1.
L’application constitutionnelle du bref délai à la Chambre de l’instruction
saisie après cassation en matière de détention provisoire. Le droit
français organise un contrôle vertical [impliquant plusieurs degrés de
juridiction] et horizontal [impliquant périodiquement le juge de premier degré]
de la légalité de la détention provisoire, dépassant ainsi la Convention
européenne des droits de l’Homme [la Convention exige un contrôle horizontal
périodique, au regard de son article 5 § 4, mais celui-ci n’impose pas
l’adoption d’un double degré de juridiction ; v. infra, n° 3] : ainsi, le prévenu peut à tout moment demander
sa mise en liberté [art.
148 CPP], comme il peut former appel devant la chambre de
l’instruction de la décision ordonnant son placement en détention, rejetant sa
mise en liberté ou prolongeant sa détention provisoire aux échéances légales [art.
194 CPP], et former un pourvoi contre l’arrêt de la chambre
de l’instruction le maintenant en détention provisoire [art.
567-2 du CPP]. Les différentes dispositions précitées
obligent les différents juges à trancher la contestation du maintien en
détention provisoire dans un délai impératif dont le dépassement est sanctionné
de la mise en liberté d’office. Cependant, aucune disposition légale expresse
n’encadre le délai dans lequel la Chambre de l’instruction, saisie après
cassation en matière de détention provisoire, doit trancher la question du
maintien en privation de liberté, l’interprétation littérale de l’article 194
du Code de procédure, qui prévoit qu’« en
matière de détention provisoire, la chambre de l'instruction doit se prononcer
dans les plus brefs délais et au plus tard dans les dix jours […] lorsqu'il s'agit d'une ordonnance de
placement en détention et dans les quinze jours dans les autres cas »,
excluant l’application de la disposition à cette hypothèse, pour viser
expressément « l’appel »,
solution adoptée dans une jurisprudence constante par la Chambre criminelle [Cass.
crim., 21 nov. 1968, n° 68-92.213 : Bull. crim., n° 311 – Cass.
crim., 27 mars 2001, n° 01-80.549 : inédit - Cass.
crim., 10 avril 2002, n° 02-80.886 : inédit - Cass.
crim., 8 juil. 2009, n° 09-82.492 : inédit - Cass.
crim., 24 mai 2011, n° 11-81.118 : inédit]. À défaut de précision légale, la
célérité, dans laquelle la chambre de l’instruction saisie par renvoi après
cassation tranchait la question de la détention provisoire, était très variable
selon les cas [l’avocat d’un des demandeurs dans
ses observations orales devant le Conseil constitutionnel
évoquait dans une affaire un délai de douze jours et dans une autre un délai de
six mois]. Dans le cadre d’une question prioritaire constitutionnalité contestant
ce défaut au regard des principes plaçant la privation de liberté sous le
contrôle du juge judiciaire [v. pour la décision de renvoi, Cass.
crim., 12 nov. 2014, n° 14-86.016 : inédit], le Conseil constitutionnel a
conclu à l’absence de violation de la Constitution, tout en posant une réserve
d’interprétation, rappelant « qu'en
matière de privation de liberté, le droit à un recours juridictionnel effectif
impose que le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais »
et qu’en conséquence, « il
appartient aux autorités judiciaires, sous le contrôle de la Cour de cassation,
de veiller au respect de cette exigence y compris lorsque la chambre de
l'instruction statue sur renvoi de la Cour de cassation » [Cons.
const., déc. n° 2014-446 QPC du 29 janv. 2015, [M. Maxime T.] : J. O., 31 janv. 2015, p. 1502 ; le Conseil constitutionnel
avait été saisi d’un autre grief, tenant à l’atteinte au principe d’égalité,
également rejeté, problème qui ne sera pas traité dans ces lignes]. Le Conseil
constitutionnel a donc choisi de ne pas forcer le législateur à se saisir de la
question, mais plutôt de remédier lui-même à la lacune législative par une
réserve d’interprétation, peut-être au regard du caractère exceptionnel d’une
telle situation, alors même que la Cour de cassation, dans
son rapport annuel de 2013, avait suggéré une modification de
la loi en la matière, simple proposition que le Conseil constitutionnel a
reprise à son compte dans son considérant final [déc. n° 2014-446 QPC du 29
janv. 2015 : préc. ;
consid. n° 14 : « considérant
qu'il est loisible au législateur de modifier les dispositions législatives
contestées pour préciser les délais dans lesquels la chambre de l'instruction
statue en matière de détention provisoire lorsqu'elle est saisie sur renvoi de
la Cour de cassation »]. Une telle solution, finalement peu
surprenante, mérite toutefois quelques rapides observations, ne serait-ce que
pour mesurer l’incidence du pont ainsi créé entre la jurisprudence
constitutionnelle et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’Homme, par la notion de bref délai,
issue de l’article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Nous reviendrons d’abord sur les effets du constat de l’irrégularité de la
décision judiciaire de rang inférieur prononçant ou maintenant en détention
provisoire par la juridiction supérieure saisie d’un recours contre la légalité
de celle-ci (n° 2), ensuite sur les
contours de la constitutionnalisation de la notion de bref délai (n° 3) et
enfin sur les effets de l’application du bref
délai à la chambre de l’instruction saisie sur renvoi après cassation de la
question du maintien en privation de liberté (n° 4).
2.
Les effets du constat de l’irrégularité
de la décision judiciaire de rang inférieur prononçant ou maintenant en
détention provisoire par la juridiction supérieure saisie d’un recours contre
la légalité de celle-ci. La mise en évidence de certains vices frappant la
décision juridictionnelle prenant le parti de la détention provisoire revient à
établir une « inexistence du titre
de détention » [Cass.
crim., du 4 janv. 1983, n° 82-93.809 : Bull. crim., n° 3 – Cass.
crim., 4 juin 2009, n° 09-81.886 : Bull. crim., n° 113] et un tel
constat entraîne la libération d’office, que le vice soit décelé par la chambre
de l’instruction saisie en appel de la décision critiquée ordonnant le
placement en détention provisoire ou son maintien [Cass.
crim., 10 mai 1995, n° 95-80.975 : Bull. crim., n° 168 ; v. sur ce
point F.-L. Coste, « Chambre
de l’instruction » ; rép. pén.,
n° 441] ou par la Cour de cassation saisie d’un pourvoi contre l’arrêt critiqué
de la chambre de l’instruction prononçant la continuation de la privation de
liberté [dans ce cas, la Cour de cassation, lorsque la privation de liberté est
toujours en cours, « [constate] que
[le prévenu] est détenu sans titre depuis
[le vice] » et « [ordonne] sa mise en
liberté s'il n'est détenu pour autre cause » dans son dispositif, cette
formule étant la plus usitée, même si celle-ci connait des variantes ; v.
les différentes références citées ci-après]. Certains cas constituent des
causes d’inexistence par nature. Ainsi en est-il du dépassement du délai légal encadrant
la saisine de la juridiction et le rendu de sa décision, la loi prévoyant la
sanction de la mise en liberté d’office [v. à chaque fois pour le dépassement
du délai de l’article 194 du Code de procédure pénale, concernant l’appel de l’ordonnance
de maintien en détention provisoire rendu en même temps que le renvoi, Cass.
crim., 28 oct. 2014, n° 14-85.715 : inédit, ou concernant l’appel de l’ordonnance
refusant une demande de mise en liberté, Cass.
crim., 15 janv. 2013, n° 12-87.079 : Bull. crim., n° 13, Cass.
crim., 4 sept. 2012, n° 12-83.997 : Bull. crim., n° 177, Cass.
crim., 20 août 2014, n° 14-83.686 : inédit, Cass.
crim., 24 févr. 2009, nos 08-88.100 et 09-80.553 :
inédit et Cass.
crim., 7 févr. 2012, n° 11-88.494 : Bull. crim., n° 36, ou concernant
l’appel de l’ordonnance de placement en détention provisoire, Cass.
crim., 10 mai 2011, n° 11-80.888 : inédit, ou encore concernant l’appel de
l’ordonnance prolongeant la détention provisoire Cass.
crim., 18 janv. 2011, n° 10-87.525 : Bull. crim., n° 7]. C’est également le
cas du dépassement de tout autre délai procédural sanctionné par la loi par la mise
en liberté d’office [v. par ex. Cass.
crim., 14 sept. 2011, n° 11-84.937 : Bull. crim., n° 179 pour l’application
de l’article
221-3 du Code de procédure pénale traitant de l’examen
de l’ensemble de la procédure par la Chambre de l’instruction ou Cass.
crim., 5 août 2004, n° 04-83.281 : inédit pour l’application de l’article
179 du Code de procédure pénale traitant de
l’audiencement de l’affaire une fois le renvoi devant le Tribunal correctionnel
prononcé]. Dans une hypothèse proche, le défaut de prolongation judicaire de la
détention provisoire à l’échéance du délai légal justifie la mise en liberté [v.
pour l’ordonnance de prolongation de détention provisoire survenue un jour
après l’échéance, Cass.
crim., 10 mai 1995, n° 95-80.975 : Bull. crim., n° 168]. De même, le
maintien illégal en détention malgré l’ordre de libération adopté par le juge
judiciaire compétent est une autre cause de mise en liberté d’office [Cass.
crim., 21 août 2013, n° 13-84.062 : inédit]. Pour les autres cas, la gravité du vice atteignant le
titre revient à lui conférer un effet équivalent à l’inexistence. Ainsi en
est-il de la violation du principe du contradictoire du débat sur la détention
provisoire, sans pourtant que la loi ne prévoit expressément dans ce cas de
mise en liberté d’office [v. devant la chambre de l’instruction saisie de
l’appel de la prolongation de la détention provisoire, Cass.
crim., 3 déc. 2013, n° 13-86.208 : Bull. crim., n° 243 – v. devant la
chambre de l’instruction saisie sur appel du ministère public formé contre le
refus du juge des libertés et de la détention de placer en détention
provisoire, Cass.
crim., 8 janv. 2013, n° 12-86.830 : inédit – v. devant la chambre de
l’instruction saisie de l’appel de l’ordonnance de placement en détention
provisoire, Cass.
crim., 9 juil. 2008, n° 08-83.107 : inédit]. L’incompétence de la
juridiction ayant rendu le titre initial de privation de liberté justifie
également la libération d’office [Cass.
crim., 22 janv. 2013, n° 12-87.199 : Bull. crim., n° 21]. De manière
exceptionnelle, l’illégalité de l’arrestation de la personne placée à sa suite
en détention provisoire, sans interruption de la privation de liberté, apparaît
de nature à entraîner une libération d’office pour aboutir à caractériser
l’inexistence de l’ordonnance de placement en détention provisoire [v. pour
l’illégalité du mandat d’arrêt aboutissant au prononcé de la libération
d’office, Cass.
crim., 12 avr. 2012, n° 12-80.654 : inédit – v. pour l’admission de l’efficacité
des critiques de « l'absence de
procédure d'extradition, et [de] l'irrégularité
prétendue de [l’]arrestation »,
Cass.
crim., 10 janv. 1995, n° 94-84.935 : Bull. crim., n° 11 - ces deux arrêts ne
sauraient être interprétés largement, alors que l’irrégularité de la garde à
vue, de jurisprudence constante, ne se communique pas au placement en détention
provisoire prononcé à la suite d’un défèrement immédiat du suspect devant le
juge d’instruction ou le procureur de la République ; v. par ex. Cass.
crim., 22 janv. 2013, n° 12-87.042 : inédit]. Les formulations de la Cour de cassation rappellent que
chaque décision juridictionnelle prenant le parti de la détention provisoire
constitue un « titre » de
détention [un titre de détention du Tribunal,
pour employer la terminologie de l’article 5 § 4 de la Convention européenne
des droits de l’Homme], et que, indépendamment de sa place dans
l’enchevêtrement des autres décisions, son inexistence revient à caractériser,
même momentanément, une privation de liberté arbitraire, dont l’interdiction
[v. l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu »] justifie la mise en
liberté [v. ainsi Cass.
crim., 9 juil. 2008, n° 08-83.107 : inédit : la Cour de cassation y
formule que « du fait de la
cassation » de l’arrêt de la chambre de l’instruction confirmant
l’ordonnance de placement en détention provisoire pour défaut de
contradictoire, le demandeur « est
détenu sans titre et doit être remis en liberté s'il n'est détenu pour autre
cause »].
Au contraire, d’autres
vices de la décision judiciaire prononçant la détention provisoire ou la
maintenant n’ont pas la gravité suffisante pour justifier la mise en liberté
d’office. Il en est ainsi du vice de motivation. De jurisprudence constante,
« en raison de l'effet dévolutif de
l'appel, [il appartient à la Chambre de l’instruction] d'examiner le bien-fondé de la détention
provisoire et de statuer sur la nécessité de cette mesure, au besoin en
substituant aux motifs insuffisants ou erronés du premier juge des motifs
répondant aux exigences légales » [Cass.
crim., 3 sept. 2013, n° 13-84.279 : inédit – Cass.
crim., 15 oct. 2014, n° 14-84.967 : inédit]. Si le vice de motivation
concerne l’arrêt de la chambre de l’instruction qui a prononcé la continuation
de la détention provisoire, la cassation et l’annulation, à la différence du
constat d’inexistence du titre de détention, aboutissent à laisser la personne
concernée en détention provisoire, soit possiblement, jusqu’à ce que la chambre
de l’instruction saisie sur renvoi statue, sauf, par ailleurs, demande de mise
en liberté accueillie ou refus de prolongation ou épuisement des délais légaux [v.
pour le premier arrêt de cassation de la chambre de l’instruction confirmant le
placement en détention provisoire au regard du défaut de motivation concernant « le caractère insuffisant d'une mesure de
contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique »,
Cass.
crim., 22 août 2012, n° 12-83.896 : inédit, puis le nouvel arrêt de la Cour
de cassation dans la même affaire appréciant la légalité de l’arrêt de la
chambre de l’instruction saisie par renvoi qui avait confirmé le placement, Cass. crim.,
12 juin 2013, n° 13-82.084 : inédit].
Une distinction similaire
apparaît dans la jurisprudence européenne concernant le vice du titre
judiciaire de détention, découvert au cours de l’exercice des voies de recours
internes. Selon la Cour européenne des droits de l’Homme, si certains vices
sont susceptibles d’être couverts par une juridiction supérieure [le défaut
reste alors efficace à entraîner une violation de la Convention pour non‑respect
des « voies légales » : «
dès lors qu'au regard de l'article 5 § 1er
l'inobservation du droit interne emporte violation de la Convention, la Cour
peut et doit vérifier si le droit interne a bien été respecté » ; CEDH,
gde ch., 9 juil. 2009, Mooren c. Allemagne,
req. n° 11364/03 ; § 73 ; v. par ex. concernant le
défaut de réalisation d’une note d’audience prévue par le droit interne, CEDH,
sect. III, 30 juin 2005, Nakach c.
Pays-Bas, req. n° 5379/02, en angl. ; la
violation de l’article 5 ouvre alors le droit à réparation sur le fondement de
l’article 5 § 5], seuls les vices constituant une « irrégularité grave et manifeste » permettent de constater le
caractère arbitraire de la privation de liberté déjà effectuée sur ce titre et,
a contrario, ne peuvent être couverts
par la juridiction de rang supérieur [Mooren
c. Allemagne, gde ch. : préc. ; § 75 et s. : « sauf dans les cas où ils constituent une
irrégularité grave et manifeste, les vices affectant une décision de placement
en détention peuvent être purgés par les juridictions d'appel internes dans le
cadre d'une procédure de contrôle juridictionnel », si bien qu’« une distinction fondamentale doit être
établie entre les titres de placement en détention manifestement invalides –
par exemple ceux émis par un tribunal en dehors de sa compétence […] ou dans les cas où la partie intéressée n'a
pas été dûment avertie de la date de l'audience […] – et les titres de détention qui sont prima facie valides et efficaces tant qu'ils n'ont pas
été annulés par une juridiction supérieure »]. Au regard de la
jurisprudence européenne, la motivation insuffisante du titre judiciaire de
détention ne figure pas parmi la catégorie des « irrégularités graves et manifestes » [Mooren, gde ch. : préc. ;
CEDH,
sect. I, 6 déc. 2007, Liu c. Russie,
req. n° 42086/05 ; § 76 et s.], comme l’absence de
notification de la décision judiciaire de placement en privation de liberté [CEDH,
sect. II, 4 mars 2008, Marturana c.
Italie, req. n° 63154/00] ou encore la
composition erronée de la juridiction compétente [CEDH,
sect. III, 18 oct. 2011, Pavalache c.
Roumanie, req. n° 38746/03]. La Cour européenne
des droits de l’Homme retient une vision plutôt restrictive de l’irrégularité
grave et manifeste [v. au contraire pour une telle qualification, concernant
l’adoption de deux titres de placement en privation de liberté à utiliser
alternativement selon le lieu de détention disponible, CEDH,
sect. I, 7 févr. 2012, Proshkin c. Russie,
req. n° 28869/03, en
angl.]. Plus généralement, la Cour européenne des droits de l’Homme ne
défend pas une vision stricte de la détention sans titre, alors que sa
jurisprudence a parfois validé la privation de liberté maintenue malgré
l’expiration de la validité du précédent titre judiciaire de détention dans
l’attente de l’adoption du nouveau titre prolongeant la mesure de contrainte [v.,
pour une jurisprudence certes ancienne, concernant la validation de la
privation de liberté de deux semaines de l’aliéné, réalisée sans titre, entre
l’extinction d’un premier titre arrivé au terme de sa période de validité et
l’adoption d’un nouveau, CEDH,
ch., 24 oct. 1979, Winterwerp c. Pays-Bas,
req. n° 6301/73 : Rec.
CEDH, série A, n° 33 ; v. pour le refus de couvrir une privation de liberté
de près de deux mois entre deux titres valides, non par principe, mais au
regard de la durée trop importante de celle‑ci, CEDH,
ch., 2 sept. 1998, Erkalo c. Pays-Bas,
req. n° 23807/94 : Rec.
CEDH, 1998-VI ; v. plus récemment encore pour la sanction d’une telle
privation de liberté factuelle et transitoire, en matière de rétention de
sûreté, toujours pas par principe, mais du fait de l’imputation du manquement
aux autorités nationales, CEDH,
sect. V, 19 sept. 2013, H. W. c. Allemagne,
n° 17167/11, en angl. ; v. pour l’admission de
la régularité la détention, au regard de sa brièveté, maintenue à la fin du
délai légal de la garde à vue, alors que l’audience pour le placer en détention
avait débuté une demi-heure plus tard, CEDH,
sect. IV, 8 févr. 2011, Ignatenco c.
Moldavie, req. n° 36988/07, en angl.]. Si les deux standards s’accordent pour relativiser la
sanction du défaut de motivation du titre judiciaire de privation de liberté, empêchant
d’en faire une garantie de premier ordre pour la protection de la liberté
individuelle, le droit européen apparaît encore plus en retrait quant à la
délimitation de la privation de liberté sans titre, par considération
supérieure pour l’appréciation judiciaire qui a conclu au bien-fondé de la
privation de liberté, malgré l’existence d’une irrégularité formelle [la Cour
européenne des droits de l’Homme est moins conciliante lorsque la privation de
liberté est fondée sur un titre de détention administratif, ayant par exemple
sanctionné le droit français au regard de l’impossibilité pour l’aliéné
d’obtenir sa libération, malgré le constat de la nullité de l’arrêté
préfectoral le maintenant en privation de liberté du fait de son défaut de
motivation ; CEDH,
sect. V, 18 nov. 2010, Baudoin c. France,
req. n° 35935/03 ; § 109 : « le requérant n'a disposé d'aucun
recours effectif qui lui aurait permis d'obtenir une décision judiciaire
constatant l'irrégularité de l'acte fondant son internement et mettant fin, par
voie de conséquence, à sa privation de liberté irrégulière »].
En tout cas, la
question prioritaire de constitutionnalité visant le refus jurisprudentiel de
l’application de l’article 194 à la chambre de l’instruction saisie de la
détention provisoire sur renvoi après cassation était donc pertinente, pour
empêcher a priori le juge judiciaire
de constater l’inexistence du titre de détention, et donc de libérer d’office,
en cas de décision de maintien prononcée tardivement par la chambre de
l’instruction saisie sur renvoi après cassation.
3.
Les contours de la
constitutionnalisation de la notion de bref
délai. C’est donc dans cette hypothèse que le Conseil constitutionnel a
estimé suffisant pour protéger la liberté individuelle d’édicter une réserve
selon laquelle, « en matière de
privation de liberté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que
le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais […], y compris lorsque la chambre de
l'instruction statue sur renvoi de la Cour de cassation [déc. n° 2014-446
QPC du 29 janv. 2015 ; préc.],
sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme [dans
le rappel des principes applicables, si le Conseil constitutionnel cite aussi
l’article 66 de la Constitution, il tire de l'article 16 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789 « le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel
effectif »], qui fonde désormais dans sa jurisprudence le droit au
juge et l’application des garanties du procès équitable [le fondement est
désormais régulièrement appliqué en matière de privation de liberté, par
exemple pour fonder le droit à l’assistance d’un avocat pour le suspect en garde
à vue, Cons. const., déc. n° 2010-14/22 QPC du 30 juil.
2010, [M. W.] : J. O., 31 juil. 2010, p. 14198 ; RTD civ., 2010 p. 513, obs. P. Puig ; RSC, 2011,
p. 139, obs. A. Giudicelli ;
D., 2010, p. 2254, obs. J. Pradel ; AJP, 2010, p. 470, comm. J.‑B. Perrier ; Constitutions,
2010, p. 571, comm. E. Daoud
et E. Mercinier ; RSC, 2011, p. 165, obs. B. de Lamy, ou pour justifier
de la censure du pouvoir d’évocation de la chambre de l’instruction en matière
de détention provisoire, Cons. const., déc. n° 2010-81 QPC du 17 déc. 2010,
[M. B.] : J. O., 19 déc. 2010,
p. 22375 ; JCP, 2011, n° 144, note V. Tellier-Cayrol].
On notera toutefois que le Conseil constitutionnel a préféré se référer à la
notion des « plus brefs délais »,
plutôt que de reprendre plus précisément la notion de bref délai figurant à l’article 5 § 4 de la Convention européenne
des droits de l’Homme [« toute
personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit
d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa
détention et ordonne sa libération si la détention est illégale » -
surligné par nos soins]. Il ne faudrait pas y voir une distinction vis-à-vis de
la notion européenne, alors que le Conseil constitutionnel a dégagé pour l’Habeas corpus, c’est-à-dire le premier
contrôle judiciaire automatique de la privation de liberté, une obligation de
célérité encore supérieure, « le
plus court délai possible » [v. Cons.
const., déc. n° 79-109 DC du 9 janv. 1980 portant sur la loi relative à la
prévention de l’immigration clandestine et portant modification de l’ord. n°
45-2658 du 2 nov. 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France
des étrangers et portent création de l’Office national d’immigration : J. O., 11 janv. 1980, p. 84 ; consid. n°
4 : « la liberté individuelle ne peut
être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai
possible »] : la notion du « plus
court délai possible » dans la jurisprudence constitutionnelle correspond
à la notion d’« aussitôt »
de la Convention européenne des droits de l’Homme [v. l’art. 5 § 3
CEDH : « toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au
paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou
un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires »]
s’agissant de l’Habeas corpus, tandis
que la notion des « plus brefs
délais » dans la jurisprudence constitutionnelle correspond à la
notion de « bref délai » de
la même Convention s’agissant de l’obligation de célérité moindre dans laquelle
doit trancher ultérieurement le juge saisi de la contestation de la légalité de
la privation de liberté. L’obligation pour le juge judiciaire de trancher la
légalité de la privation de liberté à bref
délai avait déjà été dégagée par le Conseil constitutionnel en matière
d’internement des aliénés, sur le même fondement de l’article 16 de la
Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, dans une formule approchante,
adaptée cependant à ce cas de privation de liberté, concernant la saisine du
juge judiciaire « à tout moment »
pour obtenir la mainlevée de la mesure [Cons. const.,
déc. n° 2010-71 QPC du 26 nov. 2010, [Mme S.] :
J. O., 27 nov. 2010, p.
21119 ; Dr. Famille, 2011,
comm. n° 11, note I. Maria ;
RFDA, 2011, p. 951, chron. A. Pena ; JCP, 2011, n° 189, note K. Grabarczyk ;
AJDA, 2011, p. 174, X. Bioy : « s'agissant d'une mesure privative de
liberté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge
judiciaire soit tenu de statuer sur la demande de sortie immédiate dans les
plus brefs délais compte tenu de la nécessité éventuelle de recueillir des
éléments d'information complémentaires sur l'état de santé de la personne
hospitalisée »]. La notion de bref
délai, qui figure dans la loi pour la détention provisoire [v. l’art. 194
CPP] et l’internement forcé des aliénés [v. l’art. L.
3211-12 CSP], était déjà apparue dans la
jurisprudence constitutionnelle de manière incidente dans la première matière
[v. pour le contrôle de la conformité, au regard de l’article 16 de la
Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, de la procédure de demande de
remise en liberté instituée par l’article 148 du Code de procédure pénale, le
Conseil constitutionnel notant que la disposition permettait au juge
d’instruction d’étudier la demande « à
bref délai », Cons.
const., déc. n° 2010-62 QPC du 17 déc. 2010, [M. M.] :
J. O., 19 déc. 2010, p. 22372 ; AJP, 2011, p. 136, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions, 2011, 531, obs. E. Daoud et A. Talbot ; JCP, 2011, n° 144, note V. Tellier‑Cayrol ; RSC, 2011, p. 864, obs. D. Boccon‑Gibod] et dans la seconde
[v. pour la sanction du défaut de « réexamen
à bref délai de la situation de la personne hospitalisée » en cas de
certificat médical concluant à l’absence de nécessité de la mesure, sans pour
autant que le Conseil constitutionnel ne vise précisément le réexamen
judiciaire, Cons.
const., déc. n° 2011-135/140 QPC du 9 juin 2011, [M. B. et autre]
: J. O., 10 juin 2011,
p. 9892 ; Constitutions, 2011,
p. 400, obs. X. Bioy ; RFDA, 2012, p. 629, K. Blay‑Grabarczyk].
La formulation de
principe posée dans la dernière décision du Conseil constitutionnel, éclairée
des décisions précédentes, rappelle la double généralité de l’application du bref délai obligeant la juridiction
statuant sur la légalité de la privation de liberté. Elle s’applique en toute
matière [à la détention provisoire, à l’internement des aliénés, mais aussi
sans doute à toute autre mesure privative de liberté dont la légalité doit être
mesurée périodiquement] et à tout examen judiciaire, qu’il s’agisse du contrôle
juridictionnel vertical [dans notre dernière décision, à la chambre de
l’instruction statuant sur renvoi après cassation] ou du contrôle
juridictionnel horizontal [par ex. à la demande de remise en liberté formulée
devant le juge d’instruction « à
tout moment » selon l’art. 148 CPP ou à la demande de mainlevée de
l’hospitalisation sous contrainte formulée devant le juge des libertés et de la
détention également « à tout moment » selon
l’art. L. 3211-12 CSP]. Le particularisme de la privation de liberté justifie
non seulement un contrôle judiciaire soutenu, mais en plus d’appliquer une
célérité dérogatoire au droit commun à l’action en contestation de sa légalité,
quelle qu’elle soit. On pourra cependant regretter que le recours effectif en
matière de privation de liberté, soumis au bref
délai spécialement en cette matière, ne soit pas dégagé plus directement
sur le fondement de l’article 66 de la Constitution [si l’article 66 de la
Constitution est bien cité dans la décision, il semble justifier surtout le
rappel fait par le Conseil constitutionnel au juge judiciaire d’assurer un
contrôle rigoureux du respect du bref
délai – v. infra, n° 4], alors pourtant
qu’il fonde la garantie judiciaire en la matière, l’Habeas corpus [v. déc. n° 79-109 DC du 9 janv. 1980 : préc.], plutôt que sur le fondement de
droit commun de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du
citoyen, compliquant le développement clair de garanties spécifiques au
contrôle judiciaire de la privation de liberté [dans le système de la
Convention européenne des droits de l’Homme, le recours interne en contestation
de la légalité de la privation de liberté repose sur un fondement spécial,
l’article 5 § 4, à l’exclusion du fondement général, l’article 13, le texte de
la première disposition contenant ainsi précisément les principes applicables,
comme l’obligation pour le « Tribunal » de statuer à « bref délai » ou l’édiction de la
sanction du défaut de « légalité » de la privation de liberté, à savoir la
« libération »].
La notion de bref délai provient de l’article 5 § 4
de la Convention européenne des droits de l’Homme qui fonde d’abord un
recours périodique permettant au détenu de demander sa mise en liberté [l’article
5 § 4, qui ne s’applique pas par principe à la contestation du maintien de la
peine privative de liberté durant son cours du fait de la théorie du « contrôle incorporé » de son
bien-fondé dans la décision de condamnation – v. CEDH,
plén., 18 juin 1971, De Wilde, Ooms et
Versyp c. Belgique, req. nos 2832/66, 2835/66 et 2899/66 :
Rec. CEDH, série A, n° 12 –, suppose
dans les autres cas que le détenu puisse « saisir un "tribunal" compétent
[…] pendant sa "détention" - un certain temps après le début de
celle-ci, puis à des intervalles raisonnables […] - ainsi qu’au moment d’un
réinternement éventuel s’il se trouvait en liberté » – CEDH,
plén., 24 juin 1982, Van Droogenbroeck c.
Belgique, req. n° 7906/77
:
Rec. CEDH, série A, n° 50]. La
Cour européenne des droits de l’Homme adopte aussi une application large de
l’exigence du bref délai au Tribunal saisi de la contestation de la
légalité de la privation de liberté. Si le contrôle de la privation de liberté
institué par le droit européen est d’abord horizontal [CEDH,
ch., 12 déc. 1991, Toth c. Autriche,
req. n° 11894/85 : Rec. CEDH, série A, n° 224 ; RSC, 1992, p. 367, obs. L.-E.
Pettiti ; § 84 : « l’article
[5 § 4] n’astreint pas les États
contractants à instaurer un double degré de juridiction pour l’examen de
demandes d’élargissement »], la jurisprudence européenne applique
cependant les garanties de l’article 5 § 4 aux différents degrés de
juridictions organisés par le droit interne [v. pour l’appel, ibid. : « un État qui se dote d’un tel système doit en principe accorder aux
détenus les mêmes garanties en appel qu’en première instance » - v. pour
l’application au recours en cassation de l’exigence du bref délai, CEDH,
sect. III, 19 mai 2005, Rapacciuolo c.
Italie, req. n° 76024/01 ; § 31 et
s., ou encore CEDH,
sect. III, 9 juin 2005, Picaro c.
Italie, req. n° 42644/02 ; § 62 et s. ou pour
l’application du contradictoire, CEDH,
sect. III, 1er juin 2006, Fodale
c. Italie, req. n° 70148/01 ; § 39 et s. – v. pour
l’application du bref délai au recours
à la juridiction constitutionnelle saisie d’un cas individuel, CEDH,
sect. V, 27 sept. 2007, Smatana c.
République Tchèque, req. n° 18642/04 ; § 126 et s.]. Quant
au cas du droit national qui organise un contrôle horizontal riche de la
privation de liberté, [soit que le juge de premier degré doive régulièrement la
prolonger dans des saisines automatiques, soit que le détenu puisse le saisir
sans limitation], la Cour européenne des droits de l’Homme a pu se montrer
conciliante dans un premier temps de sa jurisprudence quant à l’appréciation de
la célérité d’un recours en particulier apparaissant tardif, pour réaliser une
appréciation globale de la procédure et écarter la violation de la Convention,
au regard de la formulation d’autres recours par le prévenu suffisamment
rapides pendant la même période [v. CEDH,
ch., 26 juin 1991, Letellier c.
France, req. n° 12369/86 : Rec. CEDH, série A, n° 207 ; § 54
et s. ; la Cour a tenu compte de la formulation par le détenu de six
recours, étudiés dans des délais rapides, pour conclure au respect de la
Convention, malgré la présence d’un recours plus long, concernant justement le
délai dans lequel la chambre d’accusation saisie sur renvoi après cassation
avait tranché le recours] ou même au regard de la simple possibilité pour
celui-ci de saisir à tout moment le juge judiciaire d’une demande de remise en
liberté [v. par ex. CEDH,
ch., 23 nov. 1993, Navarra c. France,
req. n° 13190/87 : Rec. CEDH, série A, n° 273-B : RSC, 1994, p. 362, chron. R.
Koering-Joulin]. Cette appréciation globale a disparu dans la
jurisprudence plus récente de la Cour européenne des droits de l’Homme. Elle a
estimé dans plusieurs arrêts que le vice de rapidité touchant le recours porté
devant une juridiction supérieure ne pouvait être purgé par la possibilité pour
le prévenu de saisir à tout moment la juridiction de premier degré d’une
demande de remise en liberté [CEDH,
sect. V, 27 sept. 2007, Smatana c.
République Tchèque, req. n° 18642/04 – CEDH,
sect. III, 7 juin 2011, S. T. S. c.
Pays-Bas, req. n° 277/05]. La Cour dégage désormais
plus nettement que « même si un
détenu a formé plusieurs demandes d’élargissement, cette disposition ne confère
pas aux autorités une “marge d’appréciation” ou la possibilité de choisir celles qui doivent être traitées plus
rapidement » si bien que « toutes
ces procédures doivent satisfaire à l’exigence du “bref délai” » [CEDH,
sect. II, 3 juil. 2007, Naranjo Hurtado
c. Italie, req. n° 16508/04 ; § 34 - CEDH,
sect. II, 24 avr. 2008, Rizzotto c.
Italie, req. n° 15349/06 ; § 32 – v. pour la
première formulation du principe, dans un arrêt en anglais, CEDH,
sect. V, 4 oct. 2001, Ilowiecki c.
Pologne, req. n° 27504/95, en angl. ; § 77 et s. – v. pour
le refus de tenir compte de la survenue d’une décision de prolongation de la
détention provisoire rendue par une autre juridiction au cours de l’instance
dont la célérité était contrôlée au regard du bref délai, CEDH,
sect. III, 29 oct. 2013, Anderco c.
Roumanie, req. n° 3910/04 ; § 60].
La jurisprudence
constitutionnelle ne s’est pas contentée d’intégrer la notion de la Convention
européenne des droits de l’Homme de bref
délai – ce que le Conseil constitutionnel avait fait antérieurement à cette
décision –, mais a aussi intégré la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’Homme appliquant la notion à l’ensemble des recours juridictionnels
contre la continuation de la privation de liberté – ce que le Conseil
constitutionnel avait déjà entamé, la décision ici commentée le montrant plus
clairement –, dans un dialogue des juges plutôt abouti. Le rappel de
l’application stricte du bref délai
aux juridictions de rang supérieur, malgré la possibilité pour l’individu de
demander « à tout instant »
sa remise en liberté devant le juge de premier degré, qui figure dans la
jurisprudence nationale [v. Cass.
crim., 12 juin 2013, n° 13-82.084 : inédit ; alors que la chambre de
l’instruction, saisi sur renvoi après cassation de la légalité de l’ordonnance
de placement en détention provisoire, avait noté, pour justifier le délai de
sept mois dans lequel elle avait statué, que « ce délai n'est pas de nature à entraîner la violation des dispositions
de la Convention européenne des droits de l'homme dès lors que l'intéressé
avait la possibilité de former à tout moment des demandes de mise en liberté
et, à cette occasion, faire examiner la validité du titre de détention »,
la Cour de cassation censurait la motivation dès lors qu’« à l'occasion de l'appel d'une ordonnance de
rejet de demande de mise en liberté, la personne mise en examen n'est pas
recevable à invoquer l'irrégularité de la décision initiale de placement en
détention »], européenne [v. supra
concernant la jurisprudence européenne plus ancienne Letellier et son évolution dans les arrêts Smatana, S. T. C. c. Pays-Bas
et Anderco] et désormais
constitutionnelle, démontre l’importance des recours devant celles-ci pour la
personne privée de liberté, dès lors qu’au-delà de l’appréciation du bien‑fondé
de la privation de liberté réalisée par le juge d’appel comme par le juge de
premier degré saisi d’une demande distincte de remise en liberté, ils
permettent la remise en liberté d’office en cas de constat, pour reprendre la
terminologie de la Cour de cassation, d’« inexistence » ou, pour reprendre la terminologie de la Cour
européenne des droits de l’Homme, d’« irrégularité
grave et manifeste » du titre de privation de liberté dont les
juridictions supérieures ont à apprécier la légalité.
4.
Les effets de l’application du bref délai à la chambre de l’instruction
saisie sur renvoi après cassation de la question du maintien en privation de
liberté. Si la décision commentée n’est pas la première à
constitutionnaliser le bref délai en
matière de privation de liberté, elle n’apparaît guère décisive non plus quant
au cas particulier de la saisine de la chambre de l’instruction sur renvoi
après cassation, alors que la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours
reconnu la nécessité pour le juge d’appel saisi dans ces conditions de statuer
rapidement, dégageant dans un premier temps de sa jurisprudence « un devoir [à] statuer au plus tôt » [Cass.
crim., 21 nov. 1968, n° 68-92.213 : Bull. crim., n° 311], puis dans un
second temps l’obligation de statuer à bref
délai [Cass.
crim., 27 mars 2001, n° 01-80.549 : inédit - Cass. crim., 10 avril 2002, 2
espèces, n° 02-80.886
et n° 02-80.879 :
inédits - Cass.
crim., 8 juil. 2009, n° 09-82.492 : inédit - Cass.
crim., 24 mai 2011, n° 11-81.118 : inédit]. La Chambre criminelle a d’abord
renvoyé l’appréciation du bref délai
à l’appréciation souveraine du juge du fond [Cass. crim., 10 avril 2002, 2
espèces, n° 02-80.886
et n° 02-80.879 :
inédits]. La chambre criminelle
semble désormais s’accaparer le contrôle de la motivation de la chambre de
l’instruction. Dans une première affaire où la chambre de l’instruction, saisie
sur renvoi après cassation en date du 1er décembre 2010, avait
statué le 8 février 2011, la Chambre criminelle avait opéré un léger contrôle
de la motivation du juge du fond,
validant celle-ci qui s’était référée à la complexité de l’affaire et à la date
de la notification de l’arrêt de cassation, survenue le 19 janvier 2011 [Cass.
crim., 24 mai 2011, n° 11-81.118 : inédit].
De manière plus décisive, la Chambre criminelle a censuré la motivation de la
chambre de l’instruction écartant le grief de la tardiveté de sa décision
rendue sept mois après la cassation, écartant la pertinence de l’argument
employé et constatant qu’à défaut d’autre élément, elle ne s’était pas
expliquée sur le grief soulevé du dépassement du bref délai [Cass.
crim., 12 juin 2013, n° 13-82.084 : inédit ; « mais
attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que, d'une part, à l'occasion de
l'appel d'une ordonnance de rejet de demande de mise en liberté, la personne
mise en examen n'est pas recevable à invoquer l'irrégularité de la décision
initiale de placement en détention et que, d'autre part, elle devait
s'expliquer, comme elle y était invitée par le mémoire, sur le délai qui s'est
écoulé entre l'arrêt de cassation et sa décision, la chambre de l'instruction
n'a pas justifié sa décision »].
Ce contrôle apparaît
quelque peu en retrait des principes issus de la jurisprudence européenne quant
à l’appréciation du bref délai. Si le
juge national estime que l’appréciation du bref
délai dans l’hypothèse de la saisine de la Chambre de l’instruction se
mesure à compter de l’arrêt de la Cour de cassation [Cass.
crim., 27 mars 2001, n° 01-80.549 : inédit ; le bref délai se mesure « en
considérant le temps écoulé depuis l'arrêt de la Cour de Cassation ayant saisi
la chambre de l'instruction et non depuis l'ordonnance du juge d'instruction
frappée d'appel »], ce qui apparaît conforté par la dernière décision
du Conseil constitutionnel [déc. n° 2014-446 QPC du 29 janv. 2015 : préc. ; le Conseil vise précisément
l’application de l’exigence du bref délai
« y compris lorsque la chambre de
l’instruction statue sur renvoi de la Cour de cassation »], solution qui
pouvait s’appuyer sur un arrêt ancien de la Cour européenne des droits de
l’Homme [v. implicitement Letellier :
préc. ; § 56], le dernier
état de la jurisprudence européenne, concernant le cas de l’affaire ayant donné
lieu à une décision sur la détention provisoire annulée pour un vice de droit et
renvoyée par la juridiction de degré supérieure devant un autre juge du fond, réalise
une appréciation du bref délai depuis
la formulation du recours ayant abouti à la décision annulée jusqu’à
l’obtention de la décision de fond rendue sur renvoi, englobant donc la
procédure réalisée devant la juridiction supérieure ayant prononcée
l’annulation de la décision pour des motifs de droit [Anderco : préc. ;
§ 59 : c’est le délai de trois mois, partant de l’objection saisissant le
juge de premier ressort qui avait statué le 25 avril 2003, englobant la
procédure menée devant la Cour d’appel d’Oradea, qui avait annulé ce premier
jugement par un arrêt du 22 mai 2003 pour vice de forme, et courant jusqu’à
l’obtention d’un nouveau jugement sur le fond rendu sur renvoi le 11 juillet
2003, qui violait l’exigence de bref
délai]. C’est qu’au sens strict, pour revenir au droit national, dès lors
que l’arrêt initial de la chambre de l’instruction se trouve annulé et que seul
l’arrêt rendu sur renvoi par le juge de second degré permettra un contrôle
complet de la légalité de la détention provisoire, à la différence de l’arrêt
de cassation limité au droit, la dernière analyse européenne apparaît mieux
fondée [l’arrêt précité Anderco, qui
a adopté cette approche, constitue alors un repère intéressant, pour censurer
un délai de trois mois, malgré l’importance du dossier, de 5.000 pages, et
l’existence d’une complication juridique, du fait d’un changement de
législation intervenu durant l’instance]. Même à retenir la position exprimée
par la Chambre criminelle jusqu’à maintenant [on se demande alors par quel
recours interne la célérité de la Cour de cassation, le bref délai s’appliquant également devant elle selon la Cour
européenne des droits de l’Homme – v. infra,
n° 3 et la jurisprudence citée –, pourrait être contrôlée, si ce n’est au
travers de la contestation de la « durée
raisonnable » de la détention provisoire, intégrée dans la loi à l’article
144-1 du Code de procédure pénale, dont la Cour de cassation n’assure pas
le contrôle – Cass.
crim., 19 déc. 2006, n° 06-87.486 : inédit ; « échappe
au contrôle de la Cour de cassation le bien-fondé de la motivation relative à
la durée de la détention provisoire au regard du délai raisonnable prévu par
l'article 144-1 du code de procédure pénale » –, avec la bienveillance
de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui continue d’exiger en la
matière le recours en cassation pour constater l’épuisement des voies de
recours internes – v. CEDH,
gde ch., 28 sept. 1999, Civet c. France,
n° 29340/95 : Rec. CEDH,
1999-VI ; RSC, 2000, p. 239,
comm. F. Massias, CEDH,
sect. III, 20 janv. 2000, Yahiaoui c.
France, req. n° 30962/96 : Procédures,
2000, comm. n° 120, obs. N. Fricero
ou CEDH,
sect. III, 30 mai 2000, Laurent Bernard
c. France, req. n° 38164/97], le contrôle du bref délai réalisé par le juge national apparaît insuffisant [v.
surtout Cass.
crim., 24 mai 2011, n° 11-81.118 : inédit],
par exemple pour se référer vaguement à la « complexité » de la procédure sans en justifier concrètement [le
degré de complexité de l’affaire est bien un critère pertinent pour apprécier
le bref délai dans lequel doit
statuer le Tribunal – v. par ex. CEDH,
ch., 21 nov. 1986, Sanchez Reisse c.
Suisse, req. n° 9862/82 : Rec.
CEDH, série A, n° 107] ou encore pour tenir compte du moment de la
notification par la Cour de cassation de l’arrêt de renvoi, comme si le
comportement de la Chambre de l’instruction devait être appréciée seulement à
partir de ce moment, alors pourtant que celle-ci est une cause de retard
imputable aux seules autorités, seules les causes imputables exclusivement au
prévenu justifiant une célérité moindre [CEDH,
sect. I, 25 oct. 2007, Lebedev c. Russie,
req. n° 4493/04, en angl. : Rec. CEDH, série A, n° 107. – CEDH,
7 avr. 2005, Rokhlina c. Russie, req.
n° 54071/00, en angl. ; § 79. – CEDH,
sect. III, 24 nov. 2009, Shannon c.
Lettonie, req. n° 32214/03, en angl.].
D’autre part, spécialement s’agissant de la détention provisoire, par égard
pour la présomption d’innocence, la Cour entend réaliser un contrôle strict du bref délai [v. Ilowiecki :
préc. ; § 76]. À considérer que le bref délai doive être uniquement apprécié
dans notre cas de l’arrêt de cassation jusqu’à ce que la Chambre de
l’instruction statue sur renvoi, on voit mal comment justifier véritablement du
dépassement d’un délai du même ordre que ceux de l’article 194 du Code de
procédure pénale, alors que la Cour européenne des droits de l’Homme, pour le
cas de la juridiction de second degré saisie en appel de la détention
provisoire, sanctionne le plus souvent les délais supérieurs à vingt jours [CEDH,
sect. IV, 30 nov. 2000, G. B. c. Suisse,
req. n° 27426/95, en angl. ;
§ 34 et s. : sanction d’un délai de trente‑deux jours. – CEDH,
sect. I, 1er juin 2006, Mamedova
c. la Russie, req. n° 7064/05, en angl. ; § 96 : sanction d’un délai de
vingt-six jours. – CEDH,
sect. I, 22 déc. 2012, Butusov c. Russie,
req. n° 7923/04, en angl. ;
§ 29 et s. : sanction d’un délai de vingt jours].
Au regard du contrôle
national peu vigoureux par rapport à la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’Homme, la dernière décision du Conseil constitutionnel, qui n’a pas
simplement rappelé l’application du bref
délai à la chambre de l’instruction saisie par renvoi après cassation, mais
a aussi insisté sur la nécessité pour les « autorités judiciaires, sous le contrôle de la Cour de cassation, de
veiller au respect de cette exigence », semble avoir formulé ce qui
résonne comme une injonction faite au juge judiciaire d’intégrer plus fortement
dans son contrôle les principes issus de la jurisprudence européenne, malgré le
cadre de la question prioritaire de constitutionnalité.
Il reste cependant que
la dernière décision du Conseil constitutionnel n’éclaire guère sur la sanction
du dépassement du bref délai constaté
par la chambre de l’accusation lors de sa propre saisine après renvoi ou même
par la Cour de cassation saisie d’un pourvoi contre cette dernière décision,
notamment quant à l’obligation de prononcer en la matière la remise en liberté
d’office [sur ce point, l’arrêt précité de renvoi de la question prioritaire de
constitutionnalité avait noté que « la
personne mise en examen se trouve dans l'impossibilité de connaître le délai
dans lequel sera examinée la légalité de sa détention et de faire sanctionner
le dépassement d'un tel délai »]. Même appuyée par le visa de
l’article 66 de la Constitution qui sert dans la jurisprudence
constitutionnelle à fonder le pouvoir de libération du juge judiciaire dans le
contrôle de la privation de liberté [Cons.
const., déc. n° 97-389 DC du 22 avr. 1997 relative à la loi portant diverses
dispositions relatives à l’immigration : J. O., 27 avr. 1997, p. 6432 ; AJDA, 1997, p. 524, comm. F. Julien‑Laferrière ;
JCP, 1997, II, n° 22890, obs. J.‑C. Zarka ; RDP, 1997, p. 931, comm. F. Luchaire
; consid. n° 60 : « lorsqu'un
magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs que lui confère l'article
66 de la Constitution en tant que gardien de la liberté individuelle, décidé
par une décision juridictionnelle qu'une personne doit être mise en liberté, il
ne peut être fait obstacle à cette décision, fût-ce dans l'attente, le cas
échéant, de celle du juge d'appel ».] et qui a été utilisé par le juge judiciaire
lui-même pour se dégager un pouvoir de libération non prévu par la loi [v. pour
le contrôle de la rétention administrative de l’étranger, Cass. civ. II, 28
juin 1995, Bechta et autres, nos 94-50.002,
94-50.005
et 94‑50.006
: Bull. Civ. II, nos 216,
211 et 212 ; JCP, 1995, II, n° 22504,
avis J. Saint‑Rose ; D., 1996, p. 102, obs. F. Julien‑Laferrière ; AJDA, 1996, p. 72, A. Legrand ; Rev. crit. DIP, 1996, p. 275, N.
Guimezanes ; RTD civ., 1996,
p. 235, comm. J. Normand ;
Gaz. Pal., 1995, doct., p. 1356,
comm. J.-É. Malabre], l’injonction
faite au juge judiciaire d’assurer un contrôle rigoureux du bref délai ne va pas jusqu’à prévoir
explicitement la sanction de la libération. La Cour européenne des droits de
l’Homme limite elle-même la portée de la violation du bref délai : « le
recours permettant de soulever le grief tiré de l'exigence de célérité au sens
de l'article 5 § 4 ne doit pas, pour être effectif, nécessairement mener à la
libération de l'intéressé puisqu'il ne porte pas sur la détention en tant que
telle mais uniquement sur la question de savoir si la contrainte temporelle de
“bref délai” a été respectée »,
si bien qu’un recours indemnitaire est suffisant pour réparer la violation de
la Convention [CEDH,
sect. V, 28 oct. 2010, Knebl c.
République Tchèque, req. n° 20157/05 ; § 101]. Que la violation du
bref délai constatée dans ce cas par
le juge judiciaire ne puisse justifier la remise en liberté serait pourtant
décevant, tant le droit de la détention provisoire est cantonné par des délais
dont le dépassement est sanctionné par la libération, notamment quant à ceux
obligeant les juridictions à trancher vite, le législateur ayant établi son
propre standard du bref délai, supérieur à celui du droit européen. La
violation du bref délai dans notre
hypothèse est d’autant plus grave que la cassation antérieure a modifié la
situation juridique de l’individu, au point d’annuler un titre judiciaire de
détention, justifiant particulièrement un réexamen complet de sa situation. À
retenir cette solution, le choix du Conseil constitutionnel de procéder par une
simple réserve deviendrait contestable, alors que la censure de la législation
aurait vraisemblablement abouti à la création dans la loi d’un nouveau délai
sanctionné par la libération d’office. C’est que le juge pénal devrait sans
doute s’inspirer du juge civil, qui s’est dégagé un pouvoir de libération, en
cas de constat de violation du délai légal dans lequel le juge des libertés et
de la détention doit trancher la demande formée devant lui de mainlevée de l’hospitalisation
psychiatrique forcée, malgré l’absence de sanction prévue par la loi à ce
dépassement [Cass.
civ. I, 27 févr. 2013, n° 11-20.405 : Bull. civ. I, n° 28].
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