1. La peine
perpétuelle répressive de droit britannique [à la différence de la peine
perpétuelle sécable, la peine
perpétuelle répressive conserve
durant tout son cours l’objectif de punition et elle n’est donc pas soumise à
révision judiciaire au cours de son exécution sur le fondement de l’article 5 §
4 de la Convention ; dans le communiqué de presse concernant l’affaire Hutchinson, le greffe s’est référé à la
notion de perpétuité réelle, pourtant
impropre, dès lors que la peine de facto et
de jure incompressible constitue par
nature un traitement inhumain et dégradant ; v. sur la distinction entre
peine perpétuelle répressive et peine
perpétuelle sécable, nos obs., ici,
n° 1] avait donné lieu à un arrêt de Grande chambre de violation d’importance, aboutissant
à un meilleur encadrement de cette peine sur le fondement de l’article 3, par
le dégagement, au cours d’un long raisonnement caractérisé par de nombreuses
précautions sémantiques, d’un droit au réexamen bénéficiant au détenu [CEDH,
gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autre c.
Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 : Rec. CEDH, 2013 ; D., actu., 12 juil. 2013, obs. M. Léna ; ibid., 2013, p. 2081, note J.‑F. Renucci ; ibid.,
p. 2713, chron. G. Roujou de Boubée ; ibid.,
2014, p. 1235, chron. J.-P. Céré ;
RFDA, 2014, p. 538, chron. L. Labayle ; AJP, 2013, p. 494, obs. D. van Zyl Smit ; RSC, 2013, p. 625, chron. P. Poncela ; ibid., p. 649, obs. D. Roets
; Dr. pénal, 2013, comm. n° 165, obs.
É. Bonis-Garçon ; ibid., 2014, chron. n° 3, obs. V. Peltier ; ibid., chron. n° 4, chron. E. Dreyer ; JCP, 2014, n° 970, obs. L.
Milano ; ibid., 2013, n° 918,
obs. F. Sudre ; § 110 et s.]. Alors que la jurisprudence
appréciait auparavant la compatibilité de la perpétuité répressive à la simple existence d’une chance de facto et de jure d’être
libéré, même discrétionnaire [v. pour la validation d’une peine perpétuelle répressive en raison de l’existence d’un
droit de grâce discrétionnaire offrant une chance d’être libéré, CEDH,
gde ch., 12 févr. 2008, Kafkaris c. Chypre, req. n° 21906/04 : Rec.
CEDH, 2008 : RSC, 2008, p. 692, obs. D. Roets ; § 97], le droit au réexamen oblige les
autorités à contrôler la persistance d’« un motif légitime d’ordre pénologique »
[Vinter, gde ch. : préc. ; § 119] justifiant le
maintien de la peine au cours de son exécution. Ce critère a été précisé par la
jurisprudence ultérieurement : le dispositif national ayant « précisément pour but de se prononcer sur
[la] dangerosité [du condamné] et de prendre en compte son évolution au
cours de l’exécution de sa peine » répond aux exigences conventionnelles [CEDH,
sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France, req.
n° 40014/10 : § 60]. En revanche, le droit au réexamen ne saurait se
confondre avec l’existence d’une simple mesure de libération humanitaire pour
motif d’ordre médical [Vinter : préc. ; § 127 – Bodein, préc., § 59 – CEDH,
sect. II, 18 mars 2014, Ocalan c. Turquie (n° 2), req. nos 24069/03,
197/04 et 6201/06 : D., 2014, p. 1235, chron.
J.-P . Cere ; § 203].
D’autre part, le droit au réexamen est exigible pour la première fois au bout
d’un temps d’épreuve de vingt-cinq ans, puis périodiquement [Vinter : préc. ; § 120]. Enfin, dans un nouvel apport au mouvement plus
général de la prise en compte croissante de la sécurité juridique en matière de
privation de liberté [v. pour la rétention de sûreté, CEDH,
sect. V, 17 déc. 2009, M. c. Allemagne,
req. n° 19359/04, et pour l’aménagement des peines, CEDH,
gde ch., 21 oct. 2013, Del Rio Prada c. Espagne,
req. n° 42750/09], le droit au réexamen doit être prévu par une loi de qualité
dès le début de l’exécution de la peine perpétuelle répressive [Vinter, gde
ch., préc., § 122]. Le droit au
réexamen découvert sur le fondement de l’article 3 prend tous les atours du
droit de recours devant le Tribunal de l’article 5 § 4, si ce n’est, qu’au nom
de la marge d’appréciation, la Cour européenne des droits de l’Homme laisse le
choix aux États d’en saisir un organe juridictionnel ou administratif [ibid., § 120]. C’est dire que cette jurisprudence
portait les germes d’un encadrement sévère de la perpétuité répressive, peine servant de substitut à
la peine de mort, d’autant plus que les nouvelles exigences du droit au réexamen
étaient mises en exergue, après de longues justifications, dans une subdivision
spécifique [« 3. Conclusion générale
concernant les peines de réclusion à perpétuité »].
2. Quant aux
faits de l’affaire Vinter, alors
qu’une réforme de 2003 avait supprimé le droit au réexamen spécialement prévu
pour la perpétuité répressive devant
le pouvoir exécutif, seule une loi applicable à tous les condamnés [v. l’article
30 de la loi de 1997, ibid., § 42], à
laquelle une ordonnance de l’administration pénitentiaire [v. le chapitre 12 de
l’ordonnance no 4700 de l’administration pénitentiaire concernant les
condamnés à perpétuité ou « the
Lifer Manual », ibid., § 43]
apportait des précisions, permettait au ministre de libérer le condamné à la
perpétuité répressive à des conditions restrictives, principalement d’humanité
[ibid., § 124 et s.]. La
jurisprudence interne avait reconnu au ministre un pouvoir d’élargissement plus
large, notamment dans l’arrêt de Cour d’appel Bieber de 2009, qui établissait que si « aujourd’hui, le ministre fait usage de ce pouvoir avec parcimonie, par
exemple lorsque le détenu est atteint d’une maladie en phase terminale,
lorsqu’il est grabataire ou lorsqu’il se trouve dans un état d’invalidité
comparable », lorsque « la situation
est telle que le maintien en détention d’un détenu est assimilable à un
traitement inhumain ou dégradant, aucune raison ne s’oppose selon nous à ce
que, compte tenu en particulier de l’obligation de respecter la Convention, le
ministre libère l’intéressé comme la loi lui en donne le pouvoir » [ibid., § 48 ; la traduction est
reprise de l’arrêt de Grande chambre Vinter
dans sa version française], et la Cour européenne des droits de l’Homme
concédait, à l’appui du raisonnement interne, que la loi anglaise sur les
droits de l’Homme obligeait le ministre à agir « en conformité avec la Convention » [ibid., § 125]. Cependant, la Grande chambre notait le défaut de
« clarté » du pouvoir de
libération du ministre : « aujourd’hui,
nul ne peut dire si, saisi d’une demande de libération formulée au titre de
l’article 30 par un détenu purgeant une peine de perpétuité réelle, le ministre
suivrait sa politique restrictive actuelle, telle qu’énoncée dans l’ordonnance
de l’administration pénitentiaire, ou s’il s’affranchirait du libellé
apparemment exhaustif de ce texte en appliquant le critère de respect de
l’article 3 énoncé dans l’arrêt Bieber » [ibid., § 129]. Enfin, la Cour notait la possibilité d’obtenir un
contrôle juridictionnel de la décision du ministre refusant l’élargissement,
tout en excluant que cette possibilité suffise à pallier les insuffisances du
droit interne [ibid.]. L’analyse
européenne du cas de l’espèce ne décevait pas, la Cour se montrant rigoureuse
quant au contrôle de la qualité de la loi organisant le droit au réexamen dès
le commencement d’exécution de la peine, conformément aux principes stricts
établis dans le même arrêt.
3. Plusieurs
arrêts rendus depuis la jurisprudence Vinter
ont concrétisé la hausse du contrôle de la Cour européenne des droits de
l’Homme sur la perpétuité répressive.
De manière spectaculaire, la Cour européenne des droits de l’Homme a censuré l’extradition,
réalisée contre l’adoption d’une mesure provisoire, par la Belgique vers les
États-Unis d’un individu risquant d’être condamné à la perpétuité répressive [CEDH,
sect. V, 4 sept. 2014, Trabelsi c. Belgique,
n° 140/10], alors que la jurisprudence européenne avait plusieurs fois
validé auparavant de telles opérations, au regard des possibilités, mêmes limitées,
pour les individus d’obtenir des réductions de peine pour collaboration ou
motif humanitaire et une grâce ou une commutation du Président, en cas de
condamnation à une telle peine [CEDH,
sect. V, 17 janv. 2012, Arkins et Edwards
c. Royaume‑Uni, req. nos 9146/07 et 32650/07 – CEDH,
sect. V, 10 avr. 2012, Babar Ahmad et
autres c. Royaume-Uni, req. nos 24027/07, 11949/08 et 36742/08].
La Cour européenne des droits de l’Homme a aussi constaté la violation de
l’ancien droit bulgare de la perpétuité répressive
[CEDH,
sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev
et Tolumov c. Bulgarie, nos 15018/11 et 61199/12 ;
v. notre
chr., n° 54], validé au préalable [CEDH,
sect. V, 2 sept. 2010, Iorgov (n° 2) c.
Bulgarie, req. n° 36295/02].
4. D’autres
arrêts ont au contraire atténué les apports de l’arrêt de Grande chambre Vinter, et même des raisonnements
figurant dans la jurisprudence européenne antérieurement à la mise en évidence
du droit au réexamen. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’Homme semble ne
plus véritablement s’intéresser à la possibilité d’obtenir l’élargissement de facto [Bodein : préc.],
élément qui avait fait l’objet d’un examen poussé précédemment [v. Iorgov (n° 2) : préc.]. De manière plus significative, en
validant la perpétuité réelle française,
malgré la possibilité pour le détenu d’obtenir le réexamen au bout de trente
ans par la voie du relèvement de la période de sûreté, au terme d’un
raisonnement critiquable et empreint d’opportunité, la Cour européenne des
droits de l’Homme a apporté une atténuation à l’un des apports majeurs de
l’arrêt Vinter, pourtant posé
fermement, tenant dans la fixation du temps d’épreuve à vingt-cinq ans [Bodein : préc. ; v. notre
comm.]. Enfin, la Cour européenne des droits de l’Homme s’est montrée
conciliante quant à la qualité de la norme organisant le droit au réexamen [Harakchiev et Tolumov : préc.]. Au final, l’application des
principes de l’arrêt de grande chambre Vinter
aboutit à considérer la possibilité d’obtenir une grâce de l’autorité exécutive,
encadrée par un décret et une décision de la Cour constitutionnelle, comme un
droit au réexamen satisfaisant la Convention [ibid.].
5. C’est dans
cet état contrasté de la jurisprudence que la validation récente par la Cour
européenne des droits de l’Homme du droit de la perpétuité réelle britannique a porté un nouveau coup à la jurisprudence Vinter [CEDH,
sect. IV, 3 févr. 2015, Hutchinson c. Royaume-Uni,
req. n° 57592/08]. Était de
nouveau en cause le droit national britannique tel que déjà apprécié lors de l’arrêt
de grande chambre Vinter, soit le
pouvoir du ministre d’élargissement prévu par l’article 30 de la loi de 1997 et
complété par l’ordonnance pénitentiaire. La Quatrième section s’est appuyée sur
un nouvel arrêt du juge national rendu après l’arrêt Vinter le 18 février 2014 [R
v. Newell ; R v. McLoughlin ;
pour la citation de l’arrêt en anglais, v. Hutchinson,
déc. : préc. ; § 13 et s.] pour valider le droit
britannique [ibid., § 22 et s.]. Il ne saurait en être déduit que la validation
du droit britannique repose sur son évolution issue de la jurisprudence
nationale postérieure à l’arrêt de Grande chambre Vinter. L’arrêt national s’inscrivait directement dans les pas de
l’arrêt Bieber, qu’il citait
d’ailleurs, estimant que les circonstances dans lesquelles le ministre pouvait
libérer les condamnés à la peine perpétuelle devaient être interprétées de
manière compatibles avec l’article 3, celles-ci dépassant les conditions posées
par l’ordonnance pénitentiaire, sans non plus que l’arrêt n’endosse plus
précisément les évolutions de l’arrêt Vinter [R v. Newell ; R v. McLoughlin, § 33 : « the term ‘compassionate grounds’ must be read, as the court made clear
in R v Bieber, in a manner compatible with Article 3 »], et plus encore, il
contredisait directement les conclusions de la Grande chambre [ibid., § 29 : « We disagree. In our view, the domestic law of England and Wales is
clear as to ‘possible exceptional release of whole life prisoners’. As is set
out in R v Bieber the Secretary of State is bound to exercise his power under
s.30 of the 1997 Act in a manner compatible with principles of domestic
administrative law and with Article 3. »]. De
plus, dès lors que le requérant avait débuté l’exécution de sa peine
perpétuelle sous l’empire du droit sanctionné dans l’arrêt de Grande chambre Vinter [la requête du requérant dans l’affaire
la plus récente avait été enregistrée avant celles des requérants de l’affaire Vinter ; v. l’opinion dissidente du
juge Kalaydjieva sous l’arrêt Hutchinson]
et que le droit au réexamen doit être prévu par la législation nationale dès le
début de l’exécution de la peine, la validation de l’arrêt de Grande chambre Vinter impliquait nécessairement de
relever une violation de la Convention concernant l’affaire Hutchinson [v. pour comp. pour le
constat de violation de l’art. 3 pour l’inexistence du droit au réexamen dès le
début de l’exécution de la peine, puis pour la validation du droit nouveau profitant
désormais au condamné dans un obiter
dictum, Harakchiev et Tolumov :
préc.], conclusion rejetée par la
Quatrième section. Dès lors, ses développements renvoyant à la place de l’interprétation
du juge national dans la Convention apparaissent pratiquement comme la
justification du choix de la Section de se ranger derrière lui, plutôt que
derrière l’interprétation contraire du droit interne réalisée par la Grande
chambre [Hutchinson, déc. : préc. ; § 24]. Et l'arrêt de la Quatrième section nous semble résister directement
au raisonnement de la Grande chambre car c’est bien le même droit qui est ici
validé. C’est au moins le contrôle de la qualité de la loi prévoyant le droit
au réexamen qui se trouve nettement amoindri.
6. La défiance
actuelle contre l’arrêt de Grande chambre Vinter,
vue ici et dans l’arrêt Bodein [préc.], trouve sans doute sa source dans la réticence à sanctionner le
droit national, alors que le fond du droit au réexamen, l’appréciation de la
persistance d’un motif légitime pénologique, n’est pas contesté, puisque les différents
requérants se trouvaient encore dans le temps d’épreuve [on notera pourtant que,
précautionneusement, la Grande chambre, dès l’arrêt Vinter, avait précisé que dans une telle hypothèse, la sanction du
droit national ne devait s’entendre comme obligeant à la libération des
requérants : Vinter, gde. ch. :
préc. ; § 131]. C’est faire fi d’un
autre apport de l’arrêt de Grande chambre Vinter,
qui avait justement lié l’existence du droit au réexamen dès le début de l’exécution
de la peine à la possibilité pour le condamner de régler au plus tôt sa
conduite [Vinter, gde ch. : préc. ; § 122], et qui avait trouvé
un prolongement logique dans la jurisprudence européenne en ouvrant un premier
contrôle sommaire du contenu de la peine perpétuelle répressive, au regard de l’objectif de réadaptation [Harakchiev
et Tolumov : préc. ; v.
notre
chr., n° 26]. C’est cette dernière évolution qui apparaît aussi désormais
en péril.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire