dimanche 18 octobre 2015

[obs.] La légalité, le travail pénitentiaire et l’exécution des peines : les résurgences du passé [à propos de Cons. const., déc. n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015, M. Johny M.]


1. L’examen du champ de la légalité et de la suffisance des garanties législatives encadrant le travail pénitentiaire. C’est encore sur le pan de la légalité que le régime du travail pénitentiaire a été attaqué récemment au moyen d’une question prioritaire de constitutionnalité, et celui a été validé, une nouvelle fois, le 25 septembre 2015 par le Conseil constitutionnel [Cons. const., déc. n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015, M. Johny M. - Acte d'engagement des personnes détenues participant aux activités professionnelles dans les établissements pénitentiaires], après une première validation en date du 14 juin 2013 [Cons. const., déc. n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013 ; D., 2013, p. 1221, obs. S. Slama ; ibid., p. 1909, F. Chopin ; Procédures, 2013, comm. 266, obs. J. Buisson]. La question de la légalité en matière pénitentiaire n’est pas anodine. Elle rappelle d’abord que le droit pénitentiaire – surtout la délimitation des droits des détenus et leur protection – a longtemps souffert d’un enchevêtrement de sources de faible valeur normative et d’un défaut de contrôle juridictionnel, notamment à cause de la théorie des mesures d’ordre intérieur. La prison n’est pas encore totalement débarrassée du défaut d’encadrement légal des libertés [on pense ici, notamment, à la liberté religieuse ; v. ci-dessous, n° 7] L’administration crée toujours ex nihilo de véritables régimes sécuritaires, dérogatoires au droit commun, qui amoindrissent les droits des condamnés [v. pour l’annulation de la note créant le régime des rotations de sécurité, CE, 29 févr. 2008, n° 308145 – v. l’avis critique du Contrôleur général des lieux de privation de liberté sur l’expérimentation du regroupement des détenus prosélytes]. Cette exception pénitentiaire ne concerne pas que les sources du droit et se retrouve aussi dans le contrôle du juge sur l’activité de l’administration, et s’il n’est plus vraiment nécessaire de rappeler les progrès réalisés en la matière [M. Guyomar, « Le juge administratif, juge pénitentiaire » ; in Terres du droit, Mélanges Jegouzo, Dalloz, 2009, p. 471], tant ils ont été mis en avant, il faut aussi rappeler que son office reste parfois inférieur à son action dans d’autres matières [v. pour le très récent abandon du contrôle limité à l’erreur d’appréciation manifeste pour le contrôle de la sanction pénitentiaire, celui-ci restant cependant dans la matière du recours en excès de pouvoir, CE,1er juin 2015, Boromée c. Min.justice, n° 380449 : Rec. CE : nos obs.]. Dans les sources comme dans son action, l'administration pénitentiaire bénéficie encore d'une marge d'appréciation, et l’intensité de la légalité intéresse toujours pour constater de sa réduction ou de son maintien, pour identifier les progrès acquis au fil du temps ou au contraire les résurgences du passé.

La critique de la légalité ne se cantonne plus à un aspect organique, et en matière de question prioritaire de constitutionnalité, elle ne peut d'ailleurs pas se limiter à cet aspect le plus simpliste de la notion, puisque la « méconnaissance » par le législateur de sa compétence doit « [affecter] par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ». Sur un plan matériel, attaquer le vice de légalité revient alors à critiquer l'insuffisance des garanties qu'il appartient au législateur d'adopter pour protéger les droits et libertés constitutionnellement garantis. Dans la décision de 2015, les requérants et la partie intervenante ont critiqué l’article 33 de la loi pénitentiaire, tout en arguant que « les dispositions contestées, en n'organisant pas le cadre légal du travail des personnes incarcérées, privent ces personnes de l'ensemble des garanties légales d'exercice des droits et libertés reconnus par les cinquième à huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi que de ceux reconnus par les dixième et onzième alinéas de ce Préambule ». Critiquer l'incompétence négative du législateur en visant des dispositions législatives existantes, comme en l'espèce, revient donc à obtenir une censure de leur insuffisance et l'obligation pour le législateur de refondre le régime applicable dans le sens d’une plus grande protection. Dès lors, et c’est ce qui fait leur grande importance, les principes directeurs de la légalité ne servent pas seulement à distinguer l’étendue de la compétence du législateur par rapport à celle du pouvoir réglementaire [on pense immédiatement ici à la répartition organisée par les articles 34 et 37 de la Constitution], mais aussi à contrôler que le législateur a adopté une législation suffisamment protectrice des droits et libertés fondamentaux des détenus. Du fait de l’existence d’une première décision récente sur le travail pénitentiaire, la survenue d’une nouvelle décision en 2015 impose un examen comparé de celles-ci, dans l’objectif de rechercher une éventuelle inclinaison de la jurisprudence constitutionnelle, malgré des solutions identiques. Mais les différents éléments d’analyse tirés de ces décisions doivent être replacés dans la jurisprudence plus globale du Conseil constitutionnel, notamment pour identifier si l’importante question du travail pénitentiaire fait l’objet d’un traitement particulier dans le contrôle de la légalité de l’exécution des peines. Les limites importantes réduisant la légalité, malgré les progrès, témoignent des résurgences d’un passé proche pour la nouvelle validation du régime du travail pénitentiaire et d’un passé lointain pour son bilan plus général en matière d’exécution des peines.

Les résurgences d’un passé proche : la nouvelle validation constitutionnelle du régime du travail pénitentiaire

2. Un nouvel examen du régime du travail pénitentiaire. Forcé et rude, le travail pénitentiaire participe d’une conception humiliante et afflictive de la peine privative de liberté. Volontaire et suffisamment valorisé, le travail pénitentiaire participe de la préparation de la réinsertion [ce lien entre le travail pénitentiaire et « la préparation à la réinsertion du condamné » justifie d’ailleurs pour le Tribunal des conflits que le litige né du travail pénitentiaire entre le détenu et l’État ou même l’entreprise privée concessionnaire relève de la juridiction administrative ; Trib. confl., 14 oct. 2013, n° C3918 : Rec. CE]. Il entretien l’employabilité du condamné et la rémunération permet de constituer un pécule de sortie, comme elle facilite aussi l’indemnisation des victimes ou le paiement des sommes dues au Trésor public. Autant dire que la question de l’encadrement du travail pénitentiaire, importante, éclaire aussi sur le sens donné à la peine privative de liberté. Mais la constitutionnalité de la législation encadrant le travail pénitentiaire a déjà été tranchée par le Conseil constitutionnel en 2013 [déc. n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013 : préc.]. La question posée à l’époque s’approchait beaucoup de celle tranchée en 2015, sauf que, plutôt que de critiquer l’existant – l’insuffisance de la protection offerte par l’article 33 de la loi pénitentiaire, spécialement adapté au contexte carcéral, et de l’acte d’engagement qu’il impose – comme dans l’affaire la plus récente, les requérants en 2013 avaient directement attaqué l’inexistant – l’absence de contrat de travail, donc d’application du droit commun du travail, expressément édictée par l’article 717-3 du Code du travail [selon les requérants d’alors, « en excluant que les relations de travail des personnes incarcérées fassent l'objet d'un contrat de travail, sans organiser le cadre légal de ce travail, le législateur prive ces personnes de toutes les garanties légales d'exercice des droits et libertés reconnus par les cinquième à huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 »].
Dans les deux affaires, ce sont les mêmes principes constitutionnels dont la violation était invoquée du fait de l’incompétence négative, « les cinquième à huitième aliénas du Préambule de la Constitution de 1946 », ceux qui reconnaissent des droits sociaux au travailleur libre [soit le droit à l'emploi, à la liberté syndicale, au droit de grève et au principe de participation des travailleurs, pour reprendre les termes de l’arrêt de renvoi ; CE, 6 juil. 2015, n° 389324 – le juge administratif a cependant refusé de transmettre une question relative au dernier aliéna de l’article 717-3 du Code de procédure pénale, qui fixe les principes d’une rémunération minimale, mais renvoie à un décret la fixation du taux horaire, au motif que la disposition n’est pas applicable au litige, qui concernait une procédure de déclassement] et qui ne sont aucunement spécifique au monde pénitentiaire [si, en 2015, les requérants ont également appuyé leur critique de la législation du travail en prison en visant les normes constitutionnelles liées à la protection sociale, soit les dixième et onzième alinéas du même Préambule, le Conseil constitutionnel a rapidement évacué le problème, dès lors que l’article 33 de la loi pénitentiaire est étranger à ces considérations]. En l’espèce, si était critiqué le seul article 33 de la loi pénitentiaire, le Conseil constitutionnel en a profité pour réinjecter dans son examen d’autres dispositions législatives encadrant le travail pénitentiaire, comme l’article 717-3 du Code de procédure pénale et l’article 22 de la loi pénitentiaire, et a ainsi réalisé une analyse plus globale. La critique de l’incompétence négative, qui entraîne finalement un examen de la législation plus large que les simples dispositions visées, afin d’apprécier l’intensité de la protection législative d’une liberté fondamentale, avait abouti, déjà en 2013, à ce que le Conseil constitutionnel, même visant dans son dispositif la seule « première phrase du troisième alinéa de l'article 717-3 du code de procédure pénale », cite dans son raisonnement l’article 33 de la loi pénitentiaire, objet de la question de 2015, comme en 2015, le Conseil constitutionnel, même visant dans son dispositif le seul article 33 de la loi pénitentiaire, a cité dans son raisonnement l’article 717-3 du Code de procédure pénale, objet de la question de 2013. Et entre 2013 et 2015, aucune des deux dispositions n’a été modifiée. Au final, on en viendrait presque à douter que la question posée en 2015 soit véritablement nouvelle et sérieuse [art. 23-4 de l’ordonnance modifiée n° 58-1067 du 7 nov. 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel]. Cependant, et strictement, c’est bien deux dispositions distinctes – et même une simple portion d’article dans un cas – qui ont été examinées par le Conseil constitutionnel, l’article 33 de la loi pénitentiaire et la première phrase du troisième alinéa de l’article 717-3 du Code de procédure pénale. De même que, si la première décision de 2013 tranchait la question de l’application du droit commun au travail pénitentiaire, la question de 2015 revenait plutôt à revendiquer l’adoption d’un statut intermédiaire, plus protecteur que celui de droit positif, mais moins protecteur que celui du droit commun du travail. Toujours est-il que ce double échec, par le versant nord et le versant sud, semble définitivement clore le débat constitutionnel.

3. La persistance d’une conception amoindrie de la légalité pour le travail pénitentiaire. Il ressort de ces deux décisions que l’encadrement minimal du législateur du travail pénitentiaire, principalement aux articles 22 et 33 de la loi pénitentiaire, ainsi qu’aux articles  717-3 et 718 du Code de procédure pénale, suffit à épuiser sa compétence, tant sur le plan organique, quant à l’étendue de la législation, que sur la plan matériel, quant aux garanties qu’elle accorde. Avant d’analyser plus précisément les principes directeurs de la légalité forgés par le Conseil constitutionnel, l’inventaire du droit pénitentiaire du travail est éloquent sur la pauvreté de la législation et la faiblesse de la protection qu’elle offre aux détenus. En effet, il suffit de comparer le contenu des dispositions applicables selon leur source [v. sur ce point le commentaire aux Cahiers], celles législatives [à savoir l’existence d’une obligation de moyens, mise à la charge de l’administration pénitentiaire, de fournir un emploi au détenu qui en fait la demande à l’art. 717-3 al. 2 du Code de procédure pénale ; l’interdiction que les produits du travail puissent faire l’objet de prélèvements destinés à régler des frais d’entretien et le renvoi au pouvoir réglementaire pour déterminer leur répartition entre les différentes parts du pécule à l’art. 717-3 al. 3 ; le principe de l’établissement d’une rémunération minimale pour le détenu et le renvoi au pouvoir réglementaire pour fixer le taux horaire minimal à l’art. 717-3 al. 4 ; la possibilité pour les détenus de travailler à leur propre compte avec l’accord du chef d’établissement à l’art. 718 ; la réalisation d’un acte d’engagement par l’établissement pénitentiaire, rappelant les droits et obligations professionnelles, les conditions de travail et la rémunération, ainsi que le bénéficie d’éventuels dispositifs d’insertion et le principe d’égalité d’accès à l’emploi et à son maintien entre le détenu valide et le détenu handicapé à l’art. 33 de la loi pénitentiaire] et celles réglementaires [à savoir la procédure pour demander un emploi à l’art. D. 423 du Code de procédure pénale ; les formes du travail pénitentiaire à l’art. D. 433-1 ; la possibilité de travailler pour une association de réinsertion à l’art. D. 432-3 ; le régime du travail au service général à l’art. D. 433-3 ; le régime du travail en concession aux art. D. 433-1 et s. ; l’incrimination en faute disciplinaire des mouvements pouvant entraver le travail aux art. R. 57-7-2 et R. 57-7-3 ; les taux horaires de rémunération minimale à l’art. D. 432-1 ; le principe du rapprochement, dans la mesure du possible, de la rémunération du travail pénitentiaire avec les standards extérieurs à l’art. D. 433 ; la durée du travail à l’art. D. 432-2 et à l’art. 15 du Règlement intérieur ; les critères du classement à un emploi à l’art. D. 432-3 ; les conditions de déclassement à l’art. D. 432-4 ; l’établissement de la suspension de l’emploi ou le déclassement comme sanctions disciplinaires à l’art. R. 57-7-34 ; la répartition des produits du travail entre les différentes parts du compte nominatif du détenu à l’art. D. 434 ; les différents principes concernant le règlement des charges et des cotisations sociales, l’application des règles d’hygiène et de sécurité ou de la législation sur les accidents du travail aux art. D. 433-4 et s.], pour se convaincre que l’étendue de la législation et la protection des droits des détenus qu’elle organise, estimées à deux reprises satisfaisantes par le Conseil constitutionnel, sont réduites à peau de chagrin ; et ce d’autant plus que la loi délègue deux fois directement sa compétence normative au pouvoir réglementaire [art. 717-3 al. 3 et al. 4 du Code pénal], ce qui altère l’étendue de la loi, et habilite une fois l’administration à fixer les « droits et obligations » du détenu travailleur [art. 33 de la loi pénitentiaire], ce qui altère la protection qu’elle fournit.
Pour une question pratiquement similaire à celle ayant donné lieu à la décision de 2013, il y a au moins une certaine logique à ce que le Conseil constitutionnel ait apporté une réponse similaire à la question posée en 2015, surtout à législation constante. Dans les deux décisions, on ne retrouve cependant pas les mêmes principes directeurs. Ainsi, le Conseil constitutionnel a employé, dans sa décision de 2015, deux principes directeurs [que nous désignerons ci-après comme le premier et le second, selon leur ordre d’apparition dans la décision du Conseil constitutionnel de 2015], qu’il convient de citer in extenso, dès lors qu’ils seront largement critiqués ci-après, alors qu’il s’était appuyé en 2013 sur un seul des deux principes [le premier] :

Premier principe directeur [déc. n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015 : préc. ; consid. n° 4] : « considérant que, d'une part, le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ; que la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle ; que, d'autre part, l'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ; qu'il appartient, dès lors, au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant le droit pénal et la procédure pénale, de déterminer les conditions et les modalités d'exécution des peines privatives de liberté dans le respect de la dignité de la personne ».

Second principe directeur [ibidem, consid. n° 5] : « considérant qu'il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux personnes détenues ; que celles-ci bénéficient des droits et libertés constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à la détention ; qu'il en résulte que le législateur doit assurer la conciliation entre, d'une part, l'exercice de ces droits et libertés que la Constitution garantit et, d'autre part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public ainsi que les finalités qui sont assignées à l'exécution des peines privatives de liberté ».

Concernant spécialement la question du travail pénitentiaire, la décision de 2015 réalise deux apports par rapport à celle de 2013, un éclaircissement et un retrait. Quant à l’éclaircissement, il faut rappeler qu’en 2013, le conseil constitutionnel avait estimé que les dispositions établissant l'absence d'existence d'un contrat au travail « ne portent, en elles-mêmes, aucune atteinte aux principes énoncés par le Préambule de 1946 », au regard du seul premier principe directeur, qui fonde la compétence du législateur sur le seul item du droit pénal et de la procédure pénale [« la loi fixe les règles concernant […] la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; »] – et non celui des garanties fondamentales [« La loi fixe les règles concernant […] les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques »] – de l'article 34 de la Constitution, et qui érige en même temps l’atteinte à la dignité comme limite infranchissable. Dès lors, la décision pouvait être interprétée comme laissant la marge la plus grande au législateur pour organiser le travail en prison, au regard de sa compétence au titre du droit pénal et de la procédure pénale, satisfaite par les quelques dispositions déjà citées, sans égard véritable pour les droits du travailleur tels qu'issus du Préambule de 1946, au point que l’application de ces droits semblait presque écartée du profit du travailleur-détenu – « ne portent […] aucune atteinte » –, au nom de l’autonomie du droit pénal – et même du droit pénitentiaire. De même que finalement, la matière du travail pénitentiaire, il est vrai volontaire, n’apparaissait pas comme susceptible de porter atteinte à la dignité du détenu [v. sur l’interprétation relativiste que nous faisons des principes directeurs quant à la légalité organique, ci-dessous, n° 5]. Sous cet angle, la décision s'inscrivait directement dans la conception ancienne de la peine privative de liberté, affectant la liberté d'aller et venir en même temps que les autres droits, quand la conception moderne reconnaît le seul retrait de la liberté individuelle et le maintien des autres, sous réserve des sujétions inhérentes à la détention. En réalité, il faut interpréter cette décision comme ayant considéré que l'absence de contrat de travail n'empêchait pas que le détenu ne bénéficie des droits des travailleurs, reconnus mais réduits du fait de l’état de détention, si bien que les dispositions litigieuses ne portent pas en « elles-mêmes », ou intrinsèquement, « atteinte » à ceux-ci et que le vide laissé par l'absence d'application du droit commun du travail est suffisamment rempli par les garanties instituées par les autres dispositions législatives [ce qui montre finalement que, dès 2013, la totalité du régime législatif était validé par le Conseil constitutionnel, dont l’article 33 de la loi pénitentiaire et l’acte d’engagement]. Car c’est finalement ce raisonnement que le Conseil constitutionnel réalise plus explicitement dans sa décision de 2015, à l’aide de la formulation du second principe, qui manquait à la décision de 2013 et qui reconnait nettement que les détenus « bénéficient des droits et libertés constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à la détention ». Autant dire que cet éclaircissement ne porte pas vraiment de progrès, tant les principes directeurs portent des exigences limitées en matière de légalité matérielle [v. ci-dessous, n° 6].
Quant au retrait, il faut constater que, si la première phrase du troisième aliéna de l’article 717-3 était validée en juin 2013 car elle ne portait pas « atteinte » aux droits constitutionnels, l’article 33 de la loi pénitentiaire est validé même s’il permet de telles atteintes, puisque l’administration pénitentiaire, dans l’acte d’engagement à la charge, d’«[énoncer] les droits et obligations professionnels » de la personne détenue, sans qu’aucune liste desdits droits et obligation dans leur fixation ne soient établies, l’administration ayant un pouvoir d’interprétation. Une telle disposition constitue une permission législative donnée à l’administration pénitentiaire de réduire, selon les cas, les droits constitutionnels du détenu, et celle-ci est directement validée par le Conseil constitutionnel. Ce dernier en a pleinement conscience, c’est pourquoi il ne conclut pas que les dispositions de l’article 33 ne portent pas en elles-mêmes atteinte aux droits du travail inscrits dans le préambule [à la différence de son raisonnement dans la décision de 2013 sur l’absence d’application du contrat de travail], mais il conclut que celles-ci « ne privent pas de garanties légales les droits et libertés énoncés par les cinquième à huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 dont sont susceptibles de bénéficier les détenus dans les limites inhérentes à la détention » [déc. n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015 : préc. : consid. n° 11]. Au titre de ces garanties compensant l’altération des droits permise par l’article 33, le Conseil constitutionnel en vise deux, dont la protection apparaît d’ores et déjà relative. La première, qui n’est pas véritablement légale, tient dans le contrôle du juge administratif, qu’il reste à construire quant à l’acte d’engagement. La seconde réside dans l’article 22 de la loi pénitentiaire [« L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue. »], qui érige, plutôt qu’une protection, un standard de réduction des droits des détenus très large, rajoutant à la marge d’appréciation dont l’administration dispose déjà. Dès lors, cette seconde garantie ne se distingue pas véritablement de la première, puisque la disposition législative ne sera véritablement protectrice des droits du détenu qu’à la condition que le juge administratif s’en saisisse dans un contrôle rigoureux [v. quant au rôle du juge administratif, ci-dessous, n° 7].
Finalement, on ne découvre guère dans la législation du travail pénitentiaire – rappelons le, constituée des seuls articles 22 et 33 de la loi pénitentiaire, ainsi que des articles 717-3 et 718 du Code de procédure pénale – que des traces des droits du travail ressortant du préambule de 1946 – jamais cités clairement, d’ailleurs, par le Conseil constitutionnel en 2013 et en 2015, comme si leur contenu n’était guère nécessaire à la solution –, situation insatisfaisante même en admettant qu’ils puissent être légitimement réduits par les contingences de la détention. Si le principe de leur application dans une forme allégée est affichée, la légalité peine à assurer leur pleine effectivité. Mais au-delà du domaine du travail pénitentiaire, la dernière décision de 2015 s’inscrit dans et conforte la jurisprudence constitutionnelle préexistante quant au champ de la légalité en matière d’exécution des peines, et le bilan de ces décisions est décevant.

Les résurgences d’un passé lointain : le bilan décevant du contrôle constitutionnel de la légalité en matière d’ « exécution des peines »

4. La cristallisation des deux principes directeurs. Les deux principes directeurs présents dans la décision de 2015 sur le travail pénitentiaire règlent désormais le champ de la légalité en matière d'« exécution des peines » : ils étaient déjà associés dans la décision du Conseil constitutionnel qui a invalidé l’habilitation du législateur faite au pouvoir réglementaire pour définir « l’organisation et le régime intérieur » des établissements pénitentiaires prévue à l’ancien article 728 du Code de procédure pénale [Const. const., déc. n° 2014-393 QPC du 25 avr. 2014, M. Angelo R. : consid. n° 4 et 5], et même, dans une forme complète pour le premier principe directeur et plus allégée pour le second, dès la décision constitutionnelle sur la loi pénitentiaire [Cons. const., déc. n° 2009-593 DC du 19 nov. 2009 portant sur la loi pénitentiaire : « il appartient cependant au législateur de garantir les droits et libertés dont ces personnes continuent de bénéficier dans les limites inhérentes aux contraintes de la détention »]. Il en ressortirait, en les lisant dans leur forme désormais fixée [v. pour leur citation, ci-dessus, n° 3], presque deux limites complémentaires, l'une encadrant la sévérité, l'autre encadrant la liberté, le tout dessinant un large mouvement de balancier, au sein duquel la législation pourrait évoluer au gré de la politique pénale. D'une part, le législateur ne pourrait faire preuve de sévérité allant jusqu'à altérer la dignité du détenu dans la définition du régime de détention. D'autre part, le législateur aurait pour obligation de définir le régime des droits et liberté profitant aux détenus, en conciliation avec les sujétions de la détention. La compétence législative serait en conséquence des plus larges quant à son étendue, quand bien même il bénéficierait, aussi dans cette vision, d’une large marge d’appréciation. En réalité, les principes directeurs définissent plutôt deux réserves de compétence législative distinctes, à l’intérieur du balancier précédemment décrit, chacune de ces poches étant au surplus particulièrement réduites. Et à l’intérieur de ces réserves, les principes directeurs accordent au législateur une large marge d’appréciation. Ces conclusions, qui ressortent de la vigueur relative des deux principes directeurs quant à la légalité organique [v. ci-dessous, n° 5] et la légalité matérielle [v. ci-dessous, n° 6], peuvent être tirées de l’examen complet de la jurisprudence constitutionnelle, concernant son contrôle de la légalité dans la matière de l’exécution des peines, si bien que le travail pénitentiaire, pour lequel les exigences du juge de la loi sont limitées, ne fait pas l’objet d’un sort particulier, mais subit le régime général.

5. La relativisation de la vigueur des principes directeurs quant à la légalité organique. Le premier principe directeur insiste sur la dignité. À reprendre sa construction, qui mêle, au début du raisonnement, les fondements constitutionnels du principe et les objectifs de la peine privative de liberté, il semblerait que le Conseil constitutionnel ait forgé un nouveau principe constitutionnel propre à la personne détenue, tenant à ce que le régime pénitentiaire, le plus largement défini, ne puisse heurter la dignité. Plus loin dans le raisonnement, le respect de la dignité humaine est érigée comme borne de la compétence du législateur dans son pouvoir de définition des « conditions et […] modalités d’exécution des peines privatives de liberté » [« il appartient, dès lors, au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant le droit pénal et la procédure pénale, de déterminer les conditions et les modalités d'exécution des peines privatives de liberté dans le respect de la dignité de la personne »], ce qui confirmerait cette analyse. Il est difficile de ne pas voir dans l’utilisation constitutionnelle de la dignité, et plus encore dans une acception particulière réservée au détenu, une référence à la jurisprudence européenne, qui a développé son contrôle de la peine privative de liberté sous l'angle de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme, prohibant la torture et les traitements inhumains et dégradants. L'extension de la légalité à l'ensemble des compartiments placés sous le contrôle de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme, par alignement de la jurisprudence européenne et constitutionnelle quant aux éléments susceptibles de porter atteinte à la dignité du détenu, n'est pas illogique, à considérer la compétence du législateur pleinement conditionnée par l'item des garanties fondamentales de l'article 34 [itemqui n’est, rappelons-le, jamais cité par le Conseil constitutionnel dans la jurisprudence qui nous intéresse] ou, à reprendre la formulation du Conseil constitutionnel, par le critère « des droits et libertés » fondamentaux qui bénéficient aux détenus dans « les limites inhérentes à la détention ». Les deux principes directeurs devraient se lire de manière couplée, le premier formant un nouveau droit constitutionnel pour le détenu, qu’il reviendrait au législateur d’encadrer en vertu du second, comme tous les autres droits et libertés constitutionnellement garantis. Il en résulterait un champ de la légalité particulièrement large. L'article 3 de la Convention a permis à la Cour, à travers la sanction des conditions matérielles de détention indignes [v. pour un arrêt important, dont l’affaire a été renvoyée devant la Grande chambre, CEDH, sect. I, 12 mars 2015, Mursic c. Croatie, n° 7334/13, en angl. ; nos obs. ici], d'établir un standard abstrait et minimum du régime de détention. La même disposition fonde l'obligation positive pour les États d'assurer la protection de la santé du détenu [CEDH, gde ch., 26 oct. 2000, Kudla c. Pologne, req. n° 30210/96 : Rec. CEDH, 2000-XI ; AJDA, 2000, p. 1006, chron. J.-F. Flauss ; RFDA, 2001, p. 1250, chron. H. Labayle et F. Sudre ; § 94 : « l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrances inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate »], justifie la sanction de l'État en cas d'insuffisance des soins apportés au détenu [CEDH, sect. V, 19 févr 2015, Helhal c. France, req. n° 10401/12], et octroie même un droit à la libération au condamné dont l'état de santé est durablement incompatible avec la détention [CEDH, 14 nov. 2002, Mouisel c. France, req. n° 67263/01 : Rec. CEDH, 2002-IX ; LPA, 19 juin 2003, p. 15, comm. H. Tigroudja ; ibid., 16 juil. 2003, p. 13, comm. D. Roets ; D., 2003, p. 524, obs. J.‑F. Renucci ; ibid., p. 303, note H. Moutouh ; ibid., p. 919, chron. J.‑P. Céré ; RSC, 2003, p. 144, chron. F. Massias ; AJDA, 2003, p. 603, chron. J.‑F. Flauss]. L'article 3 permet aussi le contrôle de l'isolement pénitentiaire, bien avancé pour celui prononcé à titre de mesure de sûreté et moins abouti pour celui prononcé à titre de sanction disciplinaire, en prohibant l'isolement total, en assurant le contrôle des conditions matérielles de détention au quartier d’isolement et en forgeant le modèle de leur contrôle juridictionnel [v. par ex., pour l’isolement de sûreté, CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgaire, req. n° 15018/11 et 61199/12, en angl. ; nos obs. ici]. L'article 3 sert aussi au contrôle de la peine perpétuelle, en prohibant celle de facto et de jure incompressible [CEDH, gde ch., 12 févr. 2008, Kafkaris c. Chypre, n° 21906/04], en fondant un droit à un réexamen non judiciaire au bout de vingt-cinq ans de réclusion [v. notamment CEDH, sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France, req. n° 40014/10 ; nos obs. ici], et en tendant à inscrire un objectif de réhabilitation à la peine [v. CEDH, gde ch., 30 juin 2015, Khoroshenko c. Russie, req. n° 41418/04 ; nos obs. ici]. L'article 3 porte enfin le principe du contrôle européen de la proportionnalité de la peine privative de liberté [v. CEDH, sect. IV, 10 avr. 2012, Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni, req. nos 24027/07, 11949/08, 36742/08, 66911/09 et 67354/09, en angl. ; § 237]. De cette profusion, il ressort au moins l'idée que le régime pénitentiaire, dans son sens le plus matériel, s'agissant des caractéristiques de la cellule, des modalités et des conditions de l'isolement ou du déroulement des activités fournies et autorisées, est susceptible de porter atteinte à la dignité, non plus seulement en raison des circonstances concrètes dans lesquelles la peine est exécutée, mais aussi en raison de la sévérité de son cadre normatif. La transposition de ce modèle en droit français devrait donc se traduire par l'attribution de la définition du régime pénitentiaire, dans son sens le plus large, au législateur, au titre des garanties fondamentales, et le contrôle in abstracto de celui-ci par le Conseil constitutionnel.
Mais en réalité, l’utilisation de la dignité dans le premier principe directeur ne montre qu'un dialogue des juges très parcellaire entre le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'Homme. D'abord, le Conseil constitutionnel a écarté expressément du champ du premier principe attributif « le régime disciplinaire des personnes détenues », dont une part résiduelle seulement a été attribuée au législateur, sur le fondement du deuxième principe attributif, à l’époque rédigé plus simplement [déc. n° 2009-593 DC du 19 nov. 2009 : préc. ; cons. n° 5 et 6 : le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur avait respecté la légalité en définissant les deux sanctions les plus graves, le confinement ou le placement en cellule disciplinaire, en limitant leur durée, en restreignant le placement en cellule disciplinaire pour le mineur, en maintenant le droit à un « parloir » par semaine pour les détenus sanctionnés de ces mesures, en prévoyant des garanties juridictionnelles et en imposant que les deux mesures restent compatibles avec l’état de santé du détenu, au sein de l’article 726 du Code de procédure pénale]. Ensuite, le Conseil constitutionnel ne semble pas plus intégrer le travail pénitentiaire à la première réserve de compétence législative, son examen se situant à chaque fois sur la suffisance de la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis, en l’espèce les droits du Préambule de 1946, donc une nouvelle fois sur le second principe directeur [on nuancera cependant le propos en indiquant que, l'incompétence négative ne pouvant être relevée, concernant la question prioritaire de constitutionnalité, qu'en cas d'atteinte à un principe constitutionnel, le Conseil constitutionnel n'était pas saisi de l'inclusion éventuelle du régime du travail pénitentiaire dans le champ de l'item du droit pénal de l'article 34]. Enfin et surtout, si le premier principe attributif a servi, comme le second, à la censure de l’habilitation législative faite au pouvoir réglementaire pour définir « l'organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires », qui figurait à l’ancien article 728 du Code de procédure pénale [déc. n° 2014-393 QPC du 25 avr. 2014 : préc.], l’analyse plus poussée montre que l’apparent progrès de l’étendue de la légalité est en trompe-l’œil. En effet, à première vue, si la sanction du défaut de définition légale des « conditions dans lesquelles sont garantis les droits dont ces personnes continuent de bénéficier dans les limites inhérentes à la détention » [ibid., consid. n° 7] semble se rattacher au second principe directeur, la sanction de l'absence de définition légale des « principes de l'organisation de la vie en détention, de la surveillance des détenues et de leur relation avec l'extérieur » pourrait être plutôt reliée au premier principe, c'est-à-dire à la compétence législative attachée à la définition des « conditions et modalités » de l'exécution des peines [ibid., consid. n° 6]. Cependant, il faut rappeler que dans cette même décision, le Conseil constitutionnel a donné quitus à la loi pénitentiaire, en particulier le chapitre III du titre 1er [consid. n° 10], alors qu’était contestée la version du droit antérieure à son entrée en vigueur, si bien que le législateur n’a pas eu à intervenir après la censure. Or, ce chapitre ne réalise en réalité qu’une transposition du principe constitutionnel selon lequel les droits et libertés profitent au détenu, dans les limites inhérentes à la détention, ce qui revient, pour les différentes libertés, à déterminer, plus ou moins précisément, les motifs permettant de les restreindre et les modalités de leur expression. Dès lors que la loi pénitentiaire était jugée suffisante à combler le vide du droit antérieur sanctionné par le Conseil constitutionnel, il faut bien admettre encore que la compétence législative était dégagée, en réalité, sur le second principe directeur.
Au terme de cet examen, il apparaît que seule la matière de l’aménagement des peines, au sens le plus strict, puisse être considérée comme relevant de la compétence législative sur le fondement unique du premier principe, ce qui explique d’ailleurs l’utilisation des objectifs constitutionnels de la peine privative de liberté pour le formuler. Ces objectifs ont été forgés lors du contrôle constitutionnel de la perpétuité réelle, dont le propre est de neutraliser durablement toute possibilité d’aménagement [v. Cons. const., déc. n° 93-334 DC du 20 janv. 1994 ; RFD const., 1994, p. 353, note Th. Renoux ; D., 1995, p. 340, obs. Th. Renoux ; ibid., p. 293, obs. É. Oliva ou Cons. const., déc. n° 2011-625 DC du 10 mars 2011]. La référence constitutionnelle à la dignité, en l’état, ne rejoint le contrôle européen fondé sur l’article 3 que s’agissant de la seule interdiction de peine perpétuelle de jure et de facto incompressible. À se situer en dehors de l’aménagement de la peine, au sein de l’exécution des peines, et en particulier pour le droit pénitentiaire, seul le second principe, celui tenant au domaine des droits et libertés fondamentales garantis constitutionnellement, paraît efficace à justifier la compétence législative.
Quant au second critère justement, au regard de la jurisprudence, il donne compétence au législateur dès que le régime pénitentiaire est susceptible d’amoindrir des droits ou libertés constitutionnellement garantis, par référence à ceux qui profitent aussi à la personne libre, et dont les détenus continuent à profiter en détention – si bien qu’on peine vraiment à identifier des droits constitutionnels spécifiques au détenu, lesquels justifieraient sans doute une légalité plus large [v. ci-dessous, n° 8]. Pour autant, les principes dont profitent aussi les personnes libres et qui peuvent être utiles à mobiliser la compétence législative en matière d’exécution des peines sont nombreux [aux principes du droit du travail déjà évoqués, on peut citer aussi, en reprenant les critiques des requérants sur l’ancien article 728 du Code de procédure pénale, le droit au respect de la dignité humaine, le droit au respect de l'intégrité physique et à la santé des détenus, le droit au respect de la vie privée, le droit de propriété, la présomption d'innocence et la liberté religieuse]. Cependant, la décision du Conseil constitutionnel de 2014 rappelle que, même lorsque de tels droits sont mis en cause, la compétence législative se cantonne aux seules dispositions « essentielles » d’encadrement [déc. n° 2014-393 QPC du 25 avr. 2014 : préc. ; consid. n° 7 : « la méconnaissance, par le législateur, de sa compétence dans la détermination des conditions essentielles de l'organisation et du régime intérieur des établissements pénitentiaires »]. C’est bien une compétence résiduelle d’encadrement des droits et liberté qui ressort de la jurisprudence constitutionnelle, comme le montre clairement les validations de la législation encadrant le travail pénitentiaire [et on doute d’ailleurs que les dispositions essentielles figurent toutes dans la loi], le contenu de la loi pénitentiaire, conforté par le Conseil constitutionnel [on citera, pour le plus patent, les cas de la liberté de la communication avec l’avocat et de la liberté religieuse, qui ne sont traités qu’au travers d’un seul article dans la loi, les articles 25 et 26, ceux-ci ne portant que la reconnaissance de leur application au détenu], ou encore la validation de la législation encadrant les sanctions disciplinaires [déc. n° 2009-593 DC du 19 nov. 2009 : préc. ; cons. n° 5 et 6 : il est permis d’éprouver le même doute quant au fait que le cadre législatif contiendrait bien les dispositions essentielles]. Pour comparer avec l’item des garanties fondamentales figurant à l’article 34 de la Constitution, qui n’est pas visé par le Conseil constitutionnel dans le second principe directeur, celui-ci attribue une compétence des plus larges au législateur, qui doit fixer « les règles », alors que, pour d’autres matières, la même disposition attribue au législateur une compétence plus résiduelle, laquelle se limite à la détermination des « principes fondamentaux » : concernant les détenus – et c’est peut-être aussi l’utilité de ne pas employer l’article 34 sur l’item des garanties fondamentales, en plus de permettre l’application de larges standards de réduction [v. ci-dessous, n° 6] –, l’étendue de la compétence organique du législateur tirée de l’encadrement des droits et libertés est moindre. Le juge administratif a même adopté une position plus stricte encore, dans son contrôle de la légalité des dispositions réglementaires organisant le droit disciplinaire, en limitant la compétence législative aux dispositions atteignant la « substance » des droits et libertés des détenus [CE, 17 juil. 2013, n° 357405, M. T. c. garde des Sceaux, ministre de la Justice : inédit ; Gaz. Pal., 26 sept. 2013, p. 16, obs. M. Guyomar]. Au final, sur le plan organique, les deux principes directeurs aboutissent à définir une étendue de la compétence législative limitée, le premier attribuant compétence au législateur pour la matière de l’aménagement des peines, le second lui attribuant compétence pour la définition des dispositions essentielles encadrant les droits et libertés constitutionnellement garantis des détenus.

6. La relativisation de la vigueur des principes directeurs quant à la légalité matérielle. Il faut souligner d’emblée que les formulations des deux principes additionnent les standards juridiques – dignité, ordre public, objectifs de la peine privative de liberté. Il ressort de cette accumulation une grande souplesse, non seulement pour le Conseil constitutionnel, qui peut ainsi librement faire varier l'intensité de son contrôle – en théorie, du moins, puisque le contrôle reste, jusqu'ici, constant dans une intensité assez faible –, mais encore pour le législateur, qui bénéficie d'une grande marge d'interprétation – en théorie, du moins, puisque, comme le montre les décisions sur le travail pénitentiaire ou le droit disciplinaire, le législateur n'use que modérément de sa compétence avec la bénédiction du Conseil constitutionnel. À lire les deux principes directeurs, il est remarquable que le seul véritable fondement constitutionnel attributif de compétence utilisé par le Conseil constitutionnel tient dans l'article 34 de la Constitution, plus précisément de l'item du droit pénal, et non celui des garanties fondamentales [citons une nouvelle fois les dispositions de l’article 34 auxquelles le Conseil constitutionnel ne renvoie jamais : « La loi fixe les règles concernant […] les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » ; dans le second principe directeur, alors que le Conseil constitutionnel établit un principe approchant « qu'il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux personnes détenues ; que celles-ci bénéficient des droits et libertés constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à la détention » , il ne se réfère plus à l’article 34, et adapte directement la formule au monde carcéral]. Et ce même dans la décision emblématique – parce que c’est la seule qui a abouti à une censure – d’avril 2014 [déc. n° 2014-393 QPC du 25 avr. 2014 : préc.], pour laquelle nous avons vu que la sanction reposait surtout sur l’absence d’encadrement législatif des droits et libertés du détenu. En effet, les autres fondements visés, le principe de la dignité et les objectifs de l’exécution de la peine privative de liberté, ne servent, dans une construction maladroite [en effet, la dignité et les objectifs constitutionnels assignés à l’exécution de la peine privative de liberté sont cités dans le premier principe directeur, de sorte qu’ils semblent ne servir qu’à l’élaboration de celui-ci, alors pourtant que, si la dignité sert bien à border le premier principe directeur, les objectifs de l’exécution de la peine sert à borner le second principe directeur ; quant à  l’item pénal de l’article 34 de la Constitution, il se trouve séparé de l’énoncé des fondements constitutionnels applicables, pour être employé au milieu de la formule précisant la compétence législative et synthétisant les fondements précédemment cités, au sein du premier principe directeur], qu’à borner la compétence du législateur matériellement, et non à la lui conférer organiquement. On aurait tort de considérer comme une simple maladresse rédactionnelle l’absence de référence expresse à l’item de l’article 34 des garanties fondamentales : il suffit, pour s’en convaincre, de comparer avec la décision récente du Conseil constitutionnel sur la loi relative au renseignement du 23 juillet 2015, dans laquelle ce pan de l’article 34 est utilisé très nettement [consid. n° 2 : « considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis »]. Il en ressort donc, non pas que les détenus « bénéficient des droits et libertés constitutionnellement garantis », auquel cas la compétence du législateur se fonderait sur l’item des garanties fondamentales de l’article 34, mais, comme il est précisé dans le second principe directeur, qu’ils « bénéficient des droits et libertés constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à la détention », adaptation du principe en phase avec l’item du droit pénal employé. Au regard d’un tel positionnement, il ne s’agit plus de nier le bénéfice des droits et libertés fondamentaux aux détenus, ce que leur réduction par un standard [en l’espèce, « l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public ainsi que les finalités qui sont assignées à l'exécution des peines privatives de liberté »] ne remettrait pas nécessairement trop en cause, s’il n’était pas aussi large par rapport à celui qui s’applique aux libertés de la personne libre [pour reprendre la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de renseignement, le standard usuel de réduction des libertés fondamentales réside dans « la prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions »]. Mais le maintien de l’expression de ces droits et libertés dans la sphère pénale ne va pas sans accorder une large marge d’appréciation au législateur, celle de la politique pénale.
Ainsi, le Conseil constitutionnel, à deux reprises, prend soin, tout en reconnaissant l’application des droits fondamentaux aux détenus, de relativiser leur portée de cette manière : les personnes détenues « bénéficient des droits et libertés constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à la détention » et il revient au législateur de concilier « d'une part, l'exercice de ces droits et libertés que la Constitution garantit et, d'autre part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public ainsi que les finalités qui sont assignées à l'exécution des peines privatives de liberté ». Au standard classique de la sauvegarde de l’ordre public s’ajoute donc celui qui ressortirait des finalités assignées à l’exécution des peines privative de liberté [les deux standards figurent bien dans la même proposition, introduite par « d’autre part » et sont énoncés ensemble en opposition de l’autre notion introduite par « d’une part », à savoir l’exercice des droits et libertés constitutionnels]. D’une part, on comprend mal la notion d’ordre public, sauf à la définir comme l’ordre à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire, puisque les objectifs de la peine – à savoir la protection de la société, la punition du condamné, l'amendement de celui-ci et la préparation de son éventuelle réinsertion –, qui forment un standard réducteur propre au domaine de l’exécution des peines, sont de nature à justifier les atteintes aux libertés des détenus, pour empêcher qu’ils troublent l’ordre à l’extérieur. En tout cas, le maintien de l’ordre à l’extérieur [l’ordre public] et la préservation de l’ordre à l’intérieur [l’ordre pénitentiaire] sont deux premiers objectifs qui justifient la réduction des droits et libertés des détenus. D’autre part, les objectifs de la peine de nature à favoriser la reconnaissance de droits et libertés aux détenus, principalement la préparation à une éventuelle réinsertion, figurent au contraire, dans le second principe directeur, comme une nouvelle – la troisième – cause de leur réduction ; à prendre cette formule au pied de la lettre, certaines obligations mises à la charge des détenus – on pense au travail pénitentiaire forcé –, bien que contraires à leurs droits et libertés, pourraient donc respecter la Constitution, à ce qu’elles soient jugées comme favorisant la réinsertion. De surcroit, il faut encore ajouter un quatrième et dernier standard de réduction des droits et libertés des détenus, celui encore plus large des « limites inhérentes à la détention », qui figure également dans les décisions du Conseil constitutionnel et qui semble dépasser les autres limites précédemment citées. En effet, les deux décisions du Conseil constitutionnel sur le travail pénitentiaire se sont référées à chaque fois à l’article 22 de la loi pénitentiaire, aboutissant pratiquement à sa constitutionnalisation. Celui-ci reprend le principe de la reconnaissance des droits et libertés fondamentaux au bénéfice des détenus, tout en définissant les causes de leur réduction, et la disposition distingue nettement les « contraintes inhérentes à la détention »  [selon cet article, la dignité et les droits des détenus peuvent faire l’objet de restrictions « résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes »], notion similaire à celle figurant dans les décisions constitutionnelles [les « limites inhérentes à la détention »], des autres causes de réduction, notamment des considérations d’ordre, qu’il soit public ou pénitentiaire. On s’inquiète qu’une telle cause de réduction puisse légitimer plus encore la prise en compte, essentiellement par le juge pénitentiaire [le Conseil constitutionnel reste saisi in abstracto, même si on n’imagine pas que les considérations concrètes ne puissent également influencer ses décisions], des difficultés matérielles, rencontrées par le monde pénitentiaire, alors que l’administration excipe justement régulièrement devant lui des difficultés financières [on pense ici à l’affaire des murets de séparation dans les parloirs de Fresnes], avec succès parfois [v. en particulier, sur la fourniture de repas confessionnels, domaine dans lequel le juge n’a pas dégagé, « en toute circonstance », d’obligation pesant sur l’administration, au regard, notamment, des « contraintes matérielles propres à la gestion de ces établissements », CE, 25 févr. 2015, n° 375724, X c. Secrétariat général du gouvernement : AJDA 2015, p. 421, obs. J.-M. Pastor ; JCP A 2015, act., n° 243, obs. É. Langelier  – le resserrement par le Conseil d’État de l’action en amélioration des conditions matérielles de détention n’est sans doute pas étranger à ces considérations ; v. notre tab. ici]. Il est en tout cas peu rigoureux, au regard de la largesse des cas de réduction des libertés des détenus permis par l’article 22, de considérer que, notamment par celui-ci, le législateur a suffisamment épuisé sa compétence d’encadrement des libertés, comme le Conseil constitutionnel l’a affirmé dans ses décisions sur le travail pénitentiaire [v. pour la reprise du raisonnement par le Conseil d’État, qui a considéré que par l’article 22 le législateur avait suffisamment précisé le pouvoir de l’administration de saisir des écrits de détenus, CE, 24 oct. 2014, n° 369766 : inédit]. Au final, tant sur le plan organique que matériel, on a l’impression que les exigences du Conseil constitutionnel sur la légalité se calquent sur le contenu de la législation soumise à son examen, plus qu’elles ne la modèlent.

7. La constitutionnalisation du juge pénitentiaire. La consécration dans la jurisprudence constitutionnelle d’une légalité amoindrie, dans ses aspects organique et matériel, rappelle les errements du passé, lorsque le droit avait du mal à appréhender les rapports entre l’administration pénitentiaire et les détenus. Cependant, les progrès ne doivent pas être occultés, comme la loi pénitentiaire et l’accroissement du contrôle du juge administratif, doivent-ils être nuancés. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision de septembre 2015 sur le travail pénitentiaire, a rappelé que l’acte d’engagement était placé « sous le contrôle du juge administratif » [consid. n° 11]. Le juge administratif se trouve ainsi constitutionnalisé comme le juge pénitentiaire, c’est-à-dire le juge chargé du contrôle du respect des droits et libertés des détenus, et si cette mention conforte la décision du Tribunal des conflits de confier au juge administratif la compétence des litiges nés du travail pénitentiaire [Trib. confl., 14 oct. 2013, n° C3918 : préc. ; v. sur le contentieux principalement lié à des revendications salariales, J.P. Céré, « Prison : organisation générale » ; Rép. dr. Pén., D., § 176 et s.], elle constitue aussi, plus généralement, une récompense pour la jurisprudence entreprenante du juge du Palais Royal. Mais cette constitutionnalisation, tout comme celle de l’article 22 de la loi pénitentiaire qui laisse une grande marge dans son interprétation, en même temps que la consécration d’une légalité diminuée, menace de laisser trop souvent au juge administratif un pouvoir quasiment normatif. En tout cas, celui-ci s’est emparé de l’article 22 de la loi pénitentiaire qu’il vise lorsqu’il forge le recours en amélioration des conditions matérielles de détention [CE, réf., 30 juil. 2015, 392043, OIP-SF et Ordres des avocats au barreau de Nîmes à paraître au Bulletin] ou lorsqu’il contrôle la légalité des dispositions réglementaires [v. sur la réglementation de la communication entre le détenu et son avocat, CE, 25 mars 2015, n° 374401 – v. sur la réglementation des fouilles, CE, 24 oct. 2014, n° 369766 : inédit – v. sur la suspension des activités collectives, dont celles cultuelles, lors du placement en cellule disciplinaire, CE, 11 juin 2014, n° 365237, M. B. : Rec. CE, tables ; AJDA 2014, p. 1236, obs. C. Biget. ; D., actu., 18 juin 2014, obs. J.-M. Pastor ; JCP A, act., n° 505, obs. M. Touzeil-Divina – v. sur le droit disciplinaire, CE, 17 juil. 2013, n° 357405, M. T. c. garde des Sceaux, ministre de la Justice : préc.à chaque fois, l’article 22 a servi à valider les dispositions litigieuses].
Le pouvoir normatif du juge administratif a été particulièrement visible à travers la question, pourtant polémique, de la fourniture de repas confessionnels en prison. En effet, la loi pénitentiaire n’aborde que succinctement la liberté religieuse, si ce n’est par un article très similaire à l’article 22 [art. 26 de la loi pénitentiaire : « Les personnes détenues ont droit à la liberté d'opinion, de conscience et de religion. Elles peuvent exercer le culte de leur choix, selon les conditions adaptées à l'organisation des lieux, sans autres limites que celles imposées par la sécurité et le bon ordre de l'établissement. »], l’encadrement principal étant l’œuvre du pouvoir réglementaire [pour l’essentiel les article R.  57-9-3 et s. CPP, mais aussi les dispositions du règlement intérieur figurant à l’annexe de l’art. R. 57-6-18 CPP, et même les dispositions figurant dans la Note du 16 juil. 2014 relative à la pratique du culte en détention NOR : JUSK1440001N]. On voit mal comment il ne pourrait y avoir ici d’incompétence négative, ou alors il faudrait admettre que le seul article 22 de la loi pénitentiaire suffise à épuiser à lui seul la compétence législative pour l’ensemble des droits et libertés dont profitent les détenus… Toujours est-il que, sur les fondements des articles presque jumeaux 22 et 26 de la loi pénitentiaire, le juge administratif a tranché finalement que l’administration n’avait pas l’obligation «  de garantir, en toute circonstance, une alimentation respectant [les] convictions [des détenus] eu égard à l'objectif d'intérêt général du maintien du bon ordre des établissements pénitentiaires et aux contraintes matérielles propres à la gestion de ces établissements » [CE, 25 févr. 2015, n° 375724, X c. Secrétariat général du gouvernement : préc.], non sans remous au préalable [Un jugement avait formulé l’injonction à l’administration pénitentiaire de fournir aux détenus des repas halal ; TA Grenoble, 7 nov. 2013, JurisData. n° 2013-028112 ; JCP A, act., n° 966, obs. N. Mandin. Le Conseil d’État a accueilli la demande de suspension du jugement ordonnant l’injonction – CE, 16 juill. 2014, n° 377145, Garde des Sceaux, Ministre de la justice c/. M. B.: AJDA 2014, p. 2321, comm. P.-H. Prélot – peu de temps avant que la Cour administrative d’appel ne se prononce, s’assurant ainsi que celle-ci statue dans le sens de l’annulation du jugement – CAA Lyon, 22 juill. 2014, n° 14LY00113 : AJDA 2014, p. 2321 ; ibid., p. 1524, obs. M.-Ch. de Montecler ; JCP A 2014, n° 2323, obs. F. Nicoud]. On voit ici finalement comme le défaut de la légalité [particulièrement prononcé, il est vrai, pour l’encadrement de la liberté religieuse], contre lequel la jurisprudence constitutionnelle n’est pas vraiment un remède, aboutit à ce que le juge administratif exerce un pouvoir normatif, compte-tenu des standards particulièrement larges de réduction des libertés fondamentales qui sont consacrés en matière pénitentiaire, qui lui offrent une liberté certaine, confinant à lui octroyer un pouvoir d’opportunité [v. ci-dessus, n° 6]. À défaut d’une légalité richement imposée, le contrôle du juge n’est pas non plus un gage suffisant pour assurer pleinement aux détenus l’exercice de leurs droits et libertés, contrairement, une nouvelle fois, à ce que soutient le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2015 sur le travail pénitentiaire.

8. À la recherche de fondements constitutionnels plus adaptés : le droit de préparer sa réinsertion et la légalité de la privation de liberté. La formulation des deux principes directeurs est critiquable : elle n’est pas vraiment claire, est construite de manière alambiquée, se montre imprécise du fait de l’accumulation de notions floues et brille par sa lourdeur. Elle aboutit surtout à la consécration d’une légalité affaiblie, dans ses différents aspects. Il n’empêche que l’étendue de la compétence législative, sur le plan organique, devrait toujours être la plus large en matière de libertés fondamentales, pour que le législateur réalise effectivement la conciliation entre celles-ci et leurs standards de réduction, et non qu’elle se concentre sur quelques pans, considérés, un peu artificiellement, par le Conseil constitutionnel comme essentiels, ce qui abandonne au pouvoir réglementaire – voire au juge administratif – une large compétence normative. Autrement dit, la légalité elle-même ne devrait subir de réduction par un quelconque standard, ce qui ne concernerait, logiquement, que les autres droits et libertés substantiels dont le législateur doit garantie. Pourtant, le bilan de la légalité en matière d’exécution des peines tend à montrer que c’est bien aussi la composante organique de la légalité, son champ d’élection, qui est réduit par considération pour les spécificités carcérales, comme si cet état de la légalité était « inhérent » à la détention [v. pour un parallèle, concernant le sort de la légalité en matière de privation de liberté disciplinaire de droit militaire, nos obs. ici].
Une remise à plat, plus claire et plus protectrice, est nécessaire, et celle-ci doit passer par la distinction des fondements servant, d’une part, à élargir la légalité organique et, d’autre part, à renforcer la légalité matérielle. Or, comme la légalité criminelle, il faut rappeler que la légalité de la privation de liberté bénéficie d’une base constitutionnelle expresse et spécifique, à l’article 7 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : « nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites ». Celle-ci, constamment occultée [au point que la manifestation la plus intense de la légalité de la privation de liberté, tenant dans la censure par le Conseil constitutionnel de l’emprisonnement contraventionnel prévu par les textes réglementaires, n’a pas été fondée sur cette disposition ; v. Cons. const., déc. n° 73-80 L du 28 nov. 1973 ; RDP, 1974, p. 899, obs. J. de Soto ; AJDA, 1974, p. 229, obs. J. Rivero], pourrait imposer une vaste étendue de la compétence du législateur dans l’exécution des peines. À défaut, c’est l’item des garanties fondamentales de l’article 34 qu’il faudrait employer, pour exiger une compétence législative plus détaillée, en rapprochant les droits et libertés des détenus du droit commun de la matière [sur le plan matériel, la disposition devrait aussi avoir pour effet d’alléger les standards de réduction des droits et libertés des détenus]. D’autre part, sur le plan matériel, et pour changer de tropisme, c’est-à-dire d’arrêter de considérer que les droits et libertés fondamentaux qui profitent au détenu sont ceux de droit commun, nécessairement amoindris, mais plutôt de créer certains droits fondamentaux nouveaux particuliers aux détenus, agissant positivement en amélioration de leur situation, il faudrait enfin consacrer constitutionnellement le droit des détenus de préparer leur réinsertion. Sur le plan constitutionnel, il n’est actuellement qu’un objectif de la peine privative de liberté, susceptible de justifier, au surplus, une atteinte aux droits et libertés des détenus… Ce même droit bénéficie pourtant d’une valeur supra-légale, à l’article 10 § 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 : « le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social ». Cette dernière disposition est de plus en plus employée par la jurisprudence européenne, principalement dans son contrôle de la peine perpétuelle [CEDH, gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autre c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 : Rec. CEDH, 2013 ; D., actu., 12 juil. 2013, obs. M. Léna ; ibid., 2013, p. 2081, note J.‑F.Renucci ; ibid., p.  2713, chron. G. Roujou de Boubée ; ibid., 2014, p. 1235, chron. J.-P. Céré ;RFDA, 2014, p. 538, chron. L. Labayle ; AJP, 2013, p. 494, obs. D. van Zyl Smit ; RSC, 2013, p. 625, chron. P. Poncela ibid., p. 649, obs. D. Roets ; Dr. pénal, 2013, comm. n° 165, obs. É. Bonis-Garçon ; ibid., 2014, chron. n°3, obs. V. Peltier ; ibid., chron. n° 4, chron. E. Dreyer ; JCP, 2014, n° 970, obs. L. Milano ; ibid., 2013, n° 918, obs. F. Sudre ; § 145 – CEDH, sect. IV, 18 sept. 2012, James, Wells et Lee c. Royaume-Uni, req. nos 25119/09, 57715/09, 57877/09 et 18/09/2012, en angl. : D., actu., 8 oct. 2012, obs. O. Bachelet ; Dr. pénal, 2013, n° 4, chron. E. Dreyer ; § 208 – Khroshenko : préc. ; nos obs. ; § 145]. Sur le plan interne, la disposition a un succès relatif devant le juge administratif, qui l’a intégrée dans son contrôle de la conventionnalité des dispositions réglementaires de l’isolement pénitentiaire à titre de mesure de sûreté [CE, sect., 31 oct. 2008, Sect. fr. OIP, n° 293785 : Rec. CE, p. 374 ; RFDA, 2009, p. 73, concl. M. Guyomar ; D., 2009, p. 134, note M. Herzog‑Evans ; Gaz. Pal., 13 déc. 2008, p. 33, note M. Guyomar ; AJDA, 2008, p. 2389, chron. É. Geffray et S.-J. Liéber ; AJP, 2008, p. 500, obs. É. Péchillon ; Dr. admin., 2009, comm. n° 10, note F. Melleray] ou à titre disciplinaire [CE, 26 juin 2015, n° 375133 : inédit], mais qui refuse de reconnaître dans ce fondement une liberté fondamentale pouvant supporter un référé-liberté [CE, 15 juil. 2010, Puci c. min. Justice, n° 340313 : inédit– CE, 13 nov. 2013, n° 338720 : Rec. CE, T.]. Quand au Tribunal des conflits, il s’est aussi référé à « la préparation à la réinsertion du condamné », sans préciser plus ses fondements ou sa nature, pour établir que le rapport de travail entre le détenu et une entreprise concessionnaire privée relève du droit public [Trib. confl., 14 oct. 2013, n° C3918 : préc.]. En particulier, pour le travail pénitentiaire, la transformation de l’objectif constitutionnel de préparation à la réinsertion en un véritable droit, qui s’inscrirait dans le mouvement plus global de prise en compte croissante de ces considérations par les juridictions, permettrait de construire un statut, par définition, propre aux réalités carcérales, et donc dérogatoire au droit commun, sans trop s’attacher aux différents standards réducteurs précédemment décrits, ce qui devrait générer une protection supérieure à celle assurée par le droit positif.

L’avenir ?

9. Les résurgences du passé : attendre le temps de la réforme. L’analyse de la jurisprudence constitutionnelle en matière de la légalité de l’exécution des peines met en évidence des résurgences du passé : la législation encadrant le travail pénitentiaire a été de nouveau validée en 2015, après une première décision de 2013, et, ce qui est sans doute plus inquiétant, la vigueur relative de la légalité, sur le plan organique et matériel, entrave toujours le plein essor des droits et libertés des détenus, face à l’administration pénitentiaire, même s’ils n’en sont plus totalement évincés. S’agissant plus précisément du travail pénitentiaire, dont le traitement apparaît conforme aux principes réglant de manière générale l’exécution des peines, il existe assurément un consensus des acteurs juridiques pour améliorer le statut du détenu-travailleur, qui s’est exprimé autour ou avec la décision rendue par le Conseil constitutionnel en 2015 : le monde universitaire s’est réuni autour d’une pétition pour le réclamer, le Conseil d’État a accepté de renvoyer une nouvelle question de constitutionnalité peu de temps après la validation – qu’on pouvait déjà considérer comme générale – de 2013, et le Conseil constitutionnel a répété dans sa décision, comme il l’avait déjà écrit en 2013, « qu'il est loisible au législateur de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées afin de renforcer la protection de leurs droits » [déc. n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015 : préc. ; consid. n° 11]. Dans ces conditions, le choix du Conseil constitutionnel d’inciter à une réforme, plutôt que de la forcer, interroge. Il illustre en réalité une nouvelle résurgence du passé : la réforme de la prison vers l’accroissement des droits des détenus est difficile à provoquer, en dehors de fenêtres ouvertes au gré de circonstances particulières, qui placent la situation des détenus au cœur du débat public. Récemment, on se souviendra de la parution du livre de Véronique Vasseur, « Médecin-chef à la prison de la Santé », en 2000, qui a entrainé deux rapports parlementaires alarmants sur la situation des prisons et initié l’avènement de la loi pénitentiaire, pourtant achevée seulement en 2009. Si on le regrettera, l’air du temps n’est pas encore à une réforme du travail pénitentiaire, qui apparaît d’ores et déjà comme inévitable.

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