L’affaire [Trib. Confl.,
9 févr. 2015, M. H. c. Préfet de
Seine-et-Marne, n° 3986] ne devrait pas véritablement prêter à
discussion tant sa solution, qui rend le juge des libertés et de la détention
compétent, lorsqu’il est saisi de la prolongation de la rétention
administrative de l’étranger, pour apprécier du défaut « de perspective d’exécution de la mesure d’éloignement
dans le délai restant à courir de la rétention », est logique, pour
poser la question du bien-fondé de la privation de liberté, de sa nécessité et
de sa proportionnalité, pour lequel le juge judiciaire bénéficie d’un monopole
établi par le Conseil constitutionnel, le Tribunal des conflits lui-même et le
juge judiciaire [Cons.
const., déc. n° 2010-71 QPC du 26 nov. 2010, [Mme S.] : J. O., 27 nov. 2010,
p. 21119 ; Dr. Famille,
2011, comm. n° 11, note I. Maria ;
RFDA, 2011, p. 951, chron. A. Pena ; JCP, 2011, n° 189, note K. Grabarczyk ;
AJDA, 2011, p. 174, X. Bioy ; consid. n° 37 :
« si, en l'état du droit applicable,
les juridictions de l'ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour apprécier
la régularité de la procédure et de la décision administratives qui ont conduit
à une mesure d'hospitalisation sans consentement, la dualité des ordres de
juridiction ne limite pas leur compétence pour apprécier la nécessité de la
privation de liberté en cause » - T. confl., 6 avr. 1946, Sieur Machinot c. pft Police : Rec. CE, p. 326 : « s’il appartient à la juridiction
administrative de connaître de la régularité de la décision administrative par
laquelle l’autorité préfectorale ordonne un internement dans un établissement
d’aliénés, l’autorité judiciaire est seule compétente, en vertu de la loi du 30
juin 1838, pour apprécier la nécessité de cette mesure et les conséquences qui
peuvent en résulter » - Cass.
civ. I, 29 nov.1989, n° 87-18.660 : Bull.
civ. I, n° 370 ; « si
l'autorité judiciaire s'est vu conférer par l'article 35 bis de
l'ordonnance du 2 novembre 1945 l'appréciation de l'opportunité et de la
régularité des mesures de surveillance et de contrôle qui peuvent être prises
par l'autorité pour assurer le départ de l'étranger ayant fait l'objet d'un
refus d'autorisation d'entrée sur le territoire français, d'un arrêté
d'expulsion ou d'une mesure de reconduite à la frontière, elle est incompétente
pour se prononcer sur la régularité de la mesure de reconduite à la frontière
prise en application de l'ordonnance du 2 novembre 1945, hormis
l'existence d'une voie de fait »].
En matière de rétention
administrative, la loi rappelle que la durée de la rétention administrative ne doit
dépasser « le temps strictement
nécessaire à son départ », si bien que
« l'administration doit
exercer toute diligence à cet effet », réalisant elle-même le lien
entre le bien-fondé de la privation de liberté, l’existence de perspectives raisonnables
d’exécution de la mesure d’éloignement durant le délai de rétention et la diligence
des autorités à réaliser les opérations [art.
L. 551-4 CESEDA]. La jurisprudence de la Cour de cassation la plus récente
en la matière avait pourtant refusé au juge judiciaire d’opérer le contrôle du
respect des conditions posées par la disposition et de libérer en cas de
constat de l’absence de perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement
dans le délai restant à courir de la rétention [Cass.
civ. I, 25 juin 2014, n° 13-23.940 : inédit ; « qu'en
procédant ainsi à une vérification des conditions de délai nécessaires au
départ prévu à l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des
étrangers et du droit d'asile, le premier président a porté une appréciation
sur la légalité de la décision administrative ordonnant le placement en
rétention administrative de [l’étranger],
partant excédé ses pouvoirs » - v. pour nos critiques de cette
solution, notre
chron., n° 43 – on notera que les conclusions
de B. Da Costa sur cette
affaire tranchée par le Tribunal des conflits ont minimisé la portée de cet
arrêt, notant que concernant le cas d’un étranger ayant réalisé un recours
devant la Cour nationale du droit d’asile, l’appréciation des perspectives d’éloignement
pendant le délai de la rétention par le juge judiciaire revenait bien à
apprécier la légalité de la décision administrative de placement en rétention,
laissant la possibilité pour cette jurisprudence de perdurer, dans ce cas
particulier seulement]. Le juge des libertés et de la détention avait en l’espèce
réalisé la même appréciation restrictive de sa propre compétence naturelle, tandis
que le juge administratif saisi en référé-liberté avait renvoyé l’affaire devant
le Tribunal des conflits, « estimant
que le maintien en rétention résultait d’une décision du juge judiciaire et que
le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile attribuait
compétence à ce dernier pour y mettre fin ».
Au regard de la
décision, il revient en conséquence au juge judiciaire de vérifier que la
détention de l’étranger ne dépasse pas le temps strictement nécessaire à son
départ, au regard de l’existence d’une perspective raisonnable d’exécution de
la mesure d’éloignement dans le délai restant à courir de la rétention, notion
issue directement de l’article 15-4 de la Directive « retour » du 16 décembre 2008 [« lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement
pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions
énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus
et la personne concernée est immédiatement remise en liberté »], mais
aussi, du fait du raisonnement mené sur l’article L. 551-4 du Code de l’entrée
et du séjour des étrangers et du droit d’asile sans distinction entre ses deux
phrases, d’assurer le contrôle des diligences de l’administration [v. sur la
jurisprudence plus ancienne de la Cour de cassation autorisant le juge
judiciaire du fond à réaliser ce contrôle, Cass.
civ. II, 30 nov. 2000, n° 99-50.085 : Bull.
civ. II, n° 158 et Cass.
civ. I, 16 juin 2011, n° 10-18.226 : Bull.
civ. I ; Rev. crit. DIP, 2012, p.
82, obs. S. Corneloup].
De manière plus
générale, le Tribunal des conflits semble définitivement fermer toute
possibilité pour le juge administratif, notamment saisi en référé, de libérer l’étranger
retenu : « il résulte de ce qui
précède que le juge judiciaire est seul compétent pour mettre fin à la
rétention lorsqu’elle ne se justifie plus pour quelque motif que ce soit ».
Alors que le juge judicaire est incompétent pour apprécier de la légalité des
décisions administratives fondant la détention de l’étranger, les référés
administratifs ne peuvent définitivement pas combler les lacunes de l’article L.
512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile,
qui prévoit un contrôle à 72 heures par le juge administratif et pour certains
cas des décisions administratives fondant la rétention de l’étranger [on notera
toutefois que le Conseil d’État défend une application large du champ de la
disposition pour avoir reconnu récemment son application à l’étranger retenu en
vue de sa remise, en application de l'article L.
531-1 CESEDA, aux autorités compétentes de l'État membre qui l'a admis à
entrer ou à séjourner sur son territoire ; CE,
sect., 30 déc. 2013, Bashardost, n° 367533 : Rec. CE].
Enfin, fidèle à sa
jurisprudence traditionnelle, on pourra regretter que le Tribunal des conflits
fonde la compétence judiciaire sur les réserves d’interprétation formulées par
le Conseil constitutionnel dans ses examens de la législation des étrangers [Cons.
const., déc. n° 2003‑484 DC du 20 nov. 2003 portant sur la loi relative à la maîtrise de l’immigration,
au séjour des étrangers en France et à la nationalité : J.
O., 27 nov. 2003, p. 20154 : Gaz.
Pal., 2005, doct., p. 685, comm. J.
Boyer ; consid. n° 51 ; LPA,
20 janv. (partie I) et 21 janv. (partie II) 2004, p. 10, comm. J.‑É. Schoettl ; consid.
n° 66 : « l'étranger ne
peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son
départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet ; que
l'autorité judiciaire conserve la possibilité d'interrompre à tout moment la
prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande
de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient »
- v. pour une formule approchante, Cons.
const., déc. n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 portant sur la loi
relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité : J. O., 17 juin 2011,
p. 10306 ; AJDA, 2011, p.
1174, obs. M.-C. de Montecler ;
Constitutions, 2012, p. 597,
obs. V. Tchen ; consid.
n° 75], plutôt que directement sur le fondement de l’article 66 de la
Constitution, visé au même titre que l’article 62 de la Constitution mais
absent du corps du raisonnement, le caractère attributif de compétence de la première disposition au
profit du juge judiciaire, d’une façon ou d’une autre, étant toujours minoré.
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