par la Cour européenne des droits de
l’Homme pour les deux décisions du Conseil constitutionnel, au-delà de leur
apport précisant les conditions de la procédure du relèvement, l’arrêt Bodein n’apparaissant pas comme une
manifestation importante du dialogue des juges, malgré les accords. La Cour
européenne des droits de l’Homme conserve même sa neutralité dans l’examen
français, pour ne pas mettre en valeur le choix national de confier au juge
judiciaire le droit au réexamen. Au regard de l’arrêt Bodein, le droit au réexamen aboutit à forcer l’autorité compétente
à réaliser un contrôle de proportionnalité de la peine perpétuelle répressive
pendant son cours.
B. Le droit au réexamen : l’ébauche d’un contrôle de proportionnalité de la peine perpétuelle répressive
11.
La précision de la notion des « motifs
légitimes d’ordre pénologique » justifiant le maintien en privation de
liberté. Si le domaine du réexamen est fixé fermement par la
jurisprudence européenne et concerne les « motifs légitimes d’ordre pénologique » de la continuation de
la peine perpétuelle répressive [Vinter, gde ch. : préc. ; § 219 - Ocalan (n° 2) : préc. ; § 203- Laszlo Magyar : préc. ;
§ 50 : « legitimate penological
grounds » - Harakchiev
et Tolumov : préc. ;
§ 246 - Bodein : préc. ; § 59], la notion n’est en
elle-même pas véritablement limpide. Si la pénologie est la « science des peines » [B. Bouloc, Pénologie, Précis Dalloz, 3e éd., 2005, p. 2], ce sont
donc a priori les motifs qui ont
justifié la répression de l’individu qui seraient concernés [v. Vinter, gde ch. : préc. ; § 131 : la Cour y
évoque parmi les motifs pénologiques ceux « de
châtiment et de dissuasion » - v. Ocalan
(n° 2) : préc. ;
§ 207 : le maintien du cours de la peine perpétuelle est justifié si
le réexamen montre la persistance d’« impératifs
de répression et de dissuasion »], ceux-là même qui ont déterminé la
juridiction de jugement à prononcer la peine perpétuelle répressive, ceux-là même que la Cour européenne des droits de
l’Homme estime insusceptibles d’évolution pour exclure l’application de
l’article 5 § 4 de la Convention [Vinter,
sect. IV : préc. ; §
102 et s.]. L’analyse de la jurisprudence montre que l’examen des « motifs légitimes d’ordre pénologique »
tient aussi à l’étude, au regard de tout changement important dans la vie du
condamné [Laszlo Magyar : préc. ; § 50], des gages de la
réhabilitation de l’individu [Vinter,
gde ch. : préc. ; §
112 : la Cour y évoque, pour justifier le droit au réexamen du condamné,
la nécessité de mesurer « ses
progrès sur la voie de l’amendement » - ibid., § 118 : la Cour pour justifier le même droit évoque l’objectif
ressortant de différentes dispositions internationales de « réinsérer les condamnés à perpétuité »
- Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 264 : « the authorities must also give life prisoners a proper opportunity to
rehabilitate themselves »] et de son état de dangerosité [Vinter, gde ch., § 131 - Ocalan (n° 2) : préc. ; § 207 : le maintien du
cours de la peine perpétuelle peut être justifié au cours du réexamen « par des raisons de dangerosité »], et le
défaut du premier critère comme la persistance du second justifient la poursuite
de la peine perpétuelle. C’est que la peine perpétuelle, comme le montrent la
qualification de la période de sûreté en droit interne, la théorie européenne
de la peine perpétuelle sécable et
aussi l’inclusion de la dangerosité dans les « motifs légitimes d’ordre pénologique » justifiant la poursuite
de la peine perpétuelle répressive,
semble toujours mélanger un aspect répressif et un aspect de sûreté.
L’inclusion par la Cour
dans les critères du réexamen de la peine perpétuelle répressive des « impératifs
de répression et de dissuasion » réduit à première vue
considérablement les gains de l’arrêt de Grande chambre Vinter. La simple survenue du droit au réexamen à l’épuisement du
temps d’épreuve ne suffirait donc pas à altérer la nature répressive de la
peine perpétuelle, l’autorité compétente pouvant toujours relever la
persistance des « impératifs de répression
et de dissuasion » pour reporter ce moment, dans une sorte
d’individualisation in pejus et non
judiciaire, au moins dans le standard, réalisée au cours de la peine, et pour se
passer, encore à ce stade, selon sa propre appréciation, de l’analyse des gages
de réhabilitation et de l’état de dangerosité présentés par le condamné. L’arrêt
Bodein semble bien contredire cette
analyse, le relèvement français se trouvant validé, parce qu’il a « précisément pour but de se prononcer sur sa
dangerosité et de prendre en compte son évolution au cours de l’exécution de sa
peine » [ibid., § 60], la
Cour forgeant sa propre formulation, ne se contentant pas de citer les éléments
pertinents de la législation française [l’art.
720-4 CPP se réfère explicitement aux « gages sérieux de réadaptation sociale »
et fait de la dangerosité un autre critère pour imposer au Tribunal de
l’application des peines, désormais compétent, de rendre sa décision « après » la remise d’une expertise
réalisée par un collège de trois experts et se prononçant « sur l'état de dangerosité du condamné »],
ni même de reprendre la formulation du Conseil constitutionnel, qui a précisé
que la juridiction devait apprécier le relèvement « au regard du comportement du condamné et de l'évolution de sa
personnalité » [déc. n° 93-334 DC du 20 janv. 1994 : préc. ; consid. n° 13], pourtant
citée par ailleurs par la Cour européenne des droits de l’Homme dans la suite
de son raisonnement [Bodein : préc. ; § 60]. La formulation
employée, et c’est un apport de l’arrêt Bodein,
aboutit à faire du maintien de la dangerosité, ou à l’opposé, de la
présentation de gages de réhabilitation suffisants, les critères à rechercher
lors du réexamen et permettant le maintien du cours de la privation de liberté
ou au contraire ouvrant la perspective de la libération : le dépassement
du temps d’épreuve fixé par le standard européen, même pour la peine
perpétuelle répressive, apparaît
consommer sa transformation en une mesure de sûreté, ou en tout cas
l’altération de sa nature répressive.
