Motivation
du verdict et procès équitable
La compatibilité entre
la motivation des arrêts de la Cour d’assises par le système des questions et
le procès équitable a été vivement remise en cause par la Cour européenne des
droits de l’Homme [CEDH,
sect. II, 13 janv. 2009, Taxquet c.
Belgique, req. 926/05 ;
RSC, 2009, p. 657, obs. J.‑P. Marguénaud ; D., 2009, p. 1058, note J.-F. Renucci ; ibid., p. 2545, obs. K. Gachi ; RFDA, 2009, p. 677, comm. L. Berthier
et A.-B. Caire ; JCP, 2009, actu., n° 200, obs. M.-L. Rassat ; Gaz. Pal., 14 mai 2009, p. 11, note F. Desprez ; Procédures, 2009, comm. n° 172, obs. J. Buisson], avant que la Grande chambre ne recule – ou ne trouve
une position médiane plus acceptable, selon les opinions –, en refusant de
considérer, par principe, le système de la motivation par questions inconventionnel
[CEDH,
gde ch., 16 nov. 2010, Taxquet c. Belgique,
req. n° 926/05 ; RSC, obs. J.‑P. Marguénaud ;
D., 2011, p. 47, obs. O. Bachelet ; ibid., note J. Pradel ; ibid.,
note J.-F. Renucci ; AJP, 2011, p. 35, obs. C. Renaud-Duparc]. L’arrêt de
Grande chambre n’en a pas moins posé le principe que « le public et, au premier chef, l’accusé
doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu » [ibid.; § 90]. Ainsi, la motivation par
des questions suffisamment précises et nombreuses pour établir les
circonstances de la commission des infractions, concernant des faits simples et
n’impliquant qu’un seul accusé, a été jugée suffisante [CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Legillon c.
France, req. n° 53406/10 – v. contra pour le refus de considérer que
la seule question posée sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière » puisse « permettre au requérant de comprendre le
verdict de condamnation », CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Oulahcene c.
France, req. n° 44446/10 ;
§ 53]. En cas d’élément de complication, par exemple de pluralité d’accusés,
l’ordonnance de mise en accusation peut également servir d’élément de
compréhension [CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Voica c. France,
req. n° 60995/09]. Les questions et l’ordonnance de
mise en accusation ne suffisent plus toutefois en présence de certains éléments
compliquant trop la compréhension, par exemple lorsque l’accusé est condamné
après un premier acquittement, si bien que, même si la Cour ne l’impose pas
expressément, un exposé des principaux motifs retenus pour établir la
culpabilité apparaît indispensable [CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Fraumens c.
France, req. n° 30010/10 – CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Agnelet
c. France, req. n° 61198/08]. Dès lors, si l’on
peut sans doute dégager l’existence d’un principe de motivation des verdicts de
Cour d’assises, celui-ci peut encore être satisfait par la forme minimale des
questions, des lors que des éléments extrinsèques peuvent permettre à l’accusé
d’en compléter la compréhension.
Si les différentes
solutions européennes montrent une souplesse certaine [v. pour les commentaires
des arrêts du 10 janvier 2013, D.,
2013, p. 615, note J.‑F. Renucci ;
RSC, 2013, p. 158, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid., p. 112, note J. Danet], ces arrêts n’ont pas abordé frontalement
la question de la fixation de la peine. Malgré la formulation large de l’arrêt Taxquet [il se réfère à la notion de « verdict », qui inclut déclaration
de culpabilité et fixation de la peine ; Taxquet, gde ch. : préc. ;
§ 90], la Cour a principalement évoqué le cas de coaccusés sanctionnés
distinctement : le condamné doit pouvoir « déterminer quels avaient été les éléments qui avaient permis au jury de
conclure que [certains] avaient eu
une participation limitée dans les faits reprochés, entraînant une peine moins
lourde » [Taxquet, gde ch. : préc. ; § 97] ou encore, à la suite d’un
appel, il ne doit pas « ignorer la
raison pour laquelle sa peine, prononcée en fonction des responsabilités respectives
de chacun des coaccusés, a pu être successivement inférieure et supérieure à
celle de son coaccusé » [Voica :
préc. ; § 52]. Mais la
motivation exigée se rapporte d’abord à la gravité des faits, la Cour
envisageant surtout que les différences entre les peines prononcées traduisent la
différence de degrés d’implication ou de responsabilité des coaccusés. La
modification du droit français, qui a suivi, pour introduire la motivation des
arrêts de Cour d’assises [art. 365‑1
CPP],
n’exige pas non plus du juge des explications quant à la fixation de la peine
[selon la disposition précitée, « la
motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour
chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises »],
et les nouveaux principes ont été accueillis avec bienveillance par la Cour
européenne des droits de l’Homme [v. les différents arrêts rendus contre la
France le 10 janvier 2013, par ex. Legillon :
préc. ; § 68]. La Chambre
criminelle a encore récemment validé le défaut de motivation de la peine dans
les arrêts de Cour d’assises [Cass.
crim., 18 févr. 2015, n° 14‑82.487 : inédit ; « l'absence
de motivation des peines prononcées par les cours d'assises, qui s'explique par
l'exigence d'un vote, n'est pas contraire aux [articles 6 de la Convention
européenne des droits de l'homme, 132-23 et 132-24 du code pénal, 591 et 593 du
code de procédure pénale, ni ne viole ensemble les droits de la défense et le
principe de la personnalisation de la peine] »].
Pourtant, l’intime
conviction, qui s’opposerait à la motivation de l’établissement de la
culpabilité, ne concerne pas la fixation de la peine. Et le recours au vote,
avancé par la Chambre criminelle, n’est une justification guère suffisante de
l’absence de motivation sur la peine : « la Cour d’assises délibère […]
sur l’application des peines » avant de procéder au vote [art.
362 CPP], de la même manière que « la Cour et le jury délibèrent, puis votent »
sur les questions liées à la culpabilité [art.
356 CPP], si bien qu’on comprend mal comment le même
procédé permettrait, pour la culpabilité, la rédaction de la feuille de
motivation imposée par la loi et empêcherait, pour la fixation de la peine, toute
explication. De même, l’exigence d’une « décision spéciale » permettant à la Cour d’assises d’allonger
la période de sûreté, imposée à l’article
132-23 du Code pénal, n’a jamais été interprétée comme
imposant une obligation de motivation, malgré la sévérité de la mesure [Cass.
crim., 7 nov. 2007, n° 07‑82.382 : inédit
– Cass.
crim., 23 oct. 2013, n° 12‑88.285 : inédit : « attendu qu'aucune
disposition légale n'impose à la cour d'assises, dont les délibérations sont
régies par le seul article 362 du code de procédure pénale, de motiver la
décision spéciale par laquelle elle porte aux deux tiers de la peine la durée
de la période de sûreté assortissant celle-ci, en application de l'article 132‑23
du code pénal »]. Paradoxalement, la courte peine privative de liberté doit
être motivée [v. l’art.
132-19 du Code pénal, dont les très nombreuses modifications,
cependant, rappellent l’échec constant], à la différence des peines de même
nature les plus lourdes. En réalité, le contrôle par la Cour de cassation de la
motivation de l’emprisonnement est filant, alternant contrôle plus rigoureux et
exigence minimale [v. nos obs. ici
ou notre chr.,
n° 68 et s.]. Il en ressort globalement que la détermination de
la culpabilité, parce qu’elle permet d’établir la matérialité des faits et leur
gravité, suffit en grande partie à justifier la nature et le quantum de la peine prononcée.
C’est, dans cet état du
droit, que l’arrêt Lhermitte [CEDH,
sect. II, 26 mai 2015, Lhermitte c. Belgique,
req. n° 34238/09] réalise un apport, s’agissant du
contrôle de la motivation de la condamnation, pour une requérante qui avait
égorgé ses cinq enfants et avait été condamnée à la réclusion à perpétuité par
la Cour d’assises belge. Quant au contrôle européen réalisé en l’espèce de la
motivation de la culpabilité, notamment s’agissant de la mise à l’écart de
l’irresponsabilité pénale malgré l’existence d’expertises militant en ce sens,
nous nous contenterons de renvoyer à l’opinion dissidente commune aux juges SAjo, Keller et Kjolbro, dont l’exposé simple et limpide pointe justement, il
nous semble, les faiblesses du raisonnement européen. Mais la Cour européenne
des droits de l’Homme était aussi saisie directement de la critique de la
motivation insuffisante de la fixation de la peine [ibid., § 25 : « la
requérante fait valoir que le verdict du jury ainsi que l’arrêt de la cour
d’assises n’étaient pas motivés quant à sa culpabilité et quant à la
détermination de la peine »], et elle a accepté d’en réaliser le
contrôle sur le fondement de l’article 6 [« par ailleurs, s’agissant spécifiquement de la fixation de la peine, la
Cour note que l’arrêt de la cour d’assises était dûment motivé sur ce point et
qu’il ne comporte aucune apparence d’arbitraire » [ibid., § 33] : il en ressort
que l’accusé doit disposer « de
garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation
ainsi que la peine qui ont été prononcés à son encontre » [ibid., § 34]. Cet arrêt nous donne
l’occasion de revenir sur les liens particuliers entre le procès équitable et
la peine privative de liberté. Nous évoquerons ensuite plus particulièrement
son apport nous intéressant, concernant la motivation de la peine privative de
liberté, afin notamment d’identifier les exigences que la Cour européenne des
droits de l’Homme pourrait imposer pour permettre à l’accusé de comprendre les
motifs ayant conduit à la fixation de sa peine.
Procès
équitable et peine privative de liberté
Le texte de l’article 6
de la Cour européenne des droits de l’Homme vise le « tribunal […] qui décidera
[…] du bien-fondé de toute accusation en
matière pénale ». Cependant, il ne faudrait pas limiter l’application
des garanties du procès équitable à la seule détermination de la culpabilité,
et non à la fixation de la peine, alors que l’article évoque aussi plus
largement le « jugement ».
C’est ainsi que le quantum de la
peine privative de liberté [plus exactement, l’affaire concernait la détermination
par un ministre de la partie répressive de la peine perpétuelle prononcée par
le juge, la continuation de la privation de liberté au-delà s’analysant comme
une mesure de sûreté] doit être fixée tout autant par un Tribunal indépendant
et impartial, sur le fondement de l’article 6 [CEDH,
gde ch., 16 déc. 1999, V. c. Royaume-Uni,
req. n° 24888/94 ; § 106 et s. : Rec. CEDH, 1999-IX ; LPA, 28 janv. 2000, p. 6,
note A. Bullier]. En
effet, il serait artificiel de scinder les garanties applicables à la
détermination de la culpabilité de celles applicables à la fixation de la
peine, alors que la nature et la sévérité de la sanction sont des critères
fondamentaux de la délimitation de la matière pénale [v par ex. CEDH,
ch., 23 sept. 1998, Malige c. France,
req. n° 68/1997/852/1059 : Rec. CEDH, 1998‑VII ; RFDA, 1999, p. 1004, comm. C. Mamontoff ; RSC,
1999, p. 112, obs. J.‑P. Delmas
Saint-Hilaire ; AJP,
2008, p. 491, obs. D. Botteghi].
D’ailleurs, le prononcé d’une peine privative de liberté, même de quelque
jours, suffit à entrainer la qualification de « matière pénale », ouvrant droit à l’ensemble des garanties de
l’article 6 [CEDH,
gde ch., 9 oct. 2003, Ezeh et
Connors c. Royaume-Uni, req. nos 39665/98 et 40086/98 :
Rec. CEDH, 2003-X ; Dr. pénal, 2004, ét. n° 7, comm. É. Verges ; RSC, 2004, p. 173, note F.
Massias]. Au regard de ces raisonnements, il est donc logique que les
développements de la Cour européenne des droits de l’Homme visant à imposer que
l’accusé ait été mis en l’état de comprendre le verdict concernent autant la
déclaration de culpabilité que la fixation de la peine, comme l’établit
expressément l’arrêt Lhermitte.
Si la fixation de la
peine privative de liberté doit être entourée des garanties du procès équitable,
la Cour européenne des droits de l’Homme tend même à imposer un standard plus
élevé des garanties applicables lorsque le procès aboutit au prononcé d’une
peine privative de liberté [v. pour le droit à l’assistance d’un avocat, CEDH,
gde ch., 10 juin 1996, Benham c.
Royaume-Uni, req. n° 19380/92 : Rec. CEDH, 1996-III ; § 61 : « la Cour estime, avec la Commission, que
lorsqu’une privation de liberté se trouve en jeu, les intérêts de la justice
commandent par principe d’accorder l’assistance d’un avocat » –
v. pour le droit à l’assistance gratuite par un avocat, CEDH,
sect. III, 12 oct. 1999, Perks et autres
c. Royaume-Uni, req. nos 25277/94, 25279/94, 25280/94 et autres,
en angl. : § 75 et s.]. L’exigence de motivation des
arrêts de la Cour d’assises est elle-même liée à la gravité de la peine prononcée
[Agnelet : préc. ; § 59], la Cour montrant même des exigences plus
importantes en la matière lorsque l’accusé, acquitté en première instance, a
été condamné à une lourde peine en appel [CEDH,
sect. V, 21 mai 2015, Haddad c.
France, n° 10485/13 ; § 22 – Agnelet : préc. ; § 67 – Fraumens :
préc. ; § 45 – ces trois
espèces, si elles ne sont sans doute pas représentatives, n’en sont pas moins
inquiétantes]. Plus généralement encore, dans l’arrêt Salduz, la Cour a établi que « c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès
équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés
démocratiques » [CEDH,
gde ch., 27 nov. 2008, Salduz c. Turquie,
req. n° 36391/02 : Rec. CEDH, 2008 ; D.,
2009, p. 2897, note J.‑F. Renucci
; AJDA, 2009, p. 852, chron. J.-F. Flauss ; JCP, 2009, I, n° 104, chron. F. Sudre ;
Dr. pénal, 2009, n° 4, chron. E. Dreyer ; § 54].
En réalité, l’établissement
d’un standard plus élevé du procès équitable en cas de prononcé d’une peine
privative de liberté devrait plus sûrement être fondé sur l’article 5.
L’article 5 § 1er-a), qui traite de la peine privative de
liberté, évoque le cas du condamné « détenu
régulièrement après condamnation par un tribunal compétent », cette
dernière notion permettant d’y inclure des garanties procédurales fortes, sans
les transposer à l’ensemble de la matière pénale. Un tel raisonnement pourrait
servir à borner le recours à l’emprisonnement dans les procédures sommaires,
largement ouvert en droit français [au-delà des limitations de quantum, la restriction la plus
importante apparaît à l’article
398-1 du Code de procédure pénale, qui interdit le
recours au juge unique en cas de comparution immédiate ou pour le prévenu
comparaissant détenu]. Peu d’illustrations de ce standard renforcé du procès équitable
n’existent en réalité pour l’instant dans la jurisprudence européenne, et le
contrôle de la motivation de la fixation de la peine, à ce que l’arrêt Lhermitte prospère, en constituerait un
élément fort. Cependant, comme trop souvent dans la jurisprudence européenne
[v. par ex. pour l’étendue de l’assistance de l’avocat en garde à vue, CEDH,
sect. V, 9 avr. 2015, A. T. c. Luxembourg, req. n°30460/13
et notre
comm.], la portée de l’arrêt signalé pose question.
Peine
privative de liberté et motivation
Le contrôle de la
motivation de la fixation de la peine, tel qu’ébauché par l’arrêt Lhermitte, n’a vocation à s’appliquer qu’aux
peines criminelles. En l’espèce, la culpabilité avait été retenue par le jury, après
réponse aux questions posées par le président. La peine avait été fixée
ultérieurement par le jury auquel avaient été adjoints trois magistrats
professionnels. C’est cet exposé écrit que la Cour européenne des droits de
l’Homme a jugé comme étant « dûment
motivé » et ne comportant « aucune
apparence d’arbitraire » [ibid.,
§ 33] :
«
Les lourdes charges familiales de
l’accusée ainsi que ses sentiments pénibles d’isolement et de dépendance
peuvent expliquer un désir légitime de plus de liberté personnelle. Sa
fragilité mentale, son état dépressif et sa personnalité ont pu rendre plus
difficiles la gestion de ce désir ainsi que la recherche, par le dialogue, des
aménagements possibles dans les limites de sa situation réelle en tenant compte
de tous ses proches.
Mais ni ces circonstances, ni même
une volonté de se sortir par un suicide d’une situation qu’elle considérait
comme une impasse, ni un manque d’aide adéquate, ne peuvent suffire à expliquer
les actes d’une extrême violence auxquels elle s’est résolue et qu’elle a
froidement exécutés.
[...]
[coupure réalisée par la Cour européenne des droits de l’Homme]
Dans les conditions concrètes tant
de la personnalité de l’accusée que de son contexte de vie, les difficultés
réelles vécues par l’accusée ne constituent pas des circonstances atténuantes,
au regard de la gravité extrême des faits commis.
» [ibid., § 15 et s.]
L’analyse de la
motivation validée montre que la Cour européenne des droits de l’Homme n’entend
pas s’emparer, par ce biais, d’un plein contrôle du bien-fondé de la peine [v.
ci-après cependant sur le contrôle de la disproportion manifeste de la peine].
En l’espèce, si les critères classiques de la personnalité et des circonstances
de l’infraction composent la motivation, la Cour européenne des droits de l’Homme
tolère donc que la gravité des crimes [« au regard de la gravité extrême des faits commis »] éclipse
totalement les autres éléments de personnalité discutés et militant pour
l’atténuation de la peine. Cette appréciation est cohérente avec le reste de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Celle-ci tolère la
peine perpétuelle répressive, celle
conservant durant toute son exécution l’objectif de sanction et prononcée pour
la seule considération de la gravité des crimes [CEDH,
gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autre c.
Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10
: Rec. CEDH, 2013 ; D., actu., 12 juil. 2013, obs. M. Léna ; ibid., 2013, p. 2081, note J.‑F.
Renucci ; ibid., p. 2713,
chron. G. Roujou de Boubée ; ibid., 2014, p. 1235, chron. J.‑P. Céré ; RFDA, 2014, p. 538, chron. L.
Labayle ; AJP, 2013, p. 494,
obs. D. van Zyl Smit
; RSC, 2013, p. 625, chron. P. Poncela ; ibid., p. 649, obs. D. Roets ;
Dr. pénal, 2013, comm. n° 165,
obs. É. Bonis-Garçon ; ibid., 2014, chron. n° 3, obs. V. Peltier ; ibid., chron. n° 4, chron. E. Dreyer
; JCP, 2014, n° 970, obs. L. Milano ; ibid., 2013, n° 918, obs. F.
Sudre], et si elle y reconnait malgré tout un droit au réexamen pour le
condamné au bout de vingt-cinq ans, elle ne cesse d’en réduire la portée [v. CEDH,
sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France, req.
n° 40014/10 et notre
comm. ainsi que CEDH,
sect. IV, 3 févr. 2015, Hutchinson
c. Royaume-Uni, req. n° 57592/08 et notre
comm.]. Pour autant, faut-il déduire de l’arrêt que la
Cour européenne des droits de l’Homme exigera dorénavant un exposé des
principaux éléments, liés à la personnalité du condamné et aux circonstances de
l’infraction, qui ont été discutés et ont pesé pour fixer la peine ? Dans ce
cas, le droit français serait exposé à de nouvelles censures. Mais à relire
l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, celle‑ci ne fait que
profiter de l’existence en l’espèce d’une motivation spéciale de la fixation de
la peine pour exercer son contrôle sur cet exposé, sans faire de son existence
une condition de conventionnalité.
En l’espèce, l’exposé
écrit de la fixation de la peine était « dûment motivé » pour la Cour européenne des droits de
l’Homme : les termes employés sous-entendent la réalisation d’un contrôle de la
qualité de la motivation, même s’il reste laconique. À supposer que la Cour
européenne des droits de l’Homme impose l’adoption d’un exposé écrit spécifique
recensant les principaux éléments ayant commandé la fixation de la peine, le
développement d’un contrôle de la qualité de la motivation n’irait pas sans
assurer un meilleur contrôle de la peine criminelle. Le contrôle de la qualité
dépasse le contrôle de la simple existence de la motivation, pour vérifier que
celle-ci est exempte de contradiction, pour assurer que celle-ci comprend
suffisamment d’éléments concrets et détaillés, plutôt que des éléments
abstraits ou stéréotypés, voire pour aboutir à déterminer les critères
pertinents et à écarter, au contraire, ceux inopérants. Mais dès lors que la
Cour considèrera que les éléments à disposition de l’accusé lui suffisent pour
« comprendre le verdict qui a été
rendu » sur le pan de la culpabilité, notamment parce que les
questions sont suffisamment nombreuses et détaillées [v. par ex. Legillon : préc.] et que l’individu a bénéficié en plus de l’accès à une
motivation des principaux éléments retenus à charge contre lui, ne risque‑t‑elle
pas d’en conclure que, les circonstances de l’infraction ayant été ainsi
suffisamment précisées, les mêmes éléments permettent au condamné de comprendre
les raisons du choix de la peine, puisque la Cour admet que la seule gravité de
l’infraction puisse être prise en compte ?
La Cour européenne a
aussi vérifié que la motivation soumise à son contrôle en l’espèce était
exempte « d’apparence d’arbitraire ».
Ce critère ne nous semble pas plus exiger l’adoption d’un exposé spécial
résumant les éléments principaux ayant dicté la fixation de la peine. On y
verrait plutôt le prolongement du contrôle de l’absence de disproportion
manifeste de la peine établi sur le fondement de l’article 3, qui reste pour
l’instant sommaire, la Cour n’ayant jamais établi de sanction à ce titre, la
gravité de l’infraction commise justifiant le prononcé d’une peine perpétuelle
pour un adulte bénéficiant au moment des faits du contrôle de ses actes [CEDH,
sect. IV, 10 avr. 2012, Babar
Ahmad et autres c. Royaume-Uni, req. nos 24027/07,
11949/08, 36742/08, 66911/09 et 67354/09, en angl.
; § 237. – CEDH,
sect. IV, 17 janv. 2012, Harkins et
Edwards c. Royaume-Uni, req. nos 9146/07, 32650/07 et
17/01/2012 ; RDP,
2013, chron., p. 725, obs. B.
Pastre-Belda ; D.,
actu., 6 févr. 2012, obs. O.
Bachelet. – Vinter, gde
ch. : préc. ; § 102].
L’arrêt commenté confirme d’ailleurs l’usage extrêmement limité que la Cour
entend faire de la notion, alors qu’elle a jugé manifestement mal fondée la
partie de la requête faisant valoir la disproportion de la peine, quand bien
même la question de l’irresponsabilité, ou a
minima de l’altération de la responsabilité de la requérante condamnée à
perpétuité était posée [Lhermitte :
préc. ; § 38 et s. – trois
experts avaient conclu dans le même rapport que « l’accusée était au moment des faits dans un état grave de déséquilibre
mental la rendant incapable du contrôle de ses actions » ; ibid., § 14]. Dans ces conditions, dès
lors que les questions posées ou la motivation des éléments retenus à charge établissent
la gravité de l’infraction commise, il nous semble que la Cour y trouverait une
motivation exempte d’arbitraire.
On souhaiterait
évidemment que les développements de l’arrêt Lhermitte aboutissent à imposer l’adoption d’un exposé écrit
spécifique résumant les principes suivis par la Cour d’assises pour fixer la
peine, par égard aux circonstances de l’infraction et à la personnalité. Ne
serait-ce que parce que le procédé est le meilleur pour permettre à l’accusé d’appréhender
les motifs du choix de la peine, et que s’agissant des peines les plus sévères,
il est logique d’exiger la garantie maximale de compréhension, d’autant plus
lorsque l’on assigne à la sanction la fonction d’amendement. De tels
développements seraient de nature aussi à promouvoir la prise en compte des
éléments de personnalité tendant à l’atténuation de la peine dans le standard
européen. Ils faciliteraient aussi l’exercice du contrôle de la disproportion
manifeste réalisé sur le fondement de l’article 3 par la Cour européenne des
droits de l’Homme. Ils raviveraient enfin sans doute la théorie, en perte de
vitesse, de la requalification de la peine perpétuelle en mesure sécable [v. notre comm. préc. de l’arrêt
Bodein sur la notion]. Concernant
cette dernière privation de liberté, seule sa première partie est répressive, tandis que sa seconde
partie, de sûreté nonobstant la qualification
nationale de peine perpétuelle, est
soumise à l’article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme
[« toute personne privée de sa
liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant
un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et
ordonne sa libération si la détention est illégale »], qui impose un
réexamen périodique du bien‑fondé du maintien en privation de liberté, bien
plus protecteur que celui dégagé sur le fondement de l’article 3 pour la peine
perpétuelle conservant sa finalité répressive
durant la totalité de son exécution [Vinter,
gde ch. : préc.], parce que le
contrôle est obligatoirement confié à un Tribunal dans le premier cas seulement.
Or, le contenu de la motivation utilisée par le juge pour justifier du recours
à la peine perpétuelle est un critère servant à cette requalification [CEDH,
plén., 2 mars 1987, Weeks c. Royaume-Uni, req. n° 9787/82 : Rec.
CEDH, série A, n° 114 ; § 46]. On doute cependant que la jurisprudence
ultérieure n’aboutisse à un tel résultat.
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