mercredi 1 juillet 2015

[obs.] Le juge français et la contestation de la dignité des conditions de détention [CEDH, sect. V, 21 mai 2015, Yengo c. France, req. n° 50494/12]

1. Le droit à l’indemnisation par le juge interne de l’indignité passée des conditions matérielles de détention. L’article 13 combiné à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme oblige le droit national à consacrer une voie de recours interne contre les conditions de détention matériellement indignes du fait de l’insalubrité et de la vétusté ou de la surpopulation [v. pour le contrôle européen de la matière, dont le critère principal réside dans la surface de l’espace personnel dont bénéficie le détenu, notre comm. de l’arrêt Mursic]. En réalité, ce sont deux recours qui doivent coexister pour satisfaire la Convention [v. pour un rappel des principes applicables, nos obs. ici]. Pour les conditions de détention passées, soit que le détenu, après l’introduction de son action, ait été libéré ou ait bénéficié de conditions de détention satisfaisantes, le recours utile interne est indemnitaire. Sur ce point, la Cour européenne des droits de l’Homme a déjà estimé que l’action du détenu devant le juge administratif français pour engager la responsabilité de l’État du fait des conditions de détention indignes [v. pour les premières décisions du fond TA Caen, 21 déc. 2004 ; AJP, 2005, p. 120, obs. C. S. Enderlin ou TA Versailles, 18 mai 2004 ; AJP, 2004, p. 413, obs. M. Herzog‑Evans ou TA Rouen, 27 mars 2008, n° 0602590 ; D., 2008, p. 1959, comm. M. Herzog-Evans ou CA Douai, 12 nov. 2009, n° 09DA00782 : AJDA, 2010, p. 42, obs. J. Lepers – v. pour une synthèse de la jurisprudence administrative, N. Deffains, « De la responsabilité de l’État du fait des conditions de détention » ; Gaz. Pal, 9 févr. 2013, p. 12, spéc. II] est une voie de recours interne efficace au sens de la Convention [CEDH, sect. V, 13 sept. 2011, Lienhardt c. France, req. n° 12139/10, déc.CEDH, sect. V, 2 avr. 2013, Théron c. France, req. n° 21706/10, déc.CEDH, sect. V, 10 avr. 2012, Rhazali et autres c. France, req. n° 37568/09, déc.]. Les actions se multiplient [selon le Rapport d’information de la Commission des Lois constitutionnelles sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale, « le montant des condamnations liées aux conditions de détention s’élevait à 46.000 € en 2009, à 140.250 € en 2010 et à 343.000 € en 2011, soit une progression de 645 % entre 2009 et 2011 »], même si les indemnisations accordées demeurent modestes [dans sa décision Lienhardt, précitée, la Cour déclarait irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes le requérant n’ayant agi que devant le Tribunal administratif, qui lui avait alloué 2.000 € d’indemnisation. La Cour notait qu’elle lui aurait sûrement accordé une meilleure indemnisation, sans que cette circonstance ne suffise à rendre la requête recevable. En revanche, le montant de l’indemnisation du préjudice accordé par le juge interne, s’il est considérablement inférieur au montant que la Cour pourrait allouer pour une affaire similaire, empêche que le requérant perde sa qualité de victime et lui permet d’agir ; CEDH, sect. IV, 20 juil. 2010, Ciorap c. Moldavie (n° 2), req. n° 7481/06, en angl. En l’espèce, le requérant avait obtenu 600 € en réparation de la détention indigne, mais la Cour allouait au requérant 4.000 € d’indemnisation. Elle citait deux exemples dans sa jurisprudence récente, qui ont vocation à servir de mètre étalon en matière d’indemnisation, dans lesquelles elle avait accordé à chaque fois 6.000 € de préjudice moral ; ibid., § 24. Le premier cas concernait des conditions de détention sévères qui n’avaient duré que cinq jours ; CEDH, sect. IV, 15 déc. 2009, Gavrilovici c. Moldavie, req. n° 25464/05, en angl.. Le second une détention provisoire de deux mois, réalisée dans des conditions dont l’indignité était moins affligeante ; CEDH, sect. IV, 27 mars 2007, Istratii c. Moldavie, req. nos 8721/05, 8705/05 et 8742/05, en angl.].


2. La réitération de la validation du recours indemnitaire français. Le droit français a trouvé dans l’arrêt Yengo [CEDH, sect. V, 21 mai 2015, Yengo c. France, req. n° 50494/12 ; JCP, 2015, n° 663, obs. M Afroukh ; D., actu., 26 mai 2015, obs. M. Léna] un nouveau satisfecit quant au recours devant le juge administratif en indemnisation des conditions matérielles de détention passées [ibid., § 48 et s.]. Logiquement, puisque depuis les dernières décisions européennes, le Conseil d’État a fermement validé le principe de la responsabilité de l’État sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme :
       « en raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur handicap et de leur personnalité, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu'impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l'intérêt des victimes ; que des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et à la lumière des dispositions du code de procédure pénale, notamment des articles D. 349 à D. 351, révèleraient l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique » [CE, sect., 6 déc. 2013, 6 arrêts, n° 363290, 363291, 363292, 363293, 363294 et 363295 : rec. CE ; AJDA, 2014, p. 237, concl. D. Hedary ; Dr. admin., 2014, repère n° 3, obs. J-B. Auby ; ajp, 2014, p. 143, comm. É. Péchillon].
L’initiative du Conseil d’État, qui a établi sa propre grille d’analyse des critères permettant d’établir l’atteinte à la dignité, aussi louable soit-elle, doit sans doute être prise avec distance, tant on imagine mal le juge du fond ne pas s’inspirer pleinement de la propre grille d’analyse de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui tend, pour les conditions matérielles de détention, à établir un réel standard abstrait et objectif détaché des considérations particulières propres à la situation du détenu, lesquelles ont encore bonne place dans ce considérant de principe [v. pour la description de ce standard européen, notamment, B. Ecochard, « L’émergence d’un droit à des conditions de détention décentes garanti par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme » ; RFDA, 2003, p. 99 ou F. Sudre, « L’article 3 bis de la Convention européenne des droits de l’homme : le droit à des conditions de détention conformes au respect de la dignité humaine » ; in Mélanges Cohen-Jonathan, Libertés, justice, tolérance, Bruylant, 2004, vol. 2, p. 1449 ou P. Dourneau-Josette, « Les conditions de détention et la Cour européenne des droits de l’Homme » ; Gaz. Pal., 2013, n° 40]. En particulier, en matière d’insalubrité et de vétusté des conditions de détention ou de surpopulation, les critères de la sécurité et du bon ordre ne sont pas pris en compte par la jurisprudence européenne [v. pour la sanction des conditions matérielles de détention quand bien même elles concernaient un quartier disciplinaire, CEDH, sect. V, 20 janv. 2011, Payet c. France, req. n° 19606/08 : D., 2011, p. 380, obs. S. Lavric ; D., 2011, p. 643, obs. J.‑P. Céré ; RSC, 2011, p. 718, obs. J.‑P. Marguénaud ; JCP, 2011, n° 184, obs. B. Pastre-Belda ; Procédures, 2011, comm. n° 94, obs. N. Fricero ; Gaz. Pal., 21 avr. 2011, p. 11, comm. É. Senna] et leur mention doit être interprétée comme servant au contrôle du bien-fondé des différentes mesures punitives ou de sûreté que peut subir le détenu, comme les fouilles ou encore l’isolement, dont la Cour européenne des droits de l’Homme opère également le contrôle sur le fondement de l’article 3 [v. notamment sur le bien-fondé de l’isolement de sûreté, nos obs. ici]. La Cour européenne des droits de l’Homme a d’ailleurs rappelé dans l’arrêt Yengo que, pour caractériser un recours interne efficace, « l’affaire doit avoir été effectivement examinée en conformité avec les normes découlant de la jurisprudence de la Cour » [Yengo : préc. ; § 62], montrant par la même sa prétention pratiquement normative à définir les dignes conditions de détention.
Ces arrêts du Conseil d’État ont aussi admis la pratique du référé-provision en la matière, tout en maintenant l’application de la condition de droit commun du recours, c’est-à-dire de la démonstration que « l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable » [art. R. 541-1 CJA]. En matière de conditions de détention, le respect de cette exigence impose que l’atteinte à la dignité relève d’un certain « degré de gravité » [pour le premier des six arrêts, le seul publié au Recueil, le seuil de gravité n’était pas atteint par les simples « conditions défectueuses de fonctionnement des équipements (de la cellule médicalisée), les difficultés de circulation et l'humidité régnant dans ces cellules »]. Le juge français, s’il développe le recours aux référés pour protéger la dignité des détenus [v. les différentes références infra], n’altère pas non plus en la matière les conditions de droit commun de ces recours, ce qui est visible aussi dans le maintien d’une appréciation sévère de l’urgence en matière de référé‑liberté, et même problématique dans cette dernière matière dans le cas du placement du détenu en isolement [v. nos obs. ici, in fine]. En tout cas, ces progrès de la jurisprudence administrative, malgré leurs limites, sont validés par la Cour européenne des droits de l’Homme dans l’arrêt Yengo, qui souligne l’évolution jurisprudentielle [Yengo : préc. ; § 56]. Plus que le recours indemnitaire devant le juge interne, les raisonnements de la Cour sur le second recours exigé par la combinaison des articles 3 et 13 intéressent plus, ne serait-ce que parce que la Cour a conclu à la violation de la Convention à ce sujet.

3. Le droit à l’obtention devant le juge interne de conditions de détention conformes au standard européen. Pour les conditions de détention actuelles, le recours utile interne, qualifié de « préventif », doit permettre de modifier le « statu quo », c’est-à-dire « avoir une incidence immédiate sur ses conditions de détention » [CEDH, sect. IV, 22 oct. 2009, Sikorski c. Pologne, req. n° 17599/05 ; § 115 et s.] : a minima, le juge interne doit disposer d’un pouvoir d’injonction de nature à améliorer les conditions matérielles de détention du détenu au sein du même établissement [CEDH, sect. IV, 22 oct. 2009, Orchowski c. Pologne, req. n° 17885/04, en angl. : RSC, 2010, p. 497, chron. C. Nowak ; § 108]. Si l’incompatibilité médicale exige de créer un recours interne permettant l’élargissement [CEDH, 14 nov. 2002, Mouisel c. France, req. n° 67263/01 : Rec. CEDH, 2002-IX ; LPA, 19 juin 2003, p. 15, comm. H. Tigroudja ; ibid., 16 juil. 2003, p. 13, comm. D. Roets ; D., 2003, p. 524, obs. J.‑F. Renucci ; ibid., p. 303, note H. Moutouh ; ibid., p. 919, chron. J.‑P. Céré ; RSC, 2003, p. 144, chron. F. Massias ; AJDA, 2003, p. 603, chron. J.‑F. Flauss], l’atteinte à la dignité résultant des conditions matérielles de détention ne génère, dans la jurisprudence européenne, qu’un droit à l’amélioration de ces conditions jusqu’à les rendre conformes au standard pénitentiaire européen. De manière plus novatrice, la Cour a réalisé dans l’arrêt Yengo un effort d’abstraction pour décrire précisément les qualités du recours interne efficace en matière de contestation de la dignité des conditions matérielle de détention actuelles, qui annonçait peut-être une évolution :
« pour qu’un recours préventif contre des conditions de détention formé devant une instance administrative soit effectif, celle-ci doit a)  être indépendante des autorités chargées du système carcéral, b)  s’assurer de la participation effective des détenus à l’examen de leurs griefs, c)  veiller au traitement rapide et diligent desdits griefs, d)  disposer d’une large gamme d’instruments juridiques permettant de mettre fin aux problèmes à l’origine des griefs, e)  être capable de rendre des décisions contraignantes et exécutoires » [ibid., § 61], de telle sorte que « tout recours de ce type doit […] permettre un redressement dans un délai raisonnable » [ibid.].

4. Les difficultés du droit français à faire émerger une voie de droit utile. Le droit français a longtemps tâtonné quant au traitement de la contestation de la dignité des conditions de détention subies par le détenu au moment de son action. La Cour de cassation avait semblé reconnaître, dans un premier temps, l’efficacité du moyen dans le contentieux de l’annulation de l’acte d’enquête [Cass. crim., 7 mai 2008, n° 08-81.419 : inédit ; RSC, 2008, p. 930, obs. R. Finieltz], avant de l’écarter par principe [Cass. crim., 22 juin 2010, n° 09-86.658 : inédit ; la Cour affirmait sans équivoque « qu'une éventuelle violation des dispositions de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l'article préliminaire du Code de procédure pénale, si elle est susceptible d'engager la responsabilité de la puissance publique en raison du mauvais fonctionnement du service public, ne saurait constituer une cause de nullité de procédure »]. L’action pénale a aussi été utilisée, sur le fondement de l’incrimination d’hébergement incompatible avec la dignité humaine [art. 225‑14 CP : « le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150.000 euros d'amende »], et une chambre d’accusation avait bien admis la possible application du texte [CA Nancy, 1er mars 2007 : AJP, 2007, p. 335, obs. M. Herzog‑Evans : « les conditions de détention ne sont pas exclues par nature du champ d’application de l’article 225-14 du Code pénal. Certes l’État ne peut être mis en cause, mais il appartiendra au juge d’instruction désigné de déterminer si des personnes physiques ont été en position du fait notamment de leurs fonctions, de créer ou de mettre un terme à des conditions d’hébergement éventuellement incompatibles avec la dignité de la personne détenue »], mais cette voie a été clôturée par la Cour de cassation avec vigueur [Cass. crim., 20 janv. 2009, n° 08‑82.807 : Bull. crim., n° 18 ; AJP, 2009, p. 139, obs. M. Herzog‑Evans ; Dr. pén., 2009, comm. n° 42, obs. A. Maron et M. Haas ; RSC, 2009, p. 377, obs. Y. Mayaud – Le détenu avait saisi la Cour européenne des droits de l’Homme au cours de l’instruction, et s’était heurté, de ce fait, à une irrecevabilité. La fermeture du recours par la Cour de cassation lui a permis d’épuiser les voies de recours internes, de saisir enfin la Cour, et d’obtenir la condamnation de la France dans l’arrêt Canali ; CEDH, sect. V, 25 avr. 2013, Canali c. France, req. n° 40119/09 ; D., 2013, p. 1138, obs. M. Léna ; AJDA, 2013, p. 1794, chron. L. Burgorgue‑Larsen ; AJP, 2013, p. 403, note J.-P. Céré]. Le recours au juge administratif, par référé‑suspension [voir CE, 9 avr. 2008, sect. fr. OIP, n° 311707 : inédit ; AJDA, 2008, p. 1447, note J. Birnbaum. L’association avait demandé au directeur de la maison d’arrêt de Fleury‑Mérogis de mettre fin à tout placement en quartier disciplinaire, en raison des conditions matérielles de détention détériorées y régnant, sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Devant le juge administratif, l’association demandait la suspension en référé de la décision implicite de refus. Le juge administratif du fond avait rejeté la demande, pour défaut de la condition d’urgence ; CAA Paris, 27 avr. 2006, Dominique X, n° 05PA03468. Son argumentation était validée par le Conseil d’État, dès lors que l’effet du placement en cellule disciplinaire sur la santé des détenus n’était pas suffisamment corrélé, même s’il relevait que l’état des locaux « était particulièrement dégradé ». Le juge rappelait également qu’un nouveau quartier disciplinaire devait être ouvert à l’été 2008. Le Conseil d’État rappelait aussi que « le juge des référés (…) a tenu compte, d'une part, de la situation invoquée par l'association requérante, et, d'autre part, de l'intérêt public tenant à la sauvegarde de l'ordre public invoqué par l'administration », admettant que la suspension aurait entraîné des difficultés pour l’ordre pénitentiaire. Ce dernier élément revenait finalement à reconnaître que les conditions de détention posaient indéniablement des difficultés, sans pouvoir les sanctionner, pour préserver l’ordre pénitentiaire. V. pour un autre ex., CAA Paris, 27 avr. 2006, Dominique X, n° 05PA03468. Le détenu contestait la décision de son placement en isolement sur le fondement de l’article 3 de la Convention, en raison des conditions matérielles de détention dégradées, en arguant se trouver « dans une cellule de 6,84 m², vétuste, mal isolée et dont l'aération est limitée à une fenêtre étroite ». La Cour d’appel, reprenant la formulation de la Cour européenne des droits de l’Homme, écartait cet argument, dès lors que la mesure ne constituait pas « un isolement sensoriel et social complet » et que ces conditions de détention, du propre aveu du juge « difficiles », ne généreraient pas de conditions de détention « plus sévères que (celles) du régime ordinaire de détention ».] ou par référé-liberté [CE, réf., 8 sept. 2005, Bunel, n° 284803 : Rec. CE, p. 388 ; AJP, 2005, p. 377, obs. M. Herzog‑Evans ; LPA, 21 févr. 2007, p. 15, note F. Fournié et É. Massat. Le détenu demandait à ne plus être soumis au tabagisme passif : il avait d’abord été détenu dans une cellule avec trois fumeurs, alors que l’exposition à la fumée avait aggravé sa pathologie, et le référé se fondait d’abord sur l’atteinte à son état de santé. Le juge du fond avait accepté la demande et enjoint à l’administration « de mettre en œuvre, dans un délai d'un mois, les mesures appropriées afin de soustraire (le détenu) au tabagisme ou en cas d'impossibilité absolue liée aux contraintes de l'organisation carcérale, de l'affecter dans une cellule où l'exposition au tabagisme sera limitée, sans que ces mesures puissent avoir pour conséquence de priver l'intéressé de son emploi aux cuisines ». Le Conseil d’État déniait au droit à la santé la qualification de liberté fondamentale au sens de la disposition et rejetait le référé-liberté. Bien que décevante, la décision ne fermait pas la porte à l’emploi de la procédure d’urgence à la privation de liberté, notamment en cas d’atteinte à la liberté personnelle, définie comme un droit « qui implique en particulier qu'il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu'imposent la sauvegarde de l'ordre public ou le respect des droits d'autrui ». Cette assertion était cependant immédiatement limitée par le Conseil d’État qui rappelait que, « s'agissant des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires, leur situation est nécessairement tributaire des sujétions inhérentes à leur détention »], avait aussi été tenté, sans véritable succès, à cette époque. Cet historique [v. aussi M. Herzog‑Evans, « Les voies du droit contre la surpopulation carcérale » ; in Mélanges Ottenhorf, Le champ pénal, Dalloz, p. 197 et P. Poncela, « La crise du logement pénitentiaire » ; RSC, 2008, p. 972], pas vraiment emballant, rappelle comment le droit français a longtemps échoué à assurer le respect de la dignité des détenus, par considération supérieure pour le bon ordre pénitentiaire et les contraintes budgétaires.
Dans ce contexte, c’est avec évidence que les raisonnements de la Cour européenne des droits de l’Homme menés sur le recours français en amélioration des conditions matérielles de détention intéressent. L’arrêt Yengo permet de passer le droit français au crible européen. Mais à l’inverse, la bonne connaissance du droit français permet aussi de mieux appréhender l’intensité des exigences européennes, celle-ci passant à l’inverse, en quelque sorte, le crible français. Les enseignements de l’arrêt sont d’autant plus intéressants que son champ d’étude a été large. Concernant un prévenu en détention provisoire au moment de la contestation portée devant le juge interne de ses conditions de détention, la Cour européenne des droits de l’Homme a successivement étudié l’efficacité de la demande de remise en liberté [§ 65 – v. infra, n° 5], du recours en excès de pouvoir [§ 67 – v. infra, n° 6] et des référés administratifs [§ 68 – v. infra, n° 7].

5. La confirmation de l’inexistence d’un droit à la libération du fait de la soumission à des conditions matérielles de détention indignes. En l’espèce, le requérant avait invoqué l’indignité de ses conditions matérielles de détention pour justifier d’une demande de remise en liberté. Nonobstant l’affirmation de la Cour européenne des droits de l’Homme [Yengo : préc. ; § 65], des demandes de remise en liberté fondées sur l’indignité des conditions de détention ont été formulées avant 2012 devant le juge judiciaire, mais leur prise en compte a été rejetée par principe par la Cour de cassation [Cass. crim., 8 nov. 1988, n° 88-85.185 : inédit. La Cour de cassation validait le raisonnement de la chambre d’accusation qui avait décidé de prolonger une détention provisoire, dès lors que « les conditions matérielles dans lesquelles s'exécute la détention et qui seraient contraires aux recommandations des conventions internationales échappent à la compétence de la chambre d'accusation ». En l’espèce, le requérant avait fondé la critique de ses conditions matérielles de détention sur la Convention de New-York contre la torture de 1984 et sur la Convention européenne des droits de l’Homme. – Cass. crim., 27 janv. 1998, n° 97-86.014 : inédit. La Cour de cassation validait la décision du juge du fond qui « pour déclarer la personne mise en examen irrecevable à critiquer ses conditions de détention à l'occasion d'une demande de mise en liberté (…) énonce que celles-ci sont étrangères aux prévisions de l'article 144 du Code de procédure pénale ». – Cass. crim., 13 avr. 1999, n° 99-80.481 : inédit. La Cour de cassation validait la solution du juge du fond qui refusait une demande de remise en liberté fondée sur les conditions de détention « dans un quartier disciplinaire non chauffé »], sauf à critiquer un état de santé incompatible [Cass. crim., 3 sept. 1997, n° 97‑83.280 : inédit. La Cour de cassation admettait l’efficacité du moyen de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, mais l’écartait en l’espèce, car le mis en examen bénéficiait d’une thérapie de soutien suffisant à assurer la compatibilité]. Il est vrai cependant que l’arrêt de la Cour de cassation de 2012, cité par la Cour européenne des droits de l’Homme [Cass. crim., 29 fév. 2012, n° 11-88.441 : Bull. crim., n° 58 ; AJP, 2012, p. 471, note E. Senna ; RSC, 2013, p. 879, obs. X. Salvat ; Gaz. Pal., 19 juil. 2012, p. 17, avis G. Lacan ; v. Yengo : préc. ; § 65], qui confirme l’interdiction faite au juge du fond de prendre en compte les conditions matérielles de détention en cas de demande de remise en liberté, hors le cas de l’état de santé incompatible, relève d’une importance particulière, déjà du fait de sa publication au Bulletin, ensuite du fait de la survenue de l’arrêt après une longue évolution jurisprudentielle nationale et européenne pour une meilleure protection de la dignité des détenus, enfin du fait de l’avis contraire de l’avocat général qui avait conclu à la nécessaire prise en compte de la prohibition de l’atteinte à la dignité dans la décision du juge de la détention provisoire [Yengo : préc. ; § 15]. Malgré ces considérations, la Cour de cassation a pourtant rappelé fermement que, sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, seuls doivent être pris en compte les « éléments propres à la personne concernée, suffisamment graves pour mettre en danger sa santé physique ou mentale » pour fonder une remise en liberté. La Cour européenne des droits de l’Homme en a déduit logiquement que la demande de remise en liberté ne saurait être considérée comme un recours interne utile en contestation des conditions matérielles de détention indignes [ibid., § 65 – à l’inverse, le même arrêt tendait à faire de la remise en liberté un recours interne efficace à permettre la fin de détention provisoire du prévenu à l’état de santé incompatible, autre exigence imposée par la combinaison des articles 3 et 13, avant même la consécration de la mise en liberté médicale par le législateur en 2014 ; v. l’art. 147-1 CPP]. Elle en a tiré pour unique conséquence qu’il lui fallait rechercher si le recours en excès de pouvoir ou les référés administratifs constituaient des recours internes efficaces, alors même qu’évidemment ceux-ci ne peuvent permettre la libération de la personne en détention provisoire. La Cour européenne des droits de l’Homme confirmait ici que les conditions matérielles de détention indignes, celles dues à l’insalubrité, la vétusté ou la surpopulation [le plus souvent, tout cela à la fois], n’impliquent pas de droit à la libération. La dignité des conditions matérielles de la privation de liberté ne figure pas comme un élément de la légalité de la détention dans le standard européen.
Si cette position n’est pas nouvelle, elle déçoit en l’espèce. D’abord parce que l’affaire concernait un prévenu en détention provisoire, la présomption d’innocence justifiant plus encore que pour le condamné une prise en compte de l’atteinte à la dignité. Ensuite parce qu’en l’espèce, il semble bien que seule la libération était de nature de mettre un terme rapidement à l’atteinte à la dignité, au regard de la surpopulation de l’établissement pénitentiaire de Nouvelle-Calédonie dans lequel était détenu le requérant [il est vrai que la Cour n’a pas tranché en l’espèce l’existence d’un traitement inhumain et dégradant – néanmoins, v. sur l’état de l’établissement en 2011, tel que décrit par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Yengo : préc., § 22 ; v. sur la surpopulation pénitentiaire dans les établissements d’Outre-Mer, ibid., § 23 et s. ; v. la tierce-intervention commune de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et du Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui soulève l’impossibilité d’obtenir de meilleures conditions de détention pour le requérant, ibid., § 45 et s. – v. surtout l’appréciation de la Cour sur l’inefficacité du recours en excès de pouvoir, au cours de laquelle elle a estimé que la surpopulation du seul établissement pénitentiaire situé en Nouvelle‑Calédonie « ne permettait pas, en tout état de cause, d’envisager que l’administration pénitentiaire puisse réagir à une demande de changement de cellule ou de transfèrement de la part du requérant » ; ibid., § 67]. Car même à imaginer un transfèrement en métropole pour échapper à la surpopulation, celui-ci soulèverait de nouvelles questions quant à l’atteinte aux droits de l’individu [v. P. Poncela, « Demandés ou imposés, les transfèrements sur la sellette », RSC, 2014, p. 153, spéc. n° V ou G. Bechlivanou Moreau, « Rendre plus effectif le droit au maintien des liens familiaux », RSC, 2013, p. 137]. La Cour européenne des droits de l’Homme n’est entrée dans aucune de ces considérations : sauf à ce qu’elle décide d’adopter un arrêt pilote à l’occasion d’une affaire particulière soumise à son examen, en établissant le caractère structurel de l’indignité des conditions matérielles de détention, au regard du nombre des constats de violation rendus par elle et du nombre des requêtes en stock avant premier examen [v. pour le dernier en date, CEDH, sect. II, 10 mars 2015, Varga et autres c. Bulgarie, req. nos 14097/12, 45135/12 et 73712/12, en angl. ; nos obs. ici], il y a une certaine fiction dans sa jurisprudence à considérer toujours que chaque cas individuel peut être amélioré en même temps que la privation de liberté se maintient, au point qu’il n’est pas nécessaire de vérifier concrètement si une telle évolution est vraiment possible, et à privilégier l’examen abstrait des solutions juridiques fournies par le droit interne pour obtenir une amélioration, la libération n’étant en tout cas jamais exigée.
Il n’en reste pas moins que, comme le positionnement de l’avocat général dans son avis précité en matière de détention provisoire [v. supra, n° 6 – ultérieurement à l’arrêt du 29 février 2012 contredisant cet avis, un juge d’instruction a accordé une remise en liberté, en se fondant en partie sur les conditions de détention indignes ; TGI Versailles, 26 juin 2013 : inédit. L’affaire, qui concernait l’établissement pénitentiaire de Bois-d’Arcy, avait bénéficié d’une exposition dans la presse généraliste. Le juge d’instruction avait visité la cellule avant de se prononcer. D’après les affirmations de l’avocat, retranscrites dans différents articles, la cellule, composée de 9 m², accueillait trois détenus, tandis que les murs de la cellule n’étaient pas étanches aux intempéries et que celle-ci était dépourvue de chauffage], un mouvement pour une meilleure prise en compte de l’indignité des conditions matérielles de détention dans la continuation de la privation de liberté est palpable, en dehors du droit pénal comme en dedans, notamment en droit de la peine. Le juge judiciaire de la prolongation de la rétention de l’étranger a bien fait de « l’atteinte portée à la personne » une cause d’irrégularité de la procédure, sur le fondement direct de l’article 3, empêchant la prolongation de la détention [Cass. civ I, 1er déc. 2010, n° 09-13.207 : inédit. L’atteinte à la personne de l’étranger résultait de l’absence de son alimentation entre 9 h et 17 h dans l’attente d’une audience. – Cass. civ. I, 1er juin 2011, n° 10-30.609 : inédit. L’atteinte à la personne, y compris pendant la garde à vue, qui précède la rétention, autorise le rejet de la prolongation de la détention de l’étranger. Elle relevait aussi en l’espèce du défaut d’alimentation durant près de dix‑neuf heures. Par comparaison, un défaut d’alimentation d’un suspect en garde à vue pendant 22 heures ne permet pas d’annuler la mesure, dans le contentieux de la régularité de la procédure pénale, en raison du défaut de dépassement de seuil ; Cass. crim., 9 mars 2011, n° 09-81.138 : inédit. La Cour européenne des droits de l’Homme a qualifié de traitement dégradant l’absence de fourniture d’eau et de nourriture à des témoins, retenus pour audition, de 19 h 30 à 5 h du matin ; CEDH, sect. III, 22 févr. 2011, Soare et autres c. Roumanie, req. n° 24329/02]. Le juge judiciaire s’est aussi approprié le contrôle de l’adaptation des conditions matérielles de détention de la famille placée en rétention et son refus de prolonger la rétention des parents, que les enfants accompagnent [La rétention administrative, en droit, concerne les seuls parents, puisque la loi écarte la rétention administrative des mineurs, ceux-ci s’y trouvant uniquement pour accompagner leurs parents, sans titre de détention propre. La Cour européenne des droits de l’Homme avait d’ailleurs sanctionné le droit français au titre de l’article 5 § 4, puisque les enfants se trouvent dépourvus du droit de contester leur propre placement en détention ; CEDH, sect. V, 19 janv. 2012, Popov c. France, req. nos 39472/07 et 39474/07 : JCP, 2012, n° 221, obs. F. Sudre ; Dr. famille, 2012, comm. n° 43, note M. Bruggeman ; AJDA, 2012, p. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D., 2012, p. 363, obs. C. Fleuriot ; ibid., p. 864, entretien S. Slama ; ibid., p. 2267, chron. A. Gouttenoire ; ibid., 2013, p. 324, chron. K. Parrot ; AJP, 2012, p. 281, note S. Slama ; Rev. crit. DIP, 2012, p. 826, comm. K. Parrot ; § 122 et s.], au visa de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, est licite, à condition de « caractériser, en l’espèce, un traitement inhumain ou dégradant », ce que ne constitue pas, par principe, la rétention administrative du très jeune enfant [Cass. civ. I, 10 déc. 2009, n° 08-14.141 : Bull. civ. I, n° 249 ; AJDA, 2010, p. 435, avis P. Chevalier ; Rev. crit. DIP, 2010, p. 116, note S. Corneloup ; Constitutions, 2010, p. 260, obs. P. Chevalier ; JCP, 2010, n° 127, note N. Guimezanes ; Dr. Famille, 2010, ét. n° 14, comm. M. Farge. En l’espèce, le juge du fond s’était prononcé par des motifs abstraits à savoir « des conditions de vie anormales imposées à ce très jeune enfant quasiment dès sa naissance, après avoir été gardé à vue avec sa mère, et, d'autre part, de la grande souffrance morale et psychique infligée à la mère et au père par cet enfermement, souffrance manifestement disproportionnée avec le but poursuivi, c'est-à-dire la reconduite à la frontière ». L’enfant détenu avec ses parents était âgé de deux mois et demi. V. cependant pour un arrêt apparaissant en retrait, Cass. civ., 28 mars 2012, n° 10-26.141 : inédit et v. pour l'admission de la rétention du jeune mineur, au motif que le juge du fond a caractérisé que les conditions de détention étaient adaptées, Cass.civ.I, 30 avr. 2014, nos 13-11.587 et 13-11.589 : inédits]. Au final, le Tribunal des conflits a indirectement consacré le pouvoir du juge judiciaire de refuser de prolonger la rétention en raison de conditions de détention indignes [T. confl., 29 déc. 2004, pft Deux-Sèvres c. TGI Niort, n° 3429 : Rec. CE ; AJDA, 2005, p. 1011, note L. Domingo. Concernant l’action destinée à permettre le constat de la preuve des conditions matérielles de détention de l’étranger, le Tribunal des conflits confirmait la compétence judiciaire de l’action, dès lors que le constat pouvait être soumis au juge judiciaire saisi pour prolonger la rétention administrative]. Certaines décisions du juge judiciaire ont pris en compte des atteintes à la dignité de la personne détenue, pour justifier de l’octroi de mesures d’aménagement de peine, même si les seules conditions matérielles de détention n’étaient pas utilisées [Cass. crim., 25 nov. 2009, n° 09-82.971 : Bull. crim., n° 197 ; AJP, 2010, note M. Herzog-Evans. Sur le fondement de l’article 3, la Cour de cassation avait reproché au juge du fond d’avoir rejeté la demande de placement sous surveillance électronique du condamné, « sans rechercher si, compte tenu de son handicap, il ne serait pas exposé, en raison des conditions effectives de détention dans un […] établissement pénitentiaire, à une détresse ou à une épreuve qui excéderait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention », si bien que le critère, plutôt lié à l’état de santé incompatible, au regard de la décision, apparaissait bien comme un des principes devant guider l’aménagement des peines. – TGI Bobigny, 26 mai 2011 : AJP, 2013, p. 113, obs. M. Herzog-Evans. Le juge du fond octroyait une libération conditionnelle, sur le seul fondement de l’atteinte à la dignité humaine, même si de nouveau, le juge utilisait un pan de l’article 3 différent des conditions matérielles de détention indignes, sa décision s’appuyant sur les brimades subies par le demandeur en détention de la part d’un surveillant]. Plus récemment, la Chambre d’application des peines de Montpellier a accordé un aménagement de peine en visant directement l’état de surpopulation de l’établissement pénitentiaire dans lequel le demandeur était détenu [CA Montpellier, CHAP, 18 juin 2014, n°14/00566 : AJP, 2014, p. 494, comm. A. Ponseille : parmi d’autres éléments, le juge du fond notait « qu'il s'agit donc de l'exécution d'une très courte peine privative de liberté au cours de laquelle, il ne pourra pas être préparé un projet visant à l'insertion ou la réinsertion de la personne condamnée dès lors que l'exécution d'une peine dans un établissement pénitentiaire confronté à une situation de surpopulation, contribue à altérer son efficacité en limitant l'accès aux activités » et que la mesure d’aménagement était, « dans ce contexte désocialisant, seule à même d'assurer une exécution de la sanction pénale dans des conditions qui préservent la dignité humaine »]. Le législateur a lui-même accompagné ce mouvement, modifiant en 2014 l’article 707 du Code de procédure pénale, qui rassemble les principes généraux de l’application des peines, lequel précise désormais que :
« toute personne condamnée incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire ».
Il est dommage que la Cour européenne des droits de l’Homme reste étrangère à ce mouvement, alors que les particularités de l’espèce semblaient appropriées à la consécration d’une inclinaison dans cette direction.

6. La confirmation de l’inefficacité du recours en excès de pouvoir pour assurer la protection de la dignité du détenu. La Cour européenne des droits de l’Homme a écarté également que le recours en excès de pouvoir puisse servir de recours interne utile à la contestation des conditions matérielles de détention actuelles. Elle aurait pu se contenter de mettre en avant la lenteur du recours. Le recours en protection de la dignité suppose une particulière rapidité pour pouvoir mettre fin au plus vite au traitement inhumain et dégradant [et un effet suspensif même parfois ; v. CEDH, sect. V, 2 févr. 2012, I. M. c. France, req. n° 9152/09 : JCP, 2012, n° 222, obs. L. Milano ; AJDA, 2012, p. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen ; JCP A, 2012, n° 2212, comm. G. Marti ; D., 2013, p. 324, chron. S. Corneloupou ou CEDH, gde ch., 21 janv. 2011, M. S. S. c. Belgique et Grèce, req. n° 30696/09 : Rec. CEDH, 2011 : JCP, 2012, doctr. n° 924, chron. F. Sudre ; AJDA, 2011, p. 138, obs. M.‑C. de Montecler ; AJDA, 2011, p. 1993, chron. L. Burgorgue-Larsen], si bien qu’il doit présenter « des garanties minimales de célérité » [Payet : préc. ; § 131], ce que la Cour a rappelé en l’espèce dans la mise à l’écart du recours de la demande en remise en liberté,  notant en l’espèce qu’à supposer que la Cour de cassation se soit montrée favorable à la prise en compte des conditions matérielles de détention, le requérant aurait pu espérer, après renvoi, obtenir la levée de la privation de liberté plus de cinq mois après l’introduction de son action [Yengo : préc. ; § 65]. De ce point de vue, la hausse récente du contrôle du juge administratif sur le placement en cellule disciplinaire saisi d’un recours en excès de pouvoir apparaît peu décisive en cas d’atteinte à la dignité du détenu [CE, 1er juin 2015, Boromée c. Min. justice, n° 0380449 : Rec. CE : v. nos obs. ici].
La Cour européenne des droits de l’Homme a choisi d’écarter la voie de l’excès de pouvoir en ce que « l’état de surpeuplement de la prison concernée […], la seule sur le territoire de Nouvelle-Calédonie, ne permettait pas, en tout état de cause, d’envisager que l’administration pénitentiaire puisse réagir à une demande de changement de cellule ou de transfèrement de la part du requérant » [Yengo : préc. ; § 67]. Il est vrai qu’en cette matière, qu’il s’agisse d’un transfèrement forcé ou d’une mesure sollicitée par le détenu et refusée par l’administration [CE, 13 nov. 2013, n° 338720, X. c. Min. justice], la théorie de la mesure d’ordre intérieur perdure, sauf en cas de déplacement entre établissements de nature différente, tout établissement pour peine étant considéré comme de nature identique par principe [CE, 3 juin 2009, Boussouar, n° 310100 : Rec. CE, T., p. 823 ; AJDA, 2011, p. 678, note M. Poujol – v. contra pour le cas particulier du centre de détention de Casabianda, qui fonctionne sur un régime de détention ouvert, si bien que le transfèrement du détenu de l’établissement à un autre centre de détention pratiquant un régime de détention de droit commun ouvre droit au contrôle, CE, 13 nov. 2013, n° 355742, Puci, Garde des sceaux, ministre de la justice] ou d’atteinte à une liberté fondamentale [v. pour le rejet d’un référé-suspension visant la liberté à mener une vie familiale normale, CE, 27 mai 2009, Miloudi, req. n° 322148 : Rec. CE ; Gaz. Pal., 23 juin 2009, p. 12, note M. Guyomar], le contrôle du juge étant perfectible [v. P. Poncela, op. cit.]. Toujours est‑il que l’empêchement d’un changement de cellule ou d’un transfèrement garantissant l’octroi de meilleures conditions de détention devait d’abord servir à fonder par exception un droit à la libération, pour constat de l’impossibilité de mettre un terme au traitement inhumain et dégradant sans suspension de la privation de liberté. S’il n’existe pas de droit à la libération du fait de l’indignité des conditions matérielles de détention, il ne peut être tiré non plus de l’arrêt de droit à être transféré dans une autre cellule ou un autre établissement assurant des meilleures conditions de détention [v. également infra, n° 8].

7. La consécration apparente des référés administratifs comme recours utiles en contestation de l’indignité des conditions matérielles de détention. Restait donc la voie des référés administratifs, qui prennent certes de la consistance en matière d’atteinte à la dignité des détenus, mais restent soumis à des conditions restrictives comme l’urgence ou l’évidence. La Cour européenne des droits de l’Homme a constaté en l’espèce qu’ils n’étaient pas utiles pour le détenu, ce dont elle avait déjà douté dans sa décision Lienhardt [préc. : « par ailleurs, la Cour estime que le Gouvernement n’apporte pas d’éléments suffisamment déterminants pour la convaincre que tant le référé liberté devant le juge administratif que le recours en excès de pouvoir, également devant ce juge, fût-il assorti d’une demande de suspension immédiate en référé, constituent des voies de recours permettant de remédier à une situation analogue ou comparable à celle alléguée par le requérant »]. Mais elle a semblé en même temps indiquer que ces référés pourraient à l’avenir être considérés comme un recours utile au regard des fameuses jurisprudences concernant la prison des Baumettes, nées après l’action du requérant critiquant la dignité de ses conditions de détention dans le cadre de la demande de remise en liberté. Dans ces affaires, saisi d’un référé-liberté, le juge du fond [TA Marseille, 13 déc. 2012, Section française de l'observatoire international des prisons, n° 1208103 : AJDA, 2012, p. 2414, obs. D. Necib. La requête visait à contraindre l’administration à faire examiner l’ensemble du système électrique, à retirer l’ensemble des objets susceptibles de présenter un danger pour les détenus dans les cellules, notamment des bris de verre, à procéder à la désinfection et à la dératisation des locaux, de remplacer les ampoules défectueuses, d’assurer l’accès à l’eau courante dans les cellules, d’améliorer le système de distribution des repas pour éviter tout contact avec le sol et enfin d’enlever les ordures et les détritus] avait accueilli certaines demandes et formulé des injonctions à l’administration [il avait enjoint à l’administration pénitentiaire « de contrôler que chaque cellule dispose d’un éclairage artificiel et d’une fenêtre en état de fonctionnement », de « faire procéder à l’enlèvement des détritus présents dans les parties collectives et les cellules » et de « modifier immédiatement les méthodes de distribution des repas pour que ces derniers ne soient pas entreposés sur le sol, ni à proximité des poubelles », soit des éléments, apparaissant certes dérisoires, mais servant bien à caractériser la violation du standard minimum consacré par la Cour européenne des droits de l’Homme], en se référant aux recommandations rendues précédemment par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté [Recommandations en urgence du 12 nov. 2012 relatives au centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille : J. O., 6 déc. 2012], aussi bien pour caractériser la condition de l’urgence, que la preuve des atteintes « au droit des personnes détenues à ne pas être victimes de traitements inhumains et dégradants » [à l’inverse, le juge du fond avait écarté au regard des recommandations l’absence d’un « péril imminent » pour la vie des détenus, excluant une atteinte au droit à la vie consacré par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme et du citoyen, si bien qu’il rejetait les demandes d’injonction concernant l’inspection du système électrique et la fouille des cellules, pour retirer l’ensemble des objets dangereux pouvant s’y trouver. Quant aux conditions matérielles de détention indignes, le juge du fond avait écarté les demandes d’injonction concernant la dératisation de l’établissement, au regard de l’existence « d'un contrat de prestations de dératisation et de désinsectisation ». De même, le juge du fond rejetait les demandes tendant à l’accès à l’eau potable et à l’installation d’éclairage dans les parties communes de l’établissement, au regard de l’absence de précisions sur ces points dans les recommandations.], ce dernier étant reconnu comme une liberté fondamentale. Saisi pour la partie des demandes rejetées par le juge du fond, le Conseil d’État [CE, réf., 22 déc. 2012, Sect. Fr. OIP, n° 364584 : Rec. CE ; D., 2013, p. 1304, chron. É. Péchillon ; AJP, 2013, p. 232, obs. É. Péchillon ; JCP, 2013, n° 87, note O. Le Bot ; ADL, 27 déc. 2012, note S. Slama ; JCP A, 2013, n° 2017, obs. G. Koubi] a confirmé l’application du référé-liberté au contentieux, en se référant au principe législatif de la dignité [l’article 22 de la loi pénitentiaire prévoit que « l'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits »] et à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme [le juge administratif utilisait également l’article 2 de la Convention pour viser les hypothèses où les conditions matérielles de détention présenteraient directement un risque pour la vie du détenu], pour qualifier le « droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants » de liberté fondamentale [il reconnaissait aussi l’utilité du recours pour neutraliser les conditions matérielles de détention générant « un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes », sur le fondement du droit à la vie]. Le Conseil d’État, en considération de la situation du détenu, de sa vulnérabilité et de sa dépendance, a établi l’obligation légale pour l’administration de prendre toutes les mesures utiles pour prévenir tout traitement inhumain et dégradant, dans un raisonnement qui n’était pas sans rappeler l’obligation positive dégagée par la Cour européenne des droits de l’Homme dans l’arrêt Kudla [CEDH, gde ch., 26 oct. 2000, Kudla c. Pologne, req. n° 30210/96 : Rec. CEDH, 2000-XI ; AJDA, 2000, p. 1006, chron. J.-F. Flauss ; RFDA, 2001, p. 1250, chron. H. Labayle et F. Sudre ; § 94 : « l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrances inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate »] : seule la démonstration de la carence de l’administration, « qui […] expose [les personnes détenues] à être soumises, de manière caractérisée » au traitement inhumain et dégradant, justifie que le juge administratif adopte les injonctions nécessaires au rétablissement des conditions de détention conformes. C’est une appréciation souple des conditions du référé-liberté qui est posée, s’inspirant sans doute de la collaboration établie entre la Cour européenne des droits de l’Homme et le Comité de prévention contre la torture et aboutissant, en quelque sorte, à ce que l’autorité juridictionnelle sanctionne les recommandations, pourtant non obligatoires, de l’autorité dotée d’un pouvoir d’investigation. De surcroît, l’usage du référé-liberté n’apparaissant pas subordonné à la démonstration d’une violation précise d’une disposition interne, la jurisprudence nationale rappelle la valeur quasi normative du standard européen. Le mouvement a été renforcé par l’admission, toujours concernant la prison des Baumettes, d’un référé « mesures utiles » [l’article L. 521-3 du Code de justice administrative permet au juge administratif des référés, « en cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable », d’« ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ». La section française de l’Observatoire international des prisons demandait au juge de « procéder à la fermeture des bâtiments A, B et D à titre conservatoire, dans l'attente de la réalisation des travaux », de « prendre toutes les mesures nécessaires à l'arrêt de toute nouvelle affectation au sein des bâtiments A, B et D, à compter de l'ordonnance à intervenir », de « prendre les mesures nécessaires pour assurer le changement d'affectation des personnes détenues au sein des bâtiments A, B et D dans le respect du droit au maintien de leurs liens familiaux », de « procéder, au besoin après avoir ordonné une expertise aux travaux indispensables à l'accueil des détenus »], par le juge du fond [TA Marseille, 10 janv. 2013, Sect. Fr. OIP, n° 1208146 : AJDA, 2013, p. 80, obs. D. Necib], qui a imposé à l’administration de prendre des mesures conservatoires, « pour prévenir ou faire cesser un péril dont il n’est plus sérieusement contestable qu’il trouve sa cause dans l’action ou la carence de l’autorité publique », en se fiant de nouveau à l’obligation de respecter la dignité du détenu, tant au regard de sa consécration législative, qu’au regard des dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme, et aux conclusions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté [le juge du fond accentuait encore l’étendue de ses injonctions, enjoignant à l’administration « de procéder aux travaux indispensables en matière d’étanchéité du bâtiment D », de réaliser « l’installation de cloisons d’intimité dans 161 cellules », de « mettre à exécution la deuxième phase des travaux de mise en conformité électrique tels que demandés par la sous-commission sécurité incendie des Bouches‑du‑Rhône » et de procéder à « la remise en état des monte-charges destinés au transport des déchets », cette dernière mesure visant expressément à assurer l’efficacité des injonctions prises par le Consei1 d’État précédemment concernant le même lieu. Le juge administratif fixait même un délai de trois mois à l’administration pour débuter les travaux. En revanche, les demandes tendant à la fermeture des plusieurs ailes du bâtiment et à la modification d’affectation des détenus présents dans ces ailes, étaient écartées pour outrepasser le pouvoir d’injonction du juge des référés, limité par la loi, celui-ci ne pouvant « faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative »]. Un nouveau jugement en amélioration des conditions de détention a été rendu par le Tribunal administratif de Fort-de-France le 17 octobre 2014 [TA Fort-de-France, 17 oct. 2014, Sect. Fr. OIP, n° 1400673 : D., actu., 24 oct. 2014, obs. M. Léna]. Les requérants, outre des demandes d’injonction en travaux de réfection pour remédier à la vétusté et à l’insalubrité, avaient aussi demandé au juge d’allouer des moyens techniques, financiers et humains aux différents services intervenant en milieu pénitentiaire pour leur permettre d’assurer leurs missions, et notamment d’accroître le taux de mesures d’aménagement de peine prononcées, ce qui était indirectement un moyen de souligner la surpopulation de l’établissement pénitentiaire, et d’exiger de le traiter, non sans malice, par le déploiement de moyens à la hauteur. Si les injonctions du juge ont essentiellement résidé dans des mesures de réfection, les mêmes mesures élémentaires que celles rendues dans l’affaire des Baumettes [lutte contre les animaux nuisibles, gestion des ordures, aménagement des cours de promenade, réfection des cellules, distribution de produits d’hygiène, entretien des cellules], le juge a aussi imposé la présence à temps plein d’un médecin généraliste supplémentaire et la mise en place d’un système de garde médicale pour la nuit et la fin de semaine [ibid., § 36], sans se fonder sur le moindre avis du Contrôleur général. Ce dernier jugement montre déjà un progrès notable.

8. La surpopulation et la médiation européenne. Voilà donc les recours – référé-liberté et référé mesures utiles – qui seraient efficaces, pour l’avenir en tout cas, la sanction du droit français tenant à ce que l’action du requérant s’inscrivait avant cette avancée du droit interne : la Cour européenne des droits de l’Homme affirmait ne pas exclure que « le constat fait par [le Contrôleur général des lieux de privation de liberté] lors de sa visite du centre pénitentiaire de Nouméa en octobre 2011 aurait pu suffire à établir la condition d’urgence requise par l’article L. 521‑2 du CJA et déclencher l’intervention du juge des référés en l’espèce » [Yengo : préc. ; 68].
Et c’est ici que l’arrêt Yengo est sans doute le plus décevant pour laisser penser que contre « l’état de surpeuplement de la prison concernée […], la seule sur le territoire de Nouvelle-Calédonie » [Yengo : préc. ; § 67], l’action en obtention de mesures élémentaires de réfection ou d’assainissement (un pansement ?) caractérise un droit de recours efficace devant le juge national. Car on voit mal comment le référé-liberté ou le référé mesures utiles permettrait de résoudre le problème de la surpopulation, critère central de la caractérisation des conditions matérielles de détention indignes, tant elle obère la totalité du régime de la privation de liberté. Il faut en déduire que la soumission à des conditions matérielles de détention indignes n’ouvre ni un droit à la libération, ni un droit d’être préservé de la surpopulation pénitentiaire. Il y a au moins ici une cohérence, puisque la consécration du second imposerait sans doute la consécration du premier.

Définitivement, le traitement de la surpopulation est donc abandonné au niveau européen à la procédure d’arrêt-pilote, ceux-ci se multipliant, au moins [v. ici]. La Cour européenne des droits de l’Homme préfère ainsi installer un processus de médiation ou de collaboration avec l’État, celui-ci conservant une marge d’appréciation dans le choix des mesures à adopter pour remédier à la situation, la Cour ne faisant que des recommandations – qui ne surprennent guère ! – tenant au caractère exceptionnel de la détention provisoire ou à l’usage préférentiel de sanctions de nature non privative de liberté [v. par ex. Varga : préc. ; § 104 et s.]. Le droit français est-il sous la menace ? Sans doute, dès lors que les condamnations se sont multipliées ces dernières années sur l’ensemble des pans de la protection de la dignité des détenus [v. pour le dernier exemple sur des carences dans les soins apportés en détention, CEDH, sect. V, 19 févr 2015, Helhal c. France, req. n° 10401/12]. Alors, l’arrêt Yengo pourrait être un sursis, tant on voit mal comment la France pourrait échapper à un arrêt-pilote, en cas de constat futur prévisible de l’insuffisance des référés administratifs à assurer la protection de la dignité des détenus.

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