La référence par la
Cour européenne des droits de l’Homme aux « impératifs de répression et de dissuasion » pourrait toutefois
ne pas servir uniquement à justifier de la distinction, de plus en plus
artificielle mais aux conséquences pourtant essentielles, entre la peine perpétuelle
sécable et celle répressive, dès lors qu’elle pourrait être utile aussi à inclure
parmi les critères du réexamen les autres critères classiques de l’aménagement
de la peine tournés vers le passé plutôt que vers l’avenir, comme par exemple
le comportement du condamné en détention, notamment concernant la discipline
pénitentiaire, ou encore la préservation des troubles à l’ordre public, dans
son sens strict et découplé de la dangerosité et du risque de réitération.
12.
Un contrôle de la proportionnalité de la peine perpétuelle durant son cours. Si
les cinq arrêts ont tous concernés le contrôle du droit national avant que ne
soit exigible le droit au réexamen, dès lors que celui-ci doit exister dès le
début de l’exécution de la peine perpétuelle, il faudra encore attendre pour
connaître le contrôle européen sur les décisions nationales prises dans le
cadre du réexamen, si les principes applicables n’ont pas changés d’ici là.
Pourtant, le droit au réexamen porte bien en son sein le contrôle de la proportionnalité
de la peine perpétuelle, comme la Grande chambre l’a d’ailleurs évoqué dans
l’arrêt Vinter [préc. ; § 112 : « ainsi, même lorsque la perpétuité est un châtiment mérité à la date de
son imposition, avec l’écoulement du temps, elle ne garantit plus guère une
sanction juste et proportionnée »]. L’usage de l’article 3 interroge
de nouveau, et si celui-ci a vocation à exclure par principe la
conventionnalité de la peine perpétuelle de
jure et de facto incompressible,
dès lors que le texte se réfère directement aux « peines » inhumaines et dégradantes, le droit au réexamen, qui
plus est périodique, afin d’apprécier la proportionnalité de la privation de
liberté, devrait plus logiquement se fonder sur l’article 5 § 4 [v.
pour ce contrôle périodique de la proportionnalité de la détention provisoire
encadré par l’article 5, notre
chron., n° 22]. Cependant, le contrôle de la
proportionnalité de la privation de liberté sur le fondement de l’article 3
n’est pas non plus une innovation dans la jurisprudence européenne, alors que
celui sert déjà au contrôle de la proportionnalité du maintien de l’isolement
pénitentiaire de sûreté [v. par ex. Harakchiev
et Tolumov : préc. ; § 204
et s. : v. notre
chron., n° 35]. Nul doute en revanche qu’un tel contrôle devrait
reposer dans l’avenir sur la motivation de la décision des autorités nationales
refusant d’accorder la perspective de libération au terme du réexamen, comme la
Cour le réalise pour la détention provisoire et la prolongation de l’isolement
pénitentiaire de sûreté.
La réduction de la
marge d’appréciation des États concernant la peine perpétuelle répressive est flagrante, pour ne plus
jauger sa conventionnalité à l’existence de la moindre chance de libération,
mais pour exiger un véritable droit au réexamen de la persistance de motifs
légitimes d’ordre pénologique, dépassant la simple mesure humanitaire, éléments
confortés par l’arrêt Bodein.
Celui-ci entérine aussi les limites du droit au réexamen, et parfois même les
conforte.
II.
Les
apports de l’arrêt Bodein aux incertitudes
du contrôle européen de la peine perpétuelle répressive
13.
L’embarras européen dans le contrôle de
la peine perpétuelle. L’opinion partiellement dissidente du Président Jean-Paul Costa [à propos de la
dangerosité présentée par les condamnés à perpétuité et détenus depuis
longtemps, il écrivait : « à
mon avis, il n’y a en effet, malheureusement, pas de risque zéro, mais dans ces
conditions il ne faudrait jamais accorder de libération conditionnelle : les
peines à perpétuité seraient toujours des peines à vie, les peines à temps
devraient être toujours purgées jusqu’à leur terme. Les victimes potentielles
seraient peut-être mieux protégées (sauf les cas d’évasions), mais transformer
des détenus soit en fauves soit en déchets humains, ne serait-ce pas créer
d’autres victimes, et substituer à la justice la vengeance ? Je pose la
question. »] au sujet de l’arrêt de Section dans l’affaire Léger [CEDH,
sect. II, 11 avr. 2006, Léger c. France,
req. n° 19324/02 : RSC, 2007, p. 134, comm. F. Massias ; D.,
2006, p. 1800, note J. P. Cere ; AJP, 2006, p. 258, note S. Enderlin], d’autant plus au sujet d’un
arrêt poursuivant l’extension des découvertes des cas de peine perpétuelle sécable [v. infra, n° 19], annonçait sans doute un meilleur contrôle de la
peine perpétuelle, par extension de l’application de l’article 5 § 4, donc de
la libération conditionnelle judiciaire, à la matière. Le développement du droit au réexamen sur le fondement de
l’article 3, et non de l’article 5 § 4, a mis un coup d’arrêt à ce mouvement. S’il
y a bien eu depuis, sur le fondement de la dignité, un mouvement pour réduire
le pouvoir discrétionnaire des autorités nationales dans l’application de la
peine perpétuelle répressive, l’arrêt
de Grande chambre Vinter, pour poser
fermement certains éléments du contrôle de cette peine, notamment quant au
temps d’épreuve fixé à vingt-cinq ans, était particulièrement porteur d’espoirs.
L’arrêt Bodein, dans l’application
des principes posés par la Grande chambre, perpétue l’embarras de la Cour
européenne des droits de l’Homme lorsqu’il s’agit d’encadrer la peine
perpétuelle répressive, la portée réelle
de l’arrêt Vinter apparaissant encore
incertaine, dans le but maintenir encore une marge d’appréciation importante aux
États [A]. Les apports de l’arrêt Bodein soulèvent d’autres incertitudes
quant aux potentialités de la consécration du droit au réexamen [B.].
A. Le maintien d’une marge d’appréciation importante aux États dans l’application de la peine perpétuelle répressive
14.
Une « perspective d’élargissement »
qui demeure lointaine. Le droit au réexamen doit offrir
une « perspective d’élargissement »
[Vinter : gde ch. : préc. ;
§ 112 - Bodein : préc. ; § 59]. Le constat de
la disparition de tout motif légitime d’ordre pénologique doit entraîner son
acquisition, ce que la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle, a contrario, lorsqu’elle précise que la censure du droit national, fondée sur
le défaut de l’existence du droit au réexamen dès le début d’exécution de la
peine perpétuelle [Vinter, gde
ch. : préc. ; § 131 – Ocalan (n° 2) : préc. ; § 207 - Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 241], alors que le droit
au réexamen n’a pas encore pu être exercé par le condamné, qui se trouve
toujours dans le temps d’épreuve, ne saurait conférer au condamné « une perspective d’élargissement imminent »,
à défaut d’avoir invoqué devant la Cour la disparition de tout motif légitime
pénologique au maintien de la peine perpétuelle. De nouveau, l’utilisation de
l’article 3, pour fonder un droit à la libération, n’apparaît pas pertinente,
alors que l’article 5 § 4 prévoit expressément la sanction de l’« illégalité » de la privation de
liberté par la « libération »,
l’illégalité, au sens de la disposition, s’entendant comme l’irrespect de
« chacune des conditions
indispensables à la "légalité" de la détention d’un individu au
regard du paragraphe 1 » de l’article 5 [CEDH,
gde ch., 17 janv. 2012, Stanev c. Bulgarie, req. n° 36760/06 : Rec.
CEDH, 2012 ; RDSS, 2012, p. 863, note K. Lucas ; JDI, 2013, chron. n° 8,
obs. X. Aurey ; §° 168],
conditions parmi lesquelles figure la proportionnalité pour de nombreux cas de
privation de liberté [v. pour la synthèse de la jurisprudence européenne quant
à son contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de la privation de
liberté CEDH,
gde ch., 29 janv. 2008, Saadi c. Royaume-Uni,
req. n° 13229/03 : Rec. CEDH ; AJDA,
2008, p. 978, chron. J.‑F. Flauss].
Une nouvelle fois, le raisonnement n’est toutefois pas novateur, la Cour
européenne des droits de l’Homme ayant découvert dans l’article 3 une autre
cause de libération, concernant le détenu à l’état de santé incompatible avec
la détention [Mouisel : préc.].
L’arrêt Bodein rappelle toutefois que la « perspective d’élargissement » peut constituer
un long cheminement vers l’obtention de la libération, pour être satisfaite par
une procédure en deux temps, le premier tenant dans la saisine d’une autorité
chargée de lever le régime dérogatoire de la peine perpétuelle, le second, en
cas de relèvement acquis, tenant dans la saisine de l’autorité judiciaire
chargée d’apprécier l’opportunité d’accorder les mesures d’aménagement de
peine, en application du droit commun [v. aussi Harakchiev et Tolumov : préc. ;
la perspective d’élargissement validée, à la suite de la réforme du droit de
grâce, résidait dans la commutation par l’autorité exécutive de la peine
perpétuelle dérogatoire en une peine perpétuelle ordinaire, autorisant alors le
condamné à pouvoir bénéficier de la libération conditionnelle, devant
l’autorité judiciaire compétente, selon les conditions de droit commun] :
le droit au réexamen ne saurait s’analyser comme offrant à la personne
condamnée la possibilité de saisir directement l’autorité compétente pour la libérer. On notera malgré tout une curiosité de l’arrêt Bodein : si la Cour cite bien l’article 720-4 du Code de
procédure pénale dans sa version à jour, datant de la loi
n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions
de la criminalité [J.
O., 10 mars 2004, p. 4567], applicable au 1er janvier 2005 [art.
207 II de la loi], dans sa partie consacrée au droit et à la pratique internes
pertinents [Bodein : préc. ; § 20], elle se réfère en
revanche au contenu de l’ancienne disposition, celui antérieur à la
modification législative, dans son raisonnement sur l’existence du droit au
réexamen, donc sur des éléments qui ont disparu de la législation, alors même
qu’elle renvoie malgré tout dans celui-ci à la retranscription de la
disposition au contenu différent figurant dans la précédente partie [ibid., § 58 : « Conformément à l’article 720-4 du code de
procédure pénale (paragraphe 21 ci-dessus), à l’expiration d’une période de
trente ans d’incarcération, le condamné est susceptible de bénéficier d’une
mesure d’aménagement de peine. Pour cela, il faut que le juge de l’application
des peines désigne un collège de trois experts médicaux avec mission de se
prononcer sur l’état de dangerosité du condamné. Ensuite, il incombe à une
commission de magistrats de la Cour de cassation de juger, au vu de l’avis du
collège d’experts, s’il y a lieu de mettre fin à l’application de la décision
de la cour d’assises. En cas de décision favorable, le requérant recouvrera
alors la possibilité de demander un aménagement de peine. »]. Le sens
à donner à cette curiosité interroge [si l’ancien régime législatif était
applicable au moment du mandat de dépôt décerné contre le requérant, pour être
antérieur au 1er janvier 2005, l’existence du droit au réexamen s’apprécie en
principe au moment de l’imposition de la peine perpétuelle, fixée par la Cour à
la condamnation en appel du requérant, soit à une date postérieure au 1er
janvier 2005 – v. infra, n° 16], sauf à la considérer simplement comme une
erreur. À défaut, il ressortirait du raisonnement mené sur l’ancien droit que
l’ajout d’un troisième temps, dans le cheminement permettant in fine l’obtention de la mesure
d’aménagement de peine, ne serait pas forcément contraire à la caractérisation
d’une « perspective d’élargissement »,
malgré la lourdeur du processus. En effet, dans le droit antérieur, le juge
d’application des peines « pouvait »
déclencher la procédure, la loi lui en donnant la faculté, celle-ci s’ajoutant
à la faculté de la Commission de relever la période de sûreté et à la faculté
du juge de l’aménagement des peines d’accorder l’élargissement, la réserve
constitutionnelle posée lors de l’instauration de la perpétuité réelle ne modifiant rien à l’existence
de ce troisième échelon, pour préciser uniquement que la disposition devait
s’entendre comme « ouvrant au
ministère public et au condamné le droit de saisir le juge de l'application des
peines », et non comme leur ouvrant directement le droit de saisir la
Commission des magistrats de la Cour de cassation, alors compétente [déc.
n° 93-334 DC du 20 janv. 1994 : préc. ;
consid. n° 13].
15.
Appréciation de jure de la « perspective d’élargissement »
offerte par le droit au réexamen. La confrontation de la
Cour européenne des droits de l’Homme à des cas de peine perpétuelle répressive peu usités et parfois récents
empêche un examen poussé de l’existence d’une « perspective d’élargissement » de facto, du fait du défaut d’éléments connus sur la pratique des
États en la matière. De telles circonstances ne l’avaient pas empêchée
d’étudier longuement, lorsqu’elle s’en contentait, de l’existence d’une moindre
chance d’être libéré, dans les faits, et non seulement en droit [Iorgov (n° 2) : préc. ; § 53 et s.]. La
Cour européenne des droits de l’Homme apparaît désormais moins s’intéresser à
ces vérifications, alors qu’elle a conclu, dans l’affaire française, à l’existence
d’une perspective d’élargissement offerte par le relèvement de la perpétuité réelle, tout en notant le défaut « d’applications concrètes à ce jour de
celui-ci » [Bodein : préc. ; § 60]. Elle n’a donc pas
cherché au-delà à s’appuyer sur les statistiques des relèvements accordés pour
les peines perpétuelles de droit commun, ou même pour les longues peines à
temps, pouvant aussi être assorties d’une période de sûreté, ni ne s’est
intéressée à la lourdeur de la procédure, qui suppose la réalisation d’une
expertise sur « l’état de
dangerosité » par un collège de trois experts inscrits sur la liste
des experts agréés près la Cour de cassation, ni n’a relevé, au contraire, le
double assouplissement du mécanisme réalisé par la dernière réforme, puisque le
relèvement est désormais tranché par une juridiction de droit commun, le
tribunal de l’application des peines, rompant avec solennité de la composition
de la juridiction autrefois compétente, et puisque le Tribunal de l’application
des peines peut désormais directement être saisi par le condamné, le juge
d’application des peines perdant sa faculté d’initier la procédure [v. l’ancien
et le nouvel art. 720-4 CPP]. Il est vrai que le droit français, pour confier
le relèvement au juge judiciaire, dans le respect des grandes garanties du
procès équitable [le Tribunal de l’application des peines statue selon les
modalités posées à l’article
712-7 du Code de procédure pénale], dépasse le standard
européen du droit au réexamen, et cette raison a sans doute participé à la
modération du contrôle réalisé par la Cour européenne des droits de l’Homme de
la « perspective d’élargissement ».
16.
Appréciation souple du temps d’épreuve : quand trente font vingt-cinq. Dans
le standard défini par l’arrêt de Grande chambre Vinter, la fixation précise du temps d’épreuve ouvrant le droit au
réexamen à vingt‑cinq ans apparaissait téméraire, et d’une certaine manière,
comme la contrepartie du refus d’imposer un recours judiciaire, par égard pour
la marge d’appréciation des États, les deux principes figurant au même
paragraphe, sans d’ailleurs que la Cour ne communique expressément sa référence
à la marge d’appréciation à ses développements concernant spécifiquement la
détermination du temps d’épreuve [Vinter,
gde ch. : préc. ; § 120 :
« cela étant, elle constate aussi
qu’il se dégage des éléments de droit comparé et de droit international
produits devant elle une nette tendance en faveur de l’instauration d’un
mécanisme spécial garantissant un premier réexamen dans un délai de vingt-cinq
ans au plus après l’imposition de la peine perpétuelle »]. Un tel
délai, existant dans le système juridique anglo-saxon [ibid., § 90], était surtout inspiré du droit applicable aux peines
perpétuelles prononcées par la Cour pénale internationale, organisant au bout
de ce même délai un réexamen [ibid.,
§ 118 – le même statut avait préalablement servi dans une opinion partiellement
dissidente commune aux juges tulkens,
Cabral Barreto, Fura‑Sandström, Spielmann et Jebens sous l’arrêt précité
de Grande chambre Kafkaris pour pour
appuyer leur exigence d’un meilleur contrôle de la peine perpétuelle sur le
fondement de l’article 3]. Cette irruption du droit de la Cour pénale
internationale dans le contrôle européen de la matière pénale, au moins quant
au contrôle de l’exécution des peines, est sûrement à suivre. C’est en tout cas
le respect de la condition de délai qui faisait peser le plus de doute sur la
compatibilité à la Convention européenne des droits de l’Homme de la procédure
de relèvement française, accessible lorsque le condamné « a subi une incarcération d'une durée au
moins égale à trente ans » [art. 720-4 CPP], soit une durée
substantiellement supérieure au délai de vingt-cinq ans.
C’est en décalant le
point de départ de la période de sûreté du droit français du point de départ du
temps d’épreuve fixé par sa jurisprudence que la Cour européenne des droits de
l’Homme a abouti au constat de conventionnalité, le droit français respectant presque le délai de vingt‑cinq ans, dans
une appréciation in concreto, tranchant
avec la fixation abstraite du délai dans l’arrêt de Grande chambre Vinter. Il est désormais clair que le
délai de vingt-cinq ans posé par ce dernier arrêt part effectivement « après
l’imposition de la peine perpétuelle » [la citation issue de l’arrêt Vinter est reprise dans l’arrêt Bodein : préc. ; § 61], sans considération aucune pour la
détention provisoire éventuellement exécutée auparavant pour la même affaire. En
l’espèce, le moment de « l’imposition »
de la perpétuité réelle est fixé par
la Cour européenne des droits de l’Homme à la condamnation de la Cour d’assises
saisie en appel [Bodein : préc. ; § 61], nonobstant la
condamnation à la même peine en première instance ou encore la formulation par
le requérant d’un pourvoi en cassation tranché en 2010, condamnation en appel qui ne correspond pas, dans la
jurisprudence européenne, au moment à partir duquel la peine débute [de
jurisprudence constante, la détention provisoire prend fin au premier jugement
de condamnation sur le fond, la privation de liberté ultérieure relevant toujours,
indépendamment de la qualification interne, de la détention « après condamnation par un tribunal compétent »
- CEDH,
ch., 27 juin 1966, Wemhoff c. Allemagne,
req. n° 2122/64 : Rec. CEDH, série A, n° 7], ni ne correspond, en droit interne,
au moment à partir duquel la peine est devenue exécutoire [la peine en
droit français devient exécutoire au moment à partir duquel la décision de
condamnation est devenue définitive - art.
708 CPP -, ce qui ressort, concernant notamment la peine
privative de liberté, d’une combinaison de différentes dispositions du
Code de procédure pénale: « pendant
les délais d'appel et durant l'instance d'appel, il est sursis à l'exécution de
l'arrêt sur l'action publique » – art. 381-4
CPP
-, alors que, « dans les autres cas,
tant que l'arrêt n'est pas définitif et, le cas échéant, pendant l'instance
d'appel, l'arrêt de la cour d'assises vaut titre de détention jusqu'à ce que la
durée de détention ait atteint celle de la peine prononcée » - art.
367 CPP -, et que « pendant les délais du recours en cassation et, s'il y a eu recours,
jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour de cassation, il est sursis à
l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel »- art. 569
CPP
– l’article
148-1 du Code de procédure pénale fixe d’ailleurs la
juridiction compétente pour statuer sur une demande de remise en liberté
« en cas de pourvoi et jusqu’à
l’arrêt de la Cour de cassation », notamment lorsque « le pourvoi a été formé contre un arrêt de la
cour d'assises »]. Le raisonnement servant à la fixation du moment
d’imposition de la peine perpétuelle aurait sans doute gagné à être plus
longuement expliqué, d’autant plus pour un élément devenu primordial concernant
le contrôle de la peine perpétuelle répressive,
à moins que la Cour n’ait tranché par opportunité. En effet, selon le mode de
calcul adopté par la Cour européenne des droits de l’Homme, celui‑ci situant le
point de départ de la période de sûreté au mandat de dépôt, soit en l’espèce le
1er juillet 2004, si bien que le condamné devenait éligible au
relèvement en 2034 selon le délai de l’article 720-4, la fixation de l’« imposition » de la perpétuité à la
première condamnation sur le fond, soit en juillet 2007, aboutissait à établir
un temps d’épreuve au droit au réexamen de vingt-sept ans, tandis que la
fixation de l’imposition à la condamnation d’appel, soit en octobre 2008,
aboutissait à la mesure d’un dépassement plus acceptable du délai européen, pour
établir un temps d’épreuve de vingt-six ans. C’est d’ailleurs, en retenant
cette seconde solution, au regard du faible dépassement du délai de vingt-cinq
ans, qualifié désormais de simple « tendance »
[ibid., § 61], dans une citation
tronquée de l’arrêt de Grande chambre qui relevait une « nette tendance » [Vinter, gde ch. : préc. ; § 120], compte-tenu « de la marge d’appréciation des États en
matière de justice criminelle et de détermination des peines » [Bodein., § 61], considération pourtant
non visée par la Grande chambre dans l’arrêt Vinter dans ses développements fixant le temps d’épreuve [Vinter, gde ch. : préc. ; § 120], que la Cour
européenne des droits de l’Homme écartait la violation.
17.
La critique de la fixation du point de départ du temps d’épreuve du droit au
réexamen à l’ « imposition »
de la peine perpétuelle. C’est donc la durée de la détention
provisoire qui a permis d’éviter la condamnation française, et de ce point de
vue, le risque de violation ultérieure, malgré le délai légal français de
trente ans, apparaît limité, puisque, dans un schéma procédural classique, la détention
provisoire sera toujours prononcée au regard de la gravité des infractions
concernées par la perpétuité réelle, plus encore si le condamné fait appel de
sa condamnation, ce qui aboutit mécaniquement à l’allonger. Le risque de
constat de violation de l’article 3 n’est pas non plus définitivement écarté
pour le droit français, en cas de courte durée de détention provisoire, par
exemple en cas d’affaire simple cumulé au non‑exercice de la voie de recours.
Il n’est en tout cas guère satisfaisant que des éléments hasardeux comme la
complexité de l’affaire ou le choix du condamné d’exercer des voies de recours
aient un poids autant prépondérant dans la détermination de la violation de la
Convention, pour les États qui, comme la France, interdiraient le droit au
réexamen pendant un temps d’épreuve supérieur à vingt-cinq ans, tout en fixant son
point de départ au placement en détention provisoire. Surtout, dès lors que la
Cour européenne des droits de l’Homme fixe le départ de la période de sûreté en
l’espèce au mandat de dépôt par l’examen des seules dispositions législatives
françaises, du fait de l’imputation de la détention provisoire sur la peine [art.
716‑4 CPP], en l’absence de précision supplémentaire dans les
dispositions réglant la période de sûreté [l’art. 720-4 vise seulement
l’« incarcération » comme
point de départ au temps d’épreuve du relèvement], tout en maintenant le point
de départ de son propre temps à l’« imposition »
de la peine perpétuelle [Bodein :
préc. ; § 61], le choix d’imputer
ou non la durée de la détention provisoire dans la période répressive de la
peine perpétuelle se trouve dans la marge d’appréciation des États, tant que le
droit au réexamen intervient dans un délai de vingt-cinq ans après l’« imposition ». L’harmonisation des
législations nationales par le standard européen apparaît ainsi compromise,
tant la durée de privation de liberté déjà exécutée, celle résultant du cumul
entre la durée de la détention provisoire et celle de la peine entamée depuis l’« imposition »,
avant de pouvoir bénéficier du droit au réexamen, pourra varier en pratique,
selon le choix de l’État, concernant des affaires pour lesquelles le placement
en détention provisoire sera quasiment systématique. Pour ces motifs, la
solution européenne fixant le point de départ du temps d’épreuve du droit au
réexamen à l’« imposition »
de la peine perpétuelle n’apparaît pas d’une fiabilité incontestable, alors que
la fixation du point de départ du délai au mandat de dépôt dans le standard
européen devrait plus logiquement s’imposer.
18.
Appréciation souple de la qualité de la loi. La Cour
européenne des droits de l’Homme a imposé au droit au réexamen un impératif de
sécurité juridique fort : celui-ci doit être prévu dès l’imposition de la
peine perpétuelle, sous peine de violer la Convention, afin de permettre au
condamné de régler sa conduite dès cet instant [Vinter, gde ch. : préc. ;
§ 122 : « il serait
inconséquent d’attendre du détenu qu’il œuvre à sa propre réinsertion alors
qu’il ne sait pas si, à une date future inconnue, un mécanisme permettant
d’envisager son élargissement eu égard à ses efforts de réinsertion sera ou non
instauré », si bien qu’« un
détenu condamné à la perpétuité réelle a le droit de savoir, dès le début de sa
peine, ce qu’il doit faire pour que sa libération soit envisagée et ce que sont
les conditions applicable »]. La Cour européenne des droits de l’Homme
en a même tiré une conséquence prometteuse pour dégager l’obligation pour
l’État d’apporter un contenu à la peine perpétuelle répressive de nature à permettre au condamné de bénéficier du droit
au réexamen, même si sa portée doit encore être précisée [Harakchiev et Tolumov :
préc. ; v. notre
chron., n° 26]. Pourtant, la qualité de la loi organisant
le droit au réexamen ne fait pas l’objet d’un contrôle poussé, nouvelle preuve
de la marge d’appréciation demeurant en la matière. Dans l’arrêt Bodein, la démonstration européenne
faisant du point de départ de la période de sûreté le mandat de dépôt apparaît
légère, pour se cantonner au principe général de l’imputation de la détention
provisoire sur la peine dans la législation nationale, sans étude de la
jurisprudence [ibid., § 61], pourtant
utile au regard de la contestation récente d’une telle solution en pratique et
en doctrine, principalement en cas d’exécution en même temps que la détention
provisoire d’une peine privative de liberté pour des faits distincts,
aboutissant à un arrêt récent important de la Chambre criminelle, confortant,
il est vrai, la solution européenne [Cass. crim., 25 juin 2014, n° 14-81.793 : à
paraître au Bulletin ; v.
notre
chron., n° 4]. Quant au débat français, les tenants de la
contestation de la large imputation de la détention provisoire sur la période
de sûreté se trouvent confortés par l’arrêt Bodein,
puisque la Cour européenne des droits de l’Homme elle-même fait partir le point
de départ du temps d’épreuve du droit au réexamen à l’« imposition de la peine perpétuelle »,
et non du placement en détention provisoire, ce qui a pour effet de retarder
son épuisement. S’il serait tentant d’attribuer la mansuétude européenne,
observée ici et à plusieurs autres endroits dans son contrôle de la perpétuité réelle française à la gravité des crimes
commis par le requérant et à l’émotion importante suscitée par ceux-ci, voire
de négliger les différents apports de l’arrêt Bodein pour cette raison, un tel raisonnement n’est pas vraiment
convainquant, alors que le contentieux de la peine perpétuelle répressive amène par nature la Cour
européenne des droits de l’Homme à traiter de faits de délinquance
particulièrement graves. D’ailleurs, celle-ci a déjà exercé en la matière un
contrôle lâche de la qualité de la loi organisant le droit au réexamen [v. par
ex. pour le brevet de conventionnalité donné par avance à une procédure de
grâce encadrée pour rationaliser son usage à la suite d’une réforme, malgré le
regret de la Cour, formulé expressément, concernant la faiblesse de la valeur
des sources, Harakchiev et Tolumov :
préc. ; § 261 : v. notre chron., n° 54]. Outre la portée des apports de l’arrêt de
Grande chambre Vinter, rendue
incertaine sur plusieurs points par les apports de l’arrêt Bodein, ces derniers rendent également incertaines les potentialités
de la consécration du droit au réexamen.
B. Les potentialités incertaines de la consécration du droit au réexamen au cours de la peine perpétuelle répressive
19.
La potentialité négative : la confortation de la théorie du contrôle
incorporé. La progression, depuis l’arrêt Iorgov (n° 2), de la
réduction du pouvoir discrétionnaire, voire arbitraire, précédemment abandonné
au profit des autorités, dans l’exécution de la peine perpétuelle répressive, ne doit pas masquer le
mouvement de la jurisprudence européenne plus ancien, en marche vers l’abandon
de la théorie du contrôle incorporé pour la peine perpétuelle. C’est que,
progressivement, la théorie de la peine perpétuelle sécable s’étendait, multipliant les cas d’application de l’article
5 § 4 à la peine perpétuelle, la jurisprudence élargissant à chaque fois ses
démonstrations caractérisant la double nature de la peine perpétuelle et établissant
le passage de la peine perpétuelle dans sa partie de sûreté par extinction de
sa partie répressive. La Cour européenne des droits de l’Homme s’est d’abord intéressée
aux motivations du juge ayant prononcé la peine perpétuelle pour justifier son choix, afin d’opérer ses opérations de requalification [v. pour
la peine perpétuelle discrétionnaire anglaise, Weeks : préc. ;
§ 46 : le juge s’était prononcé ainsi : « (...) les circonstances de l’infraction et les
témoignages relatifs à la personnalité et au caractère de l’accusé (...) me convainquent qu’il s’agit (...) d’un jeune homme très dangereux. (...) Une sanction de durée indéterminée me
paraît adéquate pour quelqu’un de cet âge, de cette personnalité et de ce
caractère, enclin à un tel comportement. Il appartiendra donc au ministre de le
libérer si les personnes chargées d’observer et d’examiner l’intéressé estiment
que le temps l’a rendu raisonnable. Cela peut aller vite, ou au contraire ne
pas se produire avant longtemps ; j’ignore ce qui arrivera. (...) quant au premier chef d’accusation, je pense
que la juste conclusion, si terrible qu’elle puisse sembler, consiste à
prononcer la peine que la loi m’autorise à infliger pour un vol qualifié et
pour une agression avec intention de commettre ce type de vol : la prison à
perpétuité. Le ministre pourra intervenir dans le cas et au moment où il jugera
prudent de le faire ».] ; elle avait ensuite inclus dans son
analyse la pratique judiciaire de la peine perpétuelle [v. pour la même peine
que dans l’affaire précédente, le constat de son utilisation en pratique pour
réprimer les auteurs d’infractions graves aussi instables mentalement,
caractérisant sa double finalité, et le constat de l’extinction de la période
répressive de la peine du fait de l’obtention d’une libération conditionnelle
ou simplement de l’utilisation des déclarations des autorités étatiques CEDH,
plén., 25 oct. 1990, Thynne,
Wilson et Gunnel c. Royaume-Uni, req. nos 11787/85, 11978/86 et
12009/86 : Rec. CEDH,
série A, n° 190-A ; RSC, 1991, p.
144, obs. L. E. Pettiti] ;
elle a aussi étendu ses raisonnements à la personnalité du condamné [la peine
perpétuelle anglaise « pour la durée
qu’il plaira sa majesté », pourtant automatique, donc a priori répressive pour réprimer
uniquement la gravité des actes commis, était qualifiée de sécable, par nature, dès lors qu’elle concernait des mineurs, car il
convient de « tenir compte des
modifications qui interviennent inévitablement avec la maturité » - CEDH,
ch., 21 févr. 1996, Singh et
Hussain c. Royaume-Uni,
2 espèces, req. nos 23389/94 et 21928/93 : Rec. CEDH,
1996‑I ; RSC, 1997, p. 460,
obs. R. Koering-Joulin ;
RSC, 1996, p. 933, obs. L.‑E. Pettiti : § 53] ; la
Cour européenne des droits de l’Homme a aussi intégré dans ses démonstrations
la mise en évidence abstraite d’un mécanisme législatif bloquant la libération
conditionnelle durant une première partie de peine, qu’il s’agisse du « tariff » anglais [CEDH,
gde ch., 28 mai 2002, Stafford c.
Royaume-Uni, req. n° 46295/99 : Rec. CEDH, 2002-IV ; D.,
2003, p. 919, chron. J.‑P. Céré,
M. Herzog‑Evans, É. Péchillon ; § 79 – la
progression de l’abandon de la théorie du contrôle incorporé était ici nette,
pour concerner la peine perpétuelle obligatoire ou automatique, qualifiée
préalablement de peine perpétuelle répressive ;
v. sur la solution plus ancienne, CEDH,
18 juil. 1994, Wynne c.
Royaume-Uni, req. n° 15484/89
:
Rec. CEDH, série A,
n° 294-A ; RSC, 1994, p.
796, obs. L.-E. Pettiti ;
§ 35] ou de la période de sûreté française couvrant partiellement la durée
de la peine perpétuelle [v. dans un obiter
dictum, Léger, sect. II : préc.
– l’arrêt marquait un indéniable progrès de l’extension de la théorie de
la peine perpétuelle sécable pour sortir
des affaires anglaises] ; dans une extension toujours plus grande, la Cour
européenne des droits de l’Homme a même inclus dans ses raisonnements l’étude
des seuls motifs des décisions internes rejetant l’octroi d’une libération
conditionnelle, caractérisant la peine perpétuelle sécable du simple fait « qu’elles
ne sont pas dénuées de lien avec la dangerosité du requérant » [Léger, sect. II : préc. ; § 75 : en l’espèce, la
peine perpétuelle du requérant n’avait pas été assortie de la période de sûreté].
L’arrêt Léger de Section avait même
fini par poser un principe fort concernant le contrôle judiciaire de la proportionnalité
de la peine perpétuelle sécable :
« dès lors qu’il a été satisfait à
l’élément punitif de la sentence, tout maintien en détention doit être motivé
par des considérations de risque et de dangerosité » [ibid., § 91 - l’affaire a été radiée du rôle avant la saisine de la
Grande chambre ; CEDH,
gde ch., 30 mars 2009, Léger c. France,
req. n° 19324/02, radiation ;
RSC, 2009, p. 654, note D. Roets ;
D., 2009, p. 1453, obs. J.‑F. Renucci]. Les derniers arrêts
rendus sur le fondement de l’article 3 interrogent directement sur la portée de
cette jurisprudence étendant les cas de peine perpétuelle sécable. Cependant, le développement du droit au réexamen sur le
fondement de la dignité n’a concerné jusqu’à présent que des cas de peines
perpétuelles dérogatoires, laissant penser que la théorie de la peine perpétuelle
sécable persiste pour la peine
perpétuelle de droit commun [la Cour européenne des droits de l’Homme a
maintenu cette jurisprudence concernant les peines perpétuelles anglaises IPP,
soumises au « tariff »,
dont la nature sécable était assez
évidente, pour concerner des délinquants récidivistes, même pour des
infractions de gravité limitée ; CEDH,
sect. IV, 18 sept. 2012, James, Wells et
Lee c. Royaume-Uni, req. nos 25119/09, 57715/09,
57877/09 et 18/09/2012, en angl. : D., actu., 8 oct. 2012, obs. O. Bachelet ; Dr. pénal, 2013, n° 4, chron. E.
Dreyer]. On ne peut nier toutefois que la marche forcée vers l’abandon
de la théorie du contrôle incorporé a subi un coup d’arrêt, les cas les plus
sévères de perpétuité résistant toujours [à l’issue de ce mouvement
jurisprudentiel, il semble cependant que la peine perpétuelle obligatoire ou
automatique n’est plus un cas de perpétuité répressive
par nature, sauf à ce que s’ajoute un dispositif excluant par principe
l’octroi de mesures d’aménagement durant la totalité de son exécution].
20.
L’introuvable justification de la mise à l’écart du Tribunal du droit au
réexamen. L’arrêt Bodein,
en rappelant que le droit au réexamen doit avoir « précisément pour but de se prononcer sur [la] dangerosité [du condamné] et de prendre
en compte son évolution au cours de l’exécution de sa peine » [Bodein : préc. ; § 60], rappelle que la peine perpétuelle semble
toujours, au bout d’un certain temps, se transformer en mesure de sûreté,
justifiant un contrôle judiciaire périodique de sa proportionnalité sur le
fondement de l’article 5 § 4 pour la peine perpétuelle sécable ou justifiant un réexamen par une autorité même dépendante
sur le fondement de l’article 3. Il ne semble pas plus y avoir de perpétuité
vraiment réelle que de peine
perpétuelle vraiment répressive. Si
l’on rapproche la citation de l’arrêt Bodein
reprise plus haut pour la peine perpétuelle répressive
de celle de l’arrêt de Section Léger
pour la peine perpétuelle sécable, selon laquelle « dès lors qu’il a été satisfait à l’élément punitif de la sentence, tout
maintien en détention doit être motivé par des considérations de risque et de
dangerosité » [Léger, sect.
II : préc. ; § 91], on
a bien du mal à saisir la distinction si fondamentale qui justifie pour le
second cas l’intervention du Tribunal et qui l’exclut pour le premier. Le
rapprochement entre les deux types de peine perpétuelle apparaît plus fragrant
encore quant à la déformation de l’article 3 pour lui conférer tous les
attributs du droit de recours au Tribunal de l’article 5 § 4 – contrôle de
proportionnalité, pouvoir de libération, périodicité – en dehors de son
caractère judiciaire. Un pas supplémentaire a d’ailleurs été franchi dans
l’alignement des deux types de peine perpétuelle dans la jurisprudence
européenne qui impose pour chacune l’obligation d’apporter un contenu adapté à
la personne condamnée [Harakchiev et Tolumov : préc. ; v.
notre
chron., n° 26]. Plus encore, le refus d’entrouvrir au
condamné la « perspective d’élargissement »
par l’autorité nationale du fait du maintien de la dangerosité devrait aboutir
à la requalification de la peine perpétuelle répressive en peine perpétuelle sécable
au regard de la jurisprudence de Section Léger
[préc. : v. supra, n° 19], sauf à abandonner son
apport. Compte-tenu de ces convergences, l’application de l’article 5 § 4 à la
peine perpétuelle devrait toujours être reconnue, au plus tard dans un temps
d’épreuve de vingt-cinq ans, la marge d’appréciation des États devant d’abord
servir à faire fluctuer non pas le principe même de l’intervention du Tribunal,
mais ses modalités, notamment les mécanismes procéduraux de sécurité, par
exemple quant aux différentes expertises ou à la solennité de la juridiction
saisie.
21.
La potentialité positive : un meilleur encadrement des longues peines à
temps. Alors que la Cour européenne des droits de l’Homme,
par principe, refuse d’assurer le contrôle du quantum de la peine privative de liberté à temps et de son
aménagement [Léger, sect. II : préc. ; § 72 : l’article 5 de
la Convention ne permet pas de « contrôler
le bien-fondé de la condamnation initiale », ni du « bien-fondé de la durée d’une détention »,
tandis que « les questions se rapportant
au caractère approprié de la peine sortent en général du champ d’application de
la Convention » : elle refuse « de
décider quelle est la durée de détention qui convient pour une infraction
donnée »], la fixation jurisprudentielle du temps d’épreuve à vingt-cinq
ans pour le droit au réexamen de la peine perpétuelle répressive pourrait forcer la Cour à amender sa position classique.
Si l’on suit le droit français, qui fait correspondre au temps d’épreuve du
relèvement l’échelon le plus sévère
de la peine à temps, construction finalement logique, dès lors que l’on admet
que la peine perpétuelle a toujours une double finalité, sa première partie
répressive, avant son basculement dans sa partie de sûreté, correspondant en
réalité à l’application de la mesure « purement »
répressive, donc la peine à temps, la plus sévère du droit national, au regard
de la gravité des infractions commises, c’est directement l’échelon de peine de
trente ans de réclusion criminelle qui apparaît menacé de remplacement par un
nouvel échelon maximum de vingt-cinq ans pour la peine à temps, correspondant
au délai d’épreuve du droit européen. La réalisation d’une telle éventualité, qu’on
imagine au mieux lointaine, aurait sans doute d’autres conséquences encore en
droit français, pour remettre en cause aussi vraisemblablement l’échelon de
vingt ans, qui pourrait être considéré comme trop rapproché du nouvel échelon de
peine à temps le plus sévère de référence. De ce point de vue, la fixation du
point de départ du temps d’épreuve européen à l’« imposition de la peine perpétuelle », plutôt qu’au mandat de dépôt,
permet aussi opportunément de préserver l’échelon de trente ans.
En tout cas, deux
outils, qui prennent de l’ampleur dans la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’Homme, annoncent son meilleur contrôle de la peine à temps.
D’abord, la Cour emploie de plus en plus souvent l’article 10 § 3 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, qui dispose que « le régime pénitentiaire comporte un
traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur
reclassement social », pour développer ses différents contrôles de la peine
perpétuelle.[v. Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 263 – v. Vinter,
gde ch. : préc. ; § 118 –
v. James, Wells et Lee : préc. ; § 208 – v. sur l’apport de
la disposition quant au développement du contrôle du contenu de la peine
perpétuelle, notre
chron., n° 26]. Le champ d’application de la disposition
n’est pourtant pas limité aux condamnés à des peines perpétuelles. Ensuite, la
Cour européenne des droits de l’Homme s’est octroyée un nouveau contrôle de la
peine sur le fondement de l’article 3, celui de sa « nette disproportion », dont la Cour a expressément reconnu son
application à toute peine, même s’il n’a pas donné lieu encore à un constat de
violation de la Convention [CEDH,
sect. IV, 10 avr. 2012, Babar Ahmad et
autres c. Royaume-Uni, req. nos 24027/07, 11949/08, 36742/08,
66911/09 et 67354/09, en angl. ; § 237 : la Cour
utilise l’expression de « gross
disproportionality » – CEDH,
sect. IV, 17 janv. 2012, Harkins et
Edwards c. Royaume-Uni, req. nos 9146/07 et 32650/07
; RDP, 2013, chron., p. 725, obs. B. Pastre-Belda ; D., actu., 6 févr. 2012, obs. O. Bachelet : en l’espèce, la Cour vérifiait le
discernement de l’extradé et sa majorité au moment des faits, la gravité de
l’infraction poursuivie, un meurtre aggravé, en dehors de ces hypothèses,
suffisant à écarter la disproportion manifeste même concernant la peine
perpétuelle obligatoire sans possibilité de libération conditionnelle encourue
par l’individu en cas d’exécution de son extradition, et la Cour indiquait en plus que son contrôle de
la disproportion devait être plus souple encore en cas de peine perpétuelle
discrétionnaire, du fait du contrôle juridictionnel initial entier réalisé lors
de la décision de condamnation – Vinter,
gde ch. : préc. ; § 102 : « toute peine nettement disproportionnée est
contraire à l’article 3 de la Convention », étant précisé « qu’il ne sera satisfait au critère de la
nette disproportion que dans des cas rares et exceptionnels »]. Sans
doute faudra-t-il suivre attentivement dorénavant le sort réservé à ces deux
outils, notamment dans le domaine de la peine à temps, la réduction plus
décisive de la marge d’appréciation des États dans le domaine de la peine perpétuelle
exigeant sans doute une réduction de la même marge dans le domaine de la peine
à temps, pour conserver les équilibres de la répression.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire