samedi 7 février 2015

[obs.] Que reste-t-il de l’arrêt de Grande chambre Vinter ? [à propos de CEDH, sect. IV, 3 févr. 2015, Hutchinson c. Royaume-Uni, req. n° 57592/08]


1. La peine perpétuelle répressive de droit britannique [à la différence de la peine perpétuelle sécable, la peine perpétuelle répressive conserve durant tout son cours l’objectif de punition et elle n’est donc pas soumise à révision judiciaire au cours de son exécution sur le fondement de l’article 5 § 4 de la Convention ; dans le communiqué de presse concernant l’affaire Hutchinson, le greffe s’est référé à la notion de perpétuité réelle, pourtant impropre, dès lors que la peine de facto et de jure incompressible constitue par nature un traitement inhumain et dégradant ; v. sur la distinction entre peine perpétuelle répressive et peine perpétuelle sécable, nos obs., ici, n° 1] avait donné lieu à un arrêt de Grande chambre de violation d’importance, aboutissant à un meilleur encadrement de cette peine sur le fondement de l’article 3, par le dégagement, au cours d’un long raisonnement caractérisé par de nombreuses précautions sémantiques, d’un droit au réexamen bénéficiant au détenu [CEDH, gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autre c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 : Rec. CEDH, 2013 ; D., actu., 12 juil. 2013, obs. M. Léna ; ibid., 2013, p. 2081, note J.F. Renucci ; ibid., p.  2713, chron. G. Roujou de Boubée ; ibid., 2014, p. 1235, chron. J.-P. Céré ; RFDA, 2014, p. 538, chron. L. Labayle ; AJP, 2013, p. 494, obs. D. van Zyl Smit ; RSC, 2013, p. 625, chron. P. Poncela ; ibid., p. 649, obs. D. Roets ; Dr. pénal, 2013, comm. n° 165, obs. É. Bonis-Garçon ; ibid., 2014, chron. n° 3, obs. V. Peltier ; ibid., chron. n° 4, chron. E. Dreyer ; JCP, 2014, n° 970, obs. L. Milano ; ibid., 2013, n° 918, obs. F. Sudre ; § 110 et s.]. Alors que la jurisprudence appréciait auparavant la compatibilité de la perpétuité répressive à la simple existence d’une chance de facto et de jure d’être libéré, même discrétionnaire [v. pour la validation d’une peine perpétuelle répressive en raison de l’existence d’un droit de grâce discrétionnaire offrant une chance d’être libéré,  CEDH, gde ch., 12 févr. 2008, Kafkaris c. Chypre, req. n° 21906/04 : Rec. CEDH, 2008 : RSC, 2008, p. 692, obs. D. Roets ; § 97], le droit au réexamen oblige les autorités à contrôler la persistance d’« un motif légitime d’ordre pénologique » [Vinter, gde ch. : préc. ; § 119] justifiant le maintien de la peine au cours de son exécution. Ce critère a été précisé par la jurisprudence ultérieurement : le dispositif national ayant « précisément pour but de se prononcer sur [la] dangerosité [du condamné] et de prendre en compte son évolution au cours de l’exécution de sa peine » répond aux exigences conventionnelles [CEDH, sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France, req. n° 40014/10 : § 60]. En revanche, le droit au réexamen ne saurait se confondre avec l’existence d’une simple mesure de libération humanitaire pour motif d’ordre médical [Vinter : préc. ; § 127 – Bodein, préc., § 59 – CEDH, sect. II, 18 mars 2014, Ocalan c. Turquie (n° 2), req. nos 24069/03, 197/04 et 6201/06 :  D., 2014, p. 1235, chron. J.-P . Cere ; § 203]. D’autre part, le droit au réexamen est exigible pour la première fois au bout d’un temps d’épreuve de vingt-cinq ans, puis périodiquement [Vinter : préc. ; § 120]. Enfin, dans un nouvel apport au mouvement plus général de la prise en compte croissante de la sécurité juridique en matière de privation de liberté [v. pour la rétention de sûreté, CEDH, sect. V, 17 déc. 2009, M. c. Allemagne, req. n° 19359/04, et pour l’aménagement des peines, CEDH, gde ch., 21 oct. 2013, Del Rio Prada c. Espagne, req. n° 42750/09], le droit au réexamen doit être prévu par une loi de qualité dès le début de l’exécution de la peine perpétuelle répressive [Vinter, gde ch., préc., § 122]. Le droit au réexamen découvert sur le fondement de l’article 3 prend tous les atours du droit de recours devant le Tribunal de l’article 5 § 4, si ce n’est, qu’au nom de la marge d’appréciation, la Cour européenne des droits de l’Homme laisse le choix aux États d’en saisir un organe juridictionnel ou administratif [ibid., § 120]. C’est dire que cette jurisprudence portait les germes d’un encadrement sévère de la perpétuité répressive, peine servant de substitut à la peine de mort, d’autant plus que les nouvelles exigences du droit au réexamen étaient mises en exergue, après de longues justifications, dans une subdivision spécifique [« 3. Conclusion générale concernant les peines de réclusion à perpétuité »].

2. Quant aux faits de l’affaire Vinter, alors qu’une réforme de 2003 avait supprimé le droit au réexamen spécialement prévu pour la perpétuité répressive devant le pouvoir exécutif, seule une loi applicable à tous les condamnés [v. l’article 30 de la loi de 1997, ibid., § 42], à laquelle une ordonnance de l’administration pénitentiaire [v. le chapitre 12 de l’ordonnance no 4700 de l’administration pénitentiaire concernant les condamnés à perpétuité ou « the Lifer Manual », ibid., § 43] apportait des précisions, permettait au ministre de libérer le condamné à la perpétuité répressive à des conditions restrictives, principalement d’humanité [ibid., § 124 et s.]. La jurisprudence interne avait reconnu au ministre un pouvoir d’élargissement plus large, notamment dans l’arrêt de Cour d’appel Bieber de 2009, qui établissait que si « aujourd’hui, le ministre fait usage de ce pouvoir avec parcimonie, par exemple lorsque le détenu est atteint d’une maladie en phase terminale, lorsqu’il est grabataire ou lorsqu’il se trouve dans un état d’invalidité comparable », lorsque « la situation est telle que le maintien en détention d’un détenu est assimilable à un traitement inhumain ou dégradant, aucune raison ne s’oppose selon nous à ce que, compte tenu en particulier de l’obligation de respecter la Convention, le ministre libère l’intéressé comme la loi lui en donne le pouvoir » [ibid., § 48 ; la traduction est reprise de l’arrêt de Grande chambre Vinter dans sa version française], et la Cour européenne des droits de l’Homme concédait, à l’appui du raisonnement interne, que la loi anglaise sur les droits de l’Homme obligeait le ministre à agir « en conformité avec la Convention » [ibid., § 125]. Cependant, la Grande chambre notait le défaut de « clarté » du pouvoir de libération du ministre : « aujourd’hui, nul ne peut dire si, saisi d’une demande de libération formulée au titre de l’article 30 par un détenu purgeant une peine de perpétuité réelle, le ministre suivrait sa politique restrictive actuelle, telle qu’énoncée dans l’ordonnance de l’administration pénitentiaire, ou s’il s’affranchirait du libellé apparemment exhaustif de ce texte en appliquant le critère de respect de l’article 3 énoncé dans l’arrêt Bieber » [ibid., § 129]. Enfin, la Cour notait la possibilité d’obtenir un contrôle juridictionnel de la décision du ministre refusant l’élargissement, tout en excluant que cette possibilité suffise à pallier les insuffisances du droit interne [ibid.]. L’analyse européenne du cas de l’espèce ne décevait pas, la Cour se montrant rigoureuse quant au contrôle de la qualité de la loi organisant le droit au réexamen dès le commencement d’exécution de la peine, conformément aux principes stricts établis dans le même arrêt.

3. Plusieurs arrêts rendus depuis la jurisprudence Vinter ont concrétisé la hausse du contrôle de la Cour européenne des droits de l’Homme sur la perpétuité répressive. De manière spectaculaire, la Cour européenne des droits de l’Homme a censuré l’extradition, réalisée contre l’adoption d’une mesure provisoire, par la Belgique vers les États-Unis d’un individu risquant d’être condamné à la perpétuité répressive [CEDH, sect. V, 4 sept. 2014, Trabelsi c. Belgique, n° 140/10], alors que la jurisprudence européenne avait plusieurs fois validé auparavant de telles opérations, au regard des possibilités, mêmes limitées, pour les individus d’obtenir des réductions de peine pour collaboration ou motif humanitaire et une grâce ou une commutation du Président, en cas de condamnation à une telle peine [CEDH, sect. V, 17 janv. 2012, Arkins et Edwards c. Royaume‑Uni, req. nos 9146/07 et 32650/07CEDH, sect. V, 10 avr. 2012, Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni, req. nos 24027/07, 11949/08 et 36742/08]. La Cour européenne des droits de l’Homme a aussi constaté la violation de l’ancien droit bulgare de la perpétuité répressive [CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, nos 15018/11 et 61199/12 ; v. notre chr., n° 54], validé au préalable [CEDH, sect. V, 2 sept. 2010, Iorgov (n° 2) c. Bulgarie, req. n° 36295/02].

4. D’autres arrêts ont au contraire atténué les apports de l’arrêt de Grande chambre Vinter, et même des raisonnements figurant dans la jurisprudence européenne antérieurement à la mise en évidence du droit au réexamen. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’Homme semble ne plus véritablement s’intéresser à la possibilité d’obtenir l’élargissement de facto [Bodein : préc.], élément qui avait fait l’objet d’un examen poussé précédemment [v. Iorgov (n° 2) : préc.]. De manière plus significative, en validant la perpétuité réelle française, malgré la possibilité pour le détenu d’obtenir le réexamen au bout de trente ans par la voie du relèvement de la période de sûreté, au terme d’un raisonnement critiquable et empreint d’opportunité, la Cour européenne des droits de l’Homme a apporté une atténuation à l’un des apports majeurs de l’arrêt Vinter, pourtant posé fermement, tenant dans la fixation du temps d’épreuve à vingt-cinq ans [Bodein : préc. ; v. notre comm.]. Enfin, la Cour européenne des droits de l’Homme s’est montrée conciliante quant à la qualité de la norme organisant le droit au réexamen [Harakchiev et Tolumov : préc.]. Au final, l’application des principes de l’arrêt de grande chambre Vinter aboutit à considérer la possibilité d’obtenir une grâce de l’autorité exécutive, encadrée par un décret et une décision de la Cour constitutionnelle, comme un droit au réexamen satisfaisant la Convention [ibid.].  

5. C’est dans cet état contrasté de la jurisprudence que la validation récente par la Cour européenne des droits de l’Homme du droit de la perpétuité réelle britannique a porté un nouveau coup à la jurisprudence Vinter [CEDH, sect. IV, 3 févr. 2015, Hutchinson c. Royaume-Uni, req. n° 57592/08]. Était de nouveau en cause le droit national britannique tel que déjà apprécié lors de l’arrêt de grande chambre Vinter, soit le pouvoir du ministre d’élargissement prévu par l’article 30 de la loi de 1997 et complété par l’ordonnance pénitentiaire. La Quatrième section s’est appuyée sur un nouvel arrêt du juge national rendu après l’arrêt Vinter le 18 février 2014 [R v. Newell ; R v. McLoughlin ; pour la citation de l’arrêt en anglais, v. Hutchinson, déc. : préc. ; § 13 et s.] pour valider le droit britannique  [ibid., § 22 et s.]. Il ne saurait en être déduit que la validation du droit britannique repose sur son évolution issue de la jurisprudence nationale postérieure à l’arrêt de Grande chambre Vinter. L’arrêt national s’inscrivait directement dans les pas de l’arrêt Bieber, qu’il citait d’ailleurs, estimant que les circonstances dans lesquelles le ministre pouvait libérer les condamnés à la peine perpétuelle devaient être interprétées de manière compatibles avec l’article 3, celles-ci dépassant les conditions posées par l’ordonnance pénitentiaire, sans non plus que l’arrêt n’endosse plus précisément les évolutions de l’arrêt Vinter [R v. Newell ; R v. McLoughlin, § 33 : « the term ‘compassionate grounds’ must be read, as the court made clear in R v Bieber, in a manner compatible with Article 3 »], et plus encore, il contredisait directement les conclusions de la Grande chambre [ibid., § 29 : « We disagree. In our view, the domestic law of England and Wales is clear as to ‘possible exceptional release of whole life prisoners’. As is set out in R v Bieber the Secretary of State is bound to exercise his power under s.30 of the 1997 Act in a manner compatible with principles of domestic administrative law and with Article 3. »]. De plus, dès lors que le requérant avait débuté l’exécution de sa peine perpétuelle sous l’empire du droit sanctionné dans l’arrêt de Grande chambre Vinter [la requête du requérant dans l’affaire la plus récente avait été enregistrée avant celles des requérants de l’affaire Vinter ; v. l’opinion dissidente du juge Kalaydjieva sous l’arrêt Hutchinson] et que le droit au réexamen doit être prévu par la législation nationale dès le début de l’exécution de la peine, la validation de l’arrêt de Grande chambre Vinter impliquait nécessairement de relever une violation de la Convention concernant l’affaire Hutchinson [v. pour comp. pour le constat de violation de l’art. 3 pour l’inexistence du droit au réexamen dès le début de l’exécution de la peine, puis pour la validation du droit nouveau profitant désormais au condamné dans un obiter dictum, Harakchiev et Tolumov : préc.], conclusion rejetée par la Quatrième section. Dès lors, ses développements renvoyant à la place de l’interprétation du juge national dans la Convention apparaissent pratiquement comme la justification du choix de la Section de se ranger derrière lui, plutôt que derrière l’interprétation contraire du droit interne réalisée par la Grande chambre [Hutchinson, déc. : préc. ; § 24]. Et l'arrêt de la Quatrième section nous semble résister directement au raisonnement de la Grande chambre car c’est bien le même droit qui est ici validé. C’est au moins le contrôle de la qualité de la loi prévoyant le droit au réexamen qui se trouve nettement amoindri.

6. La défiance actuelle contre l’arrêt de Grande chambre Vinter, vue ici et dans l’arrêt Bodein [préc.], trouve sans doute sa source dans la réticence à sanctionner le droit national, alors que le fond du droit au réexamen, l’appréciation de la persistance d’un motif légitime pénologique, n’est pas contesté, puisque les différents requérants se trouvaient encore dans le temps d’épreuve [on notera pourtant que, précautionneusement, la Grande chambre, dès l’arrêt Vinter, avait précisé que dans une telle hypothèse, la sanction du droit national ne devait s’entendre comme obligeant à la libération des requérants : Vinter, gde. ch. : préc. ; § 131]. C’est faire fi d’un autre apport de l’arrêt de Grande chambre Vinter, qui avait justement lié l’existence du droit au réexamen dès le début de l’exécution de la peine à la possibilité pour le condamner de régler au plus tôt sa conduite [Vinter, gde ch. : préc. ; § 122], et qui avait trouvé un prolongement logique dans la jurisprudence européenne en ouvrant un premier contrôle sommaire du contenu de la peine perpétuelle répressive, au regard de l’objectif de réadaptation [Harakchiev et Tolumov : préc. ; v. notre chr., n° 26]. C’est cette dernière évolution qui apparaît aussi désormais en péril.  


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