lundi 16 février 2015

[obs.] L’application constitutionnelle du bref délai à la Chambre de l’instruction saisie après cassation en matière de détention provisoire [à propos de Cons. const., déc. n° 2014-446 QPC du 29 janv. 2015, [M. Maxime T.] : J. O., 31 janv. 2015, p. 1502]


1. L’application constitutionnelle du bref délai à la Chambre de l’instruction saisie après cassation en matière de détention provisoire. Le droit français organise un contrôle vertical [impliquant plusieurs degrés de juridiction] et horizontal [impliquant périodiquement le juge de premier degré] de la légalité de la détention provisoire, dépassant ainsi la Convention européenne des droits de l’Homme [la Convention exige un contrôle horizontal périodique, au regard de son article 5 § 4, mais celui-ci n’impose pas l’adoption d’un double degré de juridiction ; v. infra, n° 3] : ainsi, le prévenu peut à tout moment demander sa mise en liberté [art. 148 CPP], comme il peut former appel devant la chambre de l’instruction de la décision ordonnant son placement en détention, rejetant sa mise en liberté ou prolongeant sa détention provisoire aux échéances légales [art. 194 CPP], et former un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction le maintenant en détention provisoire [art. 567-2 du CPP]. Les différentes dispositions précitées obligent les différents juges à trancher la contestation du maintien en détention provisoire dans un délai impératif dont le dépassement est sanctionné de la mise en liberté d’office. Cependant, aucune disposition légale expresse n’encadre le délai dans lequel la Chambre de l’instruction, saisie après cassation en matière de détention provisoire, doit trancher la question du maintien en privation de liberté, l’interprétation littérale de l’article 194 du Code de procédure, qui prévoit qu’« en matière de détention provisoire, la chambre de l'instruction doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les dix jours […] lorsqu'il s'agit d'une ordonnance de placement en détention et dans les quinze jours dans les autres cas », excluant l’application de la disposition à cette hypothèse, pour viser expressément « l’appel », solution adoptée dans une jurisprudence constante par la Chambre criminelle [Cass. crim., 21 nov. 1968, n° 68-92.213 : Bull. crim., n° 311 – Cass. crim., 27 mars 2001, n° 01-80.549 : inédit - Cass. crim., 10 avril 2002, n° 02-80.886 : inédit - Cass. crim., 8 juil. 2009, n° 09-82.492 : inédit - Cass. crim., 24 mai 2011, n° 11-81.118 : inédit]. À défaut de précision légale, la célérité, dans laquelle la chambre de l’instruction saisie par renvoi après cassation tranchait la question de la détention provisoire, était très variable selon les cas [l’avocat d’un des demandeurs dans ses observations orales devant le Conseil constitutionnel évoquait dans une affaire un délai de douze jours et dans une autre un délai de six mois]. Dans le cadre d’une question prioritaire constitutionnalité contestant ce défaut au regard des principes plaçant la privation de liberté sous le contrôle du juge judiciaire [v. pour la décision de renvoi, Cass. crim., 12 nov. 2014, n° 14-86.016 : inédit], le Conseil constitutionnel a conclu à l’absence de violation de la Constitution, tout en posant une réserve d’interprétation, rappelant « qu'en matière de privation de liberté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais » et qu’en conséquence, « il appartient aux autorités judiciaires, sous le contrôle de la Cour de cassation, de veiller au respect de cette exigence y compris lorsque la chambre de l'instruction statue sur renvoi de la Cour de cassation » [Cons. const., déc. n° 2014-446 QPC du 29 janv. 2015, [M. Maxime T.] : J. O., 31 janv. 2015, p. 1502 ; le Conseil constitutionnel avait été saisi d’un autre grief, tenant à l’atteinte au principe d’égalité, également rejeté, problème qui ne sera pas traité dans ces lignes]. Le Conseil constitutionnel a donc choisi de ne pas forcer le législateur à se saisir de la question, mais plutôt de remédier lui-même à la lacune législative par une réserve d’interprétation, peut-être au regard du caractère exceptionnel d’une telle situation, alors même que la Cour de cassation, dans son rapport annuel de 2013, avait suggéré une modification de la loi en la matière, simple proposition que le Conseil constitutionnel a reprise à son compte dans son considérant final [déc. n° 2014-446 QPC du 29 janv. 2015 : préc. ; consid. n° 14 : « considérant qu'il est loisible au législateur de modifier les dispositions législatives contestées pour préciser les délais dans lesquels la chambre de l'instruction statue en matière de détention provisoire lorsqu'elle est saisie sur renvoi de la Cour de cassation »]. Une telle solution, finalement peu surprenante, mérite toutefois quelques rapides observations, ne serait-ce que pour mesurer l’incidence du pont ainsi créé entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, par la notion de bref délai, issue de l’article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Nous reviendrons d’abord sur les effets du constat de l’irrégularité de la décision judiciaire de rang inférieur prononçant ou maintenant en détention provisoire par la juridiction supérieure saisie d’un recours contre la légalité de celle-ci (n° 2), ensuite sur les contours de la constitutionnalisation de la notion de bref délai (n° 3) et enfin sur les effets de l’application du bref délai à la chambre de l’instruction saisie sur renvoi après cassation de la question du maintien en privation de liberté (n° 4).

