1.
Une hausse du seuil ? Différents sites d’information en
ligne, visiblement sur la base d’une dépêche AFP [v. par ex. ici
ou ici,
les sites étant mentionnés comme auteurs avec l’AFP], avec parfois un titrage
fort [par ex. La surpopulation en prison
n’enfreint pas nécessairement les droits humains], ont fait état d’un arrêt
récent de la Cour européenne des droits de l’Homme [CEDH,
sect. I, 12 mars 2015, Mursic c. Croatie,
n° 7334/13, en angl.], reprenant peu ou prou les mêmes
extraits, tirés du communiqué de presse [l’arrêt n’existe qu’en anglais] :
on apprend dans ces articles que la Cour a précisé le principe selon lequel « s'il
existe une forte présomption de traitement inhumain ou dégradant (...)
lorsqu'un détenu dispose de moins de trois mètres carrés d'espace
personnel », cet état peut « être compensé par les
aspects cumulés des conditions de détention, tels que la liberté de circulation
et le caractère approprié » de l'établissement pénitentiaire.
Une telle présentation
laisse craindre une inflexion du contrôle de la Cour européenne des droits de
l’Homme en la matière, alors que la surpopulation est un critère qui gagnait en
autonomie dans le contrôle de la dignité des conditions matérielles de
détention [v. pour la détention en cellule, nos obs. ici
ou notre
chron., n° 29 ; v. par assimilation, pour le contrôle
du transport des prisonniers, notre
chron., n° 38]. L’existence d’une évolution de la
jurisprudence européenne est d’ailleurs confortée par le titrage du communiqué
de presse de la Cour signalant l’arrêt [Principes
généraux sur le surpeuplement carcéral], comme par son contenu [« l’arrêt mérite d’être noté en ce qu’il
réaffirme les principes généraux sur la question du surpeuplement carcéral et
précise la jurisprudence de la Cour à cet égard »], et si l’arrêt
bénéficie d’un niveau d’importance relatif [niveau 2], il a déjà été intégré
dans la fiche
thématique réalisée par le service de presse de la Cour européenne des droits
de l’Homme sur les conditions de détention et traitement des détenus,
au titre de l’apport de la compensation de
la surpopulation. Si la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’Homme sur le contrôle de la dignité des conditions de détention est
emblématique, elle grève aussi l’action de la Cour du fait d’un contentieux
massif. À confirmer l’existence de la hausse
du seuil servant à l’établissement d’un mauvais traitement en la matière, elle
pourrait faire montre d’un certain désengagement de la Cour quant à la voie
contentieuse classique, alors que celle-ci développe un nouveau front contre la
surpopulation et recherche des solutions plus négociées, par le recours à l’arrêt-pilote [v. pour un nouvel
arrêt-pilote dans ce domaine pris récemment, CEDH,
sect. II, 10 mars 2015, Varga et autres c. Bulgarie, req. nos 14097/12,
45135/12 et 73712/12, en angl. ; § 145 et s. ; v. nos
obs. ici].
Il y a dans l’arrêt Mursic, en tout cas, une volonté de la
Cour de réaliser une synthèse de sa jurisprudence en la matière, plus détaillée
et mieux organisée que le rappel des principes généraux usuel, allant même
jusqu’à dresser les conditions abstraites de la violation de la Convention,
concernant le cas du détenu en cellule collective surpeuplée [Mursic : préc. ; § 48 et s.]. Pour reprendre des questions intéressant
le contrôle de la privation de liberté, d’autres synthèses similaires peuvent
être citées, certaines abordant des points cruciaux du contrôle européen, par
exemple l’arrêt Saadi concernant le
contrôle européen du bien-fondé de la détention [CEDH,
gde ch., 29 janv. 2008, Saadi c.
Royaume-Uni, req. n° 13229/03 : Rec. CEDH ; AJDA, 2008, p. 978, chron. J.‑F. Flauss],
l’arrêt Medvedyev concernant les
critères de qualification de l’Habeas
corpus de l’article 5 § 3 [CEDH,
gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et
autres c. France, req. n° 3394/03 :
Rec. CEDH, 2010 ; D., 2010, p. 1386, obs. S. Lavric ; ibidem, p. 1390, note P. Hennion‑Jacquet ;
ibid., p. 1386, note J.-F. Renucci ; ibid., p. 952, entretien P. Spinosi ; ibid., p. 970, obs. D.
Rebut ; AJDA, 2010,
p. 648, obs. S. Brondel ;
RSC, 2010, p. 685, obs. J.‑P. Marguénaud] ou précédemment,
pour la dignité des conditions matérielles de détention, les arrêts Ananyev [CEDH,
sect. I, 10 janv. 2012, Ananyev et autres
c. Russie, req. nos 42525/07 et 60800/08, en angl.] et Torreggiani [CEDH,
sect. II, 8 janv. 2013, Torreggiani
et autres c. Italie, req. nos 43517/09,
35315/10, 37818/10 : AJP, 2013, p. 361, obs. É. Péchillon ; Gaz. Pal., 12 mars 2013, p. 16,
comm. É. Senna ; JCP, 2013, n° 319, note F. Laffaille ; § 65 et s.], et
d’autres abordant des points plus spécialisés de la protection européenne,
comme l’arrêt Sakkopoulos concernant
le droit à la libération du détenu à l’état de santé incompatible [CEDH, sect. I,15 janv. 2004, Sakkopoulos c. Grèce,
req. n° 61828/00 : § 36 et s.]. Si l’œuvre de
pédagogie est louable, la genèse et les ressorts de l’adoption de tels arrêts
interrogent malgré tout, alors qu’ils apparaissent de nature à tenir un rôle
important dans la construction de la jurisprudence européenne, sans qu’on n’en
connaisse véritablement tous les aboutissants. Tous ne semblent pas vraiment
réaliser un apport à la jurisprudence ainsi rationnalisée [v. par ex. Medvedyev, mis à part l’intérêt de
l’arrêt quant au droit français]. Et si l’arrêt Mursic porte bien une clarification dans la jurisprudence
européenne, la retranscription faite par l’arrêt de la jurisprudence
préexistante n’est pas exempte de reproches.
Toujours est-il que les premiers principes généraux rappelés dans l’arrêt Mursic sont classiques, pour évoquer les
obligations positives mises à la charge de l’État envers le détenu [§ 50] ou
l’appréciation par « effets
cumulatifs » du dépassement du seuil de souffrance et d’humiliation
déclenchant la violation de l’article 3 [§ 51 ; v. une illustration ici
ou notre chron.,
n° 39].
2.
Le coup porté par l’arrêt Mursic à la
construction d’une présomption irréfragable de mauvais traitement en cas
d’espace personnel inférieur à 3 m². Le principe annoncé à la
suite est déjà plus intéressant, alors que la Cour affirme n’avoir jamais
déterminé un espace personnel minimal dont doit profiter le détenu en cellule
collective et dont la violation entraîne de plein droit la caractérisation d’un
traitement inhumain et dégradant [§ 52 ; « the Court has always refused to determine, once and for all, how many
square metres should be allocated to a detainee in terms of the Convention »].
L’affirmation n’est pourtant pas juste. La Cour a en effet déjà admis que la
« surpopulation grave » [en
l’espèce, entre 0,9 et 1,9 m² d’espace personnel par détenu en cellule
collective] « soulève en soi une
question sous l'angle de l'article 3 de la Convention » [CEDH,
sect. III, 15 juil. 2002, Kalachnikov c. Russie,
req. n° 47095/99 : Rec. CEDH, 2002‑VI :
D., 2003, p. 919, chron. J.-P. Céré ; § 97 – v. pour
l’emploi de la même notion de « surpopulation
grave », fondant une violation de la Convention, s’agissant de conditions
de détention cumulant à la réduction de l’espace personnel des conditions
d’hygiène « déplorables », CEDH,
sect. I, 15 janv. 2015, Mahammad et
autres c. Grèce, req. n° 48352/12 ; § 46]. C’est
qu’on voit mal de toute manière, lorsqu’une telle réduction de l’espace
personnel en cellule collective résulte de la surpopulation, comment celle-ci
ne pourrait pas entraîner, mécaniquement, une détérioration extrême des
conditions de détention, notamment quant à l’hygiène [v. pour un tel lien réalisé
par la Cour européenne, alors qu’elle avait établi uniquement la situation de
surpopulation, CEDH,
sect. III, 2 décembre 2014, Cozianu c.
Roumanie, req. n° 29101/13 ; § 25], si bien
que le constat de violation apparaît inévitable. Et on voit mal aussi comment
un tel espace, même subi dans une cellule individuelle ou collective, non pas
qu’il soit induit par la surpopulation, mais qu’il soit dicté par une volonté de
traiter avec sévérité les condamnés, ne constituerait pas, non plus un
traitement, mais une « peine »
par nature contraire à l’article 3 [celui-ci vise la « peine » ou le « traitement ». Il y a bien une
justification théorique à la sanction automatique de la détention en cellule
collective dans un espace personnel inférieur à une limite définie
abstraitement, au moins lorsqu’elle réside de la surpopulation, pour considérer
qu’en deçà, d’autres pans de la dignité du détenu sont forcément ou
nécessairement touchés.
L’arrêt Torreggiani [préc.] s’est montré plus strict encore, en établissant la notion de
« surpopulation sévère », caractérisée
par un « espace personnel accordé
[…] inférieur à 3 m² »
qui « à lui seul, suffit pour
conclure à la violation de l’article 3 de la Convention »
[ibid., § 68]. Il y avait ici une
certaine audace, du moins en apparence, au regard de la jurisprudence citée
dans l’arrêt à l’appui de la formulation du principe, qui sanctionnait des
conditions de détention dans un espace personnel extrêmement réduit et inférieur
à 2 m², et moins encore le plus souvent [CEDH,
sect. I, 21 juin 2007, Kantyrev c. Russie,
n° 37213/02, en angl. ; § 46 et s. – CEDH, sect. I, 29 mars 2007, Andrey Frolov c. Russie, req. n° 205/02 ; § 43 et s. – CEDH, sect. III, 4 mai 2006, Kadikis c. Lettonie (n° 2), req. n° 62393/00 ; § 51 et s.]. Seule une
affaire, parmi celles citées, avait conclu à la violation de la Convention,
dans un raisonnement abstrait, malgré l’espace personnel compris entre 2 et 3
m² [CEDH, sect. II, 16 juil. 2009, Sulejmanovic c. Italie, req. n° 22635/03 ; § 43 et s. : la sanction concernait la
seule période de deux mois pendant laquelle le détenu n’avait bénéficié que
d’un espace personnel de 2,70 m², tandis que la qualification de traitement
inhumain et dégradant était écartée pour les périodes pendant lesquelles le
détenu avait bénéficié d’un espace personnel supérieur, de 3,24 m2,
4,05 m2 et 5,40 m²]. Bizarrement, ou plus
certainement parce que la Cour se trouve elle-même dépassée par sa
jurisprudence pléthorique sur la question, le seuil de 3 m² avait déjà été
établi par la Cinquième section, antérieurement à l’arrêt Torreggiani, sans que celui-ci ne s’y réfère [CEDH,
sect. V, 1er mars 2012, Dmitriy
Sazonov c. Russie, req. n°
30268/03, en angl. ; « the Court reiterates in this connection that
in previous cases where applicants had less than 3 sq. m of personal space, it
has found that the overcrowding was severe enough to justify, in its own right,
a finding of a violation of Article 3 of the Convention » – on notera encore ici que la Cour ne
réitérait pas vraiment, les arrêts cités par elle comme des précédents utiles,
dont certains figurent aussi dans ceux cités dans l’arrêt Torreggiani, concernant le cas de détenus profitant d’un espace
personnel extrêmement réduit, inférieur à 2 m² et parfois à 1m²]. La
Première section – celle de l’arrêt Mursic
donc – avait dégagé ce même seuil peu de temps avant l’arrêt Torreggiani [CEDH,
sect. I, 4 déc. 2012, Nieciecki c. Grèce,
req. n° 11677/11 ; § 49 : « la Cour relève que lorsqu’elle a été
confrontée à des cas de surpopulation flagrante, elle a jugé que cet élément, à
lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la
Convention. En règle générale, étaient concernés les cas de figure où l’espace
personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² »]. La
limite abstraite d’espace personnel de 3 m² a été appliquée à la suite de
l’arrêt Torreggiani par la Deuxième
section contre l’Italie, dans un arrêt [CEDH,
sect. II, 22 avr. 2014, G. C. c. Italie,
req. n° 73869/10 ; § 81 : « la Cour observe que, à supposer même que les
allégations du requérant puissent être acceptées, l’intéressé aurait de toute
manière joui d’un espace personnel non inférieur à 3 m² pendant les
périodes en question […], ce qui, aux
termes de la jurisprudence de la Cour, ne saurait être constitutif, à lui seul,
d’une violation de l’article 3 de la Convention »] et deux décisions
visant directement l’application de l’arrêt-pilote [CEDH, sect. II, 16 sept. 2014, Rexhepi et autres c. Italie, req. nos 47180/10, 47189/10
et 47190/10, déc. : § 51 et s. ; « la Cour observe avec intérêt que selon le
droit interne la surface minimale standard pour les cellules collectives est de
5 m² par personne, soit une surface supérieure à celle recommandée par la
jurisprudence de la Cour et par le CPT », puisqu’« il convient de rappeler que la Cour a
toujours conclu à l’existence d’un niveau de surpeuplement sévère, constituant
à lui seul un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, lorsqu’elle
a été confrontée à des cas de figure dans lesquels l’espace personnel accordé à
un requérant était inférieur à 3 m² » – CEDH, sect. II, 16 sept. 2014, Stella et autres c. Italie, req. nos 49169/09, 54908/09
et 55156/09 ; § 52
et s. pour les mêmes formulations]. La Deuxième section
a appliqué la même jurisprudence à la Belgique [CEDH,
sect. II, 25 nov. 2014, Vasilescu c.
Belgique, req. n° 64682/12 ; § 100 :
« pendant quinze jours, le requérant
a même disposé d’un espace individuel de moins de 3 m², ce qui constitue, selon
la jurisprudence de la Cour, un espace personnel qui, à lui seul, suffit pour
conclure à la violation de l’article 3 de la Convention »] et plus
récemment, au Monténégro, [CEDH,
sect. II, 22 juil. 2014, Bulatovic c.
Monténégro, req. n° 67320/10, en angl. ; §
123 : « the Court notes that
even in such conditions the applicant would have had 2.8 m2 for
himself, which in itself is sufficient for the Court to conclude that there has
been a violation of Article 3 of the Convention »] et à la Turquie [CEDH, sect. II, 21 nov. 2014, T. et A. c. Turquie, req. n° 21/10/2014, en
angl. ; § 96 : « the Court reiterates that it has already found that where applicants have
at their disposal less than three square metres of floor surface, the
overcrowding must be considered to be so severe as to justify in itself a
finding of a violation of Article 3 »]. La Première section a aussi
continué à appliquer la limite abstraite [CEDH,
sect. I, 12 déc. 2013, Kanakis c. Grèce
(n° 2), req. n° 40146/11 ; § 105 et s. – CEDH, sect. I, 31 juil. 2014, Tatishvili c. Grèce, req. n° 26452/11
; § 43 : « [le requérant] disposait donc d’un espace personnel de moins de 3 m2 ce
qui, en principe, justifie, à lui seul, le constat de violation de l’article 3 »
– CEDH, sect. I, 19 déc. 2013, Tunis c. Estonie, req. n° 429/12, en angl. ; § 44].
C’est bien une
présomption irréfragable de traitement inhumain et dégradant en cas de
détention en cellule collective dans un espace personnel inférieur à 3 m² qui
était forgée par la Cour européenne des droits de l’Homme, dans des arrêts issus
de sections diverses et aboutissant à la sanction de nombreux États. L’affirmation
contraire de l’arrêt Mursic n’est pas
véritablement juste, et les principes généraux de l’arrêt, formulés comme une
synthèse de la jurisprudence antérieure, ne reviennent pas à réaliser une sorte
de codification à droit constant. Il
s’agirait plutôt, a posteriori, de
rechercher à donner la vision la plus cohérente possible de la jurisprudence
européenne, quitte à l’écorner. Au moins, la Cour européenne des droits de
l’Homme dans l’arrêt Mursic ne va pas
jusqu’à occulter l’existence de cette jurisprudence contradictoire, et les
références fournies sont d’ailleurs plus pertinentes que celles citées dans
l’arrêt Torreggiani [Mursic : préc. ; § 54], sans aller non plus jusqu’à citer in extenso les passages pertinents de
l’arrêt condamnant l’Italie. Mais la Cour, dans l’arrêt Mursic, donnait à la
violation de la limite abstraite de 3 m², opportunément au regard des formules
réellement employées, la nature de « forte
présomption » de traitement inhumain et dégradant, quand bien même la
notion n’était pas employée dans les arrêts précédents [ibid. ; § 54 : « based
on this presumption, the Court has considered in a number of cases that where
the applicants have at their disposal less than three square metres of floor
surface, the overcrowding must be considered to be so severe as to justify of
itself a finding of a violation of Article 3 of the Convention »],
présomption réfragable s’il ressort des conditions de détention [ibid. : § 56 ; « it follows that a strong presumption that
the conditions of detention amounted to degrading treatment in breach of
Article 3 on account of a lack of personal space […] may in certain circumstances be refuted by the cumulative effect of the
conditions of detention »] des éléments de nature à compenser la
surpopulation, tels que la liberté de mouvement dans l’établissement ou les
larges accès à l’air et la lumières extérieurs [ibid. : § 55 ; « thus,
the Court has already found that the freedom of movement allowed to inmates in
a facility and unobstructed access to natural light and air have served as
sufficient compensation for the scarce allocation of space per convic »].
La violation de la limite
des 3 m² n’établirait donc qu’une présomption réfragable de mauvais traitement,
la notion impliquant d’importantes d’incidences quant à la charge de la preuve
du traitement inhumain et dégradant. Par le jeu de la présomption, donc, il doit
revenir à l’État de ramener la preuve de cette liberté de mouvement dans l’établissement
et de ce large accès à l’air et à la lumière naturels s’il veut échapper à la condamnation
du fait du simple constat de l’espace personnel inférieur à 3 m². La preuve, si
elle est accueillie, ouvre alors le contrôle classique global de l’ensemble des
conditions matérielles de détention pour apprécier de l’existence du mauvais
traitement par la Cour européenne des droits de l’Homme. Si bien que
logiquement, en cas d’échec à ramener cette preuve, quand bien même les autres
conditions matérielles seraient satisfaisantes, la présomption ne peut être
renversée et la surpopulation doit être sanctionnée [v. infra, n° 6, pour l’application des
principes en l’espèce qui ne respectent pas ce schéma pourtant induit par les
conséquences procédurales de la notion de présomption]. Il y a bien un
rehaussement du seuil dans cet arrêt par rapport aux apports de l’arrêt Torregginai, pour transformer la nature
de la présomption de mauvais traitement issue de la détention collective dans
un espace personnel inférieur à 3 m², celle-ci devenant, dans certains cas,
réfragable.
3.
L’étendue de la présomption réfragable de l’arrêt Mursic en cas d’espace personnel inférieur à 3 m².
Si la jurisprudence Mursic est
réductrice par l’expression du caractère réfragable de la violation de la
Convention en cas de détention dans un espace personnel inférieur à 3 m², il ne
faudrait pas non plus occulter sa dimension à première vue protectrice, alors
que la présomption réfragable de violation de la Convention a été étendue à
deux autres cas, à côté de la détention dans un espace personnel inférieur à 3
m² : le cas du détenu qui n’a pas de lieu personnel de couchage et le cas
du détenu qui ne peut se déplacer librement dans la cellule entre les éléments
de mobilier [Mursic : préc. ; § 53 : après avoir
cité les trois cas, ces deux derniers et celui de la détention dans un espace
personnel inférieur à 3 m², la Cour rappelle bien que l’absence d’un de ces
trois éléments créé une forte présomption de violation de la Convention ;
« the absence of any of the above
elements creates in itself a strong presumption that the conditions of
detention amounted to degrading treatment and were in breach of Article 3 »].
Le cas du lieu personnel de couchage [« an individual sleeping place in the cell »] est particulièrement
intéressant, s’il devait être interprété comme sanctionnant la pratique des
matelas posés à même le sol. Ces trois cas de présomption réfragables de
mauvais traitements, et même les formulation, ont été repris de l’arrêt Ananyev, plus ancien, qui évoquait bien
la notion de présomption, et qui triomphe ainsi de l’arrêt Torreggiani [Ananyev :
préc. ; § 148]. Pourtant, les solutions
dégagées dans ce dernier arrêt concernaient une espèce dans laquelle une
surpopulation particulièrement grave existait, au point que les détenus bénéficiaient
seulement d’1 à 2 m² d’espace personnel, et celles-ci ne sont pas
particulièrement protectrices [ibid.,
§ 161]. Les cas visés renvoyant par définition à une situation de surpopulation
extrême [absence de lieu de couchage personnel et impossibilité de se déplacer
librement dans la cellule à cause des meubles] établissent l’application d’une
simple présomption réfragable de mauvais traitement, même en cas de réduction
extrême de l’espace personnel. La lecture de l’arrêt Ananyev indique aussi que le cas du détenu ne profitant pas de lieu
personnel de couchage doit s’entendre restrictivement du cas où les détenus
sont obligés à dormir à tour de rôle dans les mêmes couchages, du fait de leur
nombre insuffisant par rapport au nombre de détenus [ibid., § 146]. Dans ce dernier cas, le traitement inhumain et
dégradant n’est guère contestable, alors que la surpopulation réalise une
atteinte nette à la personne détenue, pour altérer la qualité de son sommeil,
si bien qu’on ne voit guère comment la présomption pourrait être renversée et
que la mise en place d’une présomption irréfragable se justifiait d’autant plus.
Seule la mise au jour du cas du détenu dans l’impossibilité de se déplacer
librement dans la cellule semblait protectrice, pour rappeler que l’espace
personnel satisfaisant n’est pas une simple surface, mais inclut aussi la
liberté de déplacement dans la cellule, sauf qu’encore la mise en place d’une
présomption irréfragable de mauvais traitement était justifiée. Au moins
pourrait-on déceler ici une cohérence dans la jurisprudence de la Première
section, à qui l’on doit les arrêts Mursic
et Ananyev, si elle n’avait pas
entre-temps aussi appliqué la jurisprudence Torregginani
[Kanakis (n° 2) : préc.; § 105 et s. – Tatishvili : préc. ; § 43].
Le champ de la
présomption réfragable, en cas d’espace personnel inférieur à 3 m², ne doit pas
non plus être interprété trop largement à la lecture de l’arrêt Mursic. Il est d’abord intéressant de
noter que la Cour se place spécialement dans le champ de la privation de
liberté du condamné [Mursic : préc. ; § 55 : « the conditions of detention in post-trial
detention facilities »]. La mise en place d’une présomption
irréfragable pour le prévenu, ou même pour un autre cas de privation de
liberté, n’est donc pas à écarter. Une telle position viendrait en tout cas
reconnaître le maintien de la tolérance d’une certaine part d’humiliation et
d’avilissement dans la peine privative de liberté. La Cour européenne des
droits de l’Homme a plus décisivement défini trois domaines d’exclusion dans
lesquels la surpopulation ne semble pouvoir être compensée. Les deux premières
exclusions sont relatives, puisque la Cour a pris soin de préciser que les
courtes et occasionnelles restrictions de l’espace personnel du détenu, à
condition qu’elles soient mineures, peuvent toujours être compensées [Mursic : préc. ; § 56 : « it
cannot be excluded, for example, in the case of short and occasional minor
restrictions of the required personal space accompanied with sufficient freedom
of movement and out-of-cell activities and the confinement in an appropriate
detention facility »]. Il y a ici un retour en grâce du critère de la
durée dans la caractérisation du mauvais traitement, alors que celui-ci a
largement décliné dans le contrôle des conditions matérielles de détention [v.
pour la sanction de l’indignité de la détention de quelques jours, CEDH,
gde ch., 21 janv. 2011, M. S. S. c.
Belgique et Grèce, req. n° 30696/09 : Rec. CEDH, 2011 : JCP, 2012, doctr. n° 924, chron. F. Sudre ; AJDA, 2011, p. 138, obs. M.‑C. de Montecler ;
AJDA, 2011, p. 1993, chron. L. Burgorgue‑Larsen ou CEDH,
sect. I, 1er août 2013, Horshill
c. Grèce, req. n° 70427/11]. C’est d’abord le cas de l’inadaptation du
lieu à la privation de liberté de longue durée, hypothèse de mauvais traitement
mise en évidence dans le cas de la détention d’étrangers durant plusieurs
semaines en commissariat [Mursic :
préc. ; § 56 : « confinement in an altogether inappropriate
detention facility » – pour
l’application de cette notion, v. ici
ou notre
chron., n° 30]. L’exclusion est alors logique puisque
l’inadaptation corrompt aussi les facilités de déplacement à l’intérieur du
bâtiment ou l’accès à l’air et à la lumière extérieurs. C’est aussi le cas des
établissements frappés de problèmes structurels [Mursic : préc. ;
§ 56 : « structural problems in
prisons »]. C’est que logiquement encore dans ce cas, la possibilité
de compenser la surpopulation en cellule est mise à mal par la surpopulation
généralisée régnant dans l’établissement, s’agissant du bâtiment ou des
portions extérieures : l’établissement n’est pas inapte par nature, comme
dans la première hypothèse, mais inadapté du fait du surpeuplement. La
troisième exclusion est absolue. C’est le cas de la surpopulation la plus
grave, celle, au regard de la jurisprudence antérieure [v. plus haut],
inférieure à 2 m², qui n’est pas inclus dans le champ de la présomption
réfragable [Mursic : préc. ; § 56 : « this will, however, hardly occur in the context of flagrant lack of
personal space » – l’exception frappant les exclusions précédentes n’est
pas applicable ici, puisque la Cour évoque les restrictions d’espace personnel « mineures »]. Une telle limitation ne
figurait pas dans l’arrêt Ananyev :
l’arrêt Mursic, tout en étant en
retrait par rapport à l’arrêt Torreggiani,
réalise un progrès par rapport au premier. Cette solution est toutefois logique
dès lors que l’atteinte à la dignité est alors trop grave pour être compensée. La
hausse du seuil réalisée par l’arrêt Mursic
est donc limitée dans les principes, pour concerner principalement le
détenu en cellule collective dans un espace personnel compris entre 2 et 3 m², la
conventionnalité exigeant de caractériser au surplus sa liberté de mouvement
dans l’établissement et son large accès à l’air et la lumière extérieurs.
4.
Les points de consensus des arrêts Mursic
et Torreggiani.
Pour le reste, il existe principalement des points de consensus entre les
arrêts Torreggiani et Mursic. L’arrêt Mursic ne remet pas en cause la présomption irréfragable mise en
place avant même l’arrêt Torreggiani
pour sanctionner l’espace personnel particulièrement réduit, en-deçà a priori de 2 m² [v. supra, n° 3]. Le requérant en l’espèce
avait d’ailleurs été détenu au pire dans un espace personnel légèrement
inférieur de 3 m² [34 jours, sur quatre périodes, à 2,86 m² et 14 jours, sur
trois périodes, à 2,80 m²]. L’arrêt Mursic a par ailleurs repris les principes développés dans l’arrêt Torreggiani s’agissant du cas du détenu
collectivement dans un espace personnel compris entre 3 et 4 m². Le modus operandi clairement énoncé [Torreggiani : préc. ; § 69 ; « en
revanche, dans des affaires où la surpopulation n’était pas importante au point
de soulever à elle seule un problème sous l’angle de l’article 3 (donc 3
m², au regard du même arrêt ; ndla), la Cour a noté que d’autres aspects des
conditions de détention étaient à prendre en compte dans l’examen du respect de
cette disposition », dont « la
possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération disponible,
l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect
des exigences sanitaires de base »] était repris, dans une formulation
distincte cependant [Mursic : préc. ; § 57 : « the Court stresses that a quite different
question from that observed above arises in cases where a larger prison cell is
at issue – measuring in the range of three to four square metres per inmate. In
such instances a violation of Article 3 will be found only if the space factor
would be coupled with other aspects of inappropriate physical conditions of
detention related to, in particular, access to outdoor exercise, natural light
or air, availability of ventilation, adequacy of heating arrangements, the
possibility of using the toilet in private, and compliance with basic sanitary
and hygienic requirements »]. L’appréciation globale des conditions
matérielles de détention par mesure de ses « effets cumulatifs » est ici complète. Au-delà de 4 m², alors que
les recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture sont
respectées [la Cour fait régulièrement référence aux travaux du CPT qui
recommandent une surface minimale de 7 m² pour une cellule individuelle – Kalachnikov : préc. ; § 97 – ou de 4 m² par détenu en cellule collective – pour
un exemple, v. Cozianu : préc. ; § 25], ni l’arrêt Torreggiani ni l’arrêt Mursic ne posent les principes
gouvernant le contrôle européen. Dans ce cas, et logiquement, c’est une présomption
de conventionnalité qui doit être appliquée, et donc un retour au droit commun
de la caractérisation du traitement inhumain et dégradant [v. par ex. Bouros : préc. ; § 82 : « [la] situation [du requérant] n’était
donc pas comparable à celle des autres requérants, puisqu’il disposait d’un
espace personnel de 4 m². De plus, il a travaillé comme agent de nettoyage
du 1er octobre au 31 décembre 2012 et suivi des cours à “l’École
de la deuxième chance” d’octobre 2010 à
juin 2012 et de de janvier à avril 2013. Il n’y a donc pas eu violation de
l’article 3 en ce qui concerne ce requérant »]. L’approche classique,
celle concrète et subjective, oblige le requérant à rapporter la preuve du
dépassement du seuil de souffrance morale et d’humiliation [v. pour le rappel
des principes de l’approche classique, Mursic :
préc. ; § 48 : « un mauvais traitement doit atteindre un
minimum de gravité pour tomber sous le coup de l'article 3. L'appréciation de
ce minimum est relative: elle dépend de toutes les circonstances de l'espèce,
tels que la durée du traitement, son physique et les effets mentaux et, dans
certains cas, le sexe, l'âge et l'état de santé de la victime »]. L’absence
de surpopulation ne permet pas de dérogation aux principes gouvernant l’article
3.
5.
La synthèse des distinctions et accords des arrêts Torreggiani et Mursic. Au
regard de ces différents arrêts, la Cour européenne des droits de l’Homme fait
bien varier les principes guidant son contrôle des conditions matérielles de détention
en fonction de l’espace personnel dont a pu bénéficier le détenu, organisant
différents seuils. L’espace personnel du détenu en cellule collective reste le
critère fondamental du contrôle des conditions matérielles de détention, pour
être lié à la surpopulation. Le jeu des seuils aboutit à alléger
progressivement la preuve que le détenu doit ramener pour caractériser la
violation de la Convention, jusqu’à la limiter à la preuve de l’espace
personnel, et parallèlement à alourdir la preuve que l’État doit ramener pour
démontrer la compensation de la surpopulation, jusqu’à ce que la preuve
devienne impossible. Le contrôle tend de plus en plus à devenir objectif et
abstrait et connaît de changements d’intensité importants, car comme l’indique
la Cour dans l’arrêt Mursic [elle
évoquait ici la distinction de son contrôle entre le cas de l’espace personnel
inférieur à 3 m² et le cas de l’espace personnel compris entre 3 et 4 m²], la
question est « toute autre »
d’un seuil à un autre [Mursic : préc. ; § 57 : « a quite different question »]. Ce
dernier arrêt a eu pour effet principal de rajouter un nouveau seuil par
rapport à l’arrêt Torreggiani, entre
2 et 3 m², dans lequel l’État peut, à des conditions plus restrictives, ramener
la preuve de la compensation de la surpopulation. La méthodologie employée
n’est en tout cas pas dénuée de logique, tant la surpopulation altère
l’ensemble des conditions de détention, et l’achèvement de sa mise au point est
de nature à lui permettre de traiter plus rapidement et en cohérence le flux
d’affaires concernant le contrôle des conditions matérielles de détention.
L’arrêt Mursic est-il suffisant pour conclure
que la présomption irréfragable de traitement inhumain et dégradant, en cas
d’espace personnel inférieur à 3 m², est définitivement abandonnée par la Cour
européenne des droits de l’Homme ? La Quatrième section avait déjà gommé
le seuil de 3 m² alors qu’elle utilisait l’apport de la jurisprudence Torreggiani, en y renvoyant d’ailleurs,
pour prendre un nouvel arrêt-pilote [CEDH,
sect. IV, 27 janv. 2015, Neshkov et
autres c. Bulgarie, req. nos 36925/10, 21487/12 et 72893/12
; § 231 : « Even if overcrowding is not
so serious as to amount in itself to a breach of Article 3 of the Convention,
it can still give rise to a breach of this provision if, combined with other
aspects of the conditions of detention – such as lack of privacy when using the
toilet, poor ventilation, lack of access to natural light and fresh air, lack
of proper heating or lack of basic hygiene – it results in a level of suffering
that exceeds that inherent in detention »]. La Deuxième section, celle de
l’arrêt Torreggiani, a aussi
récemment adopté un arrêt-pilote dans lequel elle a employé le terme de « présomption » de violation de la
Convention en cas d’espace personnel inférieur à 3 m² [Varga : préc. ;
§ 69 et s.]. Mais la Première section,
auteure de l’arrêt Mursic, vient
encore récemment de donner l’impression d’appliquer la présomption irréfragable
de l’arrêt Torreggiani [CEDH, sect. I, 12 mars 2015, Bouros et autres c. Grèce, req. nos
51653/12, 50753/11 et 25032/12 ; § 78 : « la Cour
relève que, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante,
elle a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la
violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, il s’agissait de
cas où l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² »].
Il y a bien ici un désordre dans la jurisprudence européenne qui n’est pas
encore réglé.
6.
L’appréciation par l’arrêt Mursic des
conditions du renversement de la présomption en cas d’espace personnel
inférieur à 3 m². Au regard de l’arrêt Mursic, entre 2 et 3 m², la présomption
de mauvais traitement peut être renversée si l’État ramène la preuve de la
liberté du mouvement du détenu à l’intérieur du bâtiment [Mursic : préc. ;
§ 55 : « enabling detainees to
benefit from a wider freedom of movement during the day than those subject to
other types of detention regime »] et de son large accès à l’air et à
la lumière extérieurs [ibid. : « unobstructed access to natural light and air »].
La Cour européenne des droits de l’Homme peut ici s’appuyer sur différents
précédents ayant réalisé ce même raisonnement et admis la compensation. Tel a
été le cas concernant la détention dans des grands dortoirs, réservant un
espace personnel entre 2,7 et 3,2 m², « dès lors, le manque d’espace d’un point de vue relatif était compensé
par la grande taille des dortoirs, dans l’absolu, ainsi que par la liberté de
circulation accordée » [CEDH,
sect. III, 24 juil. 2001, Valasinas c.
Lituanie, req. n° 44558/98 : Rec.
CEDH, 2001-VIII ; § 107].
Tel a été aussi le cas concernant le contrôle des conditions de détention des
colonies pénitentiaires russes, toujours compte-tenu de la liberté de mouvement
dans les dortoirs [CEDH,
sect. I, 10 sept. 2009, Shkurenko c.
Russie, n° 15010/04, déc.]. Il
y a dans cette jurisprudence, et dont les références données par l’arrêt Mursic ne sont d’ailleurs pas les plus
représentatives, l’idée que la surpopulation en cellule peut être compensée,
dès lors que le détenu n’y est pas confiné trop longuement durant la journée. Cette
jurisprudence avait pourtant était contredite par un autre arrêt, qui avait
considéré les larges possibilités de sortir à l’extérieur du bâtiment en
promenade [en l’espèce pendant quatre heures et trente minutes par jour] et à l’extérieur
de la cellule pour circuler dans le bâtiment [en l’espèce de 16 à 20 h pour
différentes activités] uniquement pour écarter le mauvais traitement s’agissant
des périodes pendant lesquelles le détenu avait bénéficié d’un espace personnel
supérieur à 3 m², tandis que le même arrêt relevait une violation de la convention
s’agissant des périodes pendant lesquelles le détenu avait bénéficié d’un
espace personnel de seulement 2,70 m², appliquant la présomption irréfragable [Sulejmanovic : préc. ; § 43 et s.]. Si l’un des paragraphes de l’arrêt Mursic donne l’impression que seuls les critères
de la liberté de mouvement dans l’établissement et le large accès à l’air et la
lumière extérieurs permettent la compensation [Mursic : préc. ; § 55],
celui suivant se montre plus imprécis, se contentant d’évoquer « certaines circonstances » [ibid., § 56 : « certain circumstances »]. Rien dans l’arrêt n’indique en tout cas que
ces critères sont cumulatifs, ce qui ressortait déjà de l’arrêt Valasinas. De plus, la Cour européenne
des droits de l’Homme retient à la lecture de l’arrêt la vision minimale du
critère de l’accès à l’air et à la lumière, ne devant pas s’apprécier uniquement
comme un accès à l’extérieur de l’établissement, mais pouvant être considéré
aussi au regard de l’accès à la lumière et à l’air naturels depuis la cellule [ibid., § 64]. Dans les principes, la possibilité
de compensation apparaît large.
L’application des
principes intéresse particulièrement, car à dénaturer le critère du confinement
comme le critère commandant la nature de la présomption, la perte par rapport à
l’arrêt Torreggiani serait grande. Si
n’importe quel critère de l’examen des conditions matérielles de détention
permettait de rendre la présomption réfragable, cela reviendrait à admettre
dans de trop larges cas, même pour le détenu en cellule collective dans un
espace personnel compris entre 2 et 3 m², le déclenchement d’un contrôle global
des conditions de détention, par mesure de leurs effets cumulatifs, et à
imposer pratiquement le même contrôle que celui opéré pour le détenu profitant
d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m². De plus, à ce que la Cour
européenne des droits de l’Homme ne distingue pas dans son raisonnement l’appréciation
du confinement, pris comme critère déterminant la nature de la présomption, du
contrôle global des conditions de détention, qui ne devrait être réalisé qu’après
avoir démontré la nature réfragable de la présomption, c’est un contrôle
strictement similaire à celui opéré au seuil supérieur qui serait appliqué.
En l’espèce, le
raisonnement de la Cour européenne des droits de l’Homme déçoit, pour étudier l’ensemble
des conditions de la détention du requérant, celles commandant son confinement
[ibid., § 63, concernant la
possibilité pour la requérante de sortir de sa cellule entre 16 h et 19 h – ibid., § 65, concernant les activités
ouvertes au détenu, comme l’accès à la salle de gym, au terrain de basket, aux
tables de ping-pong, aux échiquiers ou à la bibliothèque] comme les autres [ibid., § 64 concernant l’état de la
cellule – ibid., § 66 concernant les
conditions d'hygiène dans les cellules, la nutrition et les
activités récréatives et éducatives à disposition]. Plutôt que d’apprécier l’intensité
du confinement pour se prononcer sur la nature de la présomption, c’est
directement un examen global des conditions de détention que la Cour européenne
des droits de l’Homme a réalisé, comme si d’emblée la présomption était
réfragable, malgré l’espace personnel inférieur à 3 m². Ou comme si son
contrôle était identique au cas du détenu dans un espace personnel compris
entre 3 et 4 m². Et si l’on pourrait penser qu’en l’espèce le confinement en
cellule n’était pas suffisamment sévère pour permettre l’application de la
présomption irréfragable, si bien que la Cour était fondée à réaliser ce
contrôle global sans trop le justifier, il faut alors admettre que la preuve de
l’intensité du confinement à la charge de l’État est faible. La Cour se
contente du rapport des possibilités théoriques permises par l’établissement
pénitentiaire, sans exiger que l’État ramène aussi la preuve que le détenu
pouvait en profiter en pratique, alors que l’état de surpopulation fait
nécessaire peser un doute sur ce point. Cette dernière preuve pèse en
conséquence sur le détenu. L’arrêt le précise expressément, s’agissant
des possibilités pour le détenu de profiter d’activités et des équipements hors
de la cellule : « le requérant
n'a pas fourni d'arguments pertinents qui permettraient à la Cour de conclure
qu'il ne était pas en mesure de faire usage de ces installations comme décrit
par le gouvernement » [Mursic :
préc. ; § 65]. C’est que l’arrêt
Mursic n’est pas simplement revenu
sur les principes protecteurs guidant le contrôle des conditions matérielles de
détention en fonction de l’espace personnel du détenu en cellule collective
issus de l’arrêt Torreggiani [v. le
tableau récapitulatif ci-après], il s’est aussi montré peu rigoureux quant à l’application
des principes qu’il a lui-même dégagés. L’arrêt porte bien une augmentation du
seuil servant à caractériser le mauvais traitement dans les prisons en état de
surpopulation.
Principes
généraux guidant le contrôle des conditions matérielles de détention en
fonction de l’espace personnel du détenu en cellule collective
Espace personnel du détenu en cellule
collective
|
0 à 2 m²
|
2 m² à 3 m²
|
3 à 4 m²
|
Au-delà de 4 m² (respect des
recommandations du CPT)
|
Torreggiani
|
Présomption irréfragable de traitement inhumain et
dégradant
|
Présomption irréfragable de traitement inhumain et
dégradant
|
Examen de l’ensemble des conditions de détention
comme la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération
disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage
et le respect des exigences sanitaires de base
|
Droit commun : démonstration concrète et
subjective du dépassement du seuil
|
Mursic
|
Présomption irréfragable de traitement inhumain et
dégradant
|
- Présomption irréfragable de traitement inhumain et dégradant en cas de confinement
en cellule intense
- Présomption réfragable de traitement inhumain et
dégradant en cas de compensation par liberté de mouvement dans
l’établissement ou larges accès à l’air et à la lumière extérieurs
|
Examen de l’ensemble des conditions de détention
comme la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération
disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage
et le respect des exigences sanitaires de base
|
Droit commun : démonstration concrète et
subjective du dépassement du seuil
|
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