lundi 23 mars 2015

[obs.] Torreggiani vs Mursic : les atermoiements européens sur la sanction de la surpopulation [à propos de CEDH, sect. I, 12 mars 2015, Mursic c. Croatie, n° 7334/13, en angl.]


1. Une hausse du seuil ? Différents sites d’information en ligne, visiblement sur la base d’une dépêche AFP [v. par ex. ici ou ici, les sites étant mentionnés comme auteurs avec l’AFP], avec parfois un titrage fort [par ex. La surpopulation en prison n’enfreint pas nécessairement les droits humains], ont fait état d’un arrêt récent de la Cour européenne des droits de l’Homme [CEDH, sect. I, 12 mars 2015, Mursic c. Croatie, n° 7334/13, en angl.], reprenant peu ou prou les mêmes extraits, tirés du communiqué de presse [l’arrêt n’existe qu’en anglais] : on apprend dans ces articles que la Cour a précisé le principe selon lequel « s'il existe une forte présomption de traitement inhumain ou dégradant (...) lorsqu'un détenu dispose de moins de trois mètres carrés d'espace personnel », cet état peut « être compensé par les aspects cumulés des conditions de détention, tels que la liberté de circulation et le caractère approprié » de l'établissement pénitentiaire.
Une telle présentation laisse craindre une inflexion du contrôle de la Cour européenne des droits de l’Homme en la matière, alors que la surpopulation est un critère qui gagnait en autonomie dans le contrôle de la dignité des conditions matérielles de détention [v. pour la détention en cellule, nos obs. ici ou notre chron., n° 29 ; v. par assimilation, pour le contrôle du transport des prisonniers, notre chron., n° 38]. L’existence d’une évolution de la jurisprudence européenne est d’ailleurs confortée par le titrage du communiqué de presse de la Cour signalant l’arrêt [Principes généraux sur le surpeuplement carcéral], comme par son contenu [« l’arrêt mérite d’être noté en ce qu’il réaffirme les principes généraux sur la question du surpeuplement carcéral et précise la jurisprudence de la Cour à cet égard »], et si l’arrêt bénéficie d’un niveau d’importance relatif [niveau 2], il a déjà été intégré dans la fiche thématique réalisée par le service de presse de la Cour européenne des droits de l’Homme sur les conditions de détention et traitement des détenus, au titre de l’apport de la compensation de la surpopulation. Si la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme sur le contrôle de la dignité des conditions de détention est emblématique, elle grève aussi l’action de la Cour du fait d’un contentieux massif. À confirmer l’existence de la  hausse du seuil servant à l’établissement d’un mauvais traitement en la matière, elle pourrait faire montre d’un certain désengagement de la Cour quant à la voie contentieuse classique, alors que celle-ci développe un nouveau front contre la surpopulation et recherche des solutions plus négociées, par le recours à l’arrêt-pilote [v. pour un nouvel arrêt-pilote dans ce domaine pris récemment, CEDH, sect. II, 10 mars 2015, Varga et autres c. Bulgarie, req. nos 14097/12, 45135/12 et 73712/12, en angl. ; § 145 et s. ; v. nos obs. ici].
Il y a dans l’arrêt Mursic, en tout cas, une volonté de la Cour de réaliser une synthèse de sa jurisprudence en la matière, plus détaillée et mieux organisée que le rappel des principes généraux usuel, allant même jusqu’à dresser les conditions abstraites de la violation de la Convention, concernant le cas du détenu en cellule collective surpeuplée [Mursic : préc. ; § 48 et s.]. Pour reprendre des questions intéressant le contrôle de la privation de liberté, d’autres synthèses similaires peuvent être citées, certaines abordant des points cruciaux du contrôle européen, par exemple l’arrêt Saadi concernant le contrôle européen du bien-fondé de la détention [CEDH, gde ch., 29 janv. 2008, Saadi c. Royaume-Uni, req. n° 13229/03 : Rec. CEDH ; AJDA, 2008, p. 978, chron. J.‑F. Flauss], l’arrêt Medvedyev concernant les critères de qualification de l’Habeas corpus de l’article 5 § 3 [CEDH, gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03 : Rec. CEDH, 2010 ; D., 2010, p. 1386, obs. S. Lavric ; ibidem, p. 1390, note P. Hennion‑Jacquet ; ibid., p. 1386, note J.-F. Renucci ; ibid., p. 952, entretien P. Spinosi ; ibid., p. 970, obs. D. Rebut ; AJDA, 2010, p. 648, obs. S. Brondel ; RSC, 2010, p. 685, obs. J.‑P. Marguénaud] ou précédemment, pour la dignité des conditions matérielles de détention, les arrêts Ananyev [CEDH, sect. I, 10 janv. 2012, Ananyev et autres c. Russie, req. nos 42525/07 et 60800/08, en angl.] et Torreggiani [CEDH, sect. II, 8 janv. 2013, Torreggiani et autres c. Italie, req. nos 43517/09, 35315/10, 37818/10 : AJP, 2013, p. 361, obs. É. Péchillon ; Gaz. Pal., 12 mars 2013, p. 16, comm. É. Senna ; JCP, 2013, n° 319, note F. Laffaille ; § 65 et s.], et d’autres abordant des points plus spécialisés de la protection européenne, comme l’arrêt Sakkopoulos concernant le droit à la libération du détenu à l’état de santé incompatible [CEDH, sect. I,15 janv. 2004, Sakkopoulos c. Grèce, req. n° 61828/00 : § 36 et s.]. Si l’œuvre de pédagogie est louable, la genèse et les ressorts de l’adoption de tels arrêts interrogent malgré tout, alors qu’ils apparaissent de nature à tenir un rôle important dans la construction de la jurisprudence européenne, sans qu’on n’en connaisse véritablement tous les aboutissants. Tous ne semblent pas vraiment réaliser un apport à la jurisprudence ainsi rationnalisée [v. par ex. Medvedyev, mis à part l’intérêt de l’arrêt quant au droit français]. Et si l’arrêt Mursic porte bien une clarification dans la jurisprudence européenne, la retranscription faite par l’arrêt de la jurisprudence préexistante n’est pas exempte de reproches. Toujours est-il que les premiers principes généraux rappelés dans l’arrêt Mursic sont classiques, pour évoquer les obligations positives mises à la charge de l’État envers le détenu [§ 50] ou l’appréciation par « effets cumulatifs » du dépassement du seuil de souffrance et d’humiliation déclenchant la violation de l’article 3 [§ 51 ; v. une illustration ici ou notre chron., n° 39].

