mercredi 8 juillet 2015

[obs.] La recherche de l’amendement et de la réinsertion, plutôt que la protection de la dignité, nouveau principe directeur servant à l’encadrement de la peine perpétuelle [à propos de CEDH, gde ch., 30 juin 2015, Khoroshenko c. Russie, req. n° 41418/04]

La consolidation du nouveau principe directeur. Si la peine perpétuelle est contrôlée habituellement sous l’angle de l’article 3 [interdiction des peines et traitements inhumains et dégradants] ou de l’article 5 [droit à la liberté et à la sûreté] de la Convention européenne des droits de l’Homme, c’est sous le visa de l’article 8 [droit à mener une vie familiale normale] que la Grande chambre a rappelé que « l’accent mis sur l’amendement et la réinsertion des détenus était à présent un élément que les États membres étaient tenus de prendre en compte dans l’élaboration de leurs politiques pénales » [CEDH, gde ch., 30 juin 2015, Khoroshenko c. Russie, req. n° 41418/04 ; § 121 – v. pour la même formulation consacrée sur le fondement de l’article 3, CEDH, gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autre c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 : Rec. CEDH, 2013 ; D., actu., 12 juil. 2013, obs. M. Léna ; ibid., 2013, p. 2081, note J.‑F. Renucci ; ibid., p.  2713, chron. G. Roujou de Boubée ; ibid., 2014, p. 1235, chron. J.-P. Céré ;RFDA, 2014, p. 538, chron. L. Labayle ; AJP, 2013, p. 494, obs. D. van Zyl Smit ; RSC, 2013, p. 625, chron. P. Poncela ; ibid., p. 649, obs. D. Roets ; Dr. pénal, 2013, comm. n° 165, obs. É. Bonis-Garçon ; ibid., 2014, chron. n°3, obs. V. Peltier ; ibid., chron. n° 4, chron. E. Dreyer ; JCP, 2014, n° 970, obs. L. Milano ; ibid., 2013, n° 918, obs. F. Sudre ; § 115]. Que le contrôle européen s’exerce sur le fondement de l’article 3, de l’article 5 ou désormais de l’article 8, la recherche de l’amendement et de la réinsertion apparaît comme le nouveau principe directeur de l’encadrement de la peine perpétuelle, plutôt que la protection de la dignité, principe directeur qui a servi dans un premier temps à la Cour à cette régulation, par exemple pour interdire la peine perpétuelle de facto et de jure incompressible [CEDH, gde ch., 12 févr. 2008, Kafkaris c. Chypre, req. n° 21906/04 : Rec. CEDH, 2008 : RSC, 2008, p. 692, obs. D. Roets ; § 97]. Sur le fondement de l’article 3, c’est ainsi que l’arrêt de Grande chambre Vinter, après avoir consacré une subdivision aux « instruments internationaux pertinents concernant la réinsertion des détenus » [Vinter, gde ch. : préc.], a dégagé au profit du détenu un droit au réexamen non judiciaire de la persistance de motifs pénologiques justifiant sa détention [ibid., § 119 et s.], au cours de l’exécution de sa condamnation à la perpétuité réelle [celle-ci est présumée poursuivre tout son long la répression du détenu, sans autre finalité]. Sur le fondement de l’article 5, c’est ainsi que l’arrêt James a dégagé pour le détenu subissant une peine perpétuelle sécable [celle-ci, à la différence de la perpétuité réelle, se caractérise par une première période punitive, puis une seconde de sûreté, le recours de l’article 5 § 4 s’appliquant à cette dernière période, celui‑ci obligeant le Tribunal à apprécier la nécessité du maintien en privation de liberté – v. pour une affaire anglaise, CEDH, plén., 2 mars 1987, Weeks c. Royaume-Uni, req. n° 9787/82 : Rec. CEDH, série A, n° 114, ou une affaire française, CEDH, sect. II, 11 avr. 2006, Léger c. France, req. n° 19324/02 : RSC, 2007, p. 134, comm. F. Massias ; D., 2006, p. 1800, note J.‑P. Céré ; AJP, 2006, p. 258, note S. Enderlin] un droit à bénéficier d’un contenu de nature à permettre sa réhabilitation [CEDH, sect. IV, 18 sept. 2012, James, Wells et Lee c. Royaume-Uni, req. nos 25119/09, 57715/09, 57877/09 et 18/09/2012, en angl. : D., actu., 8 oct. 2012, obs. O. Bachelet ; Dr. pénal, 2013, n° 4, chron. E. Dreyer ; § 218 : « As the Court has indicated above, in circumstances where a Government seek to rely solely on the risk posed by offenders to the public in order to justify their continued detention, regard must be had to the need to encourage the rehabilitation of those offenders »]. D’autre part, la Cour a logiquement déduit de la consécration d’une véritable opportunité pour le détenu d’obtenir une libération au cours de l’exécution de la peine perpétuelle – soit devant le Tribunal, fondée sur le fondement de l’article 5 § 4, pour la perpétuité sécable, soit devant une autorité non judiciaire [a minima], fondée sur le fondement de l’article 3, pour la perpétuité réelle – que le régime de l’exécution de la peine, dès son début, ne devait pas compromettre toute chance de réhabilitation [CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, req. nos 15018/11 et 61199/12 : § 263 : « having a genuine opportunity of reforming himself »]. Ainsi, sur le fondement de l’article 3, le détenu ne peut être placé automatiquement dans un régime d’isolement pénitentiaire prolongé, simplement du fait des infractions qu’il a commises [Harakchiev et Tolumov : préc.]. Sur le fondement de l’article 8, il ne peut pas non plus, toujours au regard de sa condamnation exclusivement, être empêché de téléphoner à ses proches et de recevoir leurs visites, sauf une fois tous les six mois pour les membres de sa famille, et ce pendant les dix premières années de l’exécution de sa peine perpétuelle, dès lors qu’un tel régime viole, notamment, « les impératifs d’amendement et de réinsertion des détenus de longue durée » [Khoroshenko, gde ch. : préc. ; § 148]. 3, 5 et 8, la recherche de l’amendement et de la réinsertion est bien un principe général à l’aune duquel toutes les ingérences aux libertés et droits fondamentaux du détenu condamné à une peine perpétuelle sont confrontées.

La marche européenne à pas feutrés. Quand bien même la Cour développe la consécration d’obligations positives, y compris sur le fondement de l’article 3 en matière pénitentiaire [faut‑il encore présenter l’arrêt Kudla ?], l’utilisation de la recherche de la réinsertion et de l’amendement, plutôt que de la protection de la dignité, est plus adapté pour forcer les États à inclure dans l'exécution de la peine perpétuelle un contenu visant à la réhabilitation du détenu. Plus encore, le nouveau principe directeur est de nature à imposer un tel contenu à la peine à temps. À ce titre, la Cour européenne des droits de l’Homme se plait à employer l’article 10 § 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, selon lequel « le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social » [v. Vinter, gde ch. : préc. ; § 118 James, Wells et Lee : préc. ; § 208 – Khroshenko, gde ch. : préc. ; § 145] et dont les principes ne sont pas limités à la peine perpétuelle. C’est dire si le développement du principe directeur de la recherche de l’amendement et de la réinsertion porte de fortes potentialités pour enrichir d’une nouvelle dimension le standard pénitentiaire européen, au-delà de la sanction (trop) classique de l’indignité des conditions matérielles de détention, du fait de la vétusté, de l’insalubrité ou de la surpopulation [v. sur ce standard, notre comm. de l’arrêt Mursic]. Il n’en demeure pas moins que la Cour européenne des droits de l’Homme fait preuve d’une prudence extrême en la matière, si bien que les apports du nouveau principe directeur sont limités et qu'il ne faut sans doute pas attendre de celui-ci, à courte échéance, qu'il suscite d'importantes évolutions. Ainsi, concernant la perpétuité réelle, la Cour a écarté de mettre à la charge de l’État l’obligation d’organiser un contenu visant la réhabilitation du détenu, se contentant d’interdire que les chances d’obtenir un tel résultat soient compromises par la soumission automatique de celui-ci à un régime de détention trop sévère [Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 264 – v. plus précisément sur les exigences de la Cour, quant à l’obligation pour l’État d’assortir à la privation de liberté un contenu de nature à favoriser la réadaptation, qui varie selon les cas de détention, notre chron., n° 26]. D’autre part, le droit au réexamen bénéficiant au détenu condamné à la perpétuité réelle, par égard pour la marge d’appréciation des États, a été altéré dans la dernière jurisprudence de la Cour, qu’il s’agisse du temps d’épreuve de vingt-cinq ans au terme duquel il devient en principe exigible [CEDH, sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France, req. n° 40014/10 : v. notre comm.] ou du contrôle de la qualité de la loi organisant un tel recours [CEDH, sect. IV, 3 févr. 2015, Hutchinson c. Royaume-Uni, req. n° 57592/08 : v. notre comm.]. Le nouvel arrêt ici signalé se perd encore en de nombreuses précautions, alors même que la sévérité du régime en cause [Khoroshenko, gde ch. : préc. ; § 22 : « le requérant fut autorisé à recevoir tous les six mois une visite courte de membres de sa famille, d’une durée maximale de quatre heures. À ces occasions, le requérant communiquait avec ses proches à travers une paroi vitrée ou des barreaux métalliques, dans des conditions qui ne permettaient aucun contact physique. Un gardien écoutait les conversations qu’il avait avec ses visiteurs. »] ne laissait guère de doute quant au constat de violation, d’autant plus que la Cour avait déjà connu d'un précédent très similaire dans lequel elle avait déjà relevé une violation de l’article 8 [CEDH, sect. V, 23 févr. 2012, Trosin c. Ukraine, req. n° 39758/05, en angl.]. Elle s’est pourtant attardée sur la marge d’appréciation des États, pour constater un consensus dans de nombreux États contractants qui « n’établissent aucune distinction en la matière entre les détenus condamnés à la réclusion à perpétuité et les autres catégories de détenus » et qui autorisent généralement au moins « une visite par mois » [Khoroshenko, gde ch. : préc. ; § 135]. Plus précisément, concernant les droits de visites, ces derniers éléments doivent sans doute être considérés comme intégrant le standard européen pénitentiaire et à ce titre, celui-ci devenant de plus en plus abstrait, ils figurent comme la nouvelle norme applicable en la matière. En tout cas, la lumière faite par la Cour européenne des droits de l’Homme sur l’article 10 § 3 du Pacte devrait au moins, sur le plan national, renforcer sa prise en compte, aujourd’hui contrastée [v. pour le contrôle de l’isolement de sûreté à la disposition internationale et la validation du droit national, CE, sect., 31 oct. 2008, Sect. fr. OIP, n° 293785 : Rec. CE, p. 374 ; RFDA, 2009, p. 73, concl. M. Guyomar ; D., 2009, p. 134, note M. Herzog‑Evans ; Gaz. Pal., 13 déc. 2008, p. 33, note M. Guyomar ; AJDA, 2008, p. 2389, chron. É. Geffray et S.-J. Liéber ; AJP, 2008, p. 500, obs. É. Péchillon ; Dr. admin., 2009, comm. n° 10, note F. Melleray v. pour le contrôle des sanctions disciplinaires à la disposition internationale et la validation du droit national, CE, 26 juin 2015, n° 375133 : inédit – v. pour le refus du juge administratif que « les objectifs d'insertion et de réinsertion attachés aux peines subies par les détenus » intègrent la matière des libertés fondamentales et servent à fonder un référé-liberté, CE, 15 juil. 2010, Puci c. min. Justice, n° 340313 : inédit– v. pour la confirmation de cette solution, CE, 13 nov. 2013, n° 338720 : Rec. CE, T.].

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