mardi 17 février 2015

[obs.] La reconnaissance de la compétence du juge judiciaire pour apprécier du défaut « de perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai restant à courir de la rétention » [Trib. Confl., 9 févr. 2015, M. H. c. Préfet de Seine-et-Marne, n° 3986]


L’affaire [Trib. Confl., 9 févr. 2015, M. H. c. Préfet de Seine-et-Marne, n° 3986] ne devrait pas véritablement prêter à discussion tant sa solution, qui rend le juge des libertés et de la détention compétent, lorsqu’il est saisi de la prolongation de la rétention administrative de l’étranger, pour apprécier du défaut « de perspective d’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai restant à courir de la rétention », est logique, pour poser la question du bien-fondé de la privation de liberté, de sa nécessité et de sa proportionnalité, pour lequel le juge judiciaire bénéficie d’un monopole établi par le Conseil constitutionnel, le Tribunal des conflits lui-même et le juge judiciaire [Cons. const., déc. n° 2010-71 QPC du 26 nov. 2010, [Mme S.] : J. O., 27 nov. 2010, p. 21119 ; Dr. Famille, 2011, comm. n° 11, note I. Maria ; RFDA, 2011, p. 951, chron. A. Pena ; JCP, 2011, n° 189, note K. Grabarczyk ; AJDA, 2011, p. 174, X. Bioy ; consid. n° 37 : « si, en l'état du droit applicable, les juridictions de l'ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour apprécier la régularité de la procédure et de la décision administratives qui ont conduit à une mesure d'hospitalisation sans consentement, la dualité des ordres de juridiction ne limite pas leur compétence pour apprécier la nécessité de la privation de liberté en cause » - T. confl., 6 avr. 1946, Sieur Machinot c. pft Police : Rec. CE, p. 326 : « s’il appartient à la juridiction administrative de connaître de la régularité de la décision administrative par laquelle l’autorité préfectorale ordonne un internement dans un établissement d’aliénés, l’autorité judiciaire est seule compétente, en vertu de la loi du 30 juin 1838, pour apprécier la nécessité de cette mesure et les conséquences qui peuvent en résulter » - Cass. civ. I, 29 nov.1989, n° 87-18.660 : Bull. civ. I, n° 370 ; « si l'autorité judiciaire s'est vu conférer par l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 l'appréciation de l'opportunité et de la régularité des mesures de surveillance et de contrôle qui peuvent être prises par l'autorité pour assurer le départ de l'étranger ayant fait l'objet d'un refus d'autorisation d'entrée sur le territoire français, d'un arrêté d'expulsion ou d'une mesure de reconduite à la frontière, elle est incompétente pour se prononcer sur la régularité de la mesure de reconduite à la frontière prise en application de l'ordonnance du 2 novembre 1945, hormis l'existence d'une voie de fait »].
En matière de rétention administrative, la loi rappelle que la durée de la rétention administrative ne doit dépasser « le temps strictement nécessaire à son départ », si bien que  « l'administration doit exercer toute diligence à cet effet », réalisant elle-même le lien entre le bien-fondé de la privation de liberté, l’existence de perspectives raisonnables d’exécution de la mesure d’éloignement durant le délai de rétention et la diligence des autorités à réaliser les opérations [art. L. 551-4 CESEDA]. La jurisprudence de la Cour de cassation la plus récente en la matière avait pourtant refusé au juge judiciaire d’opérer le contrôle du respect des conditions posées par la disposition et de libérer en cas de constat de l’absence de perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai restant à courir de la rétention [Cass. civ. I, 25 juin 2014, n° 13-23.940 : inédit ; « qu'en procédant ainsi à une vérification des conditions de délai nécessaires au départ prévu à l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le premier président a porté une appréciation sur la légalité de la décision administrative ordonnant le placement en rétention administrative de [l’étranger], partant excédé ses pouvoirs » - v. pour nos critiques de cette solution, notre chron., n° 43 – on notera que les conclusions de B. Da Costa sur cette affaire tranchée par le Tribunal des conflits ont minimisé la portée de cet arrêt, notant que concernant le cas d’un étranger ayant réalisé un recours devant la Cour nationale du droit d’asile, l’appréciation des perspectives d’éloignement pendant le délai de la rétention par le juge judiciaire revenait bien à apprécier la légalité de la décision administrative de placement en rétention, laissant la possibilité pour cette jurisprudence de perdurer, dans ce cas particulier seulement]. Le juge des libertés et de la détention avait en l’espèce réalisé la même appréciation restrictive de sa propre compétence naturelle, tandis que le juge administratif saisi en référé-liberté avait renvoyé l’affaire devant le Tribunal des conflits, « estimant que le maintien en rétention résultait d’une décision du juge judiciaire et que le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile attribuait compétence à ce dernier pour y mettre fin ».
Au regard de la décision, il revient en conséquence au juge judiciaire de vérifier que la détention de l’étranger ne dépasse pas le temps strictement nécessaire à son départ, au regard de l’existence d’une perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai restant à courir de la rétention, notion issue directement de l’article 15-4 de la Directive « retour » du 16 décembre 2008 [« lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté »], mais aussi, du fait du raisonnement mené sur l’article L. 551-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sans distinction entre ses deux phrases, d’assurer le contrôle des diligences de l’administration [v. sur la jurisprudence plus ancienne de la Cour de cassation autorisant le juge judiciaire du fond à réaliser ce contrôle, Cass. civ. II, 30 nov. 2000, n° 99-50.085 : Bull. civ. II, n° 158 et Cass. civ. I, 16 juin 2011, n° 10-18.226 : Bull. civ. I ; Rev. crit. DIP, 2012, p. 82, obs. S. Corneloup].
De manière plus générale, le Tribunal des conflits semble définitivement fermer toute possibilité pour le juge administratif, notamment saisi en référé, de libérer l’étranger retenu : « il résulte de ce qui précède que le juge judiciaire est seul compétent pour mettre fin à la rétention lorsqu’elle ne se justifie plus pour quelque motif que ce soit ». Alors que le juge judicaire est incompétent pour apprécier de la légalité des décisions administratives fondant la détention de l’étranger, les référés administratifs ne peuvent définitivement pas combler les lacunes de l’article L. 512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui prévoit un contrôle à 72 heures par le juge administratif et pour certains cas des décisions administratives fondant la rétention de l’étranger [on notera toutefois que le Conseil d’État défend une application large du champ de la disposition pour avoir reconnu récemment son application à l’étranger retenu en vue de sa remise, en application de l'article L. 531-1 CESEDA, aux autorités compétentes de l'État membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire ; CE, sect., 30 déc. 2013, Bashardost, n° 367533 : Rec. CE].

Enfin, fidèle à sa jurisprudence traditionnelle, on pourra regretter que le Tribunal des conflits fonde la compétence judiciaire sur les réserves d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel dans ses examens de la législation des étrangers [Cons. const., déc. n° 2003‑484 DC du 20 nov. 2003 portant sur la loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité : J. O., 27 nov. 2003, p. 20154 : Gaz. Pal., 2005, doct., p. 685, comm. J. Boyer ; consid. n° 51 ; LPA, 20 janv. (partie I) et 21 janv. (partie II) 2004, p. 10, comm. J.‑É. Schoettl ; consid. n° 66 : « l'étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet ; que l'autorité judiciaire conserve la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient » - v. pour une formule approchante, Cons. const., déc. n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 portant sur la loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité : J. O., 17 juin 2011, p. 10306 ; AJDA, 2011, p. 1174, obs. M.-C. de Montecler ; Constitutions, 2012, p. 597, obs. V. Tchen ; consid. n° 75], plutôt que directement sur le fondement de l’article 66 de la Constitution, visé au même titre que l’article 62 de la Constitution mais absent du corps du raisonnement, le caractère attributif de compétence de la première disposition au profit du juge judiciaire, d’une façon ou d’une autre, étant toujours minoré.

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