vendredi 7 novembre 2014

[chr.] Chronique jurisprudentielle de droit général de la privation de liberté [15 juin 2014 - 14 juillet 2014]

Chronique jurisprudentielle de droit général de la privation de liberté
15 juin 2014 au 14 juillet 2014

Un droit de la privation de liberté. En prolongement de ma thèse, établissant un « Essai de la théorie générale des droits d'une personne privée de liberté » [2014, Nancy], cette chronique vise à présenter une partie de l’actualité juridique de la privation de liberté, concernant les éléments susceptibles d'éclairer sa théorie générale, soit qu'ils se situent directement dans son encadrement général supra-légal, l'article 66 de la Constitution ou l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme principalement, soit qu'ils concernent un élément qui, sans avoir d'implication supra-légale, se retrouve répandu dans l'ensemble des cas spéciaux de la privation de liberté de la législation nationale. L'existence d'un droit de la privation de liberté peut sans doute être caractérisée, non pas seulement du fait de son objet, mais du fait d'une cohérence le structurant : la présente chronique se propose de traiter de sa partie générale dans son actualité jurisprudentielle.

Définition de la privation de liberté, la loi privative de liberté dénuée d'arbitraire et le contrôle juridictionnel de la privation de liberté. L’application du droit général de la privation de liberté suppose en préalable de caractériser l’existence d’une mesure de cette nature, et de clarifier, à cette fin, la définition de la privation de liberté (I.). Les problématiques majeures soulevées par l’œuvre de définition tiennent à la distinction entre la simple mesure restrictive de liberté de la mesure privative de liberté et à la qualification des événements majeurs survenant dans le cours de la privation de liberté, autres que l’arrestation, le placement en détention, sa prolongation ou la libération, notamment pour déterminer l’étendue des droits reconnus à la personne privée de liberté à ces occasions. Par opposition au sens historique de la détention arbitraire, la première protection générale et supra-légale de la liberté individuelle revient à exiger une loi privative de liberté dénuée d’arbitraire (II.). Une telle loi assure la sûreté, pour être prévisible et fournir à la personne privée de liberté des garanties adéquates. Une telle loi définit le champ de la privation de liberté de manière à prévenir toute application d’une rigueur non nécessaire. Dans une conception plus moderne, la seconde protection générale et supra-légale de la liberté individuelle a trait au contrôle juridictionnel de la privation de liberté (III.). La principale part du contrôle revient au juge judiciaire, sur le fondement de l’article 66 de la Constitution, qui en fait le gardien de la liberté individuelle. Le juge administratif en conserve une part.


Sommaire
(les arrêts cités dans le sommaire et soulignés dans les développements correspondent à la période de la chronique)

I. Définition de la privation de liberté



A) L’application d’une contrainte physique étatique, qui s’exerce avec suffisamment d’intensité, pour compromettre gravement la liberté d’aller et venir

1. Les critères européens de la qualification de privation de liberté : une contrainte physique intense au regard de sa durée et du confinement généré. CEDH, sect. I, 26 juin 2014, Krupko et autres c. Russie, req. n° 26587/07, en angl.

2. La réduction du champ de l'audition libre en cas d'exercice d'une contrainte physique préalable : l’extension limitée des cas de présomption irréfragable de maintien continu de la contrainte. Cass. civ. I, 9 juil. 2014, 13-20.648 : inédit.

B) La nature des événements dans la privation de liberté

3. Nature du retrait du crédit de réduction de peine pour mauvaise conduite : étendue des garanties procédurales applicables à la mesure visant « un objectif d'individualisation de la peine ». Cass. crim., 18 juin 2014, n° 14-82.820 : inédit. - Cons. const., déc. n° 2014-408 QPC du 11 juil. 2014 [M. Dominique S.] : J. O., 13 juil. 2014, p. 11.815.

4. La computation de la période de sûreté : la peine dans la peine. Cass. crim., 25 juin 2014, n° 14-81.793 à paraître au Bulletin.

5. Le maintien du contrôle entier du placement en isolement pénitentiaire sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

6. « Contestations sur ses droits et obligations de caractère civil » et événements dans la privation de liberté. Cass. crim., 18 juin 2014, n° 13‑81.862 : inédit. - CE, 30 juin 2014, Assoc. Cercle de réflexion et de proposition d'action sur la psychiatrie c. Min. Just., n° 352668 : inédit.
*****

II. La loi privative de liberté dénuée d'arbitraire

A. La sûreté

1) La prévisibilité de la base légale

7. La précision de la base légale de la détention moyen. CEDH, sect. II, 24 juin 2014, Yarashonen c. Turquie, req. n° 72710/11, en angl.

8. L'admission de la courte privation de liberté factuelle : l'exemple de la retenue pour vérification de l'imprégnation alcoolique du conducteur. Cass. crim., 17 juin 2014, n° 13-86.059 : inédit. - Cass. crim., 18 juin 2014, n° 13‑83.954 : inédit.

9. À propos du pouvoir de la chambre de l'instruction, saisie par le Procureur de la République, de maintenir la détention provisoire, lorsque le juge d'instruction n'a pas répondu dans son ordonnance de renvoi aux réquisitions de maintien en détention provisoire. Cass. crim., 9 juil. 2014, n° 14-82.761 : à paraître au bulletin.

10. Le sort des Unités pour malades difficiles : les limites de la légalité de la privation de liberté. CE, 30 juin 2014, Assoc. Cercle de réflexion et de proposition d'action sur la psychiatrie c. Min. Just., n° 352668 : inédit.

2) L'existence de garanties législatives suffisantes pour écarter l'arbitraire


a) Droit d'être informé des raisons de son arrestation

12. Exigences européennes limitées quant au droit du suspect d'être informé des motifs de son arrestation. CEDH, sect. IV, 24 juin 2014, Petkov et Profirov c. Bulgarie, req. nos 50027/08 et 50781/09, en angl.

13. La question de la conformité du droit français : l'information du suspect des raisons de son arrestation après la loi du 27 mai 2014. Cass. crim., 18 juin 2014, nos 14-81.014 et 14-82.124 : inédit. 

b) Droit d'être assisté par un avocat dès l'arrestation

14. Déliement du droit du suspect à l'assistance d'un avocat de la privation de liberté : le développement des droits de la défense pour le suspect libre.

15. Encadrement jurisprudentiel antérieur de l'audition libre. Cass. cim., 24 juin 2014, n° 13-83.126 : inédit.

16. Effets sur les droits de la défense du suspect privé de liberté de la reconnaissance des droits de la défense au suspect libre. Cass. crim., 25 juin 2014, 13-82.121 : inédit.

3) La sanction du détournement de la loi privative de liberté

17. « Pratiques administratives » de détentions : implications décevantes. CEDH, gde ch., 3 juil. 2014, Géorgie c. Russie (I), req. n° 13255/07.

18. Le contrôle de la privation de liberté de l’étranger en attente de l’exécution de son expulsion succédant à l’échec d’une procédure d’extradition. CEDH, sect. I, 10 juil. 2014, Rakhimov c. Russie, req. n° 50552/13, en angl.

19. Le bien-fondé de l’usage de la privation de liberté pénale pour des faits liés à la liberté d’expression journalistique. CEDH, sect. II, 8 juil. 2014, Nedim Sener c. Turquie, req. n° 38270/11 - CEDH, sect. II, 8 juil. 2014, Sik c. Turquie, req. n° 53413/11.

B. L'interdiction de l'application de toute rigueur non nécessaire

1) Nécessité, proportionnalité et adéquation de la loi privative de liberté

20. L'élargissement des pouvoirs d'arrestation : la transformation de l'enquête préliminaire en flagrance à l'issue de surveillances. Cass. crim., 25 juin 2014, n° 14-81.647 : à paraître au bulletin.

21. Délimitation par la Cour européenne des droits de l'Homme du placement en garde à vue : la sanction du pouvoir discrétionnaire de police. CEDH, sect. IV, 24 juin 2014, Petkov et Profirov c. Bulgarie, req. nos 50027/08 et 50781/09, en angl.


23. Conditions de délimitation de la privation de liberté de l'étranger prévue à l'article 5 § 1er de la Convention européenne des droits de l'Homme : rappel des conditions classiques... CEDH, sect. I, 10 juil. 2014, Rakhimov c. Russie, req. n° 50552/13, en angl. - CEDH, sect. I, 26 juin 2014, Egamberdiyev c. Russie, req. n° 34742/13, en angl.

24. ...et enrichissement par inclusion de la conventionnalité de l'ordre d'expulsion. CEDH, gde ch., 3 juil. 2014, Géorgie c. Russie (I), req. n° 13255/07.

25. Développement du contrôle européen de l’opportunité de la privation de liberté de l’étranger. CEDH, sect. I, 10 juil. 2014, Rakhimov c. Russie, req. n° 50552/13, en angl.

26. Le développement d’un droit à préparer sa réinsertion pendant l’exécution d’une peine perpétuelle. CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, req. nos 15018/11 et 61199/12.

2) L'interdiction de toute affliction disproportionnée dans l'exécution de la privation de liberté


a) Le standard pénitentiaire européen

28. Le raisonnement de droit commun : La caractérisation d’un niveau d’« humiliation » ou d’« avilissement » dépassant le seuil « de l’élément habituel d’humiliation inhérent à chaque arrestation ou détention ». CEDH, sect. II, 8 juil. 2014, Nedim Sener c. Turquie, req. n° 38270/11. - CEDH, sect. III, 1er juil. 2014, Mihailescu c. Roumanie, req. n° 46546/12, en angl. - CEDH, gde ch., 3 juil. 2014, Géorgie c. Russie (I), req. n° 13255/07 -  CEDH, sect. III, 17 juin 2014, Zamfirachi c. Roumanie, req. n° 70719/10, en angl. - CEDH, sect. III, 17 juin 2014, Marian Toma c. Roumanie, req. n° 48372/09.



31. Raisonnement commun : violation par « effets cumulatifs » des conditions matérielles de détention. CEDH, sect. III, 1er juil. 2014, Mihailescu c. Roumanie, req. n° 46546/12, en angl. - CEDH, sect. V,  10 juil. 2014, Buglov c. Ukraine, req. n° 28825/02, en angl.

32. Conditions restrictives de l’édiction de l’empêchement du transfert du demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin II vers un autre État en raison du risque d’exposition à un traitement inhumain et dégradant résultant de l’exécution d’une privation de liberté. CEDH, sect. I, 3 juil. 2014, Mohammadi c. Autriche, n° 71932/12, en angl.

b) Le contrôle de la détention dans la détention

33. L’interdiction de l’isolement total : le maintien de la définition stricte de la notion. CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, req. nos 15018/11 et 61199/12.

34. Le contrôle européen peu exigeant de l’affliction générée par l’isolement relatif. CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, req. nos 15018/11 et 61199/12.

35. Application du contrôle désormais classique de la proportionnalité de la durée du placement en isolement. CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, req. nos 15018/11 et 61199/12.

36. Vers le durcissement du contrôle européen de la nécessité du placement en isolement pénitentiaire. CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, req. nos 15018/11 et 61199/12.

37. Le maintien d'une marge des autorités pour le menottage du détenu même en cas de publicité. CEDH, sect. III, 17 juin 2014, Zamfirachi c. Roumanie, req. n° 70719/10, en angl.

38. Le contrôle des conditions de transport des détenus : la transposition du contrôle du régime normal de détention. CEDH, sect. I, 10 juil. 2014, M. S. c. Russie, req. n° 8589/08, en angl. - CEDH, sect. III, 17 juin 2014, Zamfirachi c. Roumanie, req. n° 70719/10, en angl.

c) La capacité à la privation de liberté



3) L'interdiction de toute rigueur non nécessaire aux droits fondamentaux du détenu


*****

III. Le contrôle juridictionnel de la privation de liberté

42. Cour européenne des droits de l’Homme, juge de quatrième degré. CEDH, sect. I, 3 juil. 2014, Dubinsky c. Russie, req. n° 48929/08, en angl.

43. Dualité : vers le transfert au juge administratif du contrôle du bien-fondé de la rétention administrative. Cass. civ. I, 25 juin 2014, n° 13‑23.940 : inédit.

44. L'action en libération : Habeas corpus et recours à bref délai.

45. Les questions soulevées par la reconnaissance par la Grande chambre de l’efficacité de l’article 5 § 1er en combinaison avec l’article 13 : dégagement d’un effet suspensif à la contestation de la privation de liberté ou erreur de plume. CEDH, gde ch., 3 juil. 2014, Géorgie c. Russie (I), req. n° 13255/07. - CEDH, sect. I, 26 juin 2014, Shcherbina c. Russie, req. n° 41970/11, en angl. - CEDH, sect. IV, 24 juin 2014, Petkov et Profirov c. Bulgarie, req. nos 50027/08 et 50781/09, en angl.


A) L'autorité judiciaire, gardien de la liberté individuelle



1) Les formes du contrôle judiciaire de la privation de liberté

47. Les quatre formes du contrôle judiciaire de la privation de liberté.

a) Les caractéristiques du contrôle judiciaire



i) Le contrôle en temps réel

48. L'officier de police judiciaire, gardien de la liberté individuelle. Cass. crim., 17 juin 2014, n° 13-86.059 inédit.

49. La valeur du contrôle en temps réel par l'autorité judiciaire de la privation de liberté. CEDH, sect. IV, 24 juin 2014, Petkov et Profirov c. Bulgarie, req. nos 50027/08 et 50781/09, en angl.

ii) l'Habeas corpus

50. Arrestation du criminel condamné par défaut à une peine privative de liberté et défaut d’Habeas corpus : une nouvelle perspective de condamnation européenne concernant la privation de liberté du suspect. Cass. crim., 9 juil. 2014, n° 14‑82.838 : à paraître au Bulletin.

51. L'articulation entre l'Habeas corpus et le recours au Tribunal à « bref délai » du suspect. CEDH, sect. IV, 24 juin 2014, Petkov et Profirov c. Bulgarie, req. nos 50027/08 et 50781/09, en angl.

iii) Le recours à bref délai

52. La découverte de l’obligation du Tribunal, saisi sur le fondement de l’article 5 § 4 pour assurer le premier contrôle judiciaire de la privation de liberté, de trancher dans une célérité renforcée « s’approchant d’aussitôt » : vers la généralisation de l’Habeas corpus européen. CEDH, sect. I, 26 juin 2014, Shcherbina c. Russie, req. n° 41970/11, en angl.


54. Les incertitudes européennes quant aux droits de recours servant à contester le bien-fondé de la poursuite de l’exécution de la peine perpétuelle pendant son cours : avancées et reculades entre chance d’être libéré, droit au réexamen et recours à bref délai. CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, req. nos 15018/11 et 61199/12.

b) Le juge de la privation de liberté

55. La partialité de la juridiction de jugement en raison de son intervention préalable dans le contentieux de la détention provisoire : application à l’intervention après renvoi. CEDH, sect. III, 24 juin 2014, Ionut-Laurentiu Tudor c. Roumanie, req. n° 34013/05.

c) Le procès de la privation de liberté

56. Les limites des garanties procédurales entourant le recours à bref délai en contestation de la légalité de la détention provisoire. CEDH, sect. II, 8 juil. 2014, Nedim Sener c. Turquie, req. n° 38270/11 - CEDH, sect. II, 8 juil. 2014, Sik c. Turquie, req. n° 53413/11.




2) Le contrôle du juge judiciaire de la légalité de l'arrestation : l'Habeas corpus

57. Portée éventuelle sur le contrôle judiciaire interne de l'accroissement du contrôle européen de la durée de la garde à vue. CEDH, sect. IV, 24 juin 2014, Petkov et Profirov c. Bulgarie, req. nos 50027/08 et 50781/09, en angl.

58. La légalité de l'arrestation de l'étranger : le contrôle du respect du paquet de droits généré par l'arrestation. Cass. civ. I, 9 juil. 2014, n° 13-20.648 : inédit.

59. La légalité de l'arrestation de l'étranger : le contrôle de la légalité du contrôle du titre de séjour la précédant. Cass. civ. I, 9 juil. 2014, n° 13-22.010à paraître au Bulletin.

60. Effets de la violation du paquet de droits généré par l'arrestation de l'aliéné : le développement de la théorie générale. Cass. civ. I, 18 juin 2014, n° 13-16.887 : inédit. - Cass. civ. I, 9 juil. 2014, n° 13-17.984 : inédit.

61. Première application par la Cour de cassation du contrôle de la régularité administrative de la décision d'internement. Cass. civ. I, 18 juin 2014, n° 13-16.363 : inédit.

3) Le contrôle du juge judiciaire de la détention : le titre du Tribunal

62. Les incidences de l’annulation par le Tribunal supérieur du précédent titre de détention concernant la privation de liberté exercée sur ce dernier. CEDH, sect. I, 26 juin 2014, Shcherbina c. Russie, req. n° 41970/11, en angl.

a) Le contrôle judiciaire de la détention provisoire

63. « Surmotivation » de la détention provisoire pendant l'instruction. Cass. crim., 17 juin 2014, n° 14-82.674 : inédit.

64. Le faible contrôle de la motivation de l'insuffisance des mesures alternatives. Cass. crim.,25 juin 2014, n° 14‑82.426 : inédit.

65. Célérité accrue de l'instruction pour le mis en examen en détention provisoire. Cass. crim., 17 juin 2014, n° 14‑81.584 : à paraître au Bulletin.

66. Motivation de l'arrêt de la Chambre de l'instruction prononçant le maintien en détention provisoire après infirmation de l'ordonnance de remise en liberté du juge d'instruction : application des exigences légales. Cass. crim., 24 juin 2014, n° 14‑82.366 : inédit.

67. Demande de remise en liberté fondée sur l'état de santé incompatible du prévenu : obligation de motivation. Cass. crim., 17 juin 2014, n° 14-82.674 : inédit.

b) Le contrôle judiciaire de la peine privative de liberté

68. La réduction de l'obligation de motivation de la peine privative de liberté au seul cas de l'emprisonnement ferme, hors cas de récidive légale. Cass. crim., 9 juil. 2014, n° 13-86.908 : inédit. - Cass. crim., 18 juin 2014, n° 13-81.862 : inédit. - Cass. crim., 9 juil. 2014, n° 13-86.908 : inédit.

69. Motivation de la peine d'emprisonnement ferme hors cas de récidive légale : le contrôle minimal de la Chambre criminelle. Cass. crim., 9 juil. 2014, n° 13-86.908 inédit. - Cass. crim., 18 juin 2014, n° 12-87.803 : inédit. - Cass. crim., 18 juin 2014, n° 12-88.060 : inédit. - Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-81.749 : inédit. - Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13‑82.720 : inédit. - Cass. crim., 18 juin 2014, n° 12-87.803 inédit. - Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-82.720 inédit. - Cass. crim., 18 juin 2014, n° 12-88.060 inédit. - Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-82.720 inédit. - Cass. crim., 18 juin 2014, n° 12-87.803 inédit. - Cass. crim., 18 juin 2014, n° 12-88.060 inédit. - Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13‑82.720 inédit.

B) Le juge administratif, gardien de la liberté individuelle

1) Le contrôle de la légalité de la décision administrative servant de fondement à la privation de liberté visant son exécution

70. Vers l’obligation d’instaurer un Habeas corpus pour l’étranger en droit administratif. CE, 19 juin 2014, n° 381358 : inédit

2) Le contrôle des conditions matérielles de détention

71. Le droit de recours interne en violation des conditions matérielles de détention : le recours préventif [« preventive remedy »] et le recours compensatoire [« compensatory remedy »]. CEDH, sect. I, 10 juil. 2014, M. S. c. Russie, req. n° 8589/08, en angl. - CEDH, sect. II, 24 juin 2014, Yarashonen c. Turquie, req. n° 72710/11, en angl.

72. Vers une hausse du contrôle du juge national du placement en isolement pénitentiaire de sûreté. CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, req. nos 15018/11 et 61199/12.





*****

I. Définition de la privation de liberté



A) L’application d’une contrainte physique étatique, qui s’exerce avec suffisamment d’intensité, pour compromettre gravement la liberté d’aller et venir

1.                  Les critères européens de la qualification de privation de liberté : une contrainte physique intense au regard de sa durée et du confinement généré. Pour que la protection de l'article 5 de la Convention européenne s'applique, la mesure critiquée doit être qualifiée de privation de liberté, la simple restriction à la liberté d'aller et venir relevant de l'article 2 du Protocole n° 4. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme n'est pas toujours claire quant à sa définition de la privation de liberté [v. L. Mortet, op. cit.]. La privation de liberté est d'abord une mesure de « contrainte » physique [CEDH, sect. I, 26 juin 2014, Krupko et autres c. Russie, req. n° 26587/07, en angl. ; § 36 : l'espèce concernait l'irruption des forces de police lors d'un rassemblement de témoins de Jéhovah, duquel plusieurs individus étaient retirés, puis conduits au poste de police, où ils restèrent trois heures], que la Cour s'autorise à rechercher de manière factuelle, indépendamment de la qualification interne. La contrainte physique se définit comme celle empêchant la personne de quitter un périmètre dans lequel elle se trouve confinée par les autorités : a contrario, la démonstration de la capacité de la personne à quitter librement le périmètre permet d'écarter la qualification [ibid.]. La Cour européenne des droits de l'Homme admet que la preuve de la contrainte résulte du rassemblement d'un faisceau d'indices [v. par exemple, CEDH, sect. II, 11 déc. 2012, Venskute c. Lituanie, req. n° 10645/08, en angl. ; § 71 et s.]. La Cour a même dégagé une présomption de contrainte lorsque l'individu se trouve en apparence sous la mainmise des autorités au poste de police, l'État devant démontrer sa participation volontaire pour échapper à la qualification [CEDH, gde ch., 23 févr. 2012, Creanga c. Roumanie, req. n° 29226/03 Dr. pénal, 2013, n° 4, chron. E. Dreyer Gaz. Pal., 15 mars 2012, p. 31, obs. C. Berlaud].
De surcroît, la contrainte physique doit être suffisamment sévère et intense pour déclencher la qualification. D’abord, le périmètre de confinement doit être restreint. À l'échelle d'un bâtiment, la qualification de la privation de liberté s'applique sans difficulté, même si les individus disposent d'un certain degré de liberté à l'intérieur [Krupko et autres : préc. ; § 36]. Ensuite, la contrainte doit être appliquée durant une durée importante. Cette dernière condition n'est pas vraiment réductrice, une durée de quelques heures suffisant à déclencher la qualification [en l’espèce, la durée de la mesure qualifiée de privation de liberté était de trois heures]. Quelques minutes peuvent même suffire [v. pour une privation de liberté de vingt minutes, la qualification étant établie dans un obiter dictumCEDH, sect. IV, 12 janv. 2010, Gillan et Quinton c. Royaume-Uni, req. n° 4158/05, en angl. ; RFDA, 2011, p. 987, chron. H. LAbayle et F. Sudre - v. pour une privation de liberté de quarante-cinq minutes, CEDH, sect. I, 21 juin 2011, Shimovolos c. Russie, req. n° 30194/09, en angl. - v. pour une privation de liberté de seulement huit minutes, CEDH, sect. III, 24 janv. 2012, Brega et autres c. Moldavie, req. n° 61485/08, en angl.]. C'est donc, au moins dans les principes, une définition assez large de la privation de liberté que la Cour européenne des droits de l'Homme défend, sans la limiter à l'enfermement cellulaire, sans non plus la cantonner aux privations de liberté dépassant plusieurs heures.

2.                  La réduction du champ de l'audition libre en cas d'exercice d'une contrainte physique préalable : l’extension limitée des cas de présomption irréfragable de maintien continu de la contrainte. En cas d'exercice d'une contrainte physique préalable, la présomption européenne de privation de liberté [v. supra, n° 1] semble interdire l'usage subséquent de l'audition libre, sauf à ce que les autorités établissent la preuve que l'individu est resté librement à la disposition des forces de police, malgré la notification de son droit de quitter le périmètre. Le Code de procédure pénale comprend désormais plusieurs dispositions permettant l'audition libre de la personne suspectée, quand bien même son audition aurait été permise par l'usage préalable d'un pouvoir de contrainte, dès lors « qu'elle a été informée qu'elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie », par exemple à la suite d'un dégrisement [art. L. 3341-2 CSP] ou encore après les opérations de dépistage du conducteur d’un véhicule [art. L. 234‑18 et L. 235-5 CR - celles-ci peuvent être réalisées sous la contrainte ; v. infra, n° 8]. Le Conseil constitutionnel a lui-même établi, sur le fondement de l'article 62 du Code de procédure pénale [pourtant, la disposition établissait plutôt un cas spécifique de privation de liberté, celui de l'audition forcée du témoin en flagrance, puisqu'elle employait à son sujet le verbe « retenir », et l'obligation de le placer en garde à vue, bien que déjà retenu, en cas d'établissement, au cours de son audition, de sa qualité de suspect], que la personne suspectée pouvait « être entendue par les enquêteurs en dehors du régime de la garde à vue dès lors qu'elle n'est pas maintenue à leur disposition sous la contrainte », sous la réserve, notamment, de l'informer « de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie » [Cons. const., déc. n° 2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 nov. 2011, [Mme A.] : J. O., 19 nov. 2011, p. 19480 ; D., 2011, p. 3034, comm. H. Matsopoulou ; Dr. pén., 2012, ét. n° 4, comm. J. LeroyJCP, 2011, n° 452, note J. PradelGaz. Pal., 22 nov. 2011, comm. O. BacheletGaz. Pal., 7 juil. 2011, p. 12, comm. G. Straehli ; Gaz. Pal., 3 mai 2011, p. 12, obs. D. MaraisLPA, 4 juin 2012, p. 8, chron. V. Tellier‑Cayrol ; consid. n° 19]. La jurisprudence judiciaire a aussi admis la validité de l’audition volontaire, malgré l'exercice préalable et dans un temps rapproché d'une contrainte physique très élevée, par exemple pour l’étranger en situation irrégulière, entre sa remise à la police française de l'air et des frontières par les forces de l'ordre italiennes dans le cadre d'une réadmission et la notification de son placement en rétention administrative [Cass. civ. I, 9 juil. 2014, 13-20.648 : inédit ; l'usage de l'article 62 du Code de procédure pénale, tout en notant la situation irrégulière de l'étranger, à la réponse au moyen critiquant une privation de liberté réalisée sans base légale, montre que le juge a qualifié cette situation « d'audition libre », même si la motivation employée n'est pas nette], ou encore pour le suspect entendu pour des faits distincts de ceux motivant son maintien en garde à vue simultanément [v. Cass. crim., 23 janv. 2013, n° 12-83.798inédit ; Dr. pén., 2013, chron. n° 8, obs. V. Lesclous : la Chambre criminelle autorisait le recours à l’audition libre au regard de l’absence de « mesure coercitive »].
La seule disposition limitant le champ de l'audition libre en cas d'usage préalable de la contrainte résidait dans l'article 73 du Code de procédure pénale, réglant l'interpellation du suspect en flagrance par toute personne, en interdisant son recours « si la personne a été conduite, sous contrainte, par la force publique devant l'officier de police judiciaire », tout en autorisant, a contrario, son usage en cas de conduite de la personne par toute autre personne. L'encadrement de l'audition libre par un statut protecteur à l'article 61-1 du Code de procédure pénale par la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales a abouti à une restriction supplémentaire du champ de l'audition libre, exclue plus largement lorsque la personne a été « conduite, sous contrainte, par la force publique devant l'officier de police judiciaire ». Sans remise en cause des autres dispositions du Code de procédure pénale précitées, l'audition libre ne semble empêchée qu'en cas de contrainte employée dans le but immédiat d'entendre le suspect au poste de police : l'usage continu de la contrainte fait alors l'objet d'une présomption irréfragable. Une telle solution émergeait déjà pour le mineur [Cass. crim., 6 nov. 2013, n° 13-84.320 : publié au Bulletin : « le mineur, conduit par les policiers auprès d'un officier de police judiciaire pour être entendu sur une infraction qu'il était soupçonné d'avoir commise, se trouvait nécessairement dans une situation de contrainte et devait bénéficier des droits attachés au placement en garde à vue »]. L'apport principal de la nouvelle disposition législative, au regard des exclusions de l'audition libre déjà prévues, par la loi pour l'arrestation en flagrance ou par la jurisprudence pour le mineur « conduit » au poste,  concerne donc la personne forcée à comparaître en enquête préliminaire, sur le fondement de l'article 78 du Code de procédure pénale.
Si désormais la loi a découplé les droits de la défense pénale de la privation de liberté [v. infra, n° 14], l'absence de droit à un examen médical dans l'audition libre maintient un intérêt à forcer le placement en garde à vue du suspect en cas d'usage de la contrainte, quand bien‑même celle-ci ne viserait pas à réaliser immédiatement l'audition. Inversement, pour les cas de présomption irréfragable de maintien continu de la contrainte obligeant le placement en garde à vue du suspect, le contrôle judiciaire a posteriori de la durée de celle-ci devrait s’imposer [v. infra, n° 57, sur les solutions de droit positif], pour préserver les exigences de nécessité et de proportionnalité de la privation de liberté, entamées par l'impossibilité de droit d'user, dans ces cas, de l'alternative moins attentatoire à la liberté individuelle, que constitue l’audition libre par rapport à la garde à vue [on regrettera cependant que la première mesure n'est enserrée dans aucune durée maximale].

B) La nature des événements dans la privation de liberté

3.                  Nature du retrait du crédit de réduction de peine pour mauvaise conduite : étendue des garanties procédurales applicables à la mesure visant « un objectif d'individualisation de la peine ». Une question prioritaire de constitutionnalité a porté, devant la Cour de cassation [Cass. crim., 18 juin 2014, n° 14-82.820 : inédit], la critique de la saisine du juge d'application des peines par le directeur d'établissement, président de la Commission de discipline ayant sanctionné le détenu [art. R. 57-7-6 CPP] et membre de droit de la Commission d'application des peines [art. 712-5 CPP], pour révoquer un crédit de réduction de peine pour mauvaise conduite [art. 721 CPP]. Au regard des fondements utilisés, la contestation défendait l’inclusion du retrait de réduction de peine pour mauvaise conduite dans la matière pénale [selon les moyens, la saisine par le directeur violerait « des garanties constitutionnelles déclinées par l'article 8 de la Déclaration des droits de 1789, en l'occurrence le respect du principe de légalité des délits et des peines, le principe de proportionnalité, le droit à l'individualisation de la peine, de la nécessité de la peine, le respect des droits de la défense, du contradictoire [...] écartant l'application des décisions du Conseil constitutionnel en matière de mesure à caractère répressif, violant la règle ne bis in idem »]. Toutefois, la Cour de cassation a établi le défaut du caractère sérieux de la question, dès lors que le retrait du crédit de réduction de peine pour mauvaise conduite ne porte « ni sur une accusation ni sur la nécessité des peines ». La délimitation opérée ainsi par la Cour de cassation a contrario des grandes garanties du procès équitable, qui semble nouvelle dans sa jurisprudence, apparaît différente de celle du Conseil constitutionnel, qui cantonne l’application des principes à la « sanction ayant le caractère d'une punition » [v. par ex. Cons. const., déc. n° 2004-497 DC du 1er juil. 2004 portant sur la loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle : J. O., 10 juil. 2004, p. 12506 ; consid. n° 4]. La formulation de la chambre criminelle opère une synthèse du champ constitutionnel, « la sanction ayant le caractère de punition », et du champ conventionnel défini par le texte de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, « l'accusation en matière pénale », mais apparaît plus large, pouvant fonder, par exemple, l'application des grandes garanties du procès équitable à la seule décision fixant le quantum de la peine, par exemple celle tranchant une demande de confusion autonome [v. infra, n° 68].
Concernant plus précisément la mesure visant « un objectif d'individualisation de la peine », catégorie servant à qualifier la mesure de retrait du crédit de réduction de peine pour mauvaise conduite, même exclue de la matière pénale, la Chambre criminelle n’écartait pas pour autant toute garantie procédurale. En rappelant que « la décision […] sera prise par un juge indépendant » et qu'elle « pourra faire l'objet d'un recours prévoyant l'assistance du condamné par un avocat », ces garanties minimales semblent s'appliquer au retrait du crédit de réduction de peine, une telle décision ne pouvant résulter entièrement de l'arbitraire, soit qu'elle soit prise d'emblée par une autorité dépendante, ce qui préserve opportunément la judiciarisation, soit qu'elle soit prise sans qu'un recours respectant les grandes garanties du procès équitable n'existe, ce qui n'impose pas la juridictionnalisation dès le prononcé. Comme la spécificité de la justice des mineurs a pu justifier une appréciation souple des grandes garanties du procès équitable concernant l'appréciation de l’impartialité du juge des enfants [Cass. crim., 7 avr. 1993, n° 92‑84.725 : Bull. crim., n° 152 ; D., 1993., jur., p. 553, note J. Pradel ; D., 1994, p. 37, note S. Becquerelle ; RSC, 1994, p. 67, obs. M. Huyette ; ibid., p. 75, note Ch. Lazerges], en raison de la meilleure connaissance par le juge de la personnalité du mineur, l'« objectif d'individualisation de la peine » semble plus encore réduire le procès équitable en droit pénitentiaire, puisque le chambre criminelle notait que la saisine du Directeur servait cet objectif, sans permettre l'arbitraire [à ce titre, cette partie du raisonnement pourrait d’abord servir à contrecarrer, non pas les critiques du moyen tenant à l’inclusion de la mesure dans la matière pénale, mais celle de la violation de « la sûreté à laquelle a droit tout justiciable », qui semble fonder le droit « à exercer un recours juridictionnel effectif » en dehors de la matière pénale, dégagé de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen par le Conseil constitutionnel, et qui sert, par exemple, à fonder le contrôle judiciaire de l'internement des aliénés en dehors de l'Habeas corpus ; Cons. const., déc. n° 2010-71 QPC du 26 nov. 2010, [Mme S.] : J. O., 27 nov. 2010, p. 21119 ; Dr. Famille, 2011, comm. n° 11, note I. Maria ; RFDA, 2011, p. 951, chron. A. Pena ; JCP, 2011, n° 189, note K. Grabarczyk ; AJDA, 2011, p. 174, X. Bioy ; consid. n° 33].
De ce point de vue, la décision de la Chambre criminelle refusant le renvoi apparaît plus intéressante que la décision rendue par le Conseil constitutionnel [Cons. const., déc. n° 2014-408 QPC du 11 juil. 2014 [M. Dominique S.] : J. O., 13 juil. 2014, p. 11.815], saisi par le Conseil d'Etat [CE, 14 mai 2014, X. c. Secrétariat général du gouvernement, n° 375765 : inédit], sur la même question de la nature de la mesure [la requérant, considérant la mesure comme une « sanction ayant le caractère d'une punition », invoquait le défaut de définition suffisamment claire et précise de la notion de « mauvaise conduite »] : le Conseil constitutionnel y a exclu l’application du régime constitutionnel du prononcé de la peine, dès lors que le retrait « a pour conséquence que le condamné exécute totalement ou partiellement la peine telle qu'elle a été prononcée par la juridiction de jugement » [déc. n° 2014-408 QPC du 11 juil. 2014 : préc. ; consid. n° 7].

4.                  La computation de la période de sûreté : la peine dans la peine. La computation de la période de sûreté, en particulier en cas de détention provisoire préalable pour les mêmes faits, pendant laquelle le détenu a exécuté en même temps d'autres peines pour des faits distincts, a donné lieu récemment à un débat doctrinal. Un auteur, par ailleurs magistrat, s'attachant à la nature de la période de sûreté ainsi qu'à sa ratio legis, a critiqué les pratiques favorables appliquées en matière de computation, issues d'une circulaire [v. L. Griffon, « La computation de la période de sûreté » ; AJP, 2013, p. 591]. Des greffes pénitentiaires, des magistrats du parquet et des juges du fond se sont emparés de son raisonnement pour refuser d'imputer sur la période de sûreté la période de détention provisoire pendant laquelle concomitamment était exécutée une autre peine [v. le Canard enchaîné du 26 févr. 2014, l'article de D. Simonot, titré « Le calcul qui peut faire exploser les taules » ; v. l'entretien de V. Bianchi sur le site internet des actualités Dalloz]. D'autres magistrats ont répondu en doctrine pour défendre les solutions anciennes plus favorables, notamment au regard des principes de nécessité et de proportionnalité des peines [D. Boccon-Gibod et B. Laurent, « Période de sûreté et pluralité des peines : un autre regard » ; AJP, 2014, p. 101]. C'est dans ce contexte que la Chambre criminelle a rendu un arrêt attendu, et celle-ci a d'ailleurs pris soin d'adopter une formulation de principe, même si la solution dégagée, reprenant la solution favorable, ne règle pas toutes les questions posées [v. les articles précités concernant les autres questions posées par la computation] : « attendu que la période de sûreté prévue par ce texte n'étant qu'une modalité d'exécution de la peine privative de liberté qu'elle assortit, court à compter de la mise à exécution de celle-ci ; que si la condamnation qui l'emporte ou la prononce a été précédée d'une détention provisoire, l'entier temps de celle-ci doit s'imputer sur la durée de la période de sûreté, sans qu'il y ait lieu de tenir compte, pour diminuer d'autant cette durée, du temps pendant lequel ont été simultanément exécutées une ou plusieurs condamnations à des peines non assorties d'une période de sûreté » [Cass. crim., 25 juin 2014, n° 14-81.793 à paraître au Bulletin].
Pourtant, si on s'attache à la nature de la mesure, plus qu'une modalité d'exécution des peines, nature rappelée ici par la Chambre criminelle, en concordance avec sa jurisprudence constante [v. les articles précités] et avec celle du Conseil constitutionnel [Cons. const., déc. n° 78‑98 DC du 22 nov. 1978 portant sur la loi modifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale en matière d'exécution des peines privatives de liberté : J. O., 23 nov. 1978], la période de sûreté constitue la véritable peine ou même la peine dans la peine, à adopter une analyse de la Cour européenne des droits de l’Homme développée sur le fondement de l’article 5. Celle-ci a parfois distingué deux périodes dans la peine perpétuelle, la première purement punitive ou répressive, puisque fixée selon la gravité de l'infraction commise, pendant laquelle toute possibilité de sortie anticipée est empêchée, et la seconde de sûreté, puisque son maintien est justifié par la persistance de la dangerosité de l'individu, son extinction justifiant la libération [v. pour l'application de ces raisonnements dans des affaires anglaises concernant le système du Tarrif ou d’autres systèmes approchants, scindant distinctement la peine perpétuelle en deux périodes, l'obtention d'une libération conditionnelle n’étant permise qu’au terme de la première partie de la peine, CEDH, plén., 2 mars 1987, Weeks c. Royaume-Uni, req. n° 9787/82 : Rec. CEDH, série A, n° 114 - CEDH, plén., 25 oct. 1990, Thynne, Wilson et Gunnel c. Royaume-Uni, req. nos 11787/85, 11978/86 et 12009/86 : Rec. CEDH, série A, n° 190-A ; RSC, 1991, p. 144, obs. L. E. Pettiti - CEDH, ch., 21 févr. 1996, Singh et Hussain c. Royaume-Uni, 2 espèces, req. nos 23389/94 et 21928/93 : Rec. CEDH, 1996 I ; RSC, 1997, p. 460, obs. R. Koering-JoulinRSC, 1996, p. 933, obs. L. E. Pettiti ; v. L. Mortet, op. cit.]. La distinction sert alors à déterminer le champ d'application de l'article 5 § 4, qui reconnaît le droit à la personne privée de liberté de contester devant un Tribunal la légalité de sa privation de liberté, applicable seulement à la seconde période de sûreté de la peine perpétuelle [Weeks : préc.]. La Cour européenne des droits de l'Homme a même directement reconnu la validité de cette distinction concernant la peine perpétuelle française assortie de la période de sûreté, celle-ci constituant la partie répressive de la peine perpétuelle, pendant laquelle l’article 5 § 4 ne s’applique pas, à la différence du maintien en privation de liberté au-delà de son terme [CEDH, sect. II, 11 avr. 2006, Léger c. France, req. n° 19324/02 : RSC, 2007, p. 134, comm. F. MassiasD., 2006, p. 1800, note J. P. CéréAJP, 2006, p. 258, note S. Enderlin ; § 74 : la période de sûreté « comparable au tariff anglais [correspond] à l’élément punitif de la sentence »]. Le raisonnement peut être relativisé. D’abord, il est en perte de vitesse dans la jurisprudence européenne [les derniers arrêts réalisent principalement le contrôle de la peine perpétuelle sur le fondement de l'article 3, la jurisprudence européenne se montrant plus conciliante quant à l’admission de peines perpétuelles restant tout à leur long de nature répressive, écartant toujours l’application de l’article 5 § 4, pour y reconnaître l’application uniquement d’un droit au réexamen ; v. infra, n° 54]. Ensuite, l'arrêt Léger ne portait pas directement sur la qualification de la peine perpétuelle française assortie d'une période de sûreté, puisque le requérant n'y avait pas été soumis, la Cour européenne des droits de l’Homme évoquant ce cas dans un obiter dictum. Enfin, ce contrôle est cantonné à la peine perpétuelle, même si la Cour fonde l'accroissement de son contrôle de la peine perpétuelle sur des normes internationales qui concernent, le plus souvent, toute peine privative de liberté [v. CEDH, sect. IV, 18 sept. 2012, James, Wells et Lee c. Royaume-Uni, req. nos 25119/09, 57715/09, 57877/09 et 18/09/2012, en angl. : D., actu., 8 oct. 2012, obs. O. Bachelet ; Dr. pénal, 2013, n° 4, chron. E. Dreyer].
À transposer le raisonnement européen faisant de la période de sûreté le cœur de la peine, a fortiori par rapport aux propositions insistant sur sa nature de modalité d'exécution de la peine [v. L. Griffonop. cit.], la partie de la détention provisoire donnant lieu cumulativement à l'exécution d'une peine privative de liberté pour une infraction ne se trouvant pas en concours ne devrait s'imputer sur la peine postérieure, prononcée pour les faits pour lesquels la personne a été placée en détention provisoire, les peines privatives de liberté se cumulant alors sans limite [Cass. crim., 14 févr. 2012, n° 11‑84.397 : Bull. crim. n° 47 : « si [...] la détention provisoire est intégralement déduite de la durée de la peine prononcée, cette déduction ne s'étend pas à la période pendant laquelle le détenu exécutait simultanément une peine d'emprisonnement résultant d'une autre condamnation »].
Il est vrai cependant que l’adoption d’une solution inverse, celle du refus de l’imputation, aurait renversé les solutions appliquées en pratique, entraînant de lourdes conséquences, du fait du report du moment permettant la formulation de demandes de libération conditionnelle. La solution aurait aussi soulevé des difficultés juridiques, alors que la Cour européenne des droits de l'Homme a accru ses exigences tenant à la sécurité juridique dans le droit de l'exécution des peines, sur le fondement de l'article 7 de la Convention, donc de la sécurité juridique, en sanctionnant un revirement jurisprudentiel défavorable quant au calcul des réductions de peine, aboutissant pour les personnes encore détenues à reporter le moment de leur libération [CEDH, gde ch., 21 oct. 2013, Del Rio Prada c. Espagne, req. n° 42750/09]. La transposition d’une telle solution à la modification défavorable des principes applicables à la computation de la période de sûreté n’apparaît toutefois pas certaine, alors que la Cour européenne des droits de l'Homme a pris le soin de circonscrire le rejet de l'application rétroactive plus sévère à la mesure qui « affecte [...] la portée » de la peine [ibid.].
Au regard des difficultés d’interprétation posées, l'article 707 du Code de procédure pénale, sorte d'article préliminaire du droit de l'exécution des peines, doit servir à éclairer les dispositions sur la période de sûreté, à défaut de prescription légale précise. L’article rappelle que « l'exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive ». La solution sur la computation de la période de sûreté adoptée par la Chambre criminelle peut sans doute d'inscrire dans les objectifs généraux assignés à l’exécution des peines, alors qu'elle favorise « l'insertion ou la réinsertion des condamnés », pour leur permettre de prétendre plus rapidement à des mesures de « suspension ou [de] fractionnement de la peine, [de] placement à l'extérieur, [des] permissions de sortir, [de] semi-liberté et [de] libération conditionnelle » [art. 132-23 CP], sans compromettre les objectifs de « la prévention de la récidive » ou « le respect des intérêts de la société », dès lors que leur obtention reste soumise à une décision du juge judiciaire, entourée de l'ensemble des précautions prévues par le Code de procédure pénale.

5.                  Le maintien du contrôle entier du placement en isolement pénitentiaire sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Au regard du développement du contrôle du bien-fondé de l'isolement, de sa nécessité ou de sa proportionnalité, sous le visa de l’article 3, la question de la pertinence du fondement est posée, puisque la censure, à reposer uniquement sur le défaut d’opportunité, trouverait sa source dans une atteinte arbitraire à la liberté individuelle et l'article 5 apparaît comme un fondement plus adéquat, d'autant plus que la méthode de la Cour dans son examen s'approche de celle éprouvée dans le domaine la détention provisoire [v. infra, n° 35 et s.]. D'ailleurs, si la jurisprudence européenne considère que l'isolement pénitentiaire, disciplinaire ou de sûreté, constitue une modalité d'exécution de la peine, et non un cas de privation de liberté autonome [« de manière générale, toutefois, des mesures disciplinaires formelles ou non, qui ont des effets sur les conditions de détention à l’intérieur de la prison, ne peuvent passer pour une privation de liberté », mais « de telles mesures doivent être considérées dans des circonstances normales comme des modifications des conditions de la détention légale et, de ce fait, sortent du champ d’application de l’article 5 § 1er de la Convention » ; CEDH, sect. III, 4 mai 2000, Bollan c. Royaume-Uni, req. n° 42117/98, déc. Rec. CEDH, 2000-V], sauf à ce qu'en droit, l'isolement ajoute directement un temps de privation de liberté supplémentaire à la peine [v. pour la sanction disciplinaire de jours d’emprisonnement s’ajoutant à la peine, CEDH, gde ch., 9 oct. 2003, Ezeh et Connors c. Royaume-Uni, req. nos 39665/98 et 40086/98 : Rec. CEDH, 2003-X ; Dr. pénal, 2004, ét. n° 7, comm. É. Verges ; RSC, 2004, p. 173, note F. Massias], la Cour, en même temps qu'elle établissait la solution, se réservait toutefois la possibilité, dans certaines circonstances, de reconnaître l’applicabilité de l’article 5, sans l'avoir encore utilisée [« la Cour n’exclut pas que des mesures adoptées dans une prison puissent dans des circonstances exceptionnelles s’analyser en une atteinte au droit à la liberté » ; Bollan ; préc.]. L'utilisation du fondement de l'article 5 § 1er pour fonder le contrôle du bien-fondé de l'isolement pénitentiaire, au moins pour celui de sûreté en raison de sa pérennité, est d'autant plus cohérent désormais que la Cour européenne des droits de l'Homme a ouvert en partie, sur ce fondement, le contrôle de la décision de placement ou de révocation de l'assignation à domicile, pourtant simple modalité d'exécution de la peine [v. CEDH, sect. V, 6 nov. 2008, Gouloub Atanassov c. Bulgarie, req. n° 73281/01 ou CEDH, sect. II, 2 août 2001, Mancini c. Italie, req. n° 44955/98 : Rec. CEDH, 2001-IX]. L'avantage d'une telle solution serait d'appliquer à l'isolement pénitentiaire l'article 5 § 4 de la Convention, et donc d'imposer un contrôle juridictionnel du placement à « bref délai », puis périodiquement de son maintien au fil du temps, dont la large étendue est bien posée dans la jurisprudence européenne [v. sur l'étendue de l'article 5 § 4, nos obs.]. C'est que l'usage de l'article 3, pour assurer un contrôle essentiellement juridique de la privation de liberté, permet à la Cour d'améliorer son encadrement, tout en ménageant une marge aux autorités nationales, notamment pour contourner l'article 5 § 4, considération encore marquée dans son contrôle de la peine privative de liberté pour l’isolement ou la peine perpétuelle [v. infra, n° 54].

6.                  « Contestations sur ses droits et obligations de caractère civil » et événements dans la privation de liberté. Le procès équitable ne s'applique pas uniquement au « bien-fondé de toute accusation en matière pénale », mais aussi aux « contestations sur ses droits et obligations de caractère civil », sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. L'exécution de la privation de liberté n'est en principe pas concernée par le premier critère, puisque le bien-fondé de l'accusation a été tranché dans la décision de condamnation [v. par ex. CEDH, gde ch., 17 sept. 2009, Enea c. Italie, req. n° 74912/01 ; § 97 : « la Cour est d’avis que le volet pénal de l’article 6 § 1 de la Convention n’entre pas en jeu, le contentieux pénitentiaire ne concernant pas en principe le bien-fondé d’une "accusation en matière pénale" »]. Le souci d'un meilleur encadrement de l'exécution des peines a abouti à ce que la Cour européenne des droits de l'Homme se serve du deuxième critère de l’article 6, pour développer le procès équitable dans cette matière. La Grande chambre a ainsi reconnu sur le critère des « contestations sur [les] droits et obligations de caractère civil » l'application du procès-équitable à l'isolement pénitentiaire de sûreté particulièrement sévère [Enea, gde ch. : préc.]. La Deuxième section avait aussi admis l'application du procès‑équitable sur le même fondement à la décision d'octroi du congé pénal [mesure de nature similaire à la permission de sortie] pour préparation du projet professionnel de réinsertion [CEDH, sect. II, 14 déc. 2010, Boulois c. Luxembourg, req. n° 37575/04 : Dr. pén., 2011, n° 3, chron. E. Dreyer]. Au regard des décisions appliquant l'article 6, l'incursion du procès équitable dans l’exécution des peines [la Grande chambre dans l'affaire Enea posait un champ d'application fluctuant selon « la nature des limitations (par exemple, une interdiction de bénéficier d’un nombre donné de visites par mois des membres de la famille ou le contrôle continu de la correspondance épistolaire et téléphonique, etc.) ainsi que des répercussions qu’elles peuvent entraîner (par exemple, des difficultés dans le maintien des liens familiaux ou des relations avec les tiers, l’exclusion des promenades) » ; § 106] ou l'aménagement des peines [Boulois, ch. ; § 61 : le refus d'une mesure d'aménagement qui « outre une retombée patrimoniale, relève des droits de la personne, eu égard à l’importance de l’intérêt du requérant à retrouver une place dans la société », au regard de l’arrêt, ouvrait aussi le procès équitable] s'annonçait large. La Grande chambre a ralenti cette percée alors qu'elle était saisie du cas Boulois, par plus grande considération pour le droit national, plutôt que pour les normes internationales d'intéressant au droit à la réinsertion des détenus [CEDH, gde ch., 3 avr. 2012, Boulois c. Luxembourg, req. n° 37575/04 : Rec. CEDH, 2012 : AJP, 2012, p. 352, note M. Herzog-Evans ; Gaz. Pal., 19 avr. 2012, p. 30, obs. C. Berlaud ; JCP, n° 924, chron. F. Sudre], qualifiant l’octroi de la mesure de faveur discrétionnaire plutôt que véritable application d'un droit. Au regard de ce dernier état de la jurisprudence, le refus de la Cour de cassation de soumettre la demande autonome de confusion des peines au procès équitable sur le fondement des « contestations sur ses droits et obligations de caractère civil » apparaît justifié [Cass. crim., 18 juin 2014, n° 13-81.862 : inédit].
Le critère des « droits et obligations de caractère civil » pourrait aussi servir à élargir le procès équitable à certains événements de la privation de liberté en dehors de l’exécution des peines. Concernant le placement de l’aliéné en unité pour malades difficiles, avant la suppression de leur statut légal [v. infra, n° 10], l’application du critère pouvait être posé, au regard du faible nombre d’unités sur le territoire national [10], de nature à entraver le droit de l’aliéné à maintenir ses relations familiales, du fait de l’éloignement géographique provoqué par le transfert. Le juge administratif a toutefois exclu l’application de l’article 6 au placement en unité pour malades difficiles, sans raisonnement plus développé, sur l’un ou l’autre des critères d’application de la disposition [CE, 30 juin 2014, Assoc. Cercle de réflexion et de proposition d'action sur la psychiatrie c. Min. Just., n° 352668 : inédit]. Si le juge administratif a admis le moyen d'annulation de la décision de placement en unité pour malades difficiles reposant sur l'atteinte à la vie familiale normale du fait de l'éloignement généré par le transfert, il a aussi neutralisé le moyen en estimant à chaque fois, sans véritable recherche, que l'atteinte à ce droit n'était pas disproportionnée [CE, sect., 28 juil. 2000, M. E. A., n° 151068 : Rec. CE., p. 347 ; RFDA, 2001, p. 1239, concl. S. Boissard ; JCP, 2001, IV,  1368, obs. M.-Ch. Rouault - CE, réf., 14 oct. 2004, Arre, n° 273047 : Rec. CE, T., p. 625].
À notre sens, c'est d'abord l'article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l'Homme qui a vocation à assurer le contrôle de l'aménagement de la peine, notamment par la remise en cause de la théorie du contrôle incorporé [v. infra, n° 53], dès que le bien-fondé de la poursuite de la peine privative de liberté est posé. Le critère des « contestations sur ses droits et obligations de caractère civil » pourrait toutefois sans doute servir ensuite, pour distinguer parmi les mesures de l'exécution des peines ne portant pas sur son bien-fondé, entre celles devant être soumises au procès équitable et celles y échappant. La même disposition pourrait même s’appliquer au placement dans un régime de détention dérogatoire, car plus orienté vers la sécurité que le régime de droit commun, qu’il s’agisse de l’aliéné ou du condamné [v. supra, n° 5].

******

II. La loi privative de liberté dénuée d'arbitraire

A. La sûreté

1) La prévisibilité de la base légale

7.                  La précision de la base légale de la détention moyen. La détention moyen, dénommée ainsi car elle permet l’exécution forcée d’une obligation, doit être strictement encadrée quant à sa durée, puisque son régime est gouverné par l’obligation, si bien que la détention ne peut se poursuivre au-delà de l’obtention de l’exécution [v. pour le cas général ou « ouvert » de détention moyen figurant à l’article 5 § 1er-b), CEDH, sect. II, 3 déc. 2002, Nowicka c. Pologne, req. n° 30218/96, en angl.], que la détention ne peut, en principe, être employée sans que le débiteur n’ait été mis en mesure de l’exécuter volontairement [v. sur la même disposition, CEDH, sect. V, 2 mai 2013, Petukhova c. Russie, req. n° 28796/07, en angl.] et que le constat de l’impossibilité d’obtenir son exécution empêche le maintien en détention [v. pour le cas général à l’art. 5 § 1er-b), CEDH, sect. IV, 27 juil. 2010, Gatt c. Malte, req. n° 28221/08 : Rec. CEDH, 2010 ; Dr. pénal, n° 4, chron. E. Dreyer, et v. pour le cas particulier de la détention de l’étranger dans l’attente de son expulsion, prévu à l’article 5 § 1er-f, CEDH, gde ch., 19 févr. 2009, A. et autres c. Royaume-Uni, req. n° 3455/05 : Rec. CEDH ; RSC, 2009, p. 672, obs. J.‑P. Marguénaud]. Dès lors, une durée prévisible normale à l’exécution de l’obligation peut être déterminée, l’admission de son dépassement ne doit être admise qu’exceptionnellement pour des motifs précis, et la détermination d’une durée maximale abstraite, marquant l’impossibilité matérielle d’exécution de l’obligation, doit être déterminée. Sans exiger encore précisément tous ces éléments, la Cour européenne des droits de l’Homme sanctionne en tout cas l’absence « de dispositions légales claires établissant la procédure à suivre pour ordonner et proroger une détention aux fins d'expulsion et fixant des limites temporelles à pareille détention » [CEDH, sect. II, 22 sept. 2009, Abdolkhani et Karimnia c. Turquie, req. n° 30471/08 ; § 135 – v. pour une nouvelle sanction pour les mêmes motifs, CEDH, sect. II, 24 juin 2014, Yarashonen c. Turquie, req. n° 72710/11, en angl.].

8.                  L'admission de la courte privation de liberté factuelle : l'exemple de la retenue pour vérification de l'imprégnation alcoolique du conducteur. Malgré le défaut de prévision expresse du recours à la privation de liberté, la Cour de cassation estime que le pouvoir de police judiciaire spécial permettant la vérification de l'imprégnation alcoolique du conducteur en vertu des articles L. 234-4, L. 234-5, L. 234-8 et L. 234-9 du Code de la route induit « le droit de retenir la personne concernée pendant le temps strictement nécessaire à ces opérations, sans être tenus de la placer en garde à vue » [Cass. crim., 24 janv. 2007, n° 06‑81.901 : inédit]. La Cour de cassation l'a rappelé en validant « l'interpellation » d'un conducteur sur le fondement de l'article L. 234-9 du Code de la route [Cass. crim., 17 juin 2014, n° 13-86.059 : inédit]. Le champ de la privation de liberté ainsi dégagé est d'autant plus large que l'« interpellation » pour vérification de l'imprégnation alcoolique est même permise en « cas de conduite hasardeuse », accompagnée de changements de direction non signalés, sur le fondement de l'article L. 234-6 du Code de la route, celle-ci suffisant, au regard de la disposition, à caractériser un « auteur présumé de conduite en état d'ivresse manifeste » [Cass. crim., 18 juin 2014, n° 13-83.954 : inédit]. La Cour de cassation a reconnu aussi un autre cas de privation de liberté factuelle, concernant la fouille in corpore du droit douanier [Cass. crim., 30 juin 1999, n° 98-86.791 : Bull. crim., n° 169 ; Dr. pén., 2000, comm. n° 11, obs. A. Maron ; RSC, 1999, p. 843, obs. D. N. Commaret]. Cette violation de la légalité [la jurisprudence européenne elle-même reconnaît que la courte privation de liberté peut échapper, par exception, à la légalité et au champ de l'article 5, à condition de démontrer sa nécessité ; CEDH, gde ch., 15 mars 2012, Austin et autres c. Royaume-Uni, req. nos 39692/09, 40713/09 et 41008/09 : Rec. CEDH ; Gaz. Pal., 29 mars 2012, p. 30, obs. C. Berlaud ; JCP, 2012, actu., n° 455, chron. F. Sudre ; AJDA, 2012, p. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen] a pour conséquence de priver la personne des droits protecteurs générés par l'arrestation. Pour concerner un suspect privé de liberté, son audition pourrait au moins déclencher son droit à l'assistance de l'avocat [a contrario, la Chambre criminelle a, sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, exclu que l’assistance d’un avocat profite au suspect subissant une perquisition, dès lors que la personne « n'est ni privée de liberté ni entendue sur les faits qui lui sont reprochés » ; Cass. crim., 3 avr. 2013, n° 12‑88.428 : Bulletin crim. ; D., 2013, p. 1940, note S. Detraz ; AJP, 2013, p. 420, obs. L. Belfanti]. 

9.                  À propos du pouvoir de la chambre de l'instruction, saisie par le procureur de la République, de maintenir la détention provisoire, lorsque le juge d'instruction n'a pas répondu, dans son ordonnance de renvoi, aux réquisitions de maintien en détention provisoire. Si la Cour européenne des droits de l'Homme admet, par principe, que toute norme, indépendamment de sa valeur, puisse fonder une privation de liberté [CEDH, ch., 25 juin 1996, Amuur c. France, req. n° 19776/92 : Rec. CEDH, 1996-III ; RSC, 1997, p. 457, obs. R. Koering-Joulin ; D., 1997, p. 203, obs. S. Perez], encore faut-il que celle-ci soit de qualité [CEDH, gde ch., 23 févr. 2012, Creanga c. Roumanie, req. n° 29226/03 : Dr. pénal, 2013, n° 4, chron. E. Dreyer ; Gaz. Pal., 15 mars 2012, p. 31, obs. C. Berlaud ; § 120 : « lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique » si bien qu' « il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à satisfaire au critère de "légalité" fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre à tout individu – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé »]. Le contrôle de la qualité de loi privative de liberté apparaît d'ailleurs en recrudescence dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, alors que dans l'arrêt Medvedyev, la Grande chambre a écarté toutes les bases légales potentielles pour ce motif, indépendamment de l’existence d’une coopération internationale et du domaine de criminalité concerné [CEDH, gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03 : Rec. CEDH, 2010 ; D., 2010, p. 1386, obs. S. Lavric ; ibid., p. 1390, note P. Hennion-Jacquet ; ibid., p. 1386, note J.-F. Renucci ; ibid., p. 952, entretien P. Spinosi ; ibid., p. 970, obs. D. Rebut ; AJDA, 2010, p. 648, obs. S. Brondel ; RSC, 2010, p. 685, obs. J. P. Marguénaud]. Dans ces conditions, l'admission, en matière correctionnelle, par la chambre criminelle, de la possibilité pour la chambre de l'instruction de « maintenir » la détention provisoire, lorsqu'elle est saisie dans les dix jours directement par le Procureur de la République, à la suite d'une ordonnance de renvoi du juge d'instruction omettant de statuer aux réquisitions de maintien en détention provisoire [Cass. crim., 9 juil. 2014, n° 14-82.761 : à paraître au bulletin], au visa de la combinaison de dispositions qui ne prévoient pas expressément cette possibilité [art. 82, 179 et 207 CPP], alors que le Code de procédure pénale prévoit plus directement que « l'ordonnance de règlement met fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire » sauf « ordonnance distincte et spécialement motivée » du juge d'instruction [art. 179 CPP], viole sans doute l’exigence de la prévisibilité de la base légale [v. pour la sanction en droit français du pouvoir de la Cour d'assises de placer en détention provisoire au terme de l'instruction, en l'absence de disposition législative, CEDH, sect. V, 15 janv. 2009, Faure c. France, req. n° 19421/04 : D., 2009, p. 2771, chron. J.-F. Renucci]. Si la jurisprudence peut servir de base légale à la privation de liberté pour la Cour européenne des droits de l'Homme [CEDH, gde ch., 9 juil. 2009, Mooren c. Allemagne, req. n° 11364/03], un seul précédent [nous n’avons pas trouvé trace d'une application antérieure de cette jurisprudence] ne saurait suffire à assurer la qualité de la loi [CEDH, sect. I, 26 juil. 2007, Webber c. Suisse, req. n° 3688/04]. Cette solution apparaît d'autant plus imprévisible que la jurisprudence antérieure semblait écarter cette solution [Cass. crim., du 21 janv. 1986, n° 85-95.517 : Bull. crim., n° 27 : « attendu que, même dans le cas où la Chambre d'accusation s'est, conformément aux dispositions de l'article 207 du Code de procédure pénale, réservé le contentieux de la détention, le juge d'instruction, qui a prononcé le renvoi d'un inculpé devant le tribunal correctionnel, est seul compétent, en vertu de l'article 179 du même Code, pour ordonner le maintien en détention d'un inculpé jusqu'à sa comparution devant cette juridiction »].
Au regard de la motivation de la Chambre criminelle, lorsque le juge d'instruction ne s'est pas prononcé sur les réquisitions de maintien en détention provisoire, l'ordonnance de renvoi ne met fin à la détention provisoire qu'au terme du délai de dix jours pendant lequel le procureur de la République peut saisir directement la chambre de l'instruction [l'arrêt évoque bien à deux reprises le « maintien » de la détention provisoire, et non le pouvoir d'ordonner la détention provisoire après une éventuelle libération causée par l'ordonnance de renvoi, tandis que la chambre d'instruction avait réfuté avoir tout pouvoir pour « ordonner » la détention provisoire, semblant soutenir que l'ordonnance de renvoi, à défaut de précision sur le maintien en détention provisoire, entraînait la libération]. 
Cette solution est dégagée par application du droit commun de la détention provisoire : l'usage de l'article 82 du Code de procédure pénale fait de la réquisition de maintien en détention provisoire du réquisitoire définitif une réquisition de droit commun soumise à la disposition, et puisque l'ordonnance de renvoi n'est pas encore définitive, les juridictions d’instruction restent compétentes concernant le contrôle de la détention provisoire [Cass. crim., 19 mars 2014, n° 13-88.586 : publié au bulletin]. Outre la violation de la légalité, cette analyse n’apparait pas conforme au régime légal du règlement de l’information. Les réquisitions du procureur de la République après avis de fin de l'information sont soumises à une disposition spécifique, l'article 175 du Code de procédure pénale. La décision de maintien en détention provisoire au terme de l'instruction en matière correctionnelle apparaît elle-même spéciale, voire dérogatoire : elle doit donner lieu à une « ordonnance distincte spécialement motivée », alors qu'elle résulte de plein droit de l'ordonnance de mise en accusation [art. 181 CPP], et la privation de liberté ne peut, en principe, dépasser deux mois [« le prévenu en détention est immédiatement remis en liberté si le tribunal correctionnel n'a pas commencé à examiner au fond à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date de l'ordonnance de renvoi » ; art. 179 CPP].

10.              Le sort des Unités pour malades difficiles : les limites de la légalité de la privation de liberté. Les aliénés particulièrement dangereux sont soumis à un régime d'internement à la demande du représentant de l’État dérogatoire, principalement quant aux conditions plus sévères de la mainlevée par le juge des libertés et de la détention de la mesure privative de liberté, sur sa saisine par l'aliéné, ou les autres personnes autorisées par la loi à agir, « à tout moment », en vertu de l’article L. 3211-12 du Code de la santé publique, ou sur ses saisines automatiques, en vertu de l'article L. 3211-12-1 du même Code : la libération n’est permise qu’après le recueil de deux avis préalables de psychiatres étrangers à l'établissement de soins et après l’obtention de l'avis préalable du collège de trois membres du personnel de l'établissement. Le juge judiciaire, agissant ici comme gardien de la liberté individuelle, ne peut voir cependant son appréciation entravée par le sens de ces avis et dispose d'un pouvoir de libération immédiat et sans condition, dans la plénitude de ses pouvoirs tirés de l'article 66 de la Constitution [v. pour la censure de la soumission du pouvoir de libération du juge, pour certaines catégories d'aliénés particulièrement dangereux, à des avis conformes d'experts médicaux, Cons. const., déc. n° 2011-185 QPC du 21 oct. 2011, [M. C.] : J. O., 22 oct. 2011, p.17968]. Le régime dérogatoire prévoit également des conditions plus sévères que le droit commun pour que le représentant de l'Etat puisse transformer l'hospitalisation complète de l'aliéné en une autre forme moins sévère, au terme de l'évaluation médicale réalisée à l'admission [art. L. 3213-1 CSP], ou pour qu'il puisse lui‑même mettre un terme à l'hospitalisation d'office [art. L. 3213-8 CSP].
Les cas d’aliénés particulièrement dangereux soumis de plein droit à ce régime dérogatoires étaient largement définis par la loi n° 2011-803 du 5 juil. 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge [J. O., 6 juil. 2011, p. 11705 ; RDSS, 2011, comm. V. Vijouas ; ibid., 2012, p. 97, comm. M. Couturier ; ibid., 111, comm. A. Farinetti ; AJDA, 2011, p. 2055, comm. C. Castaing ; RFDA, 2011, p.951, comm. A. Pena ; LPA, 25 oct. 2011, p. 5, comm. Y. Broussolle ; JCP A, 2011, n° 2295, comm. É. Pechillon ; Procédures, 2011, comm. n° 310, note M. Douchy-Oudot] à l'ancien article L. 3211-12 du Code de la santé publique, se décomposant en trois catégories. D'abord, était soumis au régime dérogatoire l'aliéné qui « fait ou a déjà fait l'objet, pendant une durée fixée par décret en Conseil d'Etat, d'une hospitalisation dans une unité pour malades difficiles » [la durée était fixée à un an, appréciée strictement, puisque celle-ci se mesurait au regard « de l'hospitalisation continue la plus longue dans une unité pour malades difficiles » - art. R. 3222-9 CSP -, mais le critère demeurait large, puisque toute hospitalisation en unité pour malades difficiles d'une telle durée était efficace à entraîner l’application du régime dérogatoire, même très éloignée dans le temps de la nouvelle hospitalisation]. Le champ du placement en unité pour malades difficiles, défini à l'ancien article L. 3222-3 du Code de la santé publique, était lui-même large, pour concerner l'aliéné présentant « pour autrui un danger tel que les soins, la surveillance et les mesures de sûreté nécessaires ne peuvent être mis en œuvre que dans une unité spécifique ». Ensuite, était aussi concerné par le régime dérogatoire l'aliéné « qui a bénéficié, sur le fondement du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal, d'un classement sans suite, d'une décision d'irresponsabilité pénale ou d'un jugement ou arrêt de déclaration d'irresponsabilité pénale » [L. 3213-7 CSP], faisant l'objet d'un internement d'office prononcé par le représentant de l'Etat à la suite d'un signalement des autorités judiciaires, pris en raison de l'état mental de celui-ci, « [nécessitant] des soins et [compromettant] la sûreté des personnes ou [portant] atteinte de façon grave à l'ordre public » [l'aliéné de nouveau placé en internement d'office après un précédent internement réalisé sur signalement judiciaire, selon le mécanisme décrit précédemment, était aussi concerné par le droit dérogatoire, sans exigence de durée concernant l'ancienne mesure]. Enfin, la dernière catégorie entraînant application du droit dérogatoire concernait l'aliéné directement interné d'office par le juge judiciaire, « la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement », qui « prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental [...] s'il est établi par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la procédure que les troubles mentaux de l'intéressé nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public » [art. 706-135 du Cpp – de nouveau, l'aliéné interné d'office ayant déjà fait préalablement l’objet d'un internement d'office prononcé par le juge judiciaire, selon les modalités précédemment décrites, sans condition de durée, était aussi, de plein droit, soumis au régime dérogatoire]. Les deux dernières catégories, visant l'aliéné auteur d'une infraction mais irresponsable pénalement, avaient aussi un champ particulièrement large, pour ne pas être limitées par des conditions en lien avec l'infraction commise.
C’est la largesse trop importante du champ du régime dérogatoire que le Conseil constitutionnel a censuré [Cons. const., déc. n° 2012-235 QPC du 20 avr. 2012, [Assoc. cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie] : J. O., 21 avr. 2012, p. 7194 ; RFDA, 2012, p. 629, note K. Blay‑Grabarczyk ; Dr. adm., 2012, comm. n° 61, note C. Castaing], qu’il s’agisse de l’aliéné concerné du fait de son hospitalisation en unité pour malades difficiles [ibid., consid. n° 26 : les dispositions législatives concernant l’internement en unité pour malades difficiles « n'encadrent les formes et ne précisent les conditions dans lesquelles une telle décision est prise par l'autorité administrative »] ou de l’aliéné concerné à la suite d’une transmission judiciaire à la suite de la commission d’une infraction [ibid., consid. n° 28 : le Conseil constitutionnel notait surtout que « la transmission au représentant de l'État par l'autorité judiciaire est possible quelles que soient la gravité et la nature de l'infraction commise en état de trouble mental »]. Les unités pour malades difficiles apparaissaient particulièrement décriées, après un avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 17 janvier 2013 critiquant des « séjours injustifiés » [CGLPL, Avis du 17 janv. 2013 relatif aux séjours injustifiés en unités pour malades difficiles : J. O., 5 févr. 2013 ; Dr. famille, 2011, actu., n° 41, obs. M. Bruggeman]. La nouvelle réforme de l’internement des aliénés aboutissait à restreindre le champ du droit dérogatoire, par la suppression du cas lié à l’internement en unité pour malades difficiles, et même la suppression des dispositions légales y afférant, et la limitation des catégories liées à la commission d’une infraction, celle-ci devant dorénavant concerner « des faits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement en cas d'atteinte aux personnes ou d'au moins dix ans d'emprisonnement en cas d'atteinte aux biens » [v. le nouvel art. L. 3212-11 CESEDA et la loi n° 2013-869 du 27 sept. 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juil. 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge : J. O., 29 sept. 2013, p. 16230 ; Procédures, 2013, comm. n° 320 ; obs. J. Buisson ; JCP, 2013, n° 1065, note M. Primevert ; Dr. famille, 2013, comm. n° 156, obs. I. Maria].
Si le Conseil constitutionnel avait considéré que le régime des unités pour malades difficiles présentait des « garanties légales » - ou une qualité de la loi - insuffisantes pour servir à la délimitation du droit dérogatoire, il avait d’autre part, statuant sur le droit antérieur malgré l’abrogation de leur statut légal au moment de sa décision, considéré que le simple placement des aliénés dans ce régime, dès lors que le droit commun s’y appliquait, notamment quant aux conditions de la saisine du juge des libertés et de la détention pour obtenir la mainlevée de la privation de liberté et quant à la définition de leurs droits, ne violait aucune garantie constitutionnelle, admettant ainsi, quant aux sources, la validité de l’habilitation concédée par le législateur au pouvoir réglementaire pour définir « les modalités de prise en charge » des aliénés [Cons. const., déc. n° 2013-367 QPC du 14 févr. 2014, [Consorts L.] : J. O., 16 févr. 2014, p. 2726 ; Constitutions, 2014, p. 95, note D. Fallon]. Si la compétence réglementaire était directement contestée par les requérants [ibid., consid. n° 2], le Conseil constitutionnel délimitait restrictivement la compétence législative, applicable aux dispositions organisant le contrôle du juge judiciaire de la privation de liberté [ainsi le Conseil constitutionnel établissait que « le législateur n'a [pas] privé de garanties légales […] la protection constitutionnelle de la liberté individuelle » ; ibid., consid. n° 10] et à la délimitation des droits de l’aliéné [ainsi le Conseil constitutionnel établissait que « le législateur n'a [pas] privé de garanties légales […] les libertés qui découlent des articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789» ; ibid., consid. n° 10]. Alors que la légalité de la privation de liberté repose sur un fondement spécial [dans sa célèbre décision sur la censure de l’emprisonnement réglementaire, le Conseil constitutionnel avait dégagé le principe de la légalité de la privation de liberté « des dispositions combinées du préambule, des alinéas 3 et 5 de l'article 34 et de l'article 66 de la Constitution » ; v. Cons. const., déc. n° 73-80 L. du 28 nov. 1973 relative à la nature juridique de certaines dispositions du Code rural, de la loi du 5 août 1960 d'orientation agricole, de la loi du 8 août 1962 relative aux groupements agricoles d'exploitation en commun et de la loi du 17 déc. 1963 relative au bail à ferme dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion : J. O., 6 déc. 1973, p. 12949 ; RDP, 1974, p. 899, obs. J. de Soto ; AJDA, 1974, p. 229, obs. J. Rivero – plus simplement, l’article 7 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen constitue un fondement spécial de la légalité de la détention, en disposant que « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites »], le Conseil constitutionnel, sans s’appuyer explicitement sur le fondement, se contentait d’appliquer restrictivement la disposition de droit commun distinguant le domaine de la loi et celui du règlement, l’article 34 de la Constitution, confiant au législateur la compétence pour « [fixer] les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » [c’est d’ailleurs ce fondement que le Conseil constitutionnel a employé lors de son contrôle de la loi pénitentiaire ; v. Cons. const., déc. n° 2009-593 DC du 19 nov. 2009 portant sur la loi pénitentiaire : J. O., 25 nov. 2009, p. 20222 ; RSC, 2010, p. 217, obs. B. de Lamy ; AJDA, 2009, p. 2425, obs. P. Wachsmann].
Au regard de la décision, l’exclusion de la légalité des « modalités » de la privation de liberté, même dérogatoires au régime de droit commun [les conditions de détention en unité pour malades difficiles sont plus strictes, car plus orientées sur la sécurité, que dans un établissement psychiatrique de droit commun ; v. pour leur description le Rapport de la visite du CGLPL des Unités pour malades difficiles de Sarreguemines (Moselle) du 27 au 30 juil. 2009], est certaine, alors pourtant, au regard de l’objectivisation du contrôle des conditions matérielles de détention sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, que de telles « modalités » peuvent constituer par principe une atteinte à la dignité humaine [v. infra, n° 27], ce qui est de nature à les inclure dans la compétence législative, au regard du critère déjà cité de l’article 34.
Au regard de la décision, la question de la compétence du législateur pour définir le champ du régime de privation de liberté dérogatoire, dès lors qu’en droit, le régime dérogatoire n’a pas de conséquence sur les conditions de sa mainlevée, car soumis sur ce plan au droit commun, mais modifie uniquement les conditions matérielles de détention, est posée. La définition par le législateur à l’ancien article L. 3222-3 du Code de la santé publique du champ du placement en unité pour malades difficiles n’apparait pas comme un élément indispensable à la validation du dispositif par le Conseil constitutionnel, et si, parmi les principes applicables, il s’est référé à celui de l’interdiction de la rigueur non nécessaire [déc. n° 2013-367 QPC du 14 févr. 2014 : préc. ; consid. n° 6 : « les atteintes portées à l'exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis »], celui-ci semble d’abord servir à rappeler la compétence législative pour définir le champ d’application de droit commun de l’internement de l’aliéné ou pour définir le champ d’application du droit dérogatoire, lorsque celui-ci interfère directement sur les conditions de mainlevée. Le contrôle par le Conseil constitutionnel de la loi pénitentiaire conforte d’ailleurs le défaut de compétence du législateur dans ce cas, pour avoir validé la compétence réglementaire pour la définition des fautes disciplinaires, qui délimitent pourtant le champ de la privation de liberté dans un régime dérogatoire, celui de la cellule disciplinaire [déc. n° 2009-593 DC du 19 nov. 2009 : préc. ; consid. n° 6].
Saisi du contrôle de la légalité des dispositions réglementaires du Code de la santé publique concernant les unités pour malades difficiles [art. R. 3222-1 et s. CSP], statuant en deux fois [le Conseil d’Etat avait sursis à statuer pour certaines dispositions dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel saisi a posteriori], tout en refusant de statuer sur leur applicabilité [les dispositions réglementaires ont été maintenues malgré la suppression du statut légal des unités pour malades difficiles], le contrôle du juge administratif quant à la compétence du pouvoir réglementaire s’est limité à vérifier que celui-ci n’avait pas dépassé le champ de l’habilitation législative [CE, 20 déc. 2013, Assoc. Cercle de réflexion et de proposition d'action sur la psychiatrie c. Min. Just., n° 352668 : Rec. CE, T. - CE, 30 juin 2014, Assoc. Cercle de réflexion et de proposition d'action sur la psychiatrie c. Min. Just., n° 352668 : inédit], la théorie de l’écran législatif l’empêchant d’apprécier la constitutionnalité de l’habilitation législative, en dehors de la procédure de la question prioritaire [v. pour un contrôle similaire concernant le contrôle de la légalité des dispositions réglementaires organisant l’isolement pénitentiaire judiciaire, CE, sect., 31 oct. 2008, Sect. fr. OIP, n° 293785 : Rec. CE, p. 374 ; RFDA, 2009, p. 73, concl. M. Guyomar ; D., 2009, p. 134, note M. Herzog‑Evans ; Gaz. Pal., 13 déc. 2008, p. 33, note M. Guyomar ; AJDA, 2008, p. 2389, chron. É. Geffray et S.-J. Liéber ; AJP, 2008, p. 500, obs. É. Péchillon ; Dr. admin., 2009, comm. n° 10, note F. Melleray : le Commissaire du gouvernement avait estimé en l’espèce que l’habilitation législative violait le principe de la légalité de la privation de liberté, tout en rappelant l’impossibilité pour le juge administratif de soulever son inconstitutionnalité].
Le sort des unités pour malades difficiles interroge les professionnels et les responsables politiques, alors que les dispositions réglementaires actuelles apparaissent neutralisées, pour reposer sur une habilitation législative désormais abrogée. Un projet de décret soumis à l’avis de la Haute autorité de santé prévoit la suppression des dispositions réglementaires restantes, l’avis rappelant toutefois la nécessité d’adopter un nouveau cadre juridique adapté pour traiter spécialement les malades dangereux. Au regard des différentes solutions jurisprudentielles, un nouveau cadre entièrement adopté par le pouvoir réglementaire, notamment quant à sa délimitation, pourrait être valide, à la condition qu’il n’entame pas les droits de l’aliéné, ni n’aggrave les conditions de l’obtention de la libération.

2) L'existence de garanties législatives suffisantes pour écarter l'arbitraire

11.              Valeur du paquet de droits généré par l'arrestation. Le même paquet de droits généré par l'arrestation [droit à l'assistance d'un avocat, droit de prévenir un tiers, droit à la notification des droits, droit à un examen médical, droit à l'information des motifs de l'arrestation] est reconnu pour le suspect en garde à vue [art. 63-1 CPP], l'aliéné interné [art. 3211-3 CSP], ou l'étranger placé en rétention administrative [art. L. 551-2 CESEDA]. La convergence du paquet est plus encore flagrante pour la personne « suspectée ou poursuivie soumise à une mesure privative de liberté en application d'une disposition du [Code de procédure pénale] », puisque l’article 803-6 du même Code, issu de la loi du 27 mai 2014 [préc.], généralise la procédure de notification des droits. Le paquet de droits apparaît comme une contrepartie du défaut de contrôle du juge judiciaire, l'Habeas corpus, son premier contrôle immédiat, n'ayant pas encore eu lieu, l'autorité judiciaire réalisant, au mieux, un contrôle en temps réel de la privation de liberté [v. L. Mortet, op. cit. ; v. infra, n° 47 et s.]. La Cour européenne des droits de l'Homme s'était engagée vers la consécration supra-légale du paquet sur le fondement de l'article 5 § 1er et de la qualité de la loi [CEDH, sect. V, 10 juil. 2008, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03 ; D., 2008, p. 3055, note P. Hennion-Jacquet ; AJP, 2008, p. 469, obs. C. Saas ; § 61 : « la Cour considère que les normes juridiques susévoquées n'offrent pas une protection adéquate contre les atteintes arbitraires au droit à la liberté », au regard du défaut d’encadrement des « conditions de la privation de liberté […], notamment quant aux possibilités pour les intéressés de contacter un avocat ou des proches »], avant de reculer dans l'arrêt de Grande chambre [Medvedyev, gde ch.: préc.]. Sur le fondement des seuls principes encadrant la privation de liberté [le droit à l'assistance de l'avocat du suspect en garde à vue repose sur les fondements du procès équitable dans la jurisprudence constitutionnelle, européenne et judiciaire ; v. L. Mortet, op. cit.], l'information des motifs de l'arrestation est le seul élément général [l'étranger bénéficie, sans distinction tenant à la nature de la mesure, du droit de pouvoir faire prévenir les autorités consulaires de son pays de son arrestation selon l’article 36 b) de la Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avr. 1963 qui dispose que « si l'intéressé en fait la demande, les autorités compétentes de l'État de résidence doivent avertir sans retard le poste consulaire de l'État d'envoi lorsque, dans sa circonscription consulaire, un ressortissant de cet État est arrêté, incarcéré ou mis en état de détention préventive ou toute autre forme de détention »] du paquet à bénéficier d'une reconnaissance internationale [art. 5 § 2 CEDH : « toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle »], disposition applicable à l'ensemble des cas d'arrestation, malgré l'emploi de termes à connotation pénale [CEDH, 21 févr. 1992, Van der Leer c. Pays-Bas, req. n° 11509/85 : Rec. CEDH, série A, n° 170-A ; § 27], dès lors que l’information assure directement l’effectivité du droit d’introduire un recours prévu à l’article 5 § 4 contre la privation de liberté en saisissant le Tribunal [Yarashonen : préc. : § 43 et s.], celui-ci étant généré par toute arrestation, indépendamment de sa nature [v. infra, n° 53].
Dans un arrêt récent, la Cour européenne des droits de l'Homme a confirmé l'absence de valeur supra-légale du paquet, en étudiant dans le cadre de l'article 5, l'accès de la personne arrêtée à un avocat, uniquement parce que la garantie était prévue par le droit interne, afin de s'assurer du respect de celui-ci [CEDH, sect. IV, 24 juin 2014, Petkov et Profirov c. Bulgarie, req. nos 50027/08 et 50781/09, en angl. ; § 54 : « in so far as the domestic law provided for some guarantees against arbitrariness »].

a) Droit d'être informé des raisons de l’arrestation

12.              Exigences européennes limitées quant au droit du suspect d'être informé des motifs de son arrestation. De jurisprudence constante récemment rappelée, la Cour européenne des droits de l’Homme se montre peu exigeante quant aux implications du droit du suspect d’être informé des motifs de son arrestation [Petkov et Profirov : préc.]. Si l'information doit dépasser la simple transmission de la base légale de la privation de liberté et contenir les raisons de fait la justifiant, le suspect peut les déduire des questions qui lui sont posées lors de l'interrogatoire [ibid., § 62]. En l’espèce, l'un des requérants n'avait pas été interrogé [ibid.]. Les deux autres avaient été brièvement interrogés, sans que la Cour n'obtienne d'élément sur le contenu des questions, si bien qu'elle ne pouvait établir que ceux-ci avaient pu en déduire les raisons de son arrestation [ibid.]. Dès lors, la Cour notait pour les trois une violation de la Convention, ceux-ci n'ayant pas été informés des motifs de l'arrestation avant leur libération, intervenue au bout de vingt‑quatre heures. Au regard de la solution, une information donnée dans ce délai ne satisfait donc pas la célérité exigée par la disposition. Le principe selon lequel l’information des raisons de l’arrestation « oblige à signaler à une […] personne […] les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté, afin qu’elle puisse en discuter la légalité devant un tribunal en vertu du paragraphe 4 » se trouve en conséquence réduit pour le suspect [CEDH, 30 août 1990, Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, req. nos 12244/86, 12245/86 et 12383/86 : Rec. CEDH, série A, n° 182].

13.              La question de la conformité du droit français : l'information du suspect des raisons de son arrestation après la loi du 27 mai 2014. La législation française permet une information principalement abstraite du suspect, portant sur « la qualification » de l'infraction qu'il est soupçonné d'avoir commise, et les seuls éléments de fait concernés résident dans « la date et [le] lieu présumés » de comission [art. 63-1 CPP]. L'apport de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales [J. O., 28 mai 2014, p. 8864] n'a pas vraiment été décisif sur ce point, ajoutant principalement la mention du lieu présumé de l’infraction. L'ajout des raisons ayant motivé le placement en garde à vue parmi celles prévues à l'article 62-2 du Code de procédure pénale  n'apparaît pas vraiment essentiel, cet élément n'obligeant pas d’apporter d'élément concret au regard de la loi. Le remplacement de l'information de la « nature de l'infraction » par celle de « la qualification » apparaît exiger une information plus précise, mais celle-ci reste tout autant abstraite. Au regard de la directive 2012/13 UE à transposer, le législateur a estimé que l'information de la qualification, du lieu, et de la date, suffisait à informer de « l'acte pénalement sanctionné », tandis que l'information des raisons prévues à l'article 62-2 du Code de procédure pénale réalisait l'information « des motifs de [l']arrestation ou de [la] détention » [art. 6 § 2 : « les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies qui sont arrêtés ou détenus soient informés des motifs de leur arrestation ou de leur détention, y compris de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis »]. L'étendue de l'information consacrée par la loi pourrait apparaître décevante, mais les termes de la disposition communautaire laisse une marge aux États, notamment lorsqu’on les compare aux précisions du préambule [v. le cons. n° 28 : « une description des faits, y compris, lorsqu’ils sont connus, l’heure et le lieu des faits, relatifs à l’acte pénalement sanctionné que les personnes sont soupçonnées ou accusées d’avoir commis, ainsi que la qualification juridique éventuelle de l’infraction présumée, devrait être donnée de manière suffisamment détaillée, en tenant compte du stade de la procédure pénale auquel une telle description intervient, pour préserver l’équité de la procédure et permettre un exercice effectif des droits de la défense »].
La Chambre criminelle a considéré que la transmission de l'information prévue par la loi satisfaisait l'article 5 § 2 de la Convention européenne des droits de l'Homme, alors même qu’elle obligeait uniquement à informer de la « nature de l'infraction » [v. Cass crim., 9 juil. 2003, n° 02-85.899 : inédit], ou lorsqu'elle prévoyait l'information seulement « de la nature et de la date présumée de l'infraction » [Cass. crim., 18 juin 2014, nos 14-81.014 et 14-82.124 : inédit : est validée l'information tenant dans l’existence d’« une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'il avait commis ou tenté de commettre l'infraction de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes en bande organisée, faits commis courant 2012 »]. L’étendue de la nouvelle information définie par la loi ne semble pas suffisante pour satisfaire intrinsèquement l’article 5 § 2, et pour vérifier son respect : à l’image du raisonnement de la Cour européenne des droits de l’Homme, sans doute la Cour de cassation devrait-elle imposer au juge du fond de déterminer, au regard du contenu des interrogatoires, si le suspect se trouvait en mesure de déduire une information complète au regard des questions posées.

b) Droit d'être assisté par un avocat dès l'arrestation

14.              Déliement du droit du suspect à l'assistance d'un avocat de la privation de liberté : le développement des droits de la défense pour le suspect libre. Un consensus juridictionnel a longtemps relié l'application au suspect du droit à l'assistance d'un avocat à un cumul tenant à la fois à la privation de liberté et à l'interrogatoire policier, dans la jurisprudence européenne [« un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat » ;  CEDH, sect. II, 13 nov. 2009, Dayanan c. Turquie, req. n° 7377/03 : AJP, 2010, p. 27, note C. Saas ; D., 2009, p. 2897, note J.‑F. Renucci ; RSC, 2010, p. 231, obs. D. Roets ; Gaz. Pal., 3 déc. 2009, note H. Matsopoulou ; Dr. pénal, 2010, n° 3, chron. V. Lesclous ; § 32 - à l'inverse, l'arrêt de Grande chambre n'a pas établi cette liaison dans sa formulation de principe ; CEDH, gde ch., 27 nov. 2008, Salduz c. Turquie, req. n° 36391/02 : Rec. CEDH, 2008 ; D., 2009, p. 2897, note J.-F. Renucci ; AJDA, 2009, p. 852, chron. J.-F. Flauss ; JCP, 2009, I, n° 104, chron. F. Sudre ; Dr. pénal, 2009, n° 4, chron. E. Dreyer ; § 55 : « la Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable [...] demeure suffisamment "concret et effectif" [...], il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police »], la jurisprudence constitutionnelle [Cons. const., déc. n° 2010-14/22 QPC du 30 juil. 2010, [M. W.] : J. O., 31 juil. 2010, p. 14198 ; RTD civ., 2010 p. 513, obs. P. Puig ; RSC, 2011, p. 139, obs. A. Giudicelli ; D., 2010, p. 2254, obs. J. Pradel ; AJP, 2010, p. 470, comm. J.‑B. Perrier ; Constitutions, 2010, p. 571, comm. E. Daoud et E. Mercinier ; RSC, 2011, p. 165, obs. B. De Lamy ; consid. n° 28 : le Conseil constitutionnel a censuré la carence pour « la personne ainsi interrogée, alors qu'elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l'assistance effective d'un avocat »] et la jurisprudence judiciaire [Cass. crim., 31 mai 2011, 4 arrêts, nos 10-88.809, 10-80.034, 10‑88.293 et 11-81.412 : Bull. crim., nos 113 à 116 ; RSC, 2011, p. 412, A. Giudicelli ; D., 2011, p. 2084, obs. H. Matsopoulou : « toute personne placée en garde à vue [ou en retenue douanière] doit, dès le début de cette mesure, être informée de son droit de se taire et sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, pouvoir bénéficier, en l'absence de renonciation non équivoque, de l'assistance d'un avocat »], le défaut de l'interrogatoire [v. par ex. pour le refus de consacrer le droit à l'assistance d'un avocat, du fait de l'absence d'interrogatoire malgré  la privation de liberté, en cas de défèrement devant le magistrat du parquet à l'issue de la garde à vue, Cons. const., déc. n° 2011-125 QPC du 6 mai 2011, [M. L.] : J. O., 7 mai 2011, p. 7850 ; AJP, 2011, p. 471, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions, 2011, p. 525, note E. Daoud et A. Talbot ; RSC, 2011, 415, obs. J. Danet ; Gaz. Pal., 24 mai 2011, p. 18, obs. S. Detraz] ou le défaut de la privation de liberté [Cons. const., déc. n° 2011‑191/194/195/196/197 QPC du 18 nov. 2011, [Mme A.] : J. O., 19 nov. 2011, p. 19480 ; D., 2011, p. 3034, comm. H. Matsopoulou ; Dr. pén., 2012, ét. n° 4, comm. J. Leroy ; JCP, 2011, n° 452, note J. Pradel ; Gaz. Pal., 22 nov. 2011, comm. O. Bachelet ; Gaz. Pal., 7 juil. 2011, p. 12, comm. G. Straehli ; Gaz. Pal., 3 mai 2011, p. 12, obs. D. Marais ; LPA, 4 juin 2012, p. 8, chron. V. Tellier‑Cayrol ; consid. n° 19 : « si le respect des droits de la défense impose, en principe, qu'une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction ne peut être entendue, alors qu'elle est retenue contre sa volonté, sans bénéficier de l'assistance effective d'un avocat, cette exigence constitutionnelle n'impose pas une telle assistance dès lors que la personne soupçonnée ne fait l'objet d'aucune mesure de contrainte et consent à être entendue librement »] excluant le droit à l'assistance d'un avocat. La jurisprudence européenne a exclu que la seule privation de liberté justifie l'existence d'un droit à l'assistance d'un avocat dès l'arrestation, sur le seul fondement de l'article 5 § 1er [CEDH, sect. II, 28 août 2012, Simons c. Belgique, req. n° 71407/10, déc. : D., 2012, p. 2644, comm. F. Fourment ; JCP, 2012, n° 1221, note K. Blay-Grabarczyk]. Seul un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme a semblé distinguer le déclenchement du droit du suspect à l'assistance de l'avocat de la privation de liberté du suspect [CEDH, sect. V, 27 oct. 2011, Stojkovic c. France et Belgique, req. n° 25303/08 : RTDE, 2012, p. 369, comm. E. Palvadeau ; RSC, 2012, p. 241, obs. J.‑P. Marguénaud ; AJP, 2012, p. 93, note J. R. Demarchi ; § 49 et s. : la Cour y applique le droit à l'assistance d'un avocat tout en notant que le requérant « ne faisait l’objet d’aucune mesure restrictive ou privative de liberté au titre de la procédure en cause »] mais sa portée est difficilement appréciable, alors que l'individu était détenu pour une autre cause, et qu'il avait été entendu sur commission rogatoire internationale, rendant complexe l'établissement du régime protecteur applicable lors de son interrogatoire. La jurisprudence antérieure de la Cour a semblé en tout cas subordonner l'application au suspect du droit à l'assistance de l'avocat à l’existence d’une la privation de liberté [v. a contrarioCEDH, sect. I, 18 févr. 2010, Aleksandr Zaichenko c. Russie, req. n° 39660/02, en angl. ; § 48 et s. : l’interrogatoire du suspect d'un vol de carburant au cours d’un contrôle routier, en présence de deux témoins, bien qu'il se déroule sous la contrainte, selon les termes de la Cour qui établissait que le suspect ne pouvait quitter les lieux librement, ne nécessite pas l’assistance de l’avocat, dès lors que sa liberté d’action n’est pas suffisamment atteinte : « the circumstances of the case […] disclose no significant curtailment of the applicant's freedom of action, which could be sufficient for activating a requirement for legal assistance already at this stage of the proceedings »].
Cette liaison n'était guère satisfaisante pour le suspect, pour faire de la garde à vue un régime pratiquement favorable par rapport à l'audition libre, qui était alors soumise à une forme allégée des droits de la défense, sans droit à l'assistance d'un avocat [déc. n° 2011‑191/194/195/196/197 QPC : préc. ; consid. n° 20 : l’apparition des soupçons au cours de l’audition devant entraîner l’information de la personne « de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie »], en contradiction avec le principe de nécessité de la privation de liberté, qui impose que la mesure privative de liberté, c’est-à-dire la garde à vue, ne soit permise qu'en cas d'insuffisance de mesures alternatives moins attentatoires à la liberté individuelle, c’est-à-dire l'audition libre. La directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 oct. 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales, à transposer au plus tard le 27 novembre 2016, a découplé le droit du suspect à l'assistance de l'avocat de la privation de liberté, notamment en le prévoyant pour l'interrogatoire du suspect libre [art. 2 et 3]. C'est donc par anticipation, à l'occasion de la transposition d'une autre directive par la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, que la loi française a reconnu différents droits de la défense au suspect en audition libre [nouvel art. 61-1 CPP], dont le droit à l'assistance de l'avocat en cas de crime ou de délit puni d’emprisonnement [celui-ci sera applicable au 1er janv. 2015, montrant bien que sa consécration est réalisée dans le cadre de l'anticipation de la transposition de la directive 2013/48/UE,  et non dans le cadre de la transposition de la directive 2012/13/UE, cette dernière devant avoir lieu au plus tard le 2 mai 2014 ; sur ce point, on notera que la transposition n’apparaît pas contraire à cette dernière Directive, alors que son article 3 § 1er-e) évoque la notification du droit à l’assistance d’un avocat, ainsi que des autres droits prévus par la disposition, « tels qu’ils s’appliquent dans le cadre de leur droit national »], ainsi que le droit à la notification du droit de se taire et le droit à l’information « de la qualification, de la date et du lieu présumés de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre ». Cependant, le droit à l’assistance d’un avocat apparait restreint, le régime entier de la garde à vue n’ayant pas été transposé : le droit à l’assistance de l’avocat n’est organisé que pour l’audition ou la confrontation, sans organisation d’entrevue confidentielle, ni d’adoption d’un mécanisme permettant de reporter le début de l’audition, dans la limite d’un certain délai, jusqu’à l’arrivée de l’avocat, ni de prévision d’un droit d’accès aux pièces du dossier.
Quant à la notification du droit de se taire du suspect libre, la législation nationale apparaît presque à la pointe, alors que la notification du droit au silence figure à l'article 3 § 1er-e) de la directive 2013/48/UE avec la même marge que celle traitant du droit à l’assistance d’un avocat, et que la jurisprudence européenne semble surtout tirer de l'absence de la notification du droit au silence le droit du suspect à bénéficier d'un entretien avec un avocat dès le début de la mesure de contrainte, plutôt que de l'imposer plus largement [CEDH, sect. V, 14 oct. 2010, Brusco c. France, req. n° 1466/07 ; Dr. pén., 2010, ét. n° 29, comm. C. MAURO ; D., 2010, p. 2950, obs. J.-F. Renucci ; ibid., p. 2696, entretien Y. MAYAUD ; ibid., p. 2783, chron. J. Pradel ; ibid., p. 2850, point de vue D. Guérin ; RSC, 2011, p. 211, obs. D. Roets ; JCP, 2010, n° 1064, obs. F. Sudre ; Gaz. Pal., 19 oct. 2010, p. 18, note M. Bougain ; Procédures, 2010, comm. n° 419, note A.-S. Chavent-leclère ; § 45 : « la personne placée en garde à vue a le droit d'être assistée d'un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu'elle n'a pas été informée par les autorités de son droit de se taire »].

15.              Encadrement jurisprudentiel antérieur de l'audition libre. La Cour de cassation a été récemment saisie de la contestation de la régularité de l’audition libre réalisée sans notification du droit de se taire et du droit à l'assistance d'un avocat, sur le fondement du seul article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme [Cass. cim., 24 juin 2014, n° 13‑83.126 : inédit]. La procédure avait eu lieu avant la modification législative, et avant même l'adoption de la directive 2013/48/UE [v. pour le rejet de fonder le droit d'accès au dossier pour l'avocat au garde à vue sur le principe de l'interprétation conforme de la directive 2012/13/UE, CA Paris, Pôle 2, ch. 8, 24 mars 2014, n° 14/151 ; obs. R. Letteron]. La Chambre criminelle y écartait toute nullité en précisant que « les demandeurs ne sauraient se faire un grief de ce que la cour d'appel, a écarté le moyen de nullité selon lequel [leurs] droits de la défense avaient été méconnus lors de ses auditions réalisées, en cours d'enquête, hors de toute contrainte, sans qu'il ait été informé de [leur] droit de garder le silence et d'être assisté par un avocat, dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que, pour les déclarer coupables [...], les juges du second degré ne se sont fondés ni exclusivement, ni même essentiellement, sur les déclarations faites au cours de ces auditions », solution déjà énoncée dans la même formulation [v. par ex., concernant la confrontation du suspect réalisée en audition libre sans avocat, Cass. crim., 12 juin 2014, n° 13-80.974 : inédit, ou concernant le simple interrogatoire sur audition libre Cass. crim., 30 avr. 2014, n° 13‑82.912 : inédit et Cass. crim., 27 nov. 2013, n° 12-87.515 : inédit]. La référence à l'absence de « contrainte » rappelle qu'à constater son existence, la juridiction du fond, sauf hypothèse de purge, doit en principe relever la nullité du fait de l'absence de notification des droits, dès lors que la mesure doit alors être requalifiée d'audition libre en garde à vue [art. 63‑1 CPP], le défaut de notification immédiate des droits entraînant une nullité au grief neutralisé [Cass. crim., 30 avr. 1996, n° 95-82.217 : Bull. crim., n° 182 ; RSC, 1996, p. 879, obs. J.‑P.Dintilhac]. Pour le reste, la formulation retenue frappe par sa similitude avec le principe dégagé par la Cour de cassation concernant la violation du droit à l'assistance de l'avocat ou de la notification du droit de se taire du suspect en garde à vue condamné sans avoir pu relever la nullité, purgée [Cass. crim., 6 déc. 2011, n° 11-80.326 : publié au bulletin]. Néanmoins, il ne saurait être tiré de cette formulation la reconnaissance pour le suspect libre, avant même sa consécration législative, du droit à l'assistance de l'avocat ou à la notification du droit de se taire, déniés par le Conseil constitutionnel [déc. n° 2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 nov. 2011, [Mme A.] : préc.] et par la Chambre criminelle [v. pour le droit à la notification du droit de se taire, Cass. crim., 3 avr. 2013, n° 11-87.333 : publié au bulletin : « attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans violer l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors que la notification du droit de se taire et de ne pas s'accuser, n'est reconnue qu'aux personnes placées en garde à vue ou faisant l'objet d'une mesure de rétention douanière » - v. pour le droit à l'assistance d'un avocat, Cass. crim., 27 nov. 2013, n° 12-87.515 : inédit : « aucune disposition légale ou conventionnelle n'exige qu'une personne qui n'est pas maintenue à la disposition des enquêteurs sous la contrainte bénéficie de l'assistance d'un avocat lors de son audition »]. En revanche, elle semble bien interdire que le juge du fond puisse se fonder « exclusivement » ou « essentiellement » sur les déclarations tenues lors de l'audition libre du fait des défauts du droit à l'assistance de l'avocat et du droit à la notification du droit de se taire. Cette solution semble fondée au regard de l'analyse littérale de l'article préliminaire du Code de procédure pénale [« en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui »]. Elle trouverait sa source dans la jurisprudence européenne [v. le comm. de X. Salvat sur Cass. crim., 27 nov. 2013, n° 12‑87.515 : RSC, 2013, p. 842], en particulier l'arrêt Stojkovic [préc.], dont la portée est pourtant peu évidente [v. supra, n° 14], mais qui affirmait, il est vrai, qu'« il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance préalable d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation » [ibid., § 50].

16.              Effets sur les droits de la défense du suspect privé de liberté de la reconnaissance des droits de la défense au suspect libre. La Chambre criminelle semble avoir acté le déliement entre les droits de la défense et la privation de liberté, alors qu'elle n'a pas justifié l'absence de droit à l'assistance de l'avocat lors des opérations de visites domiciliaires et de saisies de l'article L. 450-4 du Code de commerce, concernant une mesure réalisée lorsque le droit positif ne le reconnaissait pas, par l'absence de contrainte de la mesure sur l'occupant des lieux [Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13‑82.121 : inédit]. L'assimilation progressive de la situation du suspect libre par rapport au suspect privé de liberté n'est pas sans soulever des difficultés, alors que leur situation n'est pas identique : la présence de l'avocat en garde à vue ne saurait se justifier par la seule dissipation de l'effet intimidant de la contrainte, alors qu’elle profite au suspect libre, de même que le suspect en garde à vue, à la différence du suspect libre, est menacé de la poursuite de sa privation de liberté au terme de la garde à vue, qu'il soit déféré devant le magistrat du parquet ou devant le juge d'instruction. La loi a d'ailleurs validé cette appréciation, pour reconnaître pour le suspect libre un droit à l'assistance d'un avocat limité, par rapport à celui en garde à vue. Si une distinction mérite sans doute d'être établie dans l’étendue de l’application des droits de la défense entre le suspect libre et celui détenu, l'étendue actuelle reconnue pour le suspect en garde à vue, plutôt limitée [par comp., l'arrêt précité Dayanan reconnaissait un droit à l'assistance de l'avocat comprenant « toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil » et incorporant « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention »], pourrait apparaître comme une forme simplement allégée ayant vocation à s'appliquer au suspect libre, tandis que la privation de liberté, ne figurant plus comme le critère de l'application des droits de la défense mais comme celui permettant de moduler son étendue, devrait justifier une version des droits de la défense plus étendue.

3) La sanction du détournement de la loi privative de liberté

17.              « Pratiques administratives » de détentions : implications décevantes. La notion de pratiques administratives sert à la Cour européenne des droits de l'Homme dans le contentieux de la requête interétatique et constitue une violation grave des droits protégés par la Convention, puisqu'elle tient dans la « répétition des actes » contraires à ses dispositions et à leur « tolérance officielle » [CEDH, gde ch., 3 juil. 2014, Géorgie c. Russie (I), req. n° 13255/07 ; § 122]. Son premier effet est de dispenser, quant à l'examen de la recevabilité, de la condition d'épuisement des voies de recours internes [ibid., § 125]. Dans un raisonnement peu logique toutefois, la Cour caractérise l'existence de ces pratiques administratives dans l'examen de la recevabilité, mais retient les violations de la Convention, notamment de l'article 5, dans un raisonnement commun, même après avoir démontré l'existence des pratiques administratives [Géorgie c. Russie (I) : préc. ; v. plus précisément nos obs.]. Dans l'arrêt cité, la caractérisation des pratiques administratives concernant des faits d'expulsions et de détentions destinées à réaliser leur exécution forcée contre les ressortissants géorgiens par la Russie, dans un contexte de crise internationale opposant les deux pays, interrogeait nécessairement sur l'usage détourné de la privation de liberté, c'est à dire l'usage discriminatoire, sanctionné par la combinaison des articles 5 et 14 de la Convention, et l'usage dolosif, sanctionné par la combinaison des articles 5 et 18 de la Convention. La Cour a pourtant jugé inutile d'examiner ces deux griefs, compte-tenu des autres sanctions de l'article 5 relevées, ménageant encore un peu l'État défenseur dans le cadre de la requête interétatique. L'effet de la caractérisation des « pratiques administratives » pourrait être plus spectaculaire dans la fixation de la satisfaction équitable, notamment après la fixation d'un montant exceptionnel dans le cadre d'une autre requête interétatique [CEDH, gde ch., 12 mai 2014, Chypre c. Turquie, req. n° 25781/94, satisfaction équitable RDLF, 2014, chron. n° 17, comm. S. Platon], mais la Cour a réservé en l’espèce la question à un examen ultérieur.

18.              Le contrôle de la privation de liberté de l’étranger en attente de l’exécution de son expulsion succédant à l’échec d’une procédure d’extradition. Le contournement de la procédure d’extradition, par le recours à l’expulsion a déjà été sanctionné sur le fondement de l’article 5 § 1er de la Convention européenne des droits de l’Homme [CEDH, 18 déc. 1986, Bozano c. France, req. n° 9990/82 : Rec. CEDH, série A, n° 111], comme le contournement de l’épuisement du délai maximum de la détention extraditionnelle prévue en droit interne par le prolongement artificiel de la privation de liberté sous le régime de la détention aux fins d’exécution de l’expulsion [CEDH, sect. I, 18 avr. 2013, Azimov c. Russie, req. n° 67474/11, en angl.]. La Cour européenne des droits de l’Homme n’entend toutefois pas exercer un contrôle poussé pour ce dernier cas de détournement, alors qu’elle a validé le principe de la détention de l’étranger, immédiatement arrêté après la levée de son écrou extraditionnel, au terme de l’échec de la procédure d’extradition, pour exécuter contre lui une procédure d’expulsion. L’examen de la Cour se limite pratiquement au détournement manifeste, établi dans le cas Azimov [préc.] au regard de l’usage d’une procédure d’urgence, de la continuation, au moment du placement en détention aux fins d’expulsion, de la procédure d’extradition, ou encore de l’implication des mêmes autorités juridictionnelles dans les deux procédures, critères dont l’absence en l’espèce suffisait à écarter le détournement de procédure [CEDH, sect. I, 10 juil. 2014, Rakhimov c. Russie, req. n° 50552/13, en angl. ; § 124 et s.]. L’absence de constat de détournement aboutit au surplus à étudier la durée de la privation de liberté pour exécution de l’expulsion séparément, sans prise en compte de la durée de la détention extraditionnelle précédente [ibid.].

19.              Le bien-fondé de l’usage de la privation de liberté pénale pour des faits liés à la liberté d’expression journalistique. L’utilisation de la privation de liberté, dans le seul but d’entraver illégitimement une liberté fondamentale d’un individu, ne trouve pas sa cause dans la liste de l’article 5 § 1er, qui fixe exhaustivement les cas autorisés de privation de liberté [v. pour une répétition des principes, CEDH, gde ch., 13 déc. 2012, El‑Masri c. « L’Ex‑République Yougoslave de Macédoine », req. n° 39630/09 : Rec. CEDH, 2012 ; RFDA, 2013, p. 576, chron. H. Labayle et F. Sudre ; AJDA, 2013, p. 165, chron., obs. L. Burgorgue‑Larsen ; JCP, 2013, doctr. n° 64, chron. F. Sudre ; ibid., 2013, n° 58, obs. G. Gonzales ; § 230 : « Atteste de l’importance de la protection accordée à l’individu contre l’arbitraire le fait que l’article 5 § 1 dresse la liste exhaustive des circonstances dans lesquelles un individu peut être légalement privé de sa liberté, étant bien entendu que ces circonstances appellent une interprétation étroite puisqu’il s’agit d’exceptions à une garantie fondamentale de la liberté individuelle ».], et la Cour européenne des droits de l’Homme, par sa jurisprudence, cantonne le champ des cas conventionnels à une interprétation étroite pour prévenir leur usage en ce sens [ainsi, la Cour a rappelé que l’article 5 § 1er-c) de la Convention ne doit permettre en aucun cas « une politique de prévention générale dirigée contre une personne ou catégorie de personnes qui […] se révèlent dangereuses par leur propension permanente à la délinquance » ; v. CEDH, plén., 6 nov. 1980, Guzzardi c. Italie, req. n° 7367/76 : Rec. CEDH, série A, n° 39 ; § 102 - de la même manière, l’article 5 § 1er-e) ne doit pas permettre de priver de liberté « quelqu’un du seul fait que ses idées ou son comportement s’écartent des normes prédominant dans une société donnée » ; CEDH, ch., 24 oct. 1979, Winterwerp c. Pays-Bas, req. n° 6301/73 : Rec. CEDH, série A, n° 33 ; § 37 – de même, la privation de liberté après condamnation de l’article 5 § 1er‑a) est conditionnée à « l’établissement légal d’une infraction pénale ou, le cas échéant, disciplinaire » et ne saurait permettre « une mesure préventive ou de sûreté » ; v. Guzzardi : préc. ; § 100]. Aussi, l’usage d’un cas conventionnel de privation de liberté détourné de sa finalité, afin de réprimer l’usage légitime d’une liberté fondamentale, est sanctionné par la Cour européenne des droits de l’Homme [v. sur la sanction du détournement du cas de privation de liberté, v. supra, n° 17 et s.].
Même en cas d’usage excessif de la liberté d’expression journalistique justifiant une ingérence étatique et même une réaction pénale de l’État, la Cour européenne des droits de l’Homme écarte en principe en ce domaine l’emploi de la peine privative de liberté, dont le prononcé aboutit à une violation de l’article 10, sauf, par exception, lorsqu’elle réprime le discours de haine [CEDH, gde ch., 17 déc. 2004, Cumpana et Mazare c. Roumanie, req. n° 33348/96 : Rec. CEDH, 2000-IV ; § 115 : « une peine de prison infligée pour une infraction commise dans le domaine de la presse n’est compatible avec la liberté d’expression journalistique garantie par l’article 10 de la Convention que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque d’autres droits fondamentaux ont été gravement atteints, comme dans l’hypothèse, par exemple, de la diffusion d’un discours de haine ou d’incitation à la violence » – CEDH, sect. I, 22 avr. 2010, Fatullayev c. Azerbaïdjan, req. n° 40984/07, en angl. : D., 2011, p. 193, chron. J.-F. RenucciCEDH, sect. III, 15 mars 2011, Otegi Mondragon c. Espagne, req. n° 2034/07 : Rec. CEDH, 2011 ; § 54 : même les restrictions à la liberté d’expression protégeant les plus hautes autorités d’un pays ne permettent pas le recours à la peine privative de liberté, sauf à caractériser un discours de haine – CEDH, sect. III, 21 févr. 2008, Yalciner c. Turquie, req. n° 64116/00 : le discours de haine s’entend strictement, la simple estime pour la lutte armée n’étant pas suffisante à le caractériser]. La Cour refusant de réaliser le contrôle de l’opportunité du prononcé de la peine privative de liberté en principe [CEDH, sect. II, 11 avr. 2006, Léger c. France, req. n° 19324/02 : RSC, 2007, p. 134, comm. F. Massias ; D., 2006, p. 1800, note J.‑P. Céré ; AJP, 2006, p. 258, note S. Enderlin ; § 72 : l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme ne permet pas de « contrôler le bien-fondