1.
Le champ des principes encadrant le droit répressif. Le
juge répressif n’a pas le monopole de la punition, et le champ du droit
répressif dépasse le seul droit pénal. Le Conseil constitutionnel a développé
la notion de « sanction ayant le
caractère d’une punition », recouvrant la sanction prononcée par une
autorité administrative indépendante [Cons.
const., déc. n° 88-248 DC du 17 janv. 1989 portant sur la loi modifiant la loi
n° 86-1067 du 30 sept. 1986 relative à la liberté de communication : J.
O., 18 janv. 1989, p. 754 ; consid. n° 34 et s.] et la sanction
disciplinaire [Cons.
const., déc. n° 2014-385 QPC du 28 mars 2014 [Joël M.] :
J. O., 30 mars 2014, p. 6202],
laquelle impose à son prononcé l’application des mêmes principes que ceux encadrant
l’infliction de la « peine »,
soit « le principe de légalité des
délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de
non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère ainsi que le
principe du respect des droits de la défense » [déc. n° 88-248 DC du
17 janv. 1989 : préc. ;
consid. n° 34 et s.]. La légalité organique y est cependant moins forte qu’en
matière d’infraction pénale, puisque l’article 34 de la Constitution attribue la
compétence législative à la seule « détermination des crimes et délits ainsi
que les peines qui leur sont applicables » [v. pour l’admission,
concernant la sanction prononcée par une autorité administrative, de la
définition des infractions « par la référence
aux obligations auxquelles le titulaire d'une autorisation administrative est
soumis en vertu des lois et règlements », déc. n° 88-248 DC du 17
janv. 1989 : préc. ;
consid. n° 37 – v. pour la large admission de la compétence réglementaire, en
matière disciplinaire, s’étendant à « la
détermination des règles de déontologie, de la procédure et des sanctions
disciplinaires applicables à une profession » dès lors que la matière « ne relève ni du droit pénal ni de la
procédure pénale au sens de l’article 34 de la Constitution », à
condition que ne soient « mis en
cause aucune des règles ni aucun des principes fondamentaux placés par la
Constitution dans le domaine de la loi », Cons.
const., déc. n° 2011-171/178 QPC du 29 sept. 2011, [M. Michael C. et autre] : J. O., 30 sept. 2011, p. 16471 ;
consid. n° 5]. L’examen a posteriori de
nombreux régimes disciplinaires a permis au Conseil constitutionnel de rappeler
clairement l’application au prononcé de la « sanction ayant le caractère d’une punition » des grands
principes du procès équitable : l'article 16 de la Déclaration de 1789 [« toute société dans laquelle la garantie des
droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point
de Constitution »] impose l’application des « principes d'indépendance et d'impartialité, indissociables de
l'exercice de fonctions juridictionnelles, ainsi que le respect des droits de
la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition »
[Cons.
const., déc. n° 2011-199 QPC du 25 nov. 2011, [M. Michel G.] : J. O., 26 nov. 2011, p. 20016 ; consid. n° 11]. Pour autant,
la sanction ayant le caractère d’une punition n’a pas un régime uniforme, comme
le montre le champ de la privation de liberté, proscrite en matière de sanction
administrative et admise en matière disciplinaire [v. nos obs. ici].
La Cour européenne des
droits de l’Homme procède de manière similaire, étendant la notion de « matière pénale » au sens de
l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, à laquelle
s’applique les garanties du procès équitable [v. par ex., pour le permis à
point, CEDH,
ch., 23 sept. 1998, Malige c. France,
req. n° 68/1997/852/1059 : Rec. CEDH,
1998-VII ; RFDA, 1999, p. 1004, comm. C. Mamontoff ; RSC,
1999, p. 112, obs. J.-P. Delmas
Saint-Hilaire ; AJP, 2008, p. 491, obs. D. Botteghi], comme la notion de « peine » au sens de l’article 7 de
la Convention, à laquelle s’applique le principe de la légalité criminelle [v.
par ex., pour la contrainte par corps, [CEDH,
ch., 8 juin 1995, Jamil c. France, req. n° 15917/89 : Rec. CEDH,
série A, n° 317-B ; RSC, 1995, p. 855, obs. L.‑E. Pettiti ; ibid.,
1996, p. 471, obs. R. Koering-Joulin ; AJDA,
1995, p. 719, chron. J.‑F. Flauss ; D.,
1996, p. 197, obs. J.-F. Renucci],
en dehors du domaine pénal, pris strictement.
