mardi 22 septembre 2015

[obs.] L’arrêt A. T. contre Luxembourg est devenu définitif

Le collège a refusé, le 14 septembre 2015, de saisir la Grande chambre de l’affaire A. T. c. Luxembourg [CEDH, sect. V, 9 avr. 2015, A. T. c. Luxembourg, req. n° 30460/13 ; v. notre comm. ici], rendant de ce fait l’arrêt de Section définitif [au cours de la même séance, le collège a accepté de renvoyer devant la Grande chambre l’affaire Lhermitte ; v. notre comm. de l’arrêt de Section sur la question de la motivation de la peine de réclusion criminelle]. Pourtant, celui-ci a  – volontairement ou non – adopté un raisonnement propice à l’examen de la Grande chambre sur la question de l’accès de l’avocat du suspect au dossier pendant la garde à vue. En effet, si la Section a semblé poser un principe général – « l’article 6 de la Convention ne saurait être interprété comme garantissant un accès illimité au dossier pénal dès avant le premier interrogatoire par le juge d’instruction, lorsque les autorités nationales disposent de raisons relatives à la protection des intérêts de la justice suffisantes pour ne pas mettre en échec l’efficacité des investigations » ; ibid., § 81 –, cette contribution résonne plutôt comme une proposition, puisque la Cour n’a pas véritablement appliqué aux faits d’espèce le principe fraichement forgé. Autant dire qu’un arrêt de la Grande chambre était utile, non seulement pour valider ou amender le principe ainsi proposé, mais aussi, dans le premier cas, pour fixer les rudiments de son application, l’arrêt de Section étant sur ce point muet.

L’ambiguïté laissée par l’arrêt A. T. demeure donc. Les optimistes – si l’on défend l’accès de l’avocat au dossier dès la garde à vue – pourront soutenir que le principe se trouve implicitement validé et qu’il reste désormais à la jurisprudence, dans son dynamisme et son œuvre créatrice, d’en dresser les limites. Mais des principes aux allures de coquilles vides, il en existe dans la jurisprudence européenne, en matière des droits du gardé à vue [faut-il rappeler l’incidente de l’arrêt Dayanan, encore citée par l’arrêt A. T., qui en opère pourtant la réduction], et ailleurs dans le droit de la privation de liberté [v. par exemple pour le contrôle du quantum manifestement disproportionné de la peine privative de liberté, qui, nous semble‑t-il, n’a pas encore fondé de condamnation, CEDH, gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autre c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10].

En tout cas, il n’en reste pas moins, qu’au regard des conditions autorisant le renvoi de l’affaire devant Grande chambre, le problème de l’accès au dossier de l’avocat du suspect pendant la garde à vue, au cœur de l’arrêt de Section,  ne soulève pas « une question grave relative à l'interprétation ou à l'application de la Convention ou de ses protocoles, ou encore une question grave de caractère général » [art. 43 CEDH]. Dès lors, le rejet du renvoi comme l’analyse approfondie de l’arrêt de Section [v. notre comm. préc. ; pour le reste, nous nous contenterons de rappeler que l’arrêt de Section a procédé à la relativisation de l’arrêt Sapan, précédent de la Cour le plus en faveur d’un large accès au dossier de l’avocat du suspect pendant la garde à vue] se combinent et établissent qu’en l’état, la question des droits de la défense du suspect en garde à vue n’est plus un front en pointe dans la jurisprudence européenne [v. pour la question du suspect entendu librement, dont l’état de la jurisprudence européenne est aussi décevant, CEDH, sect. II, 16 juin 2015, Schmid-Laffer c. Suisse, req. n° 41269/08 : notre comm. ici].

À condition qu’une telle évolution ne serve pas au Collège, insidieusement, à se substituer à la Grande chambre, l’invitation faite à la Cour, à l’issue de la Conférence de haut-niveau de Bruxelles, de motiver « de manière brève » la décision de refus de renvoi du Collège [v. la Déclaration de Bruxelles du 27 mars 2015, p. 4] semble bienvenue, pour clarifier les principes guidant son adoption et mieux cerner sa portée, qui, comme dans notre cas, n’est pas toujours exempte d’ambivalence [le sens d’une décision de refus de renvoyer soulève également des interrogations, lorsqu’un arrêt de section formule un apport si important qu’il est digne de confirmation par la Grande chambre ; l’on songe ici, par exemple, à l’arrêt Shcherbina, qui a réalisé une avancée importante vers la généralisation de l’Habeas corpus européen – v. notre comm. ici –, mais dont le renvoi devant la Grande chambre a été rejeté, alors que le même arrêt a fait l’objet, par ailleurs, d’une mention au rapport annuel].

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