1. Sanction
ayant le caractère d’une punition et privation de liberté. Le juge
répressif ne dispose pas du monopole de réprimer. Le Conseil constitutionnel a
développé la notion de « sanction
ayant le caractère d’une punition » pour encadrer le pouvoir de
punition des autorités administratives indépendantes, dans son contrôle de
constitutionnalité a priori, alors
que le législateur développait le recours à de telles autorités : la
sanction prononcée par une autorité de nature non judiciaire « ne peut être infligée qu'à la condition que
soient respectés le principe de légalité des délits et des peines, le principe
de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale
d'incrimination plus sévère ainsi que le principe du respect des droits de la
défense » [Cons. const.,
déc. n° 88-248 DC du 17 janv. 1989 portant sur la loi modifiant la loi n°
86-1067 du 30 sept. 1986 relative à la liberté de communication : J. O., 18 janv. 1989, p. 754 ; consid.
n° 36 et s.]. Un tel raisonnement n’est pas sans rappeler la démarche de la
Cour européenne des droits de l’Homme, qui a adopté des critères autonomes lui
servant à retenir une vision large de la matière pénale d’une part, pour
élargir l’application des garanties du procès équitable de l’article 6 de la
Convention [v. par ex. CEDH, ch., 23
sept. 1998, Malige c. France,
req. n° 68/1997/852/1059 : Rec. CEDH, 1998-VII ; RFDA,
1999, p. 1004, comm. C. Mamontoff ; RSC, 1999, p. 112, obs. J.-P. Delmas
Saint-Hilaire ; AJP,
2008, p. 491, obs. D. Botteghi], et de la peine d’autre part, pour
élargir l’application de la légalité criminelle de l’article 7 [CEDH, ch.,
8 juin 1995, Jamil c. France,
req. n° 15917/89 :
Rec. CEDH, série A, n°
317-B ; RSC, 1995, p. 855,
obs. L.‑E. Pettiti ;
ibid., 1996, p. 471, obs. R. Koering-Joulin ; AJDA, 1995, p.
719, chron. J.‑F. Flauss ; D., 1996, p. 197, obs. J.-F.
Renucci]. Toutefois, le Conseil constitutionnel a exclu que les
autorités administratives indépendantes puissent prononcer une sanction
privative de liberté, dans un obiter
dictum, sans fondement clair, dans le même considérant de principe
acceptant, pour le reste, la mise à disposition d’un pouvoir de sanction à
l’autorité administrative : « le
principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu’aucun principe ou règle de
valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative,
agissant dans le cadre de prérogatives de puissances publiques, puisse exercer
un pouvoir de sanction dès lors, d’une part, que la sanction susceptible d’être
infligée est exclusive de toute privation de liberté et d’autre part, que
l’exercice du pouvoir de sanction est assorti par la loi des mesures destinées
à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis »
[Cons. const.,
déc. n° 89-260 DC du 28 juil. 1989 portant sur la loi relative à la sécurité et
à la transparence du marché financier : J. O., 1er août 1989, p. 9676 ; RFDA, 1989, p. 671, comm. B. Genevois ; consid. n° 6]. Quant
à la Cour européenne des droits de l’Homme, elle tolère la sanction
administrative privative de liberté, dès lors que son prononcé respecte
l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme [CEDH,
10 févr. 2009, gde ch., Zolotoukhine
c. Russie, req. n° 14939/03 : Rec. CEDH, 2009 : D., 2009, p. 2014, comm. J. Pradel ; RSC, 2009, p. 675, obs. D.
Roets ; § 56].
En revanche, le
droit disciplinaire français [le Conseil constitutionnel utilise aussi en cette
matière la notion de « sanction
ayant le caractère d’une punition » et la question prioritaire de
constitutionnalité lui a permis de se prononcer sur plusieurs régimes
professionnels, il est vrai, non concernés jusqu’alors par la privation de
liberté – v. concernant la discipline des notaires, Cons. const.,
déc. n° 2011-211 QPC du 27 janv. 2012 [Éric
M.]
ou Cons. const.,
déc. n° 2014-385 QPC du 28 mars 2014 [Joël
M.]
– v. concernant la discipline des vétérinaires, Cons. const.,
déc. n° 2011-199 QPC du 25 nov. 2011 [Michel
G.]]
a connu de l’usage de la privation de liberté à titre de punition [v. par ex.
les arrêts tels que définis par la loi du 17 déc. 1926 portant code
disciplinaire et pénal de la marine marchande : J. O., 19 déc. 1926, p. 13252 – v. par ex. les « arrêts de rigueur », tels que définis par l’article 80
du décret n°66-749
du 1er oct. 1966 portant règlement de discipline générale dans les
armées,
obligeant le militaire sanctionné à être soumis « à un régime spécial de privation de liberté subi dans une enceinte militaire »,
soit dans « les chambres d’arrêts
individuelles » soit dans « les
locaux d’arrêts », desquels le militaire ne pouvait sortir qu’une
heure par jour].
2. Droit disciplinaire militaire et privation de
liberté. La
privation de liberté disciplinaire ne saurait cependant être admise largement,
pour être disproportionnée en cas de faute de gravité relative et inadaptée
en cas de faute plus lourde, alors que
la mise à l’écart de l’individu de l’activité apparaît comme une sanction plus
efficace. Elle doit en tout cas être réservée aux domaines dans lesquels
l’obligation d’obéissance est particulièrement forte. En France, les
différentes modifications du régime statutaire des militaires de carrière ont
progressivement réduit le champ de la privation de liberté en matière disciplinaire,
sans pour autant la supprimer définitivement. Les arrêts de rigueur,
constitutifs d’une privation de liberté sans que la qualification ne soulève de
difficulté, pour proposer un régime proche de l’enferment cellulaire, ont été
supprimés [v. l’art. VIII du décret n°82-598
du 12 juil. 1982 de discipline générale dans les armées]. Le même
décret a créé cependant une modalité particulière d’exécution des arrêts
simples, privative de liberté pour consister dans un « isolement » soit en « chambre d’arrêt » soit en « locaux d’arrêts », « en cas de refus d’observer les arrêts, en
cas de faute très grave passible de sanction pénale ou lorsque le militaire
puni présente un danger pour son entourage », applicable pendant la
moitié de la durée de la sanction : cette modification ne venait
finalement que restreindre l’ancien champ des arrêts de rigueur [par un nouveau
décret, le champ de cette privation de liberté était encore réduit, pour
supprimer un des cas permettant son application, celui du refus d’observer les
arrêts ; v. l’art. VI du décret n°85-914
du 21 août 1985 modifiant le décret 76675 du 28-07-1975 portant règlement de
discipline générale dans les armées]. Le droit disciplinaire militaire
connaissait également de la possibilité de priver de liberté le militaire en
« instance de punition »,
dès lors qu’il encourrait des arrêts de rigueur, ou postérieurement à leur
suppression, des arrêts pouvant être assortis de l’isolement [v. les
différentes versions de l’art. 37 du décret de 1975 – une telle privation de
liberté était considérée par la Cour européenne des droits de l’Homme comme
relevant de l’article 5 § 3 et elle y appliquait l’Habeas corpus européen, c’est-à-dire la garantie pour le militaire
d’« être aussitôt [traduit] devant un juge ou un autre magistrat
habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », le
particularisme du statut militaire ne justifiant pas, pour la Cour, une
altération de cette dernière protection, celle-ci écartant même que le
magistrat militaire soumis à la chaîne de commandement puisse assurer la
présentation, pour ne pas être indépendant ; CEDH, ch., 22
mai 1984, De Jong, Baljet et Van den Brink c. Pays-Bas,
req. nos 8805/79, 8806/79 et 9242/81 : Rec. CEDH, série A, n° 77 ; § 49].
Le statut
général des militaires a été modifié par la loi n° 2005-270
du 24 mars 2005 portant statut général des militaires [J. O., 26 mars 2005, p. 5098 ;
RDP, 2006, p. 313, comm. R. de Bellescize ; Dr. admin., 2005, étu. n° 15, comm. J.-L. Pissaloux ; RFDA, 2005, p. 778, comm. G. Bossis, spéc. sur les évolutions du
droit disciplinaire – v. pour les dispositions d’application le décret n°
2005-794 du 15 juil. 2005 relatif aux sanctions disciplinaires et à
la suspension de fonctions applicables aux militaires], qui a rénové
les sanctions disciplinaires, sans véritablement révolutionner la matière, celles
de nature à atteindre sa liberté d’aller et venir restant les arrêts simples,
les arrêts simples assortis de l’isolement et la consigne [v. après
codification l’art. L. 4137-2 du
Code de la défense].
Si la disposition législative dresse la liste des sanctions permises, ce sont toujours
les dispositions décrétales qui définissent leurs modalités [la loi nouvelle a
ainsi conservé l’articulation de la loi n° 72-662 du 13 juil. 1972 portant statut
général des militaires renvoyant à des dispositions
réglementaires pour définir leur contenu]. Un tour de consigne « correspond à la privation d'une matinée,
d'une après-midi ou d'une soirée de sortie » [art. R. 4137-27
du Code de la défense].
Quant aux arrêts simples, ils emportent pour le militaire l’interdiction « en dehors du service, de quitter sa
formation ou le lieu désigné par l'autorité militaire de premier niveau dont il
relève », entraînant une contrainte plus élevée [art. R. 4137-28
du Code de la défense],
jugée suffisamment sévère pour lui faire grief et justifier l’ouverture du
recours en excès de pouvoir [CE, ass., 17 févr. 1995, Hardouin, n° 107766 : rec. CE – v. pour un ex. de contrôle de
l’erreur manifeste d’appréciation, CE, 20 mai 2009,
n° 318817].
Dans l’hypothèse où le militaire a commis « une faute ou un manquement qui traduit un comportement dangereux pour
lui-même ou pour autrui », la même disposition réglementaire prévoit
que la sanction de mise aux arrêts peut s’accompagner d’une mesure d’« isolement » avec effet immédiat,
qui consiste au placement du militaire « dans un local fermé » [art. R. 4137-29
du Code de la défense].
Le droit positif a donc repris la possibilité d’exécuter les arrêts simples
sous une modalité privative de liberté, et tolère encore que ce régime soit
défini principalement par le pouvoir réglementaire, puisque la loi se contente
d’évoquer la possibilité de prononcer, « en cas de nécessité », des arrêts emportant l’« isolement avec effet immédiat »
[art. L. 4137-2 du Code de la défense]. La qualification de « sanction ayant le caractère d’une punition »
découverte pour les autorités administratives indépendantes ne semble donc pas
exclusive de la détention en matière disciplinaire, au moins pour le militaire.
La saisine du
Conseil constitutionnel d’une question prioritaire concernant le régime
disciplinaire militaire, critiquant le renvoi dans l’article L. 4137-2 du Code
de la défense « à un décret le soin
de préciser les conditions d'exécution de la sanction disciplinaire des arrêts »
et soulevant donc l’incompétence négative du législateur, lui donnait
l’occasion d’apporter quelques précisions sur l’encadrement de la peine
disciplinaire privative de liberté [Cons. const.,
déc. n° 2014-450 QPC du 27 févr. 2015, [Pierre
T. et autres] ;
J. O., 1er mars 2015, p.
4021 ; v. le blog de R.
Letteron]. Le Conseil
constitutionnel a estimé que le défaut du législateur à « définir plus précisément les modalités
d'application » de la sanction des arrêts simples ou dépourvus
d’isolement, qualifiée de simple restriction à la liberté d’aller et venir et
non de privation de liberté réalisant une atteinte à la liberté individuelle,
n’emportait pas violation de la légalité, en raison des obligations
particulières assujettissant les militaires. Le Conseil constitutionnel a en
effet rappelé dans cette décision que « le
principe de nécessaire libre disposition de la force armée qui en résulte
implique que l'exercice par les militaires de certains droits et libertés
reconnus aux citoyens soit interdit ou restreint » [consid. n° 6] ou
qu’il résulte « des obligations
particulières attachées à l'état militaire […] des restrictions à l'exercice de la liberté d'aller et de venir »
[consid. n° 9]. L’apport de la décision du Conseil constitutionnel concerne
d’abord le régime de la restriction à la liberté d’aller et venir. Au regard de
la proximité entre les notions de restriction à la liberté d’aller et venir et
de privation de liberté, d’autant plus pour la sanction des arrêts militaires
qui peut être assortie d’isolement, la décision devrait également intéresser le
régime de la détention disciplinaire : les clarifications sur le périmètre
de la restriction de la liberté d’aller et venir éclairent aussi, a contrario, sur le périmètre de la
privation de liberté, dès lors qu’« entre
privation et restriction de liberté, il n’y a […] qu’une différence de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence »
[CEDH,
plén., 6 nov. 1980, Guzzardi c. Italie,
req. n° 7367/76 : Rec. CEDH,
série A, n° 39 ; § 93]. En réalité, le Conseil constitutionnel a manqué trois
occasion, celle d’encadrer le champ de l’enfermement cellulaire en matière
disciplinaire, celle d’étendre la définition de la privation de liberté dans cette même
matière et celle d’appliquer strictement la légalité à l’atteinte à la liberté
d’aller et venir. La constitutionnalité et même la conventionnalité du régime
des arrêts pourvus d’isolement interrogent toujours.
3. La première occasion manquée : l’encadrement
du champ de l’enfermement cellulaire en matière disciplinaire. Le Conseil
constitutionnel s’est montré rigoureux quant à l’étendue de sa saisine au
regard des termes de l’arrêt de renvoi [CE, 17 déc.
2014, n° 384984 :
inédit], et il l’a cantonnée « uniquement sur le e) du 1° de l'article L.
4137-2 du code de la défense », écartant expressément les « dispositions de l'avant-dernier alinéa de
cet article aux termes desquelles les arrêts "peuvent être assortis
d'une période d'isolement" » [consid. n° 3]. Le Conseil constitutionnel a
ainsi évité de discuter de la mesure constituant sûrement une privation de
liberté, pour tenir dans un enfermement cellulaire, à savoir les arrêts
assortis de l’isolement, et d’aborder directement la protection de la liberté
individuelle du militaire. Il n’a donc raisonné, quant à la légalité, que sur
la mesure des arrêts simples, que le juge de la loi qualifiait, même sans
consacrer la notion, de simple restriction à la liberté d’aller et venir [consid.
n° 8 : « les dispositions dont
le Conseil constitutionnel est saisi n'instituent pas une sanction
disciplinaire entraînant une privation de liberté »].
Au
sens strict, c’est déjà plus que « le
e) du 1er de l’article L. 4137-2 du code de la défense »
dont le Conseil constitutionnel a réalisé l’examen, pour y inclure
nécessairement l’alinéa prévoyant que « les conditions d'application du présent article font l'objet d'un
décret en Conseil d'État ». Une interprétation plus large de la
saisine semblait permise, dès lors que le Conseil d’État a estimé la question
sérieuse au regard de l’éventuelle atteinte à « la liberté d'aller et venir et [à] la liberté individuelle » causée par le défaut de légalité, une
telle distribution pouvant viser à la fois les arrêts simples, pour la violation
de la liberté d’aller et venir, et les arrêts pourvus de l’isolement, pour la
violation de la liberté individuelle. Mais l’interprétation stricte opérée par
le Conseil constitutionnel demeure la plus logique, alors que le militaire à
l’initiative du recours n’avait été puni que par des arrêts simples, sans
isolement. Surtout, au regard de la formulation de l’article L. 4137-2, les
dispositions évoquant les arrêts simples sont distinctes et séparables de
celles évoquant l’isolement, si bien qu’à imaginer que le Conseil
constitutionnel se soit saisi des deux modalités d’exécution des arrêts, il
aurait pu réaliser la censure du simple isolement – pour défaut de légalité de
la privation de liberté [v. infra] –,
tout en maintenant les dispositions prévoyant les arrêts – en raison de
l’exigence de légalité moindre pour la simple restriction à la liberté d’aller
et venir du militaire [v. infra] –,
sans que la censure ne profite donc au militaire.
Rien
dans la décision ne semble en tout cas s’opposer par principe à l’admission de
la peine disciplinaire privative de liberté par nature, celle entraînant un enfermement
cellulaire. Il reste que le Conseil constitutionnel aurait pu procéder par obiter dictum pour encadrer son champ [le
principe de la légalité de la privation de liberté a été découvert lui-même
dans un obiter dictum aboutissant à
la remise en cause de l’emprisonnement contraventionnel ; Cons. const.,
déc. n° 73-80 L du 28 nov. 1973 relative à la nature juridique de certaines
dispositions du Code rural, de la loi du 5 août 1960 d'orientation
agricole, de la loi du 8 août 1962 relative aux groupements agricoles
d'exploitation en commun et de la loi du 17 déc. 1963 relative au bail à ferme
dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la
Réunion :
J. O., 6 déc. 1973,
p. 12949 ; RDP, 1974,
p. 899, obs. J. de Soto ;
AJDA, 1974, p. 229, obs. J. Rivero – c’est aussi par un obiter dictum que le Conseil
constitutionnel a exclu la privation de liberté en matière de sanction
administrative ; v. supra]. C’est
au regard des « obligations
particulières attachées à l'état militaire » justifiant « que l'exercice par les militaires de
certains droits et libertés reconnus aux citoyens soit interdit ou restreint
des restrictions à leurs libertés fondamentales » [v. les consid. n° 6
et s. pour le rappel par le Conseil constitutionnel de ces principes] que l’isolement
cellulaire, à titre de sanction disciplinaire, est sans doute admis en la
matière. Pourrait-elle être plus largement appliquée en matière militaire, au-delà
de sa forme actuelle, qui mélange sanction et mesure de sûreté [v. infra], par exemple par le
rétablissement des arrêts de rigueur ? Ou même appliquée en autre
matière [la Cour européenne des droits de l’Homme, même si son contrôle
portait sur le respect de l’article 6, a déjà toléré la peine disciplinaire
privative de liberté en matière pénitentiaire, celle résidant dans l’ajout de
jours supplémentaires de privation de liberté – CEDH, gde ch., 9
oct. 2003, Ezeh et Connors c. Royaume-Uni,
req. nos 39665/98 et 40086/98 : Rec. CEDH, 2003-X ; Dr.
pénal, 2004, ét. n° 7, comm. É.
Verges ; RSC, 2004, p.
173, note F. Massias – ou en
matière de la police de l’audience – CEDH, sect. III,
31 juil. 2007, Zaicevs c. Lettonie,
req. n° 65022/01]
? On peut en douter au regard du principe de l’interdiction de toute rigueur
non nécessaire, qui suppose que la privation de liberté soit nécessaire,
proportionnée et adaptée [Cons. const., déc. n° 2008-562 DC du 21 févr. 2008 portant sur la loi
relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale
pour cause de trouble mental : J. O., 26 févr. 2008, p. 3272 ; RSC, 2008, p. 731, comm. Ch. Lazerges ; D.,
2008, p. 1359, comm. Y. Mayaud ;
JCP, 2008, actu., n° 166, obs. B. Mathieu ; JCP, 2008, II, n°
10077, comm. J.‑Ph. Feldman]. Toujours
est-il que le Conseil constitutionnel n’a pas estimé utile d’apporter des
précisions sur le champ de l’enfermement cellulaire en matière disciplinaire.
C’est
qu’on en viendrait presque à se demander si le Conseil constitutionnel pourrait
rejeter la qualification de privation de liberté s’il avait à se prononcer sur
les arrêts assortis de l’isolement. Car, si le Conseil constitutionnel a exclu
d’inclure dans son examen les arrêts assortis de l’isolement, il ne s’est pas
prononcé expressément sur sa nature [v. le consid. n° 3 dans lequel le Conseil
constitutionnel s’est contenté de décrire la mesure – v. le consid. n° 8 dans
lequel le Conseil constitutionnel s’est contenté de déclarer « inopérant » le grief d’atteinte à
la liberté individuelle concernant les mesures d’arrêts simples]. Au regard du
confinement en cellule [selon l’art. R. 4137-29 du Code de la défense, le
militaire « est placé dans un local
fermé »] pour une durée pouvant dépasser plusieurs jours [la durée des
arrêts prononcés par l’autorité militaire de premier niveau, compétente pour
assortir la sanction de l’isolement avec effet immédiat, ne peut dépasser 20
jours en vertu de l’article R. 4137-25 du Code de la défense, et si la
pluralité de fautes ou de manquement permet un cumul des jours d’arrêts, ils ne
peuvent, sans interruption, dépasser une période de quarante jours selon
l’article R. 4137-28 du Code de la défense, l’isolement devant dans tous les
cas prendre « fin dès que les
conditions qui l'ont justifiée ne sont plus réunies » selon l’article R.
4137-29 du Code de la défense], la mesure apparaît comme une privation de
liberté, même en prenant la notion dans son sens le plus strict [v. infra sur la définition de la privation
de liberté dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel], alors que le
niveau élevé de la contrainte appliquée justifie même l’organisation « d'un suivi médical » [art. R.
4137-29 du Code de la défense]. La Cour européenne des droits de l’Homme a
d’ailleurs toujours qualifié les arrêts de rigueur, dont les arrêts assortis de
l’isolement reprennent les modalités, de privation de liberté, même ceux n’ayant
pas dépassé quelques jours [CEDH,
plén., 8 juin 1976, Engel et autres c.
Pays-Bas, req. n° 5100/71 : Rec.
CEDH, série A, n° 22 – CEDH, sect. III,
22 déc. 2005, A. D. c. Turquie,
req. n° 29986/96 – CEDH, sect. II,
26 avr. 2011, Pulatli c. Turquie,
req. n° 38665/07
– CEDH, sect. II,
20 mars 2012, Koç et Demir c. Turquie,
req. n° 26793/08
– CEDH, sect. II,
5 juin 2012, Tengilimoglu et autres c.
Turquie, req. nos 26938/08, 41039/09 et 66328/09]. Le Conseil
constitutionnel pourrait-il avoir une appréciation différente, par égard pour
les sujétions particulières auxquelles sont soumis les militaires ? C’est
que la notion de la privation de liberté a parfois subi des altérations au
niveau européen et constitutionnel, sans doute pour contourner l’ensemble des
garanties que la qualification entraîne, qu’il s’agisse du contrôle judiciaire
imposé par l’article 66 de la Constitution [v. pour le refus de la
qualification de privation de liberté de l’assignation de l’étranger à
résidence placée sous le contrôle du juge administratif, Cons. const.,
déc. n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 portant sur la loi relative à l'immigration,
à l'intégration et à la nationalité : J.
O., 17 juin 2011, p. 10306 ; AJDA,
2011, p. 1174, obs. M.‑C. de Montecler
; Constitutions, 2012, p. 597, obs. V. Tchen ; consid. n° 68] ou
de l’exigence de légalité imposée, entre autre [v. infra pour ses fondements constitutionnels], par l’article 5 de la
Convention européenne des droits de l’Homme [v. pour le rejet de la
qualification de la privation de liberté concernant la pratique du contrôle de
la foule par l’usage de cordons, CEDH, gde ch.,
15 mars 2012, Austin et autres c. Royaume-Uni,
req. nos 39692/09, 40713/09 et 41008/09 : Rec. CEDH ; Gaz. Pal., 29 mars 2012, p. 30, obs. C. Berlaud ; JCP, 2012, actu., n° 455, obs. F. Sudre ; AJDA, 2012, p. 1726, chron. L. Burgorgue‑Larsen]. Pour autant, les
restrictions aux droits et libertés fondamentaux du militaire n’ont été
appliquées, dans cette décision, qu’à la liberté d’aller et venir [après avoir
rejeté la qualification de privation de liberté concernant les arrêts simples,
le Conseil constitutionnel a logiquement estimé que la critique de l’atteinte à
la liberté individuelle était inopérante ; consid. n° 8], et même, plus
précisément, ont été utilisées pour justifier de la limitation de l’étendue de
la légalité, et non pour modérer la mesure de la contrainte subie par celui-ci
lors de la mise aux arrêts [v. les consid. nos 5 à 7 pour les
rappels du statut constitutionnel du militaire, servant à la conclusion du
Conseil constitutionnel figurant dans le consid. n° 9, selon laquelle « compte tenu des obligations particulières attachées à l'état militaire
et des restrictions à l'exercice de la liberté d'aller et de venir qui en
résultent, en prévoyant […] la
sanction des arrêts parmi les sanctions disciplinaires applicables aux
militaires sans en définir plus précisément les modalités d'application, le
législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence » – au
contraire, le Conseil constitutionnel a établi au consid. n° 8 que les arrêts
« n'instituent pas une sanction
disciplinaire entraînant une privation de liberté » sans utiliser
explicitement dans son raisonnement le statut constitutionnel particulier du
militaire]. De telles limitations aux droits et libertés fondamentaux du
militaire n’apparaissent donc pas véritablement de nature à altérer la
qualification de privation de liberté des arrêts assortis d’isolement. En
refusant de se prononcer sur les arrêts assortis d’isolement, même par obiter dictum, le Conseil
constitutionnel n’a pas seulement manqué d’encadrer le champ de
l’emprisonnement cellulaire en matière disciplinaire, il a aussi manqué de réaliser
des apports à la définition de la privation de liberté. Ce même manquement
ressort également de la détermination par le Conseil constitutionnel de la nature
des arrêts simples.
4. La seconde occasion manquée : l’extension
de la définition de la privation de liberté en matière disciplinaire. Le Conseil
constitutionnel a fait de la qualification de la mesure des arrêts simples un
point central de son raisonnement dans sa décision, écartant
précautionneusement de son champ d’étude les arrêts assortis de l’isolement [v.
supra], puis établissant que les
arrêts simples « n'instituent pas
une sanction disciplinaire entraînant une privation de liberté »
[consid. n° 8], afin de déterminer l’étendue de la légalité applicable à la
restriction de la liberté d’aller et venir du militaire. Le Conseil
constitutionnel en a déduit « que le
grief tiré de ce que le législateur aurait insuffisamment encadré les modalités
d'exécution d'une sanction qui affecte la liberté individuelle est inopérant »
[ibid.]. Il a appliqué ici sa
jurisprudence désormais classique, qui limite l’application des principes
protecteurs de la liberté individuelle à la seule privation de liberté, alors qu’il
a intégré autrefois dans leur champ les restrictions à la liberté d’aller et
venir [Cons. const.,
déc. n° 93-323 DC du 5 août 1993 portant sur la loi relative aux contrôles et
vérifications d’identité : J. O.,
7 août 1993, p. 11193 ; AJDA, 1993,
p. 815, note P. Wachsmann ;
RFDA, 1994, p. 959, É. Picard], les atteintes à
l’inviolabilité du domicile [Cons. const.,
déc. n° 90-281 DC du 27 déc. 1990 portant sur la loi sur la réglementation des
télécommunications
: J. O., 29 déc. 1990, p. 16343 ;
consid. n° 8], les atteintes à la liberté du mariage [Cons. const.,
déc. n° 93‑325 DC du 13 août 1993 portant sur la loi relative à la
maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour
des étrangers en France : J. O.,
18 août 1993, p. 11722 ; RFDA,
1993, p. 871, comm. B. Genevois ;
consid. n° 3], les atteintes aux droits de bénéficier à une vie familiale
normale [ibid.] ou encore les
atteintes au droit à la vie privée [Cons. const.,
déc. n° 97-389 DC du 22 avr. 1997 relative à la loi portant diverses
dispositions relatives à l’immigration : J. O., 27 avr. 1997, p. 6432 ; AJDA, 1997, p. 524, comm. F. Julien‑Laferrière ;
JCP, 1997, II, n° 22890, obs. J.‑C. Zarka ; RDP, 1997, p. 931, comm. F. Luchaire].
Les principes encadrant la restriction à la liberté d’aller et venir découlent
désormais de la « liberté
personnelle », fondée
sur la combinaison des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme
et du citoyen [Cons. const., déc. n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 relative à la loi pour
la sécurité intérieure : J. O., 19 mars 2003, p. 4789 ;
RSC, 2003, p. 602 et p. 614, obs. V. Bück ; D.,
2004, p. 1273, obs. S. Nicot ; consid. n° 8]. Une telle
restriction de la notion de liberté individuelle aboutit à une répartition plus
équilibrée entre les deux ordres de juridiction du contrôle des atteintes aux
droits et libertés fondamentaux, alors que l’atteinte à la liberté individuelle
est placée sous le contrôle du juge judiciaire, qui en est le gardien, sur le
fondement de l’article 66 de la Constitution.
Il
est toutefois regrettable que le raisonnement constitutionnel servant à
apprécier la nature des arrêts simples ne réalise aucun apport à la définition
de la privation de liberté [ou à la définition de l’autre versant de l’atteinte
à la liberté d’aller et venir, d’une sévérité moindre, à savoir la restriction
de cette liberté], pour n’apporter aucune précision supplémentaire à
l’affirmation. Pourtant, la qualification de privation de liberté est
essentielle, pour déclencher les garanties de l’article 66 de la Constitution
et de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme, à la
différence de la simple restriction à la liberté d’aller et venir, dont le
contrôle peut intégrer l’office du juge administratif [Cons.
const., déc. n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 portant sur la loi d'orientation et
de programmation pour la performance de la sécurité intérieure : J. O., 15 mars 2011, p. 4630 ;
consid. n° 48 et s.] et suppose, au niveau européen, le respect de l’article 2
du Protocole n° 4. « Entre privation
et restriction de liberté, il n’y a […]
qu’une différence de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence »
[Guzzardi : préc. ; § 93]. Dans la jurisprudence constitutionnelle, la
privation de liberté est une notion protéiforme qui ne se limite pas à
l’emprisonnement cellulaire, si bien qu’elle inclut la « mesure qui prive un individu de toute
liberté d'aller et venir » comme celle « qui a pour effet d'entraver sensiblement cette liberté » [v.
pour la qualification en privation de liberté du maintien en zone d’attente,
bien qu’il « n'entraîne pas à
l'encontre de l'intéressé un degré de contrainte sur sa personne comparable à
celui qui résulterait de son placement dans un centre de rétention », Cons. const.,
déc. n° 92-307 DC du 25 févr. 1992 relative à la loi portant modification de
l’ord. n° 45-2658 du 2 nov. 1945 modifiée, relative aux conditions d’entrée et
de séjour des étrangers en France : J.
O., 12 mars 1992, p. 3003 ; RFDA,
1992, p. 185, comm. B. Genevoix ; consid.
n° 13 et s.]. La qualification dépend de « l'effet
conjugué du degré de contrainte [de la mesure] et de sa durée » [ibid.,
consid. n° 15]. En dehors de la décision sur la zone d’attente, le Conseil
constitutionnel a cependant toujours appliqué une vision restrictive de la
privation de liberté, en menant des raisonnements le plus souvent lacunaires,
dans une jurisprudence peu éclairante au-delà de la casuistique. Il a ainsi
refusé de considérer le placement du mineur en centre éducatif fermé comme une
privation de liberté [Cons. const.,
déc. n° 2002-461 DC du 29 août 2002 relative à la loi d’orientation et de
programmation pour la justice : J. O., 10 sept. 2002, p. 14953 ; RSC, 2003, p. 606 et p. 612, comm. V. Bück ; D.,
2003, p. 1127, obs. L. Domingo
et S. Nicot ; consid. n° 54].
Il s’est montré peu précis quant à la nature exacte de l’assignation à
résidence du mineur sous surveillance électronique [Cons. const., déc. n° 2011-635 DC du 4 août 2011 relative à la loi sur la
participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le
jugement des mineurs : J. O.,
11 août 2011, p. 13763 ; RSC,
2011, p. 728, chron. Ch. Lazerges (spéc. I) ; AJFP, 2012, p. 121, note J. Wolikow ; D., 2012, p. 1638, chron. V. Bernaud et N. Jacquinot ; consid. n° 36
et s.]. Il a même estimé que l’assignation à résidence de l’étranger, prononcée
par l’autorité administrative à titre de mesure alternative au placement en
rétention, ne comportait « aucune
privation de la liberté individuelle » [déc. n° 2011-631 DC du 9 juin
2011 : préc. ; consid. n°
68].
En
tout cas, il ressort de la décision que le droit disciplinaire, au moins celui
militaire, admet la sanction restrictive de la liberté d’aller et venir.
Pourtant, la tolérance du droit disciplinaire à la sanction réalisant une
atteinte à la liberté d’aller et venir, privation ou restriction, est en
déclin, comme le montre de manière évidente l’évolution du droit militaire,
malgré le devoir d’obéissance particulièrement fort y régnant [v. supra]. Elle justifie en tout cas
l’application de garanties importantes même lorsqu’elle n’emporte pas la
qualification de privation de liberté, comme le montre l’ouverture du recours
en excès de pouvoir contre l’infliction des arrêts simples [CE, Hardouin : préc.]. La poursuite de ce mouvement protecteur, sans aller jusqu’à
l’abolition de l’atteinte à la liberté d’aller et venir en droit disciplinaire,
aurait pu tenir dans l’adoption d’une vision large de la privation de liberté spécialement
en cette matière, afin d’étendre le champ des différentes garanties s’y
appliquant. Le Conseil constitutionnel a choisi d’y appliquer sa vision
restrictive de la privation de liberté, désormais classique.
À
appliquer cette jurisprudence classique, il est vrai que le rejet de la
qualification de privation de liberté concernant les arrêts simples n’apparaît
guère contestable, lorsque le militaire est soumis à la mesure dans sa « formation », dès lors que « le degré de contrainte » de la
mesure, un des deux critères de qualification de la privation de liberté, ici
fixé par le pouvoir réglementaire, reste mesuré, pour ne s’appliquer qu’en
dehors du service du militaire et entraîner un confinement peu sévère [art. R.
4137-28 du Code de la défense]. Seule la durée maximale de la mesure, deuxième
critère, ici fixé par le législateur, militait pour la qualification de la
privation de liberté [v. l’art. L. 4137-1
du Code de la défense pour la
limitation de la durée maximale des arrêts simples, dans tous les cas, à
soixante jours].
Cependant, les arrêts simples peuvent également se dérouler dans « le lieu désigné par l'autorité militaire ».
La désignation d’un lieu assurant un confinement plus sévère, donc entraînant
un « degré de contrainte »
plus élevé, pourrait être de nature à consommer une privation de liberté. Dans
un tel cas de figure, revenant à infliger une privation de liberté illégale,
puisque le Conseil constitutionnel a fait des arrêts simples une simple
restriction à la liberté d’aller et venir, le juge administratif [la théorie de
la voie de fait ne semble pouvoir s’appliquer ici, au regard de la jurisprudence
du Tribunal des conflits, qui exige que les mesures illégales portant atteinte
à la liberté individuelle se trouvent « manifestement insusceptibles d’être rattachées à un pouvoir appartenant
à l’administration », pour entraîner la compétence judiciaire ; T. confl., 12
mai 1997, pft Police c. TGI Paris, n°
03056 :
Rec. CE, p. 1226 : AJDA, 1997, p. 635, chron. D. Chauvaux et T.-X. Girardot ; RFDA, 1997, p. 514, concl. J.
Arrighi de Casanova ; Gaz. Pal.,
1997, jur., p. 393, comm. S. Petit ;
LPA, 19 janv. 1998, p. 15, comm. J.-P. Markus ; JCP, 1997, II, n° 22861, comm. P.
Sargos] pourrait alors sans doute annuler la décision au fond [v. par
exemple concernant l’assignation à résidence d’étrangers dans une caserne,
alors que la base légale permettait uniquement de leur interdire l’accès à
certaines zones territoriales, TA Versailles, 6 déc. 1994, Bahri, Naami et Chibani, 3 espèces ; RFDA, 1995, p. 376], et, pour pouvoir interrompre la mesure avant
qu’elle n’arrive à son terme, le recours au référé-liberté serait sans doute
efficace [si le Conseil d’État a exclu que la condition d’urgence soit remplie
concernant la contestation de la sanction de radiation des cadres (v. CE, 30 mars
2010, Matelly, n° 337955 : inédit), cette condition semble remplie
concernant l’infliction temporaire au militaire d’une privation de liberté
illégale – le Conseil d’État a toutefois
admis que la même sanction pouvait donner lieu à un référé-suspension dans la
mesure où celle-ci avait « pour effet
de priver [le militaire] de sa
rémunération et de la jouissance de son logement de fonction » ; CE, réf., 29 avr. 2010, Matelly, n° 338462 : rec. CE, T.].
La
Cour européenne des droits de l’Homme a elle-même toujours écarté que les
arrêts simples, exécutés en caserne ou dans tout autre bâtiment militaire, dans
un lieu public ou au domicile du militaire, constituent une privation de
liberté soumise à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme
[Engel : préc. – CEDH, sect. II,
25 sept. 2012, Vural et autres c. Turquie,
req. nos 46274/11, 68632/11, 71136/11 et autres, déc. – CEDH, sect. II,
27 nov. 2012, Tutuncu et Bektas c. Turquie,
req. nos 76653/11 et 78809/11, déc.], et si elle a
admis une fois que des arrêts simples exécutés au domicile de l’individu
constituent une privation de liberté, l’espèce concernait la garde civile et le
droit national lui-même qualifiait la mesure de privation de liberté [CEDH,
sect. III, 2 nov. 2006, Dacosta Silva c.
Espagne, req. n° 69966/01 : Rec. CEDH, 2006-XIII]. La Cour s’intéresse aussi à la durée de la
mesure et à son degré de contrainte pour différencier la privation de liberté de
la restriction à la liberté d’aller et venir [Guzzardi : préc. ;
§ 92 et s. – v. sur la définition de la privation de liberté dans la jurisprudence
européenne, nos obs., ici]. Pour autant,
une distinction importante sépare la jurisprudence européenne en matière des
arrêts simples et la décision du Conseil constitutionnel car seule la première,
dans son rejet de la qualification de privation de liberté, tient compte
expressément des sujétions particulières pesant sur le militaire. La Cour
européenne des droits de l’Homme considère en effet que « les bornes que l’article 5 […] enjoint [à l’État] de ne pas dépasser ne sont pas identiques pour les militaires et pour
les civils » si bien qu’« une
sanction ou mesure disciplinaire qui s’analyserait sans conteste en une
privation de liberté si on l’appliquait à un civil peut ne pas en avoir le
caractère si on l’inflige à un militaire » [v. par ex. Vural, déc. : préc. ;
§17], tandis que dans la décision constitutionnelle, le rappel de ces mêmes
obligations n’a pas servi à déterminer la qualification [v. supra]. À la différence de la Cour
européenne des droits de l’Homme, le Conseil constitutionnel ne s’est donc pas
réservé la possibilité de retenir une vision plus large de la privation de
liberté en matière disciplinaire en dehors du domaine militaire et de ses
particularismes. Les apports de la décision au champ de la privation de liberté
disciplinaire sont donc nuls, tant s’agissant de la délimitation de
l’enfermement cellulaire, non réalisée par le Conseil constitutionnel, que
s’agissant de la définition de la privation de liberté, le juge de la loi y
appliquant sa même vision restrictive. La décision est aussi décevante quant à l’application
de la légalité de l’atteinte à la liberté d’aller et venir.
5. La troisième occasion manquée : l’application
stricte de la légalité à l’atteinte à la liberté d’aller et venir. La question
prioritaire de constitutionnalité ne portait pas directement sur l’étendue de
la privation de liberté en matière disciplinaire – sa nécessité, sa
proportionnalité, ou encore sa définition –, mais sur le respect de la légalité,
alors que le degré de l’atteinte à la liberté d’aller et venir causée par la
mise aux arrêts est déterminé par un texte réglementaire [soit l’article R.
4137-28 du Code de la défense qui dispose que les arrêts simples s’exécutent « en dehors du service, de quitter sa
formation ou le lieu désigné par l'autorité militaire de premier niveau dont il
relève »]. C’est que l’atteinte à la liberté d’aller et venir, privation
[s’applique alors la protection constitutionnelle de la liberté individuelle]
ou simple restriction [s’applique alors la protection constitutionnelle de la
liberté personnelle], relève du domaine législatif [l’article 34 de la
Constitution dispose que « la loi fixe
les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées
aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques »]. Les requérants
dénonçaient une immixtion du pouvoir réglementaire portant atteinte à la
dignité, à la liberté individuelle et à la liberté d’aller et venir. Le Conseil
constitutionnel a rappelé le principe limitant la recevabilité du grief portant
sur l’incompétence négative du législateur au cas « où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté
que la Constitution garantit » [consid. n° 4] en matière de question
prioritaire de constitutionnalité. Il a estimé inopérant le grief de l’atteinte
à la liberté individuelle causée par le défaut de légalité, dès lors qu’il a
écarté la qualification de la privation de liberté s’agissant des arrêts [v. supra]. Le Conseil constitutionnel a en
revanche étudié le grief de l’atteinte à la liberté d’aller et venir, pour
conclure que « compte tenu des
obligations particulières attachées à l'état militaire et des restrictions à
l'exercice de la liberté d'aller et de venir qui en résultent, en prévoyant
[…] la sanction des arrêts parmi les
sanctions disciplinaires applicables aux militaires sans en définir plus
précisément les modalités d'application, le législateur n'a pas méconnu
l'étendue de sa compétence » [consid. n° 9]. Le raisonnement du
Conseil constitutionnel est d’abord particulièrement boiteux pour tenir compte
implicitement de la disposition réglementaire, afin de qualifier la mesure, au
regard de la contrainte générée, de simple restriction à la liberté d’aller et
venir [autrement, la qualification de restriction à la liberté d’elle et venir
des arrêts simples serait donc établie uniquement par les articles législatifs
cités par la décision, soit l’article L. 4137-2 1er-e) du Code de la
défense – c’est-à-dire « les
arrêts ; » – et l’article L. 311-13 du Code
de justice militaire
– c’est-à-dire la limite de soixante jours, alors même que l’article vise au
surplus les sanctions « privatives
de liberté »], cette qualification lui servant, dans une deuxième
étape de son raisonnement, à déterminer l’étendue limitée de la légalité, et
donc à valider l’immixtion réglementaire, alors que le contenu des dispositions
décrétales validées ainsi au terme de son raisonnement lui ont déjà servi dans
la première étape de celui-ci. De la même manière, si le Conseil
constitutionnel ne s’est intéressé aucunement au grief de l’atteinte à la protection
de la dignité causée par le défaut de légalité, sans non plus le déclarer
inopérant, le moyen n’était pourtant pas dénué de pertinence concernant une
mesure portant atteinte à la liberté d’aller et venir [v. par exemple pour le
rejet de l’isolement total, caractérisant par nature un traitement inhumain et
dégradant dans la jurisprudence européenne, CEDH, 8 juin
1999, Messina c. Italie, req. n°
25498/94, déc. : Rec. CEDH, 1999-V], si bien que le Conseil
constitutionnel semble encore avoir tenu compte du texte réglementaire, établissant
une contrainte de degré limité, pour estimer qu’il n’y avait lieu à examiner le
grief soulevant l’incompétence négative. Ensuite, la solution du Conseil constitutionnel
apparaît peu respectueuse de la légalité. Dès lors que la distinction entre privation
de liberté et restriction à la liberté d’aller et venir dépend de deux critères
de qualification, la durée et le degré de contrainte [v. supra], et que celle-ci est si importante quant à la protection
constitutionnelle applicable à l’une des mesures ou à l’autre, l’admission de
la compétence du pouvoir réglementaire pour définir l’un des deux critères de
différenciation [en l’espèce donc, le degré de contrainte] revient à le laisser
arbitrer la nature de la mesure concernée. Difficile de ne pas voir ici un cas
d’incompétence négative, violant à la fois la liberté individuelle et la
liberté personnelle, pour laisser le pouvoir réglementaire participer de
manière décisive à la délimitation des deux notions.
Si
l’on s’intéresse promptement à l’apport de la décision quant au régime de la restriction
de la liberté d’aller et venir [ou à la protection de la liberté personnelle],
on notera que le principe selon lequel « l'exercice par les militaires de certains droits et libertés reconnus
aux citoyens […] soit interdit ou
restreint » [consid. n° 6] aboutit à ce que le Conseil constitutionnel
décide que « compte tenu des
obligations particulières attachées à l'état militaire et des restrictions à
l'exercice de la liberté d'aller et de venir qui en résultent, en prévoyant
[…] la sanction des arrêts parmi les
sanctions disciplinaires applicables aux militaires sans en définir plus
précisément les modalités d'application, le législateur n'a pas méconnu
l'étendue de sa compétence » [consid. n° 9]. Ce n’est donc pas véritablement
« l’exercice de la liberté d’aller
et venir » du militaire qui est réduite spécialement en raison de son
statut au regard de la solution du Conseil constitutionnel : la question
posée ne tenait pas à la recherche des bornes de l’atteinte à la liberté
d’aller et venir pouvant soumettre le militaire et le juge de la loi n’a
d’ailleurs pas utilisé ce statut particulier pour déterminer la qualification
des arrêts simples [v. supra]. C’est
plutôt l’étendue de la légalité qui apparaît limitée pour le militaire, donc un
droit fondamental à la légalité [le Conseil constitutionnel évoque bien la
restriction de « l'exercice par les
militaires de certains droits et libertés reconnus aux citoyens »], si
bien que le législateur n’a pas à préciser les « modalités d’application » de la sanction restreignant sa
liberté d’aller et venir. A contrario,
le champ de la légalité serait donc complet en dehors du cas du militaire,
concernant la définition des éléments constitutifs de la restriction à la
liberté d’aller et venir. Si l’on comprend que les sujétions pesant sur le
militaire sont bien de nature à limiter la substance de leurs droits et
libertés fondamentaux, on voit mal pourquoi la protection juridique de celle-ci,
même d’étendue retreinte, serait amputée. C’est même au contraire que la
limitation des droits et libertés fondamentaux particulière aux militaires
justifie plus encore l’intervention du législateur pour déterminer son ampleur.
Faut-il
admettre qu’une même limitation de la légalité pourrait s’appliquer dans le
domaine de la protection de la liberté individuelle du militaire, ou de la
définition de la privation de liberté pouvant le soumettre, alors que les
arrêts assortis de l’isolement voient aussi leurs « modalités d’application » décrites par le pouvoir
réglementaire [l’« isolement »
consiste au placement du militaire « dans
un local fermé » ; v. l’art. R. 4137-29 du Code de la défense] ? C’est
que même le particularisme militaire ne semble de nature à écarter la
qualification de privation de liberté s’agissant de cette dernière mesure [v. supra]. Là encore, le Conseil
constitutionnel n’a pas choisi d’éclairer par obiter dictum, indiquant seulement qu’en l’espèce, le grief de
l’atteinte à la liberté individuelle causée par le défaut de légalité était inopérant,
sans donner le moindre élément qui laisserait à penser que l’étendue de la
légalité serait plus importante en matière de privation de liberté. Néanmoins,
l’immixtion du pouvoir réglementaire dans cette dernière matière réalise une
double violation du principe de la légalité, non seulement pour lui laisser
participer à la fixation du degré de contrainte de la mesure [au moins le
législateur a-t-il décrit sémantiquement la mesure comme un « isolement », ce qui suppose une
privation de liberté, par opposition à l’emploi du terme d’« arrêts », dont l’intitulé ne suffit
pas à établir l’intention législative] comme pour les arrêts, mais aussi pour lui
abandonner la délimitation de la privation de liberté, en le laissant définir
la nature de la faute ou du manquement permettant le recours à l’isolement [v.
l’art. R. 4137-29 du Code de la défense ; l’isolement est possible « lorsque une sanction d'arrêts est motivée
par une faute ou un manquement qui traduit un comportement dangereux pour
lui-même ou pour autrui »]. De même, la légalité de la privation de
liberté bénéficie d’un fondement spécial, montrant son importance primordiale en
la matière et offrant ainsi au Conseil constitutionnel le moyen d’adopter une
jurisprudence plus exigeante dans ce domaine par rapport à celle concernant les
autres droits et libertés fondamentaux [l’art. 7 de la Déclaration des droits
de l’Homme et du citoyen dispose que « nul
homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la
Loi » – le Conseil constitutionnel a préféré fonder le principe, lors
de la censure de l’emprisonnement contraventionnel, sur les « dispositions combinées du préambule, des
alinéas 3 et 5 de l'article 34 et de l'article 66 de la Constitution
» ; déc. n° 73-80 L du 28 nov. 1973 : préc.]. Enfin, appliquer une étendue de la légalité supérieure à la
privation de liberté par rapport à celle s’appliquant à la simple restriction
de la liberté d’aller et venir est logique, compte tenu du degré supérieur de
contrainte entraîné par la première mesure. Ces trois dernières considérations
militent pour conclure à l’existence d’une violation de la légalité du fait de
la fixation par le pouvoir réglementaire des modalités d’application du régime
des arrêts assortis de l’isolement, nonobstant le régime constitutionnel particulier
du militaire. Une telle solution viendrait consacrer une nouvelle distinction
entre le régime de la privation de liberté et celui de la restriction à la
liberté d’aller et venir, tenant à l’étendue de la légalité.
Si
le contrôle constitutionnel de la légalité de la privation de liberté a souvent
toléré une large immixtion du pouvoir réglementaire quant à la détermination du
degré de contrainte appliqué à l’individu et quant à l’étendue des mesures
examinées, celles-ci ont été considérées comme de simples modalités
d’application dérogatoires d’une privation de liberté dont le régime de droit
commun était borné par la loi [v. par ex. concernant le droit disciplinaire pénitentiaire,
qui permet le placement en cellule disciplinaire, Cons. const., déc. n° 2009-593 DC du 19 nov. 2009 portant sur la loi
pénitentiaire : J. O.,
25 nov. 2009, p. 20222 ; RSC,
2010, p. 217, obs. B. de Lamy ;
AJDA, 2009, p. 2425, obs. P. Wachsmann ; consid. n° 4 – v. concernant le
placement en Unité pour malades difficiles de l’aliéné en internement d’office,
Cons. const.,
déc. n° 2013-367 QPC du 14 févr. 2014, [Consorts
L.] ;
J. O., 16 févr. 2014, p. 2726], si
bien que cette étendue limitée de la légalité ne semble être transposable à la
détermination d’un régime de privation de liberté autonome, comme cela concerne
les arrêts assortis de l’isolement. Il ressort en tout cas de cette jurisprudence
que le législateur conserve sa compétence pour « garantir les droits dont [les] personnes
[détenues] continuent de bénéficier
dans les limites inhérentes à la détention » [déc. n° 2009-593 DC du
19 nov. 2009 : préc. ;
consid. n° 4 – v. pour la reprise du principe dans une formule approchante, Cons.
const., décis. n° 2014-393 QPC du 25 avr. 2014, [M. Angelo R.] : J.
O., 27 avr. 2014, p. 7362 ; consid. n° 6], et d’ailleurs, le Conseil
constitutionnel s’est montré plus récemment consciencieux dans le contrôle de
ce dernier principe, censurant la disposition législative renvoyant « au décret le soin de déterminer […] notamment les principes de l’organisation
de la vie en détention, de la surveillance des détenus et de leurs relations
avec l’extérieur » [Cons. const.,
décis. n° 2014-393 QPC du 25 avr. 2014, [M.
Angelo R.] :
J. O., 27 avr. 2014, p. 7362]. Dès
lors que l’exercice des droits conservés par le militaire isolé figure dans une
disposition réglementaire [art. R. 4137-29 du Code de la défense : la
disposition prévoit que le militaire « se
voit communiquer sans délai les éléments au vu desquels la mesure d'isolement a
été prise », « doit faire
l'objet d'un suivi médical », « est autorisé à s'entretenir avec un militaire de sa formation, à
communiquer par écrit avec les personnes de son choix et à recevoir les
courriers qui lui sont destinés »], il y a au moins ici une cause de
violation de la constitution, pour incompétence négative. D’autres violations du
standard supra-légal encadrant la privation de liberté plus lourdes semblent ressortir
du régime actuel des arrêts pourvus de l’isolement.
6. Les interrogations pesant sur la
constitutionnalité et la conventionnalité des arrêts assortis d’isolement. À retenir la
qualification de la privation de liberté concernant les arrêts assortis d’isolement,
évidente sauf à altérer gravement la définition de la notion [v. supra], encore faut-il aussi déterminer
sa nature, celle de sanction ou celle de mesure de sûreté [v. pour la
distinction, déc. n° 2008-562 DC du 21 févr. 2008 : préc. ; consid. n° 9 : la « sanction ayant le caractère d’une punition » repose sur la
« culpabilité » de
l’individu, tandis que la mesure de sûreté repose sur sa « dangerosité »], afin de la confronter
au standard international. C’est que les arrêts pourvus de l’isolement ressorttent
a priori des deux natures [v. l’art.
R. 4137-29 du Code de la défense]. Pour assortir la peine disciplinaire des
arrêts, avoir un lien de filiation avec les arrêts de rigueur et voir son
étendue limitée par une faute ou un manquement particulier, l’isolement
apparaît comme une sanction. Pour s’attacher à la « dangerosité » du militaire et cesser dès la disparition de cet
état, malgré l’éventuelle continuation des arrêts, la même mesure prend les
atours d’une mesure de sûreté. Cependant, la mesure de sûreté, sauf celle ne
dépassant pas quelques heures [v. pour le contrôle constitutionnel du
dégrisement, Cons. const.,
déc. n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012, [M.
D.] :
J. O., 9 juin 2012, p. 9796 ; Gaz. Pal., 5 juil. 2012, p. 11, comm.
S. Detraz ; LPA, 25 mars 2013, p. 4, chron. V. Tellier-Cayrol], doit permettre
d’apporter un traitement approprié à la personne détenue afin de permettre de
résorber son état de dangerosité, au regard du principe de l’adéquation de la
privation de liberté [v. pour la rétention de sûreté, déc. n° 2008-562 DC du 21
févr. 2008 : préc. ;
consid. n° 14 : le Conseil constitutionnel y notait que « le placement de la personne en centre
socio-médico-judiciaire de sûreté est destiné à permettre, au moyen d'une prise
en charge médicale, sociale et psychologique qui lui est proposée de façon
permanente, la fin de cette mesure »]. À défaut de distinction
importante entre le régime de détention punitif et celui de sûreté, le dernier
se caractérisant par son adéquation, la mesure doit être qualifiée de peine [v.
pour la requalification européenne de la rétention de sûreté allemande en
peine, CEDH, sect. V,
17 déc. 2009, M.
c. Allemagne, req. n° 19359/04 : Rec. CEDH ; AJP, 2010, p. 129, comm. J. Leblois-Happe ; RSC, 2010, p. 236 [sur l’art. 7] et p.
228 [sur l’art. 5], obs. D. Roets ; D., 2010, p. 737, note J. Pradel ; JCP, 2010, n° 334, note M. Giacopelli ;
Dr. pén., 2010, ét. n° 9, note L. Grégoire et F. Boulan ; AJP,
2010, p. 389, obs. É. Péchillon].
Dans notre cas, le simple « suivi
médical » prévu par les dispositions réglementaires [v. l’art. R.
4137-29 du Code de la défense] ne suffit pas à assurer cette adéquation :
il faut bien considérer les arrêts assortis de l’isolement comme une sanction
disciplinaire privative de liberté.
Au
niveau conventionnel, sans que le particularisme militaire ne s’y oppose, une
telle privation de liberté punitive dépend de l’article 5 § 1er-a)
et relève du cas de la détention « après
condamnation par un tribunal compétent », quand bien même elle relève
en droit national du droit disciplinaire, et non du droit pénal. L’autorité
militaire de premier niveau, compétente en droit français pour prononcer les
arrêts assortis d’isolement [art. R. 4137-25 et R. 4137-29 du Code de la défense], ne
présente pas les gages d’indépendance nécessaires pour recevoir la qualification
de Tribunal, dès lors qu’elle est parfaitement intégrée à la hiérarchie
militaire, solution de jurisprudence constante [Dacosta Silva : préc. ;
§ 40 et s. – Pulatli : préc. ; § 28 – Tengilimoglu : préc. ;
§ 33 et s.]. Et même à considérer les arrêts assortis de l’isolement comme une
mesure de sûreté, si l’autorité militaire dépendante a alors sans doute la
capacité de prononcer la privation de liberté [v. pour la validation du
prononcé de l’internement de l’aliéné sur décision de l’autorité
administrative, Cons. const.,
déc. n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012, [M. D.] :
J. O., 9 juin 2012, p. 9796 ; Gaz. Pal., 5 juil. 2012, p. 11,
comm. S. Detraz ; LPA, 25 mars 2013, p. 4, chron. V. Tellier-Cayrol], le Conseil
constitutionnel a tiré de l’article 66 de la Constitution le principe selon
lequel « la liberté individuelle ne peut
être tenue pour sauvegardée que si le juge [judiciaire] intervient dans le plus court délai possible » [Cons. const.,
déc. n° 79-109 DC du 9 janv. 1980 portant sur la loi relative à la prévention
de l’immigration clandestine et portant modification de l’ord. n° 45-2658 du 2
nov. 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers
et portent création de l’Office national d’immigration : J. O., 11 janv. 1980, p. 84 ; consid. n°
4]. L’exigence de cette intervention automatique et rapide du juge judiciaire,
absente du régime des arrêts assortis de l’isolement, ne saurait être écartée
en la matière par le particularisme militaire, alors qu’elle se rattache
directement au rôle de gardien de la liberté individuelle de l’autorité
judiciaire et que le Conseil constitutionnel l’a imposée en toute matière [ibid. pour son application à la police
des étrangers – v. pour son application à l’internement de l’aliéné, Cons. const., déc. n° 2010-71 QPC du 26 nov. 2010, [Mme S.] : J. O.,
27 nov. 2010, p. 21119 ; Dr.
Famille, 2011, comm. n° 11, note I. Maria ; RFDA, 2011,
p. 951, chron. A. Pena ; JCP, 2011, n° 189, note K. Grabarczyk ;
AJDA, 2011, p. 174, X. Bioy].
Il
était sans doute délicat pour le Conseil constitutionnel de trancher la nature
de la mise aux arrêts assortis de l’isolement sans qu’elle ne constitue le cœur
du problème soulevé devant lui, alors que l’établissement exprès de la
qualification de privation de liberté de la mesure posait nécessairement la
question de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité. Mais ces dernières
considérations militaient aussi pour que le Conseil constitutionnel profite de
l’occasion se présentant devant lui pour neutraliser cette privation de liberté
ne satisfaisant pas le standard supra-légal de la protection de la liberté
individuelle. L’occasion est manquée. Faudrait-il craindre que le Conseil
constitutionnel ne se soit réservé la possibilité de faire prévaloir le
particularisme de la situation du militaire sur la protection de la liberté
individuelle, s’il venait à être saisi un jour de ces dispositions, pour les
présever ? Une telle solution doit en tout cas être écartée. D’abord, l’étendue
des droits et libertés fondamentaux des militaires s’étend [v. pour la liberté
syndicale, CEDH, sect. V, 2
oct. 2014, Matelly c. France, req. n°
10609/10
– v. pour les incompatibilités de l’état de militaire avec les mandats
électifs, Cons. const.,
déc. n° 2014-432 QPC du 28 nov. 2014, [M.
Dominique de L.] :
J. O., 10 déc. 2014, p. 20646 – v. L.-M.
Le Rouzic, « Vers la fin du
“cantonnement juridique” des militaires ? » ; AJDA, 2015, p. 204] et finalement, le
mouvement progressif de la diminution du champ de la privation de liberté en
matière disciplinaire a constitué une manifestation plus ancienne de cette
évolution. Ensuite, c’est que la Cour européenne des droits de l’Homme a déjà
réglé cette problématique dans une jurisprudence désormais ancienne, refusant
que le particularisme militaire n’altère, pour l’essentiel, la protection de la
liberté individuelle [Engel : préc. – De Jong, Baljet et Van den Brink : préc.].
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