2. Le coup porté par l’arrêt Mursic à la construction d’une présomption irréfragable de mauvais traitement en cas d’espace personnel inférieur à 3 m². Le principe annoncé à la suite est déjà plus intéressant, alors que la Cour affirme n’avoir jamais déterminé un espace personnel minimal dont doit profiter le détenu en cellule collective et dont la violation entraîne de plein droit la caractérisation d’un traitement inhumain et dégradant [§ 52 ; « the Court has always refused to determine, once and for all, how many square metres should be allocated to a detainee in terms of the Convention »]. L’affirmation n’est pourtant pas juste. La Cour a en effet déjà admis que la « surpopulation grave » [en l’espèce, entre 0,9 et 1,9 m² d’espace personnel par détenu en cellule collective] « soulève en soi une question sous l'angle de l'article 3 de la Convention » [CEDH, sect. III, 15 juil. 2002, Kalachnikov c. Russie, req. n° 47095/99 : Rec. CEDH, 2002‑VI : D., 2003, p. 919, chron. J.-P. Céré ; § 97 – v. pour l’emploi de la même notion de « surpopulation grave », fondant une violation de la Convention, s’agissant de conditions de détention cumulant à la réduction de l’espace personnel des conditions d’hygiène « déplorables », CEDH, sect. I, 15 janv. 2015, Mahammad et autres c. Grèce, req. n° 48352/12 ; § 46]. C’est qu’on voit mal de toute manière, lorsqu’une telle réduction de l’espace personnel en cellule collective résulte de la surpopulation, comment celle-ci ne pourrait pas entraîner, mécaniquement, une détérioration extrême des conditions de détention, notamment quant à l’hygiène [v. pour un tel lien réalisé par la Cour européenne, alors qu’elle avait établi uniquement la situation de surpopulation, CEDH, sect. III, 2 décembre 2014, Cozianu c. Roumanie, req. n° 29101/13 ; § 25], si bien que le constat de violation apparaît inévitable. Et on voit mal aussi comment un tel espace, même subi dans une cellule individuelle ou collective, non pas qu’il soit induit par la surpopulation, mais qu’il soit dicté par une volonté de traiter avec sévérité les condamnés, ne constituerait pas, non plus un traitement, mais une « peine » par nature contraire à l’article 3 [celui-ci vise la « peine » ou le « traitement ». Il y a bien une justification théorique à la sanction automatique de la détention en cellule collective dans un espace personnel inférieur à une limite définie abstraitement, au moins lorsqu’elle réside de la surpopulation, pour considérer qu’en deçà, d’autres pans de la dignité du détenu sont forcément ou nécessairement touchés.
L’arrêt Torreggiani [préc.] s’est montré plus strict encore, en établissant la notion de « surpopulation sévère », caractérisée par un « espace personnel accordé […] inférieur à 3 m² » qui « à lui seul, suffit pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention » [ibid., § 68]. Il y avait ici une certaine audace, du moins en apparence, au regard de la jurisprudence citée dans l’arrêt à l’appui de la formulation du principe, qui sanctionnait des conditions de détention dans un espace personnel extrêmement réduit et inférieur à 2 m², et moins encore le plus souvent [CEDH, sect. I, 21 juin 2007, Kantyrev c. Russie, n° 37213/02, en angl. ; § 46 et s. – CEDH, sect. I, 29 mars 2007, Andrey Frolov c. Russie, req. n° 205/02 ; § 43 et s. – CEDH, sect. III, 4 mai 2006, Kadikis c. Lettonie (n° 2), req. n° 62393/00 ; § 51 et s.]. Seule une affaire, parmi celles citées, avait conclu à la violation de la Convention, dans un raisonnement abstrait, malgré l’espace personnel compris entre 2 et 3 m² [CEDH, sect. II, 16 juil. 2009, Sulejmanovic c. Italie, req. n° 22635/03 ; § 43 et s. : la sanction concernait la seule période de deux mois pendant laquelle le détenu n’avait bénéficié que d’un espace personnel de 2,70 m², tandis que la qualification de traitement inhumain et dégradant était écartée pour les périodes pendant lesquelles le détenu avait bénéficié d’un espace personnel supérieur, de 3,24 m2, 4,05 m2 et 5,40 m²]. Bizarrement, ou plus certainement parce que la Cour se trouve elle-même dépassée par sa jurisprudence pléthorique sur la question, le seuil de 3 m² avait déjà été établi par la Cinquième section, antérieurement à l’arrêt Torreggiani, sans que celui-ci ne s’y réfère [CEDH, sect. V, 1er mars 2012, Dmitriy Sazonov c. Russie, req. 30268/03, en angl. ; « the Court reiterates in this connection that in previous cases where applicants had less than 3 sq. m of personal space, it has found that the overcrowding was severe enough to justify, in its own right, a finding of a violation of Article 3 of the Convention » – on notera encore ici que la Cour ne réitérait pas vraiment, les arrêts cités par elle comme des précédents utiles, dont certains figurent aussi dans ceux cités dans l’arrêt Torreggiani, concernant le cas de détenus profitant d’un espace personnel extrêmement réduit, inférieur à 2 m² et parfois à 1m²]. La Première section – celle de l’arrêt Mursic donc – avait dégagé ce même seuil peu de temps avant l’arrêt Torreggiani [CEDH, sect. I, 4 déc. 2012, Nieciecki c. Grèce, req. n° 11677/11 ; § 49 : « la Cour relève que lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, elle a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, étaient concernés les cas de figure où l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² »]. La limite abstraite d’espace personnel de 3 m² a été appliquée à la suite de l’arrêt Torreggiani par la Deuxième section contre l’Italie, dans un arrêt [CEDH, sect. II, 22 avr. 2014, G. C. c. Italie, req. n° 73869/10 ; § 81 : « la Cour observe que, à supposer même que les allégations du requérant puissent être acceptées, l’intéressé aurait de toute manière joui d’un espace personnel non inférieur à 3 m² pendant les périodes en question […], ce qui, aux termes de la jurisprudence de la Cour, ne saurait être constitutif, à lui seul, d’une violation de l’article 3 de la Convention »] et deux décisions visant directement l’application de l’arrêt-pilote [CEDH, sect. II, 16 sept. 2014, Rexhepi et autres c. Italie, req. nos 47180/10, 47189/10 et 47190/10, déc. : § 51 et s. ; « la Cour observe avec intérêt que selon le droit interne la surface minimale standard pour les cellules collectives est de 5 m² par personne, soit une surface supérieure à celle recommandée par la jurisprudence de la Cour et par le CPT », puisqu’« il convient de rappeler que la Cour a toujours conclu à l’existence d’un niveau de surpeuplement sévère, constituant à lui seul un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de figure dans lesquels l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² » – CEDH, sect. II, 16 sept. 2014, Stella et autres c. Italie, req. nos 49169/09, 54908/09 et 55156/09 ; § 52 et s. pour les mêmes formulations]. La Deuxième section a appliqué la même jurisprudence à la Belgique [CEDH, sect. II, 25 nov. 2014, Vasilescu c. Belgique, req. n° 64682/12 ; § 100 : « pendant quinze jours, le requérant a même disposé d’un espace individuel de moins de 3 m², ce qui constitue, selon la jurisprudence de la Cour, un espace personnel qui, à lui seul, suffit pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention »] et plus récemment, au Monténégro, [CEDH, sect. II, 22 juil. 2014, Bulatovic c. Monténégro, req. n° 67320/10, en angl. ; § 123 : « the Court notes that even in such conditions the applicant would have had 2.8 m2 for himself, which in itself is sufficient for the Court to conclude that there has been a violation of Article 3 of the Convention »] et à la Turquie [CEDH, sect. II, 21 nov. 2014, T. et A. c. Turquie, req. n° 21/10/2014, en angl. ; § 96 : « the Court reiterates that it has already found that where applicants have at their disposal less than three square metres of floor surface, the overcrowding must be considered to be so severe as to justify in itself a finding of a violation of Article 3 »]. La Première section a aussi continué à appliquer la limite abstraite [CEDH, sect. I, 12 déc. 2013, Kanakis c. Grèce (n° 2), req. n° 40146/11 ; § 105 et s. – CEDH, sect. I, 31 juil. 2014, Tatishvili c. Grèce, req. n° 26452/11 ; § 43 : « [le requérant] disposait donc d’un espace personnel de moins de 3 m2 ce qui, en principe, justifie, à lui seul, le constat de violation de l’article 3 » – CEDH, sect. I, 19 déc. 2013, Tunis c. Estonie, req. n° 429/12, en angl. ; § 44].
C’est bien une présomption irréfragable de traitement inhumain et dégradant en cas de détention en cellule collective dans un espace personnel inférieur à 3 m² qui était forgée par la Cour européenne des droits de l’Homme, dans des arrêts issus de sections diverses et aboutissant à la sanction de nombreux États. L’affirmation contraire de l’arrêt Mursic n’est pas véritablement juste, et les principes généraux de l’arrêt, formulés comme une synthèse de la jurisprudence antérieure, ne reviennent pas à réaliser une sorte de codification à droit constant. Il s’agirait plutôt, a posteriori, de rechercher à donner la vision la plus cohérente possible de la jurisprudence européenne, quitte à l’écorner. Au moins, la Cour européenne des droits de l’Homme dans l’arrêt Mursic ne va pas jusqu’à occulter l’existence de cette jurisprudence contradictoire, et les références fournies sont d’ailleurs plus pertinentes que celles citées dans l’arrêt Torreggiani [Mursic : préc. ; § 54], sans aller non plus jusqu’à citer in extenso les passages pertinents de l’arrêt condamnant l’Italie. Mais la Cour, dans l’arrêt Mursic, donnait à la violation de la limite abstraite de 3 m², opportunément au regard des formules réellement employées, la nature de « forte présomption » de traitement inhumain et dégradant, quand bien même la notion n’était pas employée dans les arrêts précédents [ibid. ; § 54 : « based on this presumption, the Court has considered in a number of cases that where the applicants have at their disposal less than three square metres of floor surface, the overcrowding must be considered to be so severe as to justify of itself a finding of a violation of Article 3 of the Convention »], présomption réfragable s’il ressort des conditions de détention [ibid. : § 56 ; « it follows that a strong presumption that the conditions of detention amounted to degrading treatment in breach of Article 3 on account of a lack of personal space […] may in certain circumstances be refuted by the cumulative effect of the conditions of detention »] des éléments de nature à compenser la surpopulation, tels que la liberté de mouvement dans l’établissement ou les larges accès à l’air et la lumières extérieurs [ibid. : § 55 ; « thus, the Court has already found that the freedom of movement allowed to inmates in a facility and unobstructed access to natural light and air have served as sufficient compensation for the scarce allocation of space per convic »].
La violation de la limite des 3 m² n’établirait donc qu’une présomption réfragable de mauvais traitement, la notion impliquant d’importantes d’incidences quant à la charge de la preuve du traitement inhumain et dégradant. Par le jeu de la présomption, donc, il doit revenir à l’État de ramener la preuve de cette liberté de mouvement dans l’établissement et de ce large accès à l’air et à la lumière naturels s’il veut échapper à la condamnation du fait du simple constat de l’espace personnel inférieur à 3 m². La preuve, si elle est accueillie, ouvre alors le contrôle classique global de l’ensemble des conditions matérielles de détention pour apprécier de l’existence du mauvais traitement par la Cour européenne des droits de l’Homme. Si bien que logiquement, en cas d’échec à ramener cette preuve, quand bien même les autres conditions matérielles seraient satisfaisantes, la présomption ne peut être renversée et la surpopulation doit être sanctionnée [v. infra, n° 6, pour l’application des principes en l’espèce qui ne respectent pas ce schéma pourtant induit par les conséquences procédurales de la notion de présomption]. Il y a bien un rehaussement du seuil dans cet arrêt par rapport aux apports de l’arrêt Torregginai, pour transformer la nature de la présomption de mauvais traitement issue de la détention collective dans un espace personnel inférieur à 3 m², celle-ci devenant, dans certains cas, réfragable.
3. L’étendue de la présomption réfragable de l’arrêt Mursic en cas d’espace personnel inférieur à 3 m². Si la jurisprudence Mursic est réductrice par l’expression du caractère réfragable de la violation de la Convention en cas de détention dans un espace personnel inférieur à 3 m², il ne faudrait pas non plus occulter sa dimension à première vue protectrice, alors que la présomption réfragable de violation de la Convention a été étendue à deux autres cas, à côté de la détention dans un espace personnel inférieur à 3 m² : le cas du détenu qui n’a pas de lieu personnel de couchage et le cas du détenu qui ne peut se déplacer librement dans la cellule entre les éléments de mobilier [Mursic : préc. ; § 53 : après avoir cité les trois cas, ces deux derniers et celui de la détention dans un espace personnel inférieur à 3 m², la Cour rappelle bien que l’absence d’un de ces trois éléments créé une forte présomption de violation de la Convention ; « the absence of any of the above elements creates in itself a strong presumption that the conditions of detention amounted to degrading treatment and were in breach of Article 3 »]. Le cas du lieu personnel de couchage [« an individual sleeping place in the cell »] est particulièrement intéressant, s’il devait être interprété comme sanctionnant la pratique des matelas posés à même le sol. Ces trois cas de présomption réfragables de mauvais traitements, et même les formulation, ont été repris de l’arrêt Ananyev, plus ancien, qui évoquait bien la notion de présomption, et qui triomphe ainsi de l’arrêt Torreggiani [Ananyev : préc. ; § 148]. Pourtant, les solutions dégagées dans ce dernier arrêt concernaient une espèce dans laquelle une surpopulation particulièrement grave existait, au point que les détenus bénéficiaient seulement d’1 à 2 m² d’espace personnel, et celles-ci ne sont pas particulièrement protectrices [ibid., § 161]. Les cas visés renvoyant par définition à une situation de surpopulation extrême [absence de lieu de couchage personnel et impossibilité de se déplacer librement dans la cellule à cause des meubles] établissent l’application d’une simple présomption réfragable de mauvais traitement, même en cas de réduction extrême de l’espace personnel. La lecture de l’arrêt Ananyev indique aussi que le cas du détenu ne profitant pas de lieu personnel de couchage doit s’entendre restrictivement du cas où les détenus sont obligés à dormir à tour de rôle dans les mêmes couchages, du fait de leur nombre insuffisant par rapport au nombre de détenus [ibid., § 146]. Dans ce dernier cas, le traitement inhumain et dégradant n’est guère contestable, alors que la surpopulation réalise une atteinte nette à la personne détenue, pour altérer la qualité de son sommeil, si bien qu’on ne voit guère comment la présomption pourrait être renversée et que la mise en place d’une présomption irréfragable se justifiait d’autant plus. Seule la mise au jour du cas du détenu dans l’impossibilité de se déplacer librement dans la cellule semblait protectrice, pour rappeler que l’espace personnel satisfaisant n’est pas une simple surface, mais inclut aussi la liberté de déplacement dans la cellule, sauf qu’encore la mise en place d’une présomption irréfragable de mauvais traitement était justifiée. Au moins pourrait-on déceler ici une cohérence dans la jurisprudence de la Première section, à qui l’on doit les arrêts Mursic et Ananyev, si elle n’avait pas entre-temps aussi appliqué la jurisprudence Torregginani [Kanakis (n° 2) : préc.; § 105 et s. – Tatishvili : préc. ; § 43].
Le champ de la présomption réfragable, en cas d’espace personnel inférieur à 3 m², ne doit pas non plus être interprété trop largement à la lecture de l’arrêt Mursic. Il est d’abord intéressant de noter que la Cour se place spécialement dans le champ de la privation de liberté du condamné [Mursic : préc. ; § 55 : « the conditions of detention in post-trial detention facilities »]. La mise en place d’une présomption irréfragable pour le prévenu, ou même pour un autre cas de privation de liberté, n’est donc pas à écarter. Une telle position viendrait en tout cas reconnaître le maintien de la tolérance d’une certaine part d’humiliation et d’avilissement dans la peine privative de liberté. La Cour européenne des droits de l’Homme a plus décisivement défini trois domaines d’exclusion dans lesquels la surpopulation ne semble pouvoir être compensée. Les deux premières exclusions sont relatives, puisque la Cour a pris soin de préciser que les courtes et occasionnelles restrictions de l’espace personnel du détenu, à condition qu’elles soient mineures, peuvent toujours être compensées [Mursic : préc. ; § 56 : « it cannot be excluded, for example, in the case of short and occasional minor restrictions of the required personal space accompanied with sufficient freedom of movement and out-of-cell activities and the confinement in an appropriate detention facility »]. Il y a ici un retour en grâce du critère de la durée dans la caractérisation du mauvais traitement, alors que celui-ci a largement décliné dans le contrôle des conditions matérielles de détention [v. pour la sanction de l’indignité de la détention de quelques jours, CEDH, gde ch., 21 janv. 2011, M. S. S. c. Belgique et Grèce, req. n° 30696/09 : Rec. CEDH, 2011 : JCP, 2012, doctr. n° 924, chron. F. Sudre ; AJDA, 2011, p. 138, obs. M.‑C. de Montecler ; AJDA, 2011, p. 1993, chron. L. Burgorgue‑Larsen ou CEDH, sect. I, 1er août 2013, Horshill c. Grèce, req. n° 70427/11]. C’est d’abord le cas de l’inadaptation du lieu à la privation de liberté de longue durée, hypothèse de mauvais traitement mise en évidence dans le cas de la détention d’étrangers durant plusieurs semaines en commissariat [Mursic : préc. ; § 56 : « confinement in an altogether inappropriate detention facility » – pour l’application de cette notion, v. ici ou notre chron., n° 30]. L’exclusion est alors logique puisque l’inadaptation corrompt aussi les facilités de déplacement à l’intérieur du bâtiment ou l’accès à l’air et à la lumière extérieurs. C’est aussi le cas des établissements frappés de problèmes structurels [Mursic : préc. ; § 56 : « structural problems in prisons »]. C’est que logiquement encore dans ce cas, la possibilité de compenser la surpopulation en cellule est mise à mal par la surpopulation généralisée régnant dans l’établissement, s’agissant du bâtiment ou des portions extérieures : l’établissement n’est pas inapte par nature, comme dans la première hypothèse, mais inadapté du fait du surpeuplement. La troisième exclusion est absolue. C’est le cas de la surpopulation la plus grave, celle, au regard de la jurisprudence antérieure [v. plus haut], inférieure à 2 m², qui n’est pas inclus dans le champ de la présomption réfragable [Mursic : préc. ; § 56 : « this will, however, hardly occur in the context of flagrant lack of personal space » – l’exception frappant les exclusions précédentes n’est pas applicable ici, puisque la Cour évoque les restrictions d’espace personnel « mineures »]. Une telle limitation ne figurait pas dans l’arrêt Ananyev : l’arrêt Mursic, tout en étant en retrait par rapport à l’arrêt Torreggiani, réalise un progrès par rapport au premier. Cette solution est toutefois logique dès lors que l’atteinte à la dignité est alors trop grave pour être compensée. La hausse du seuil réalisée par l’arrêt Mursic est donc limitée dans les principes, pour concerner principalement le détenu en cellule collective dans un espace personnel compris entre 2 et 3 m², la conventionnalité exigeant de caractériser au surplus sa liberté de mouvement dans l’établissement et son large accès à l’air et la lumière extérieurs.
4. Les points de consensus des arrêts Mursic et Torreggiani. Pour le reste, il existe principalement des points de consensus entre les arrêts Torreggiani et Mursic. L’arrêt Mursic ne remet pas en cause la présomption irréfragable mise en place avant même l’arrêt Torreggiani pour sanctionner l’espace personnel particulièrement réduit, en-deçà a priori de 2 m² [v. supra, n° 3]. Le requérant en l’espèce avait d’ailleurs été détenu au pire dans un espace personnel légèrement inférieur de 3 m² [34 jours, sur quatre périodes, à 2,86 m² et 14 jours, sur trois périodes, à 2,80 m²]. L’arrêt Mursic a par ailleurs repris les principes développés dans l’arrêt Torreggiani s’agissant du cas du détenu collectivement dans un espace personnel compris entre 3 et 4 m². Le modus operandi clairement énoncé [Torreggiani : préc. ; § 69 ; « en revanche, dans des affaires où la surpopulation n’était pas importante au point de soulever à elle seule un problème sous l’angle de l’article 3 (donc 3 m², au regard du même arrêt ; ndla), la Cour a noté que d’autres aspects des conditions de détention étaient à prendre en compte dans l’examen du respect de cette disposition », dont « la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base »] était repris, dans une formulation distincte cependant [Mursic : préc. ; § 57 : « the Court stresses that a quite different question from that observed above arises in cases where a larger prison cell is at issue – measuring in the range of three to four square metres per inmate. In such instances a violation of Article 3 will be found only if the space factor would be coupled with other aspects of inappropriate physical conditions of detention related to, in particular, access to outdoor exercise, natural light or air, availability of ventilation, adequacy of heating arrangements, the possibility of using the toilet in private, and compliance with basic sanitary and hygienic requirements »]. L’appréciation globale des conditions matérielles de détention par mesure de ses « effets cumulatifs » est ici complète. Au-delà de 4 m², alors que les recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture sont respectées [la Cour fait régulièrement référence aux travaux du CPT qui recommandent une surface minimale de 7 m² pour une cellule individuelle – Kalachnikov : préc. ; § 97 – ou de 4 m² par détenu en cellule collective – pour un exemple, v. Cozianu : préc. ; § 25], ni l’arrêt Torreggiani ni l’arrêt Mursic ne posent les principes gouvernant le contrôle européen. Dans ce cas, et logiquement, c’est une présomption de conventionnalité qui doit être appliquée, et donc un retour au droit commun de la caractérisation du traitement inhumain et dégradant [v. par ex. Bouros : préc. ; § 82 : « [la] situation [du requérant] n’était donc pas comparable à celle des autres requérants, puisqu’il disposait d’un espace personnel de 4 m². De plus, il a travaillé comme agent de nettoyage du 1er octobre au 31 décembre 2012 et suivi des cours à “l’École de la deuxième chance” d’octobre 2010 à juin 2012 et de de janvier à avril 2013. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 3 en ce qui concerne ce requérant »]. L’approche classique, celle concrète et subjective, oblige le requérant à rapporter la preuve du dépassement du seuil de souffrance morale et d’humiliation [v. pour le rappel des principes de l’approche classique, Mursic : préc. ; § 48 : « un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l'article 3. L'appréciation de ce minimum est relative: elle dépend de toutes les circonstances de l'espèce, tels que la durée du traitement, son physique et les effets mentaux et, dans certains cas, le sexe, l'âge et l'état de santé de la victime »]. L’absence de surpopulation ne permet pas de dérogation aux principes gouvernant l’article 3.
5. La synthèse des distinctions et accords des arrêts Torreggiani et Mursic. Au regard de ces différents arrêts, la Cour européenne des droits de l’Homme fait bien varier les principes guidant son contrôle des conditions matérielles de détention en fonction de l’espace personnel dont a pu bénéficier le détenu, organisant différents seuils. L’espace personnel du détenu en cellule collective reste le critère fondamental du contrôle des conditions matérielles de détention, pour être lié à la surpopulation. Le jeu des seuils aboutit à alléger progressivement la preuve que le détenu doit ramener pour caractériser la violation de la Convention, jusqu’à la limiter à la preuve de l’espace personnel, et parallèlement à alourdir la preuve que l’État doit ramener pour démontrer la compensation de la surpopulation, jusqu’à ce que la preuve devienne impossible. Le contrôle tend de plus en plus à devenir objectif et abstrait et connaît de changements d’intensité importants, car comme l’indique la Cour dans l’arrêt Mursic [elle évoquait ici la distinction de son contrôle entre le cas de l’espace personnel inférieur à 3 m² et le cas de l’espace personnel compris entre 3 et 4 m²], la question est « toute autre » d’un seuil à un autre [Mursic : préc. ; § 57 : « a quite different question »]. Ce dernier arrêt a eu pour effet principal de rajouter un nouveau seuil par rapport à l’arrêt Torreggiani, entre 2 et 3 m², dans lequel l’État peut, à des conditions plus restrictives, ramener la preuve de la compensation de la surpopulation. La méthodologie employée n’est en tout cas pas dénuée de logique, tant la surpopulation altère l’ensemble des conditions de détention, et l’achèvement de sa mise au point est de nature à lui permettre de traiter plus rapidement et en cohérence le flux d’affaires concernant le contrôle des conditions matérielles de détention.
L’arrêt Mursic est-il suffisant pour conclure que la présomption irréfragable de traitement inhumain et dégradant, en cas d’espace personnel inférieur à 3 m², est définitivement abandonnée par la Cour européenne des droits de l’Homme ? La Quatrième section avait déjà gommé le seuil de 3 m² alors qu’elle utilisait l’apport de la jurisprudence Torreggiani, en y renvoyant d’ailleurs, pour prendre un nouvel arrêt-pilote [CEDH, sect. IV, 27 janv. 2015, Neshkov et autres c. Bulgarie, req. nos 36925/10, 21487/12 et 72893/12 ; § 231 : « Even if overcrowding is not so serious as to amount in itself to a breach of Article 3 of the Convention, it can still give rise to a breach of this provision if, combined with other aspects of the conditions of detention – such as lack of privacy when using the toilet, poor ventilation, lack of access to natural light and fresh air, lack of proper heating or lack of basic hygiene – it results in a level of suffering that exceeds that inherent in detention »]. La Deuxième section, celle de l’arrêt Torreggiani, a aussi récemment adopté un arrêt-pilote dans lequel elle a employé le terme de « présomption » de violation de la Convention en cas d’espace personnel inférieur à 3 m² [Varga : préc. ; § 69 et s.]. Mais la Première section, auteure de l’arrêt Mursic, vient encore récemment de donner l’impression d’appliquer la présomption irréfragable de l’arrêt Torreggiani [CEDH, sect. I, 12 mars 2015, Bouros et autres c. Grèce, req. nos 51653/12, 50753/11 et 25032/12 ; § 78 : « la Cour relève que, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, elle a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, il s’agissait de cas où l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² »]. Il y a bien ici un désordre dans la jurisprudence européenne qui n’est pas encore réglé.
6. L’appréciation par l’arrêt Mursic des conditions du renversement de la présomption en cas d’espace personnel inférieur à 3 m². Au regard de l’arrêt Mursic, entre 2 et 3 m², la présomption de mauvais traitement peut être renversée si l’État ramène la preuve de la liberté du mouvement du détenu à l’intérieur du bâtiment [Mursic : préc. ; § 55 : « enabling detainees to benefit from a wider freedom of movement during the day than those subject to other types of detention regime »] et de son large accès à l’air et à la lumière extérieurs [ibid. : « unobstructed access to natural light and air »]. La Cour européenne des droits de l’Homme peut ici s’appuyer sur différents précédents ayant réalisé ce même raisonnement et admis la compensation. Tel a été le cas concernant la détention dans des grands dortoirs, réservant un espace personnel entre 2,7 et 3,2 m², « dès lors, le manque d’espace d’un point de vue relatif était compensé par la grande taille des dortoirs, dans l’absolu, ainsi que par la liberté de circulation accordée » [CEDH, sect. III, 24 juil. 2001, Valasinas c. Lituanie, req. n° 44558/98 : Rec. CEDH, 2001-VIII ; § 107]. Tel a été aussi le cas concernant le contrôle des conditions de détention des colonies pénitentiaires russes, toujours compte-tenu de la liberté de mouvement dans les dortoirs [CEDH, sect. I, 10 sept. 2009, Shkurenko c. Russie, n° 15010/04, déc.]. Il y a dans cette jurisprudence, et dont les références données par l’arrêt Mursic ne sont d’ailleurs pas les plus représentatives, l’idée que la surpopulation en cellule peut être compensée, dès lors que le détenu n’y est pas confiné trop longuement durant la journée. Cette jurisprudence avait pourtant était contredite par un autre arrêt, qui avait considéré les larges possibilités de sortir à l’extérieur du bâtiment en promenade [en l’espèce pendant quatre heures et trente minutes par jour] et à l’extérieur de la cellule pour circuler dans le bâtiment [en l’espèce de 16 à 20 h pour différentes activités] uniquement pour écarter le mauvais traitement s’agissant des périodes pendant lesquelles le détenu avait bénéficié d’un espace personnel supérieur à 3 m², tandis que le même arrêt relevait une violation de la convention s’agissant des périodes pendant lesquelles le détenu avait bénéficié d’un espace personnel de seulement 2,70 m², appliquant la présomption irréfragable [Sulejmanovic : préc. ; § 43 et s.]. Si l’un des paragraphes de l’arrêt Mursic donne l’impression que seuls les critères de la liberté de mouvement dans l’établissement et le large accès à l’air et la lumière extérieurs permettent la compensation [Mursic : préc. ; § 55], celui suivant se montre plus imprécis, se contentant d’évoquer « certaines circonstances » [ibid., § 56 : « certain circumstances »]. Rien dans l’arrêt n’indique en tout cas que ces critères sont cumulatifs, ce qui ressortait déjà de l’arrêt Valasinas. De plus, la Cour européenne des droits de l’Homme retient à la lecture de l’arrêt la vision minimale du critère de l’accès à l’air et à la lumière, ne devant pas s’apprécier uniquement comme un accès à l’extérieur de l’établissement, mais pouvant être considéré aussi au regard de l’accès à la lumière et à l’air naturels depuis la cellule [ibid., § 64]. Dans les principes, la possibilité de compensation apparaît large.
L’application des principes intéresse particulièrement, car à dénaturer le critère du confinement comme le critère commandant la nature de la présomption, la perte par rapport à l’arrêt Torreggiani serait grande. Si n’importe quel critère de l’examen des conditions matérielles de détention permettait de rendre la présomption réfragable, cela reviendrait à admettre dans de trop larges cas, même pour le détenu en cellule collective dans un espace personnel compris entre 2 et 3 m², le déclenchement d’un contrôle global des conditions de détention, par mesure de leurs effets cumulatifs, et à imposer pratiquement le même contrôle que celui opéré pour le détenu profitant d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m². De plus, à ce que la Cour européenne des droits de l’Homme ne distingue pas dans son raisonnement l’appréciation du confinement, pris comme critère déterminant la nature de la présomption, du contrôle global des conditions de détention, qui ne devrait être réalisé qu’après avoir démontré la nature réfragable de la présomption, c’est un contrôle strictement similaire à celui opéré au seuil supérieur qui serait appliqué.
En l’espèce, le raisonnement de la Cour européenne des droits de l’Homme déçoit, pour étudier l’ensemble des conditions de la détention du requérant, celles commandant son confinement [ibid., § 63, concernant la possibilité pour la requérante de sortir de sa cellule entre 16 h et 19 h – ibid., § 65, concernant les activités ouvertes au détenu, comme l’accès à la salle de gym, au terrain de basket, aux tables de ping-pong, aux échiquiers ou à la bibliothèque] comme les autres [ibid., § 64 concernant l’état de la cellule – ibid., § 66 concernant les conditions d'hygiène dans les cellules, la nutrition et les activités récréatives et éducatives à disposition]. Plutôt que d’apprécier l’intensité du confinement pour se prononcer sur la nature de la présomption, c’est directement un examen global des conditions de détention que la Cour européenne des droits de l’Homme a réalisé, comme si d’emblée la présomption était réfragable, malgré l’espace personnel inférieur à 3 m². Ou comme si son contrôle était identique au cas du détenu dans un espace personnel compris entre 3 et 4 m². Et si l’on pourrait penser qu’en l’espèce le confinement en cellule n’était pas suffisamment sévère pour permettre l’application de la présomption irréfragable, si bien que la Cour était fondée à réaliser ce contrôle global sans trop le justifier, il faut alors admettre que la preuve de l’intensité du confinement à la charge de l’État est faible. La Cour se contente du rapport des possibilités théoriques permises par l’établissement pénitentiaire, sans exiger que l’État ramène aussi la preuve que le détenu pouvait en profiter en pratique, alors que l’état de surpopulation fait nécessaire peser un doute sur ce point. Cette dernière preuve pèse en conséquence sur le détenu. L’arrêt le précise expressément, s’agissant des possibilités pour le détenu de profiter d’activités et des équipements hors de la cellule : « le requérant n'a pas fourni d'arguments pertinents qui permettraient à la Cour de conclure qu'il ne était pas en mesure de faire usage de ces installations comme décrit par le gouvernement » [Mursic : préc. ; § 65]. C’est que l’arrêt Mursic n’est pas simplement revenu sur les principes protecteurs guidant le contrôle des conditions matérielles de détention en fonction de l’espace personnel du détenu en cellule collective issus de l’arrêt Torreggiani [v. le tableau récapitulatif ci-après], il s’est aussi montré peu rigoureux quant à l’application des principes qu’il a lui-même dégagés. L’arrêt porte bien une augmentation du seuil servant à caractériser le mauvais traitement dans les prisons en état de surpopulation.

Principes généraux guidant le contrôle des conditions matérielles de détention en fonction de l’espace personnel du détenu en cellule collective

Espace personnel du détenu en cellule collective
0 à 2 m²
2 m² à 3 m²
3 à 4 m²
Au-delà de 4 m² (respect des recommandations du CPT)
Torreggiani
Présomption irréfragable de traitement inhumain et dégradant
Présomption irréfragable de traitement inhumain et dégradant
Examen de l’ensemble des conditions de détention comme la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base
Droit commun : démonstration concrète et subjective du dépassement du seuil
Mursic
Présomption irréfragable de traitement inhumain et dégradant
- Présomption irréfragable de traitement inhumain et dégradant en cas de confinement en cellule intense
- Présomption réfragable de traitement inhumain et dégradant en cas de compensation par liberté de mouvement dans l’établissement ou larges accès à l’air et à la lumière extérieurs
Examen de l’ensemble des conditions de détention comme la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base
Droit commun : démonstration concrète et subjective du dépassement du seuil






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