2. Les effets du constat de l’irrégularité de la décision judiciaire de rang inférieur prononçant ou maintenant en détention provisoire par la juridiction supérieure saisie d’un recours contre la légalité de celle-ci. La mise en évidence de certains vices frappant la décision juridictionnelle prenant le parti de la détention provisoire revient à établir une « inexistence du titre de détention » [Cass. crim., du 4 janv. 1983, n° 82-93.809 : Bull. crim., n° 3 – Cass. crim., 4 juin 2009, n° 09-81.886 : Bull. crim., n° 113] et un tel constat entraîne la libération d’office, que le vice soit décelé par la chambre de l’instruction saisie en appel de la décision critiquée ordonnant le placement en détention provisoire ou son maintien [Cass. crim., 10 mai 1995, n° 95-80.975 : Bull. crim., n° 168 ; v. sur ce point F.-L. Coste, « Chambre de l’instruction » ; rép. pén., n° 441] ou par la Cour de cassation saisie d’un pourvoi contre l’arrêt critiqué de la chambre de l’instruction prononçant la continuation de la privation de liberté [dans ce cas, la Cour de cassation, lorsque la privation de liberté est toujours en cours, « [constate] que [le prévenu] est détenu sans titre depuis [le vice] » et « [ordonne] sa mise en liberté s'il n'est détenu pour autre cause » dans son dispositif, cette formule étant la plus usitée, même si celle-ci connait des variantes ; v. les différentes références citées ci-après]. Certains cas constituent des causes d’inexistence par nature. Ainsi en est-il du dépassement du délai légal encadrant la saisine de la juridiction et le rendu de sa décision, la loi prévoyant la sanction de la mise en liberté d’office [v. à chaque fois pour le dépassement du délai de l’article 194 du Code de procédure pénale, concernant l’appel de l’ordonnance de maintien en détention provisoire rendu en même temps que le renvoi, Cass. crim., 28 oct. 2014, n° 14-85.715 : inédit, ou concernant l’appel de l’ordonnance refusant une demande de mise en liberté, Cass. crim., 15 janv. 2013, n° 12-87.079 : Bull. crim., n° 13, Cass. crim., 4 sept. 2012, n° 12-83.997 : Bull. crim., n° 177, Cass. crim., 20 août 2014, n° 14-83.686 : inédit, Cass. crim., 24 févr. 2009, nos 08-88.100 et 09-80.553 : inédit et Cass. crim., 7 févr. 2012, n° 11-88.494 : Bull. crim., n° 36, ou concernant l’appel de l’ordonnance de placement en détention provisoire, Cass. crim., 10 mai 2011, n° 11-80.888 : inédit, ou encore concernant l’appel de l’ordonnance prolongeant la détention provisoire Cass. crim., 18 janv. 2011, n° 10-87.525 : Bull. crim., n° 7]. C’est également le cas du dépassement de tout autre délai procédural sanctionné par la loi par la mise en liberté d’office [v. par ex. Cass. crim., 14 sept. 2011, n° 11-84.937 : Bull. crim., n° 179 pour l’application de l’article 221-3 du Code de procédure pénale traitant de l’examen de l’ensemble de la procédure par la Chambre de l’instruction ou Cass. crim., 5 août 2004, n° 04-83.281 : inédit pour l’application de l’article 179 du Code de procédure pénale traitant de l’audiencement de l’affaire une fois le renvoi devant le Tribunal correctionnel prononcé]. Dans une hypothèse proche, le défaut de prolongation judicaire de la détention provisoire à l’échéance du délai légal justifie la mise en liberté [v. pour l’ordonnance de prolongation de détention provisoire survenue un jour après l’échéance, Cass. crim., 10 mai 1995, n° 95-80.975 : Bull. crim., n° 168]. De même, le maintien illégal en détention malgré l’ordre de libération adopté par le juge judiciaire compétent est une autre cause de mise en liberté d’office [Cass. crim., 21 août 2013, n° 13-84.062 : inédit]. Pour les autres cas, la gravité du vice atteignant le titre revient à lui conférer un effet équivalent à l’inexistence. Ainsi en est-il de la violation du principe du contradictoire du débat sur la détention provisoire, sans pourtant que la loi ne prévoit expressément dans ce cas de mise en liberté d’office [v. devant la chambre de l’instruction saisie de l’appel de la prolongation de la détention provisoire, Cass. crim., 3 déc. 2013, n° 13-86.208 : Bull. crim., n° 243 – v. devant la chambre de l’instruction saisie sur appel du ministère public formé contre le refus du juge des libertés et de la détention de placer en détention provisoire, Cass. crim., 8 janv. 2013, n° 12-86.830 : inédit – v. devant la chambre de l’instruction saisie de l’appel de l’ordonnance de placement en détention provisoire, Cass. crim., 9 juil. 2008, n° 08-83.107 : inédit]. L’incompétence de la juridiction ayant rendu le titre initial de privation de liberté justifie également la libération d’office [Cass. crim., 22 janv. 2013, n° 12-87.199 : Bull. crim., n° 21]. De manière exceptionnelle, l’illégalité de l’arrestation de la personne placée à sa suite en détention provisoire, sans interruption de la privation de liberté, apparaît de nature à entraîner une libération d’office pour aboutir à caractériser l’inexistence de l’ordonnance de placement en détention provisoire [v. pour l’illégalité du mandat d’arrêt aboutissant au prononcé de la libération d’office, Cass. crim., 12 avr. 2012, n° 12-80.654 : inédit – v. pour l’admission de l’efficacité des critiques de « l'absence de procédure d'extradition, et [de] l'irrégularité prétendue de [l’]arrestation », Cass. crim., 10 janv. 1995, n° 94-84.935 : Bull. crim., n° 11 - ces deux arrêts ne sauraient être interprétés largement, alors que l’irrégularité de la garde à vue, de jurisprudence constante, ne se communique pas au placement en détention provisoire prononcé à la suite d’un défèrement immédiat du suspect devant le juge d’instruction ou le procureur de la République ; v. par ex. Cass. crim., 22 janv. 2013, n° 12-87.042 : inédit]. Les formulations de la Cour de cassation rappellent que chaque décision juridictionnelle prenant le parti de la détention provisoire constitue un « titre » de détention [un titre de détention du Tribunal, pour employer la terminologie de l’article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme], et que, indépendamment de sa place dans l’enchevêtrement des autres décisions, son inexistence revient à caractériser, même momentanément, une privation de liberté arbitraire, dont l’interdiction [v. l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu »] justifie la mise en liberté [v. ainsi Cass. crim., 9 juil. 2008, n° 08-83.107 : inédit : la Cour de cassation y formule que « du fait de la cassation » de l’arrêt de la chambre de l’instruction confirmant l’ordonnance de placement en détention provisoire pour défaut de contradictoire, le demandeur « est détenu sans titre et doit être remis en liberté s'il n'est détenu pour autre cause »].
Au contraire, d’autres vices de la décision judiciaire prononçant la détention provisoire ou la maintenant n’ont pas la gravité suffisante pour justifier la mise en liberté d’office. Il en est ainsi du vice de motivation. De jurisprudence constante, « en raison de l'effet dévolutif de l'appel, [il appartient  à la Chambre de l’instruction] d'examiner le bien-fondé de la détention provisoire et de statuer sur la nécessité de cette mesure, au besoin en substituant aux motifs insuffisants ou erronés du premier juge des motifs répondant aux exigences légales » [Cass. crim., 3 sept. 2013, n° 13-84.279 : inéditCass. crim., 15 oct. 2014, n° 14-84.967 : inédit]. Si le vice de motivation concerne l’arrêt de la chambre de l’instruction qui a prononcé la continuation de la détention provisoire, la cassation et l’annulation, à la différence du constat d’inexistence du titre de détention, aboutissent à laisser la personne concernée en détention provisoire, soit possiblement, jusqu’à ce que la chambre de l’instruction saisie sur renvoi statue, sauf, par ailleurs, demande de mise en liberté accueillie ou refus de prolongation ou épuisement des délais légaux [v. pour le premier arrêt de cassation de la chambre de l’instruction confirmant le placement en détention provisoire au regard du défaut de motivation concernant « le caractère insuffisant d'une mesure de contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique », Cass. crim., 22 août 2012, n° 12-83.896 : inédit, puis le nouvel arrêt de la Cour de cassation dans la même affaire appréciant la légalité de l’arrêt de la chambre de l’instruction saisie par renvoi qui avait confirmé le placement, Cass. crim., 12 juin 2013, n° 13-82.084 : inédit].
Une distinction similaire apparaît dans la jurisprudence européenne concernant le vice du titre judiciaire de détention, découvert au cours de l’exercice des voies de recours internes. Selon la Cour européenne des droits de l’Homme, si certains vices sont susceptibles d’être couverts par une juridiction supérieure [le défaut reste alors efficace à entraîner une violation de la Convention pour non‑respect des « voies légales » : « dès lors qu'au regard de l'article 5 § 1er l'inobservation du droit interne emporte violation de la Convention, la Cour peut et doit vérifier si le droit interne a bien été respecté » ; CEDH, gde ch., 9 juil. 2009, Mooren c. Allemagne, req. n° 11364/03 ; § 73 ; v. par ex. concernant le défaut de réalisation d’une note d’audience prévue par le droit interne, CEDH, sect. III, 30 juin 2005, Nakach c. Pays-Bas, req. n° 5379/02, en angl. ; la violation de l’article 5 ouvre alors le droit à réparation sur le fondement de l’article 5 § 5], seuls les vices constituant une « irrégularité grave et manifeste » permettent de constater le caractère arbitraire de la privation de liberté déjà effectuée sur ce titre et, a contrario, ne peuvent être couverts par la juridiction de rang supérieur [Mooren c. Allemagne, gde ch. : préc. ; § 75 et s. : « sauf dans les cas où ils constituent une irrégularité grave et manifeste, les vices affectant une décision de placement en détention peuvent être purgés par les juridictions d'appel internes dans le cadre d'une procédure de contrôle juridictionnel », si bien qu’« une distinction fondamentale doit être établie entre les titres de placement en détention manifestement invalides – par exemple ceux émis par un tribunal en dehors de sa compétence […] ou dans les cas où la partie intéressée n'a pas été dûment avertie de la date de l'audience […] – et les titres de détention qui sont prima facie valides et efficaces tant qu'ils n'ont pas été annulés par une juridiction supérieure »]. Au regard de la jurisprudence européenne, la motivation insuffisante du titre judiciaire de détention ne figure pas parmi la catégorie des « irrégularités graves et manifestes » [Mooren, gde ch. : préc. ; CEDH, sect. I, 6 déc. 2007, Liu c. Russie, req. n° 42086/05 ; § 76 et s.], comme l’absence de notification de la décision judiciaire de placement en privation de liberté [CEDH, sect. II, 4 mars 2008, Marturana c. Italie, req. n° 63154/00] ou encore la composition erronée de la juridiction compétente [CEDH, sect. III, 18 oct. 2011, Pavalache c. Roumanie, req. n° 38746/03]. La Cour européenne des droits de l’Homme retient une vision plutôt restrictive de l’irrégularité grave et manifeste [v. au contraire pour une telle qualification, concernant l’adoption de deux titres de placement en privation de liberté à utiliser alternativement selon le lieu de détention disponible, CEDH, sect. I, 7 févr. 2012, Proshkin c. Russie, req. n° 28869/03, en angl.]. Plus généralement, la Cour européenne des droits de l’Homme ne défend pas une vision stricte de la détention sans titre, alors que sa jurisprudence a parfois validé la privation de liberté maintenue malgré l’expiration de la validité du précédent titre judiciaire de détention dans l’attente de l’adoption du nouveau titre prolongeant la mesure de contrainte [v., pour une jurisprudence certes ancienne, concernant la validation de la privation de liberté de deux semaines de l’aliéné, réalisée sans titre, entre l’extinction d’un premier titre arrivé au terme de sa période de validité et l’adoption d’un nouveau, CEDH, ch., 24 oct. 1979, Winterwerp c. Pays-Bas, req. n° 6301/73 : Rec. CEDH, série A, n° 33 ; v. pour le refus de couvrir une privation de liberté de près de deux mois entre deux titres valides, non par principe, mais au regard de la durée trop importante de celle‑ci, CEDH, ch., 2 sept. 1998, Erkalo c. Pays-Bas, req. n° 23807/94 : Rec. CEDH, 1998-VI ; v. plus récemment encore pour la sanction d’une telle privation de liberté factuelle et transitoire, en matière de rétention de sûreté, toujours pas par principe, mais du fait de l’imputation du manquement aux autorités nationales, CEDH, sect. V, 19 sept. 2013, H. W. c. Allemagne, n° 17167/11, en angl. ; v. pour l’admission de la régularité la détention, au regard de sa brièveté, maintenue à la fin du délai légal de la garde à vue, alors que l’audience pour le placer en détention avait débuté une demi-heure plus tard, CEDH, sect. IV, 8 févr. 2011, Ignatenco c. Moldavie, req. n° 36988/07, en angl.]. Si les deux standards s’accordent pour relativiser la sanction du défaut de motivation du titre judiciaire de privation de liberté, empêchant d’en faire une garantie de premier ordre pour la protection de la liberté individuelle, le droit européen apparaît encore plus en retrait quant à la délimitation de la privation de liberté sans titre, par considération supérieure pour l’appréciation judiciaire qui a conclu au bien-fondé de la privation de liberté, malgré l’existence d’une irrégularité formelle [la Cour européenne des droits de l’Homme est moins conciliante lorsque la privation de liberté est fondée sur un titre de détention administratif, ayant par exemple sanctionné le droit français au regard de l’impossibilité pour l’aliéné d’obtenir sa libération, malgré le constat de la nullité de l’arrêté préfectoral le maintenant en privation de liberté du fait de son défaut de motivation ; CEDH, sect. V, 18 nov. 2010, Baudoin c. France, req. n° 35935/03 ; § 109 : « le requérant n'a disposé d'aucun recours effectif qui lui aurait permis d'obtenir une décision judiciaire constatant l'irrégularité de l'acte fondant son internement et mettant fin, par voie de conséquence, à sa privation de liberté irrégulière »].
En tout cas, la question prioritaire de constitutionnalité visant le refus jurisprudentiel de l’application de l’article 194 à la chambre de l’instruction saisie de la détention provisoire sur renvoi après cassation était donc pertinente, pour empêcher a priori le juge judiciaire de constater l’inexistence du titre de détention, et donc de libérer d’office, en cas de décision de maintien prononcée tardivement par la chambre de l’instruction saisie sur renvoi après cassation.
3. Les contours de la constitutionnalisation de la notion de bref délai. C’est donc dans cette hypothèse que le Conseil constitutionnel a estimé suffisant pour protéger la liberté individuelle d’édicter une réserve selon laquelle, « en matière de privation de liberté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais […], y compris lorsque la chambre de l'instruction statue sur renvoi de la Cour de cassation  [déc. n° 2014-446 QPC du 29 janv. 2015 ; préc.], sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme [dans le rappel des principes applicables, si le Conseil constitutionnel cite aussi l’article 66 de la Constitution, il tire de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 « le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif »], qui fonde désormais dans sa jurisprudence le droit au juge et l’application des garanties du procès équitable [le fondement est désormais régulièrement appliqué en matière de privation de liberté, par exemple pour fonder le droit à l’assistance d’un avocat pour le suspect en garde à vue, Cons. const., déc. n° 2010-14/22 QPC du 30 juil. 2010, [M. W.] : J. O., 31 juil. 2010, p. 14198 ; RTD civ., 2010 p. 513, obs. P. Puig ; RSC, 2011, p. 139, obs. A. Giudicelli ; D., 2010, p. 2254, obs. J. Pradel ; AJP, 2010, p. 470, comm. J.‑B. Perrier ; Constitutions, 2010, p. 571, comm. E. Daoud et E. Mercinier ; RSC, 2011, p. 165, obs. B. de Lamy, ou pour justifier de la censure du pouvoir d’évocation de la chambre de l’instruction en matière de détention provisoire, Cons. const., déc. n° 2010-81 QPC du 17 déc. 2010, [M. B.] : J. O., 19 déc. 2010, p. 22375 ; JCP, 2011, n° 144, note V. Tellier-Cayrol]. On notera toutefois que le Conseil constitutionnel a préféré se référer à la notion des « plus brefs délais », plutôt que de reprendre plus précisément la notion de bref délai figurant à l’article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme [« toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale » - surligné par nos soins]. Il ne faudrait pas y voir une distinction vis-à-vis de la notion européenne, alors que le Conseil constitutionnel a dégagé pour l’Habeas corpus, c’est-à-dire le premier contrôle judiciaire automatique de la privation de liberté, une obligation de célérité encore supérieure, « le plus court délai possible » [v. Cons. const., déc. n° 79-109 DC du 9 janv. 1980 portant sur la loi relative à la prévention de l’immigration clandestine et portant modification de l’ord. n° 45-2658 du 2 nov. 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers et portent création de l’Office national d’immigration : J. O., 11 janv. 1980, p. 84 ; consid. n° 4 : « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible »] : la notion du « plus court délai possible » dans la jurisprudence constitutionnelle correspond à la notion d’« aussitôt » de la Convention européenne des droits de l’Homme [v. l’art. 5 § 3 CEDH :  « toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires »] s’agissant de l’Habeas corpus, tandis que la notion des « plus brefs délais » dans la jurisprudence constitutionnelle correspond à la notion de « bref délai » de la même Convention s’agissant de l’obligation de célérité moindre dans laquelle doit trancher ultérieurement le juge saisi de la contestation de la légalité de la privation de liberté. L’obligation pour le juge judiciaire de trancher la légalité de la privation de liberté à bref délai avait déjà été dégagée par le Conseil constitutionnel en matière d’internement des aliénés, sur le même fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, dans une formule approchante, adaptée cependant à ce cas de privation de liberté, concernant la saisine du juge judiciaire « à tout moment » pour obtenir la mainlevée de la mesure  [Cons. const., déc. n° 2010-71 QPC du 26 nov. 2010, [Mme S.] : J. O., 27 nov. 2010, p. 21119 ; Dr. Famille, 2011, comm. n° 11, note I. Maria ; RFDA, 2011, p. 951, chron. A. Pena ; JCP, 2011, n° 189, note K. Grabarczyk ; AJDA, 2011, p. 174, X. Bioy : « s'agissant d'une mesure privative de liberté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge judiciaire soit tenu de statuer sur la demande de sortie immédiate dans les plus brefs délais compte tenu de la nécessité éventuelle de recueillir des éléments d'information complémentaires sur l'état de santé de la personne hospitalisée »]. La notion de bref délai, qui figure dans la loi pour la détention provisoire [v. l’art. 194 CPP] et l’internement forcé des aliénés [v. l’art. L. 3211-12 CSP], était déjà apparue dans la jurisprudence constitutionnelle de manière incidente dans la première matière [v. pour le contrôle de la conformité, au regard de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, de la procédure de demande de remise en liberté instituée par l’article 148 du Code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel notant que la disposition permettait au juge d’instruction d’étudier la demande « à bref délai », Cons. const., déc. n° 2010-62 QPC du 17 déc. 2010, [M. M.] : J. O., 19 déc. 2010, p. 22372 ; AJP, 2011, p. 136, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions, 2011, 531, obs. E. Daoud et A. Talbot ; JCP, 2011, n° 144, note V. Tellier‑Cayrol ; RSC, 2011, p. 864, obs. D. Boccon‑Gibod] et dans la seconde [v. pour la sanction du défaut de « réexamen à bref délai de la situation de la personne hospitalisée » en cas de certificat médical concluant à l’absence de nécessité de la mesure, sans pour autant que le Conseil constitutionnel ne vise précisément le réexamen judiciaire, Cons. const., déc. n° 2011-135/140 QPC du 9 juin 2011, [M. B. et autre] : J. O., 10 juin 2011, p. 9892 ; Constitutions, 2011, p. 400, obs. X. Bioy ; RFDA, 2012, p. 629, K. Blay‑Grabarczyk].
La formulation de principe posée dans la dernière décision du Conseil constitutionnel, éclairée des décisions précédentes, rappelle la double généralité de l’application du bref délai obligeant la juridiction statuant sur la légalité de la privation de liberté. Elle s’applique en toute matière [à la détention provisoire, à l’internement des aliénés, mais aussi sans doute à toute autre mesure privative de liberté dont la légalité doit être mesurée périodiquement] et à tout examen judiciaire, qu’il s’agisse du contrôle juridictionnel vertical [dans notre dernière décision, à la chambre de l’instruction statuant sur renvoi après cassation] ou du contrôle juridictionnel horizontal [par ex. à la demande de remise en liberté formulée devant le juge d’instruction « à tout moment » selon l’art. 148 CPP ou à la demande de mainlevée de l’hospitalisation sous contrainte formulée devant le juge des libertés et de la détention également « à tout moment » selon l’art. L. 3211-12 CSP]. Le particularisme de la privation de liberté justifie non seulement un contrôle judiciaire soutenu, mais en plus d’appliquer une célérité dérogatoire au droit commun à l’action en contestation de sa légalité, quelle qu’elle soit. On pourra cependant regretter que le recours effectif en matière de privation de liberté, soumis au bref délai spécialement en cette matière, ne soit pas dégagé plus directement sur le fondement de l’article 66 de la Constitution [si l’article 66 de la Constitution est bien cité dans la décision, il semble justifier surtout le rappel fait par le Conseil constitutionnel au juge judiciaire d’assurer un contrôle rigoureux du respect du bref délai – v. infra, n° 4], alors pourtant qu’il fonde la garantie judiciaire en la matière, l’Habeas corpus [v. déc. n° 79-109 DC du 9 janv. 1980 : préc.], plutôt que sur le fondement de droit commun de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, compliquant le développement clair de garanties spécifiques au contrôle judiciaire de la privation de liberté [dans le système de la Convention européenne des droits de l’Homme, le recours interne en contestation de la légalité de la privation de liberté repose sur un fondement spécial, l’article 5 § 4, à l’exclusion du fondement général, l’article 13, le texte de la première disposition contenant ainsi précisément les principes applicables, comme l’obligation pour le « Tribunal » de statuer à « bref délai » ou l’édiction de la sanction du défaut de « légalité » de la privation de liberté, à savoir la « libération »].
La notion de bref délai provient de l’article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui fonde d’abord un recours périodique permettant au détenu de demander sa mise en liberté [l’article 5 § 4, qui ne s’applique pas par principe à la contestation du maintien de la peine privative de liberté durant son cours du fait de la théorie du « contrôle incorporé » de son bien-fondé dans la décision de condamnation – v. CEDH, plén., 18 juin 1971, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, req. nos 2832/66, 2835/66 et 2899/66 : Rec. CEDH, série A, n° 12 –, suppose dans les autres cas que le détenu puisse « saisir un "tribunal" compétent […] pendant sa "détention" - un certain temps après le début de celle-ci, puis à des intervalles raisonnables […] - ainsi qu’au moment d’un réinternement éventuel s’il se trouvait en liberté » – CEDH, plén., 24 juin 1982, Van Droogenbroeck c. Belgique, req. n° 7906/77 : Rec. CEDH, série A, n° 50]. La Cour européenne des droits de l’Homme adopte aussi une application large de l’exigence du bref délai au Tribunal saisi de la contestation de la légalité de la privation de liberté. Si le contrôle de la privation de liberté institué par le droit européen est d’abord horizontal [CEDH, ch., 12 déc. 1991, Toth c. Autriche, req. n° 11894/85 : Rec. CEDH, série A, n° 224 ; RSC, 1992, p. 367, obs. L.-E. Pettiti ; § 84 : « l’article [5 § 4] n’astreint pas les États contractants à instaurer un double degré de juridiction pour l’examen de demandes d’élargissement »], la jurisprudence européenne applique cependant les garanties de l’article 5 § 4 aux différents degrés de juridictions organisés par le droit interne [v. pour l’appel, ibid. : « un État qui se dote d’un tel système doit en principe accorder aux détenus les mêmes garanties en appel qu’en première instance » - v. pour l’application au recours en cassation de l’exigence du bref délai, CEDH, sect. III, 19 mai 2005, Rapacciuolo c. Italie, req. n° 76024/01 ; § 31 et s., ou encore CEDH, sect. III, 9 juin 2005, Picaro c. Italie, req. n° 42644/02 ; § 62 et s. ou pour l’application du contradictoire, CEDH, sect. III, 1er juin 2006, Fodale c. Italie, req. n° 70148/01 ; § 39 et s. – v. pour l’application du bref délai au recours à la juridiction constitutionnelle saisie d’un cas individuel, CEDH, sect. V, 27 sept. 2007, Smatana c. République Tchèque, req. n° 18642/04 ; § 126 et s.]. Quant au cas du droit national qui organise un contrôle horizontal riche de la privation de liberté, [soit que le juge de premier degré doive régulièrement la prolonger dans des saisines automatiques, soit que le détenu puisse le saisir sans limitation], la Cour européenne des droits de l’Homme a pu se montrer conciliante dans un premier temps de sa jurisprudence quant à l’appréciation de la célérité d’un recours en particulier apparaissant tardif, pour réaliser une appréciation globale de la procédure et écarter la violation de la Convention, au regard de la formulation d’autres recours par le prévenu suffisamment rapides pendant la même période [v. CEDH, ch., 26 juin 1991, Letellier c. France, req. n° 12369/86 : Rec. CEDH, série A, n° 207 ; § 54 et s. ; la Cour a tenu compte de la formulation par le détenu de six recours, étudiés dans des délais rapides, pour conclure au respect de la Convention, malgré la présence d’un recours plus long, concernant justement le délai dans lequel la chambre d’accusation saisie sur renvoi après cassation avait tranché le recours] ou même au regard de la simple possibilité pour celui-ci de saisir à tout moment le juge judiciaire d’une demande de remise en liberté [v. par ex. CEDH, ch., 23 nov. 1993, Navarra c. France, req. n° 13190/87 : Rec. CEDH, série A, n° 273-B : RSC, 1994, p. 362, chron. R. Koering-Joulin]. Cette appréciation globale a disparu dans la jurisprudence plus récente de la Cour européenne des droits de l’Homme. Elle a estimé dans plusieurs arrêts que le vice de rapidité touchant le recours porté devant une juridiction supérieure ne pouvait être purgé par la possibilité pour le prévenu de saisir à tout moment la juridiction de premier degré d’une demande de remise en liberté [CEDH, sect. V, 27 sept. 2007, Smatana c. République Tchèque, req. n° 18642/04CEDH, sect. III, 7 juin 2011, S. T. S. c. Pays-Bas, req. n° 277/05]. La Cour dégage désormais plus nettement que « même si un détenu a formé plusieurs demandes d’élargissement, cette disposition ne confère pas aux autorités une “marge d’appréciation” ou la possibilité de choisir celles qui doivent être traitées plus rapidement » si bien que « toutes ces procédures doivent satisfaire à l’exigence du “bref délai” » [CEDH, sect. II, 3 juil. 2007, Naranjo Hurtado c. Italie, req. n° 16508/04 ; § 34 - CEDH, sect. II, 24 avr. 2008, Rizzotto c. Italie, req. n° 15349/06 ; § 32 – v. pour la première formulation du principe, dans un arrêt en anglais, CEDH, sect. V, 4 oct. 2001, Ilowiecki c. Pologne, req. n° 27504/95, en angl. ; § 77 et s. – v. pour le refus de tenir compte de la survenue d’une décision de prolongation de la détention provisoire rendue par une autre juridiction au cours de l’instance dont la célérité était contrôlée au regard du bref délai, CEDH, sect. III, 29 oct. 2013, Anderco c. Roumanie, req. n° 3910/04 ; § 60].
La jurisprudence constitutionnelle ne s’est pas contentée d’intégrer la notion de la Convention européenne des droits de l’Homme de bref délai – ce que le Conseil constitutionnel avait fait antérieurement à cette décision –, mais a aussi intégré la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme appliquant la notion à l’ensemble des recours juridictionnels contre la continuation de la privation de liberté – ce que le Conseil constitutionnel avait déjà entamé, la décision ici commentée le montrant plus clairement –, dans un dialogue des juges plutôt abouti. Le rappel de l’application stricte du bref délai aux juridictions de rang supérieur, malgré la possibilité pour l’individu de demander « à tout instant » sa remise en liberté devant le juge de premier degré, qui figure dans la jurisprudence nationale [v. Cass. crim., 12 juin 2013, n° 13-82.084 : inédit ; alors que la chambre de l’instruction, saisi sur renvoi après cassation de la légalité de l’ordonnance de placement en détention provisoire, avait noté, pour justifier le délai de sept mois dans lequel elle avait statué, que « ce délai n'est pas de nature à entraîner la violation des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme dès lors que l'intéressé avait la possibilité de former à tout moment des demandes de mise en liberté et, à cette occasion, faire examiner la validité du titre de détention », la Cour de cassation censurait la motivation dès lors qu’« à l'occasion de l'appel d'une ordonnance de rejet de demande de mise en liberté, la personne mise en examen n'est pas recevable à invoquer l'irrégularité de la décision initiale de placement en détention »], européenne [v. supra concernant la jurisprudence européenne plus ancienne Letellier et son évolution dans les arrêts Smatana, S. T. C. c. Pays-Bas et Anderco] et désormais constitutionnelle, démontre l’importance des recours devant celles-ci pour la personne privée de liberté, dès lors qu’au-delà de l’appréciation du bien‑fondé de la privation de liberté réalisée par le juge d’appel comme par le juge de premier degré saisi d’une demande distincte de remise en liberté, ils permettent la remise en liberté d’office en cas de constat, pour reprendre la terminologie de la Cour de cassation, d’« inexistence » ou, pour reprendre la terminologie de la Cour européenne des droits de l’Homme, d’« irrégularité grave et manifeste » du titre de privation de liberté dont les juridictions supérieures ont à apprécier la légalité.
4. Les effets de l’application du bref délai à la chambre de l’instruction saisie sur renvoi après cassation de la question du maintien en privation de liberté. Si la décision commentée n’est pas la première à constitutionnaliser le bref délai en matière de privation de liberté, elle n’apparaît guère décisive non plus quant au cas particulier de la saisine de la chambre de l’instruction sur renvoi après cassation, alors que la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours reconnu la nécessité pour le juge d’appel saisi dans ces conditions de statuer rapidement, dégageant dans un premier temps de sa jurisprudence « un devoir [à] statuer au plus tôt » [Cass. crim., 21 nov. 1968, n° 68-92.213 : Bull. crim., n° 311], puis dans un second temps l’obligation de statuer à bref délai [Cass. crim., 27 mars 2001, n° 01-80.549 : inédit - Cass. crim., 10 avril 2002, 2 espèces, n° 02-80.886 et n° 02-80.879 : inédits - Cass. crim., 8 juil. 2009, n° 09-82.492 : inédit - Cass. crim., 24 mai 2011, n° 11-81.118 : inédit]. La Chambre criminelle a d’abord renvoyé l’appréciation du bref délai à l’appréciation souveraine du juge du fond [Cass. crim., 10 avril 2002, 2 espèces, n° 02-80.886 et n° 02-80.879 : inédits]. La chambre criminelle semble désormais s’accaparer le contrôle de la motivation de la chambre de l’instruction. Dans une première affaire où la chambre de l’instruction, saisie sur renvoi après cassation en date du 1er décembre 2010, avait statué le 8 février 2011, la Chambre criminelle avait opéré un léger contrôle de  la motivation du juge du fond, validant celle-ci qui s’était référée à la complexité de l’affaire et à la date de la notification de l’arrêt de cassation, survenue le 19 janvier 2011 [Cass. crim., 24 mai 2011, n° 11-81.118 : inédit]. De manière plus décisive, la Chambre criminelle a censuré la motivation de la chambre de l’instruction écartant le grief de la tardiveté de sa décision rendue sept mois après la cassation, écartant la pertinence de l’argument employé et constatant qu’à défaut d’autre élément, elle ne s’était pas expliquée sur le grief soulevé du dépassement du bref délai [Cass. crim., 12 juin 2013, n° 13-82.084 : inédit ; « mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que, d'une part, à l'occasion de l'appel d'une ordonnance de rejet de demande de mise en liberté, la personne mise en examen n'est pas recevable à invoquer l'irrégularité de la décision initiale de placement en détention et que, d'autre part, elle devait s'expliquer, comme elle y était invitée par le mémoire, sur le délai qui s'est écoulé entre l'arrêt de cassation et sa décision, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision »].
Ce contrôle apparaît quelque peu en retrait des principes issus de la jurisprudence européenne quant à l’appréciation du bref délai. Si le juge national estime que l’appréciation du bref délai dans l’hypothèse de la saisine de la Chambre de l’instruction se mesure à compter de l’arrêt de la Cour de cassation [Cass. crim., 27 mars 2001, n° 01-80.549 : inédit ; le bref délai se mesure « en considérant le temps écoulé depuis l'arrêt de la Cour de Cassation ayant saisi la chambre de l'instruction et non depuis l'ordonnance du juge d'instruction frappée d'appel »], ce qui apparaît conforté par la dernière décision du Conseil constitutionnel [déc. n° 2014-446 QPC du 29 janv. 2015 : préc. ; le Conseil vise précisément l’application de l’exigence du bref délai « y compris lorsque la chambre de l’instruction statue sur renvoi de la Cour de cassation »], solution qui pouvait s’appuyer sur un arrêt ancien de la Cour européenne des droits de l’Homme [v. implicitement Letellier : préc. ; § 56], le dernier état de la jurisprudence européenne, concernant le cas de l’affaire ayant donné lieu à une décision sur la détention provisoire annulée pour un vice de droit et renvoyée par la juridiction de degré supérieure devant un autre juge du fond, réalise une appréciation du bref délai depuis la formulation du recours ayant abouti à la décision annulée jusqu’à l’obtention de la décision de fond rendue sur renvoi, englobant donc la procédure réalisée devant la juridiction supérieure ayant prononcée l’annulation de la décision pour des motifs de droit [Anderco : préc. ; § 59 : c’est le délai de trois mois, partant de l’objection saisissant le juge de premier ressort qui avait statué le 25 avril 2003, englobant la procédure menée devant la Cour d’appel d’Oradea, qui avait annulé ce premier jugement par un arrêt du 22 mai 2003 pour vice de forme, et courant jusqu’à l’obtention d’un nouveau jugement sur le fond rendu sur renvoi le 11 juillet 2003, qui violait l’exigence de bref délai]. C’est qu’au sens strict, pour revenir au droit national, dès lors que l’arrêt initial de la chambre de l’instruction se trouve annulé et que seul l’arrêt rendu sur renvoi par le juge de second degré permettra un contrôle complet de la légalité de la détention provisoire, à la différence de l’arrêt de cassation limité au droit, la dernière analyse européenne apparaît mieux fondée [l’arrêt précité Anderco, qui a adopté cette approche, constitue alors un repère intéressant, pour censurer un délai de trois mois, malgré l’importance du dossier, de 5.000 pages, et l’existence d’une complication juridique, du fait d’un changement de législation intervenu durant l’instance]. Même à retenir la position exprimée par la Chambre criminelle jusqu’à maintenant [on se demande alors par quel recours interne la célérité de la Cour de cassation, le bref délai s’appliquant également devant elle selon la Cour européenne des droits de l’Homme – v. infra, n° 3 et la jurisprudence citée –, pourrait être contrôlée, si ce n’est au travers de la contestation de la « durée raisonnable » de la détention provisoire, intégrée dans la loi à l’article 144-1 du Code de procédure pénale, dont la Cour de cassation n’assure pas le contrôle – Cass. crim., 19 déc. 2006, n° 06-87.486 : inédit ; « échappe au contrôle de la Cour de cassation le bien-fondé de la motivation relative à la durée de la détention provisoire au regard du délai raisonnable prévu par l'article 144-1 du code de procédure pénale » –, avec la bienveillance de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui continue d’exiger en la matière le recours en cassation pour constater l’épuisement des voies de recours internes – v. CEDH, gde ch., 28 sept. 1999, Civet c. France, n° 29340/95 : Rec. CEDH, 1999-VI ; RSC, 2000, p. 239, comm. F. Massias, CEDH, sect. III, 20 janv. 2000, Yahiaoui c. France, req. n° 30962/96 : Procédures, 2000, comm. n° 120, obs. N. Fricero ou CEDH, sect. III, 30 mai 2000, Laurent Bernard c. France, req. n° 38164/97], le contrôle du bref délai réalisé par le juge national apparaît insuffisant [v. surtout Cass. crim., 24 mai 2011, n° 11-81.118 : inédit], par exemple pour se référer vaguement à la « complexité » de la procédure sans en justifier concrètement [le degré de complexité de l’affaire est bien un critère pertinent pour apprécier le bref délai dans lequel doit statuer le Tribunal – v. par ex. CEDH, ch., 21 nov. 1986, Sanchez Reisse c. Suisse, req. n° 9862/82 : Rec. CEDH, série A, n° 107] ou encore pour tenir compte du moment de la notification par la Cour de cassation de l’arrêt de renvoi, comme si le comportement de la Chambre de l’instruction devait être appréciée seulement à partir de ce moment, alors pourtant que celle-ci est une cause de retard imputable aux seules autorités, seules les causes imputables exclusivement au prévenu justifiant une célérité moindre [CEDH, sect. I, 25 oct. 2007, Lebedev c. Russie, req. n° 4493/04, en angl. : Rec. CEDH, série A, n° 107. – CEDH, 7 avr. 2005, Rokhlina c. Russie, req. n° 54071/00, en angl. ; § 79. – CEDH, sect. III, 24 nov. 2009, Shannon c. Lettonie, req. n° 32214/03, en angl.]. D’autre part, spécialement s’agissant de la détention provisoire, par égard pour la présomption d’innocence, la Cour entend réaliser un contrôle strict du bref délai [v.  Ilowiecki : préc. ; § 76]. À considérer que le bref délai doive être uniquement apprécié dans notre cas de l’arrêt de cassation jusqu’à ce que la Chambre de l’instruction statue sur renvoi, on voit mal comment justifier véritablement du dépassement d’un délai du même ordre que ceux de l’article 194 du Code de procédure pénale, alors que la Cour européenne des droits de l’Homme, pour le cas de la juridiction de second degré saisie en appel de la détention provisoire, sanctionne le plus souvent les délais supérieurs à vingt jours [CEDH, sect. IV, 30 nov. 2000, G. B. c. Suisse, req. n° 27426/95, en angl. ; § 34 et s. : sanction d’un délai de trente‑deux jours. – CEDH, sect. I, 1er juin 2006, Mamedova c. la Russie, req. n° 7064/05, en angl. ; § 96 : sanction d’un délai de vingt-six jours. – CEDH, sect. I, 22 déc. 2012, Butusov c. Russie, req. n° 7923/04, en angl. ; § 29 et s. : sanction d’un délai de vingt jours].
Au regard du contrôle national peu vigoureux par rapport à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, la dernière décision du Conseil constitutionnel, qui n’a pas simplement rappelé l’application du bref délai à la chambre de l’instruction saisie par renvoi après cassation, mais a aussi insisté sur la nécessité pour les « autorités judiciaires, sous le contrôle de la Cour de cassation, de veiller au respect de cette exigence », semble avoir formulé ce qui résonne comme une injonction faite au juge judiciaire d’intégrer plus fortement dans son contrôle les principes issus de la jurisprudence européenne, malgré le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité.
Il reste cependant que la dernière décision du Conseil constitutionnel n’éclaire guère sur la sanction du dépassement du bref délai constaté par la chambre de l’accusation lors de sa propre saisine après renvoi ou même par la Cour de cassation saisie d’un pourvoi contre cette dernière décision, notamment quant à l’obligation de prononcer en la matière la remise en liberté d’office [sur ce point, l’arrêt précité de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité avait noté que « la personne mise en examen se trouve dans l'impossibilité de connaître le délai dans lequel sera examinée la légalité de sa détention et de faire sanctionner le dépassement d'un tel délai »]. Même appuyée par le visa de l’article 66 de la Constitution qui sert dans la jurisprudence constitutionnelle à fonder le pouvoir de libération du juge judiciaire dans le contrôle de la privation de liberté [Cons. const., déc. n° 97-389 DC du 22 avr. 1997 relative à la loi portant diverses dispositions relatives à l’immigration : J. O., 27 avr. 1997, p. 6432 ; AJDA, 1997, p. 524, comm. F. Julien‑Laferrière ; JCP, 1997, II, n° 22890, obs. J.‑C. Zarka ; RDP, 1997, p. 931, comm. F. Luchaire ; consid. n° 60 : « lorsqu'un magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs que lui confère l'article 66 de la Constitution en tant que gardien de la liberté individuelle, décidé par une décision juridictionnelle qu'une personne doit être mise en liberté, il ne peut être fait obstacle à cette décision, fût-ce dans l'attente, le cas échéant, de celle du juge d'appel ».] et qui a été utilisé par le juge judiciaire lui-même pour se dégager un pouvoir de libération non prévu par la loi [v. pour le contrôle de la rétention administrative de l’étranger, Cass. civ. II, 28 juin 1995, Bechta et autres, nos 94-50.002, 94-50.005 et 94‑50.006 : Bull. Civ. II, nos 216, 211 et 212 ; JCP, 1995, II, n° 22504, avis J. Saint‑Rose ; D., 1996, p. 102, obs. F. Julien‑Laferrière ; AJDA, 1996, p. 72, A. Legrand ; Rev. crit. DIP, 1996, p. 275, N. Guimezanes ; RTD civ., 1996, p. 235, comm. J. Normand ; Gaz. Pal., 1995, doct., p. 1356, comm. J.-É. Malabre], l’injonction faite au juge judiciaire d’assurer un contrôle rigoureux du bref délai ne va pas jusqu’à prévoir explicitement la sanction de la libération. La Cour européenne des droits de l’Homme limite elle-même la portée de la violation du bref délai : « le recours permettant de soulever le grief tiré de l'exigence de célérité au sens de l'article 5 § 4 ne doit pas, pour être effectif, nécessairement mener à la libération de l'intéressé puisqu'il ne porte pas sur la détention en tant que telle mais uniquement sur la question de savoir si la contrainte temporelle de “bref délai” a été respectée », si bien qu’un recours indemnitaire est suffisant pour réparer la violation de la Convention [CEDH, sect. V, 28 oct. 2010, Knebl c. République Tchèque, req. n° 20157/05 ; § 101]. Que la violation du bref délai constatée dans ce cas par le juge judiciaire ne puisse justifier la remise en liberté serait pourtant décevant, tant le droit de la détention provisoire est cantonné par des délais dont le dépassement est sanctionné par la libération, notamment quant à ceux obligeant les juridictions à trancher vite, le législateur ayant établi son propre standard du bref délai, supérieur à celui du droit européen. La violation du bref délai dans notre hypothèse est d’autant plus grave que la cassation antérieure a modifié la situation juridique de l’individu, au point d’annuler un titre judiciaire de détention, justifiant particulièrement un réexamen complet de sa situation. À retenir cette solution, le choix du Conseil constitutionnel de procéder par une simple réserve deviendrait contestable, alors que la censure de la législation aurait vraisemblablement abouti à la création dans la loi d’un nouveau délai sanctionné par la libération d’office. C’est que le juge pénal devrait sans doute s’inspirer du juge civil, qui s’est dégagé un pouvoir de libération, en cas de constat de violation du délai légal dans lequel le juge des libertés et de la détention doit trancher la demande formée devant lui de mainlevée de l’hospitalisation psychiatrique forcée, malgré l’absence de sanction prévue par la loi à ce dépassement [Cass. civ. I, 27 févr. 2013, n° 11-20.405 : Bull. civ. I, n° 28].      





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