Les jurisprudences
constitutionnelle et conventionnelle se rejoignent pour appliquer les principes
encadrant le droit répressif – principalement la légalité criminelle et le
procès équitable – au-delà du confinement du droit pénal réalisé par le
législateur. Au regard de ces différents raisonnements, on comprend l’intérêt
d’identifier la nature du retrait de crédit de réduction de peine pour mauvaise
conduite [art.
721 CPP] : l’intégration de la mesure dans la notion
de « sanction ayant le caractère
d’une punition » au sens constitutionnel ou dans la notion d’« accusation en matière pénale »
aboutissant au prononcé d’une « peine »
au sens conventionnel déclenche d’une part l’application des garanties du
procès équitable à la procédure de retrait et oblige d’autre part à définir le
comportement réprimé – ici, donc, la
mauvaise conduite – en des termes suffisamment clairs et précis.
2.
La profusion de qualifications donnée au retrait du crédit de réduction de
peine pour mauvaise conduite. Après la Cour de
cassation et le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État vient de se
prononcer sur la qualification du retrait du crédit de réduction de peine pour
mauvaise conduite [CE,
18 févr. 2015, n° 375765 : D., actu., 11 mars 2015, obs. M. Léna],
semant le trouble quant aux solutions précédemment d’adoptées, qu’il convient
d’exposer brièvement. Dans la même affaire, le Conseil d’État avait d’abord accepté
de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de
constitutionnalité, estimant « que
le moyen tiré de ce qu’en prévoyant que la " mauvaise conduite " d'un détenu est susceptible de justifier le
retrait d'un crédit de réduction de peine, ces dispositions ont institué une
sanction ayant le caractère d'une punition dans des conditions qui portent
atteinte au principe de légalité des délits et des peines, soulève une question
présentant un caractère sérieux »
[CE,
14 mai 2014, n° 375765, QPC]. Le Conseil constitutionnel avait
tranché que « le retrait d'un crédit
de réduction de peine en cas de mauvaise conduite du condamné a pour
conséquence que le condamné exécute totalement ou partiellement la peine telle
qu'elle a été prononcée par la juridiction de jugement », si bien
« qu'un tel retrait ne constitue
donc ni une peine ni une sanction ayant le caractère d'une punition » :
il rejetait en conséquence l’application du principe de la légalité criminelle
en la matière [Cons.
const., déc. n° 2014-408 QPC du 11 juil. 2014 [M. Dominique S.] : J. O., 13 juil. 2014, p. 11815]. Devant
la Cour de cassation, une autre question prioritaire de constitutionnalité
avait été soulevée, non plus visant seulement l’application de la légalité
criminelle, mais visant principalement l’application des garanties du procès
équitable à la procédure de retrait du crédit de réduction de peine : le
requérant critiquait la saisine du juge d'application des peines par le
directeur d'établissement, également président de la Commission de discipline
[art. R.
57-7-6 CPP] et membre de droit de la Commission d'application des peines [art.
712-5 CPP], pour révoquer un crédit de réduction de peine pour mauvaise conduite
[art. 721 CPP], ce qui posait la question de son impartialité [Cass.
crim., 18 juin 2014, n° 14-82.820, QPC : inédit ; v. notre
chron., n° 3]. La Cour de cassation avait dénié tout
caractère sérieux à la question, dès lors d’une part que la saisine « répond à un objectif d'individualisation de
la peine, [et] d'autre part, que la
décision, qui ne porte ni sur une accusation ni sur la nécessité des peines,
sera prise par un juge indépendant et pourra faire l'objet d'un recours
prévoyant l'assistance du condamné par un avocat ». C’est dans ce
contexte que le Conseil d’État, saisi du contrôle de la conventionnalité du
mécanisme [le demandeur contestait par un recours en excès de pouvoir le rejet
implicite par le Premier ministre de sa demande d’abrogation des articles D.
115-7 à D. 115-12 du Code de procédure pénale, soit les dispositions
d’application du retrait, en raison de l’inconventionnalité de leur base
légale, l’article 721, au regard du principe de la légalité criminelle] vient d’appliquer
l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme à la mesure de
retrait du crédit de réduction de peine pour mauvaise conduite, la disposition
internationale consacrant le principe de la légalité criminelle : « les dispositions […] de l'article 721 du code de procédure pénale
[…] définissent de façon suffisamment
claire et précise la mauvaise conduite du détenu, qui est susceptible de
justifier le retrait du bénéfice d'un crédit de réduction de peine ; que, par
suite le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient le principe de
légalité des délits et des peines, garanti par les stipulations du paragraphe 1
de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales, doit, en tout état de cause, être écarté ».
Cette profusion de
décisions intéresse nécessairement, au premier titre du fait du dialogue des
juges mené sur la question, d’autant plus que les solutions adoptées ne sont
pas similaires, mais aussi, du fait de la manipulation de concepts européens et
constitutionnels similaires qui interrogent sur les rapports entre contrôle de
conventionnalité, filtrage des questions prioritaires de constitutionnalité et
contrôle de constitutionnalité a
posteriori, les délimitations de chaque fonction apparaissant poreuses,
sans que l’on sache toujours si le phénomène renforce la complémentarité des
différents contrôles ou met à mal la cohérence du système de protection des
droits et libertés fondamentaux. C’est que de la profusion des décisions
ressort une profusion de qualifications données à la même mesure de retrait du
crédit de réduction de peine pour mauvaise conduite dont dépend l’application
des principes encadrant le droit répressif. Le Conseil constitutionnel a adopté
la position la moins protectrice (rien),
au motif que la mesure n’est « ni
une peine ni une sanction ayant le caractère d'une punition ». La Cour
de cassation a adopté une position médiane (un
peu), refusant d’appliquer la totalité des principes gouvernant le droit
répressif, au motif que la mesure ne porte « ni sur une accusation ni sur la nécessité des peines », mais
semblant y reconnaître l’application de certains, dès lors que la mesure
poursuit « un objectif
d'individualisation de la peine ». Le Conseil d’État, en qualifiant
implicitement la mesure de « peine »
privative de liberté, semble exiger l’application de l’ensemble des principes
encadrant le droit répressif à la mesure (tout ?).
3.
Rien : « ni une peine ni une sanction ayant le
caractère d’une punition ». Pour le Conseil
constitutionnel, le retrait du crédit de réduction de peine n’est, en lui-même,
ni une « peine », ni
« une sanction ayant le caractère d’une
punition ». Comme le montre le dégagement de la notion de « sanction ayant le caractère d’une punition »,
par lequel le Conseil constitutionnel a entendu étendre les principes réglant
l’infliction [« infligées »]
de la « peine », notamment
ceux ressortant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du
citoyen [déc. n° 88-248 DC du 17 janv. 1989 : préc. ; consid. n° 34 et s.], la notion de peine doit être
identifiée dans le contexte de cette dernière [« La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment
nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et
promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »].
L’ancienneté du texte et les termes employés ne trompent pas quant au sens à
donner à la notion de « peine »
figurant dans la jurisprudence constitutionnelle ; il s’agit de celui, le
plus strict, de sanction prononcée par le juge répressif en réaction à la
commission d’une infraction pénale. Si le rejet de la qualification de « peine », au sens constitutionnel,
n’est donc pas discutable, le rejet de la qualification de « sanction ayant le caractère d’une punition »
l’ait beaucoup plus. Le retrait aboutit, par définition, à rajouter un temps de
privation de liberté, celui déduit dans un premier temps de la durée de la
peine privative de liberté prononcée du fait de l’acquisition automatique du
crédit de réduction de peine [aux termes de l’article 721, le condamné en
« bénéficie »], afin de
réprimer une faute commise par l’individu, « la mauvaise conduite ». Mais le Conseil constitutionnel, dans
une vision restrictive de la privation de liberté vue aussi par ailleurs [v.
nos obs. et la jurisprudence citée ici,
n° 4], a estimé que le retrait n’aboutit pas à infliger une sanction distincte
de la peine exécutée, mais a « pour
conséquence que le condamné exécute totalement ou partiellement la peine telle
qu'elle a été prononcée par la juridiction de jugement ». Il n’y
aurait donc sanction privative de liberté d’une faute commise pendant
l’exécution de la peine privative de liberté qu’à la condition que celle-ci
ajoute des jours de privation de liberté au quantum décidé par la juridiction,
à l’exclusion du retrait de mesures raccourcissant le terme de la peine obtenues
durant son cours, développant une vision quelque peu datée de la peine. Le
Conseil constitutionnel a semblé faire sienne ici la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’Homme, sévère, quant au droit pénitentiaire
disciplinaire, qui n’exige l’application de l’article 6 qu’en cas de prononcé
d’une sanction infligeant une durée supplémentaire de privation de liberté au
quantum de la peine initiale [CEDH,
gde ch., 9 oct. 2003, Ezeh et Connors c. Royaume-Uni, req. nos 39665/98
et 40086/98 : Rec. CEDH,
2003-X ; Dr. pénal, 2004, ét. n° 7, comm. É. Verges ; RSC, 2004,
p. 173, note F. Massias], et
l’exclut en cas de prononcé d’une sanction durcissant les conditions
d’exécution de la peine [CEDH,
sect. V, 20 janv. 2011, Payet c. France,
req. n° 19606/08 : D.,
2011, p. 380, obs. S. Lavric ;
D., 2011, p. 643, obs. J.‑P. Céré ; RSC, 2011, p. 718, obs. J.‑P. Marguénaud ; JCP, 2011, n° 184, obs. B. Pastre-Belda ; Procédures, 2011, comm. n° 94,
obs. N. Fricero ; Gaz. Pal., 21 avr. 2011, p. 11, comm. É. Senna : § 98 : « bien que la sanction disciplinaire ait
ajouté un élément nouveau, la détention en cellule disciplinaire, il n'a pas
été démontré qu'elle ait en aucune manière allongé la durée de la détention du
requérant »]. Cependant, le Conseil constitutionnel a largement étendu
cette jurisprudence, pour l’appliquer à une mesure modifiant de manière
substantielle la durée de la peine privative de liberté restant à purger, à
l’intérieur du quantum fixé par la juridiction de condamnation, soit une mesure
d’une nature bien différente de la simple modification des conditions
d’exécution. Fidèle à sa jurisprudence prudente quant à l’encadrement de
l’individualisation de la peine [v. pour le rejet de la judiciarisation de
l’individualisation des peines, dans une décision ancienne, Cons.
const., déc. n° 78-98 DC du 22 nov. 1978 portant sur la loi modifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale en
matière d'exécution des peines privatives de liberté : J. O.,
23 nov. 1978 ; consid. n° 7 : « aucune disposition de la Constitution ni
aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République n’exclut que
les modalités d’exécution des peines privatives de liberté soient décidées par
des autorités autres que des juridictions »], le Conseil
constitutionnel n’a pas souhaité encadrer le retrait du crédit de réduction de
peine pour mauvaise conduite, même sans la qualifier de « peine » ou de « sanction ayant le caractère d’une punition » :
rien, pas la moindre garantie, ne
semblait applicable.
4.
Un peu : une mesure ne portant
« ni sur une accusation ni sur la
nécessité des peines » mais ayant « un objectif d’individualisation de la peine ». La
Cour de cassation n’a pas repris les notions constitutionnelles de « peine » ou de « sanction ayant le caractère d’une punition »
[v. supra] pour trancher la question
de l’application des principes du procès équitable au retrait du crédit de
réduction de peine, forgeant ses propres limites au champ d’application des
principes encadrant le droit répressif, étendu à la mesure se prononçant
« sur une accusation » ou
« sur la nécessité des peines ».
Elle semble ainsi synthétiser le critère du Conseil constitutionnel, la « nécessité des peines » renvoyant à
la « sanction ayant le caractère
d’une punition », et le critère de la Convention européenne des droits
de l’Homme, l’ « accusation »
renvoyant au« bien-fondé de toute accusation
en matière pénale » de l’article 6. Dans ce cumul, figure aussi l’idée
que les deux notions, bien que ressortant de la même volonté d’élargir les
mêmes garanties encadrant le droit répressif, n’ont pas un champ identique. Dans
la formulation choisie, la Cour de cassation semble aussi avoir voulu profiter
de l’occasion qui lui était fournie par le filtrage de la question prioritaire
de constitutionnalité pour écarter, par avance, la critique de
l’inconventionnalité de la mesure.
Mais contrairement au
Conseil constitutionnel, la Cour de cassation a noté que « la décision […] sera prise par un juge indépendant » et
qu'elle « pourra faire l'objet d'un
recours prévoyant l'assistance du condamné par un avocat », comme si une
partie des garanties du procès équitable s’appliquait, dans une version allégée
– judiciarisation dès son prononcé et application des droits de la défense lors
d’un recours, soit un peu –, au retrait
du crédit de réduction de peine pour mauvaise conduite, forgeant ce qui pouvait
apparaître comme un régime
constitutionnel de la mesure poursuivant un « objectif
d'individualisation de la peine » [nous avons retenu ici les termes
utilisés par la Cour de cassation pour désigner plus précisément le sens de la
saisine du juge de l’application des peines par le directeur de l’établissement
pénitentiaire]. L’arrêt de la Cour de cassation, sans la contredire
frontalement, dépassait à plus d’un titre l’apport de la décision du Conseil
constitutionnel, pour déborder sur la conventionnalité de la mesure et
reconnaître, indirectement, l’application de certaines garanties au prononcé de
la mesure d’individualisation, même exclue de l’encadrement du droit répressif.
5.
Tout ? : une « peine » privative de liberté. C’est
de manière retentissante que le Conseil d'Etat vient de semer le trouble dans la
qualification du retrait du crédit de réduction de peine, en vérifiant sa
conventionnalité avec l’article 7 de la Convention [« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au
moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le
droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus
forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. »],
estimant que la mauvaise conduite du détenu permettant le retrait du crédit
était définie par les dispositions françaises de manière « suffisamment claire et précise », si
bien que « le moyen tiré de ce que
ces dispositions méconnaîtraient le principe de légalité des délits et des
peines, garanti par les stipulations du paragraphe 1 de l'article 7 de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, doit, en tout état de cause, être écarté ». Le raisonnement
du Conseil d’État semble clair, l’article 7 de la Convention est
applicable : la mauvaise conduite
est donc une « infraction »
au sens de celle-ci – elle doit donc, en vertu de la
légalité criminelle, être définie de manière « suffisamment claire et précise » –, et le retrait du crédit de
réduction de peine, en conséquence – la conséquence nécessaire même –, est une « peine » au sens de la même disposition. Et une peine privative
de liberté, au surplus. On regrettera que le juge administratif ait jugé opportun
de préciser, dans la partie finale de son raisonnement, que celui-ci a été mené
« en tout état de cause », car
la formulation utilisée revient à laisser subsister un doute. En effet, en
estimant que la mauvaise conduite du détenu était définie de manière
suffisamment claire et précise, la validation du droit français était acquise dans
les deux hypothèses, celle faisant du retrait une « peine » et celle contraire. Faut-il alors penser que le juge
administratif a établi la conventionnalité du droit français « en tout état de cause »,
c’est-à-dire que l’article 7 s’applique ou non ? Nous ne le pensons pas,
dès lors que ces quelques mots figurent dans un raisonnement bien plus ample,
construit sur le postulat clair de l’applicabilité de l’article 7, nuancé
seulement in fine, si bien que nous
considérons que le Conseil d’État a bien contrôlé la conformité de l’article
721 du Code de procédure à la disposition internationale.
Dès lors, la position du
Conseil constitutionnel, rejetant les qualifications de « peine » et de « sanction ayant le caractère d’une punition »
au sens de sa jurisprudence, et la position du juge administratif, qui a
accueilli la qualification de « peine »
au sens conventionnel, sont en contradiction et aboutissent à la coexistence de
champs différents quant à l’application des mêmes principes, pour être protégés
à la fois par les sources conventionnelles et constitutionnelles, qui encadrent
le droit répressif. Dans la jurisprudence constitutionnelle, la « peine » a un sens strict, tandis
que dans la jurisprudence européenne, la « peine » est une notion autonome, qui dépasse ce que le
législateur national a placé dans le champ de la répression pénale [v. supra], si bien que la contradiction
ne se trouve pas ici, les deux notions, malgré leur dénomination commune, ne
recouvrant pas un champ identique. La « peine » au sens conventionnel rejoint plutôt la notion
constitutionnelle de « sanction
ayant le caractère d’une punition » [v. supra], et dès lors, il y a bien contradiction à ce que la même
mesure soit qualifiée de « peine »
au sens conventionnel et écartée de la notion de « sanction ayant le caractère d’une punition » au sens
constitutionnel. Le raisonnement du juge administratif n’en n’est pas moins rigoureux.
Dès lors que les deux notions n’ont pas la même étendue, il revient au Conseil d’État,
dans son contrôle de conventionnalité, d’appliquer celle développée par la Cour
européenne des droits de l’Homme. Or, justement, la solution ici retenue par le
juge administratif est commandée par la jurisprudence européenne Del Rio Prada [CEDH,
gde ch., 21 oct. 2013, Del Rio Prada c.
Espagne, req. n° 42750/09]. Celle-ci a abouti à
étendre l’interdiction de l’application rétroactive de la loi pénale nouvelle
plus sévère, contenue dans l’article 7, à la modification de la loi
d’aménagement des peines postérieure à la condamnation, dont l’effet a été, non
pas de « [porter] uniquement sur les
modalités d’exécution » de la peine, mais d’en « [affecter] au contraire la portée » [ibid., § 90 : il s’agissait en
l’espèce d’une modification de la jurisprudence espagnole aboutissant à
modifier la méthode d’imputation des réductions de peine obtenues par le
travail pénitentiaire déjà réalisé et à décaler le terme de la peine par
rapport à ce qu’il aurait dû être en vertu de l’application de l’ancienne
méthode]. En cas de report du terme de la peine, même sans dépasser le quantum
de la condamnation initiale, au-delà du terme précédemment acquis en cours
d’exécution, qu’il s’agisse d’appliquer une nouvelle méthode d’imputation des
réductions de peine défavorable par rapport à celle prévalant au moment de leur
obtention ou, a fortiori même, de
révoquer pour mauvaise conduite un crédit de réduction de peine pourtant
automatiquement concédé au préalable, le temps de privation de liberté
supplémentaire infligé revient à affecter la « portée » de la peine exécutée, et donc à appliquer,
ultérieurement au terme précédemment acquis, une peine privative de liberté distincte.
Et celle-ci est irrégulière si elle viole l’article 7 de la Convention
européenne des droits de l’Homme, soit qu’elle ait été appliquée rétroactivement
[pour reprendre le cas Del Rio Prada],
soit que l’infraction ainsi réprimée n’ait pas de définition suffisamment
précise et claire [pour reprendre le problème tranché par le Conseil d’État
dans notre cas]. La solution du juge administratif ne va pas s’en embarrasser,
malgré tout, dès lors qu’elle revient à appliquer une solution différente que
celle défendue par le Conseil constitutionnel, alors même que dans la même
affaire, c’est le juge administratif qui a sollicité l’avis de ce dernier.
C’est ici un risque mécanique de la question prioritaire de constitutionnalité,
lorsque le juge décide de renvoyer au Conseil constitutionnel pour trancher à
son niveau le même problème dont il est saisi sur le pendant du contrôle de
conventionnalité. La hiérarchie des normes est au moins préservée, en apparence,
dans notre cas, puisqu’en estimant que la définition de la mauvaise conduite
était suffisamment claire et précise, le juge administratif a préservé les
dispositions déclarées par ailleurs conformes à la constitution [pouvait-il
faire autrement ?].
Pour ce qui
concerne plus particulièrement le droit de la privation de liberté, la solution
du juge administratif revient à élargir la définition de la privation de
liberté, plus particulièrement de la détention survenant durant l’exécution
d’une peine privative de liberté initiale et distincte de celle-ci. Il ne
s’agit donc plus d’ajouter au quantum prononcé
par la juridiction, comme l’a retenu le Conseil constitutionnel dans notre
affaire, mais aussi d’ajouter au terme redéfini en cours d’exécution par
l’effet de l’acquisition de différentes mesures d’individualisation. Par voie
de conséquence, et c’est ici que pèse une nouvelle menace pour le droit
français, malgré la solution du juge administratif qui a estimé le principe de
la légalité criminelle respecté, les garanties du procès équitable doivent
s’appliquer au retrait du crédit de réduction de peine, considéré comme une
privation de liberté punitive distincte de la peine initiale. La « peine » privative de liberté, celle soumise à l’article 7, relève aussi de
l’article 5 § 1er-a) [l’article 5 § 1er dresse une liste
exhaustive des cas de privation de liberté conventionnels], c’est-à-dire la
condamnation « après condamnation
par un tribunal compétent ». Or, la notion de Tribunal renvoie ici aux
développements de la même notion dans l’article 6. La Cour européenne des
droits de l’Homme veille à la cohérence de cette articulation entre les
articles 5, 6 et 7. Ainsi, l’établissement du caractère punitif de la privation
de liberté, même celle de quelques jours, suffit à démontrer son inclusion dans
le champ de la matière pénale et à déclencher l’application du procès équitable
[Ezeh et Connors : préc. – CEDH,
sect. III, 31 juil. 2007, Zaicevs c. Lettonie, req. n° 65022/01 –
CEDH,
10 févr. 2009, gde ch., Zolotoukhine
c. Russie, req. n° 14939/03 : Rec.
CEDH, 2009 : D., 2009, p.
2014, comm. J. Pradel ; RSC, 2009, p. 675, obs. D. Roets ; § 56 – CEDH,
gde ch., Kyprianou c. Chypre,
15 déc. 2005, req. n° 73797/01, en angl. : Rec. CEDH, 2005-XIII – CEDH,
gde ch., 16 déc. 2003, Cooper c. Royaume‑Uni,
req. n° 48843/99 : Rec. CEDH,
2003-XII]. Aussi, l’établissement du caractère punitif de la privation de liberté
suffit à établir sa nature de « peine »
et à déclencher l’application des principes de la légalité criminelle [Jamil : préc. – CEDH,
sect. V, 17 déc. 2009, M.
c. Allemagne, req. n° 19359/04 : Rec. CEDH ; AJP, 2010, p. 129, comm. J. Leblois-Happe ; RSC, 2010, p. 236 [sur l’art. 7] et p.
228 [sur l’art. 5], obs. D. Roets ; D., 2010, p. 737, note J. Pradel ; JCP, 2010, n° 334, note M. Giacopelli ;
Dr. pén., 2010, ét. n° 9, note L. Grégoire et F. Boulan ; AJP,
2010, p. 389, obs. É. Péchillon].
Il ressort donc de l’articulation des articles 5, 6 et 7 que la privation de
liberté punitive « après
condamnation » est une « peine »
prononcée par un « Tribunal »,
après que celui-ci a statué sur « bien-fondé
d’une accusation en matière pénale », dans le respect « du droit au procès équitable » et
de la légalité criminelle. Tel est donc le régime qui doit s’appliquer au
retrait du crédit de réduction de peine pour mauvaise conduite, à suivre le
Conseil d’État : en exigeant tout,
il a évidemment adopté une solution protectrice, tout en piquant le Conseil
constitutionnel [et aussi la Cour de cassation, qui avait, nous semble-t-il,
voulu neutraliser par avance le grief de la conventionnalité du régime sur le
fondement de l’article 6 ; v. supra].
En fait, c’est presque tout, ou presque toutes les
garanties encadrant le droit répressif qui sont étendues au retrait du crédit
de réduction de peine pour mauvaise conduite par le raisonnement du juge
administratif, sauf la légalité organique. La légalité au sens conventionnel
s’apprécie matériellement, et c’est la conception qu’a retenue le Conseil
d’État. Dans son arrêt, celui-ci a en effet défini la mauvaise conduite comme
l’irrespect des « obligations et
interdictions qui s'imposent aux personnes détenues », comblant le
vide de l’article 721 par remblai, constitué de l’ensemble des autres
dispositions définissant ces sujétions, y compris celles figurant dans le
règlement type des établissements pénitentiaires. Ainsi, il a admis largement que
le pouvoir réglementaire définisse les contours de la « peine » privative de liberté. Une
telle position n’est pas satisfaisante au regard du principe de la légalité de
la privation de liberté [v. pour sa reconnaissance, Cons.
const., déc. n° 73-80 L du 28 nov. 1973 relative à la nature juridique de
certaines dispositions du Code rural, de la loi du 5 août 1960
d'orientation agricole, de la loi du 8 août 1962 relative aux groupements
agricoles d'exploitation en commun et de la loi du 17 déc. 1963 relative au
bail à ferme dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la
Martinique et de la Réunion : J. O., 6 déc. 1973,
p. 12949 ;RDP, 1974, p. 899, obs. J. de Soto ; AJDA,
1974, p. 229, obs. J. Rivero],
dont l’utilité, pour la privation de liberté punitive, est justement de pouvoir
combler les insuffisances de l’étendue de la légalité criminelle – au sens
organique ici – retenue par l’article 34 de la Constitution [sa reconnaissance
avait permis de censurer l’emprisonnement réglementaire prévu pour réprimer les
contraventions, l’article 34 n’étant pas utile, pour laisser l’entier domaine à
la compétence réglementaire, sans distinguer selon la nature de la peine].
L’apport de cette dernière garantie suppose toutefois que le Conseil
constitutionnel, seul juge du respect de la légalité organique, fasse évoluer vers
l’extension sa définition de la privation de liberté dans la matière de l’exécution
des peines, ce qui apparaît d’autant plus souhaitable désormais qu’à la charge
européenne s’est associé le Conseil d’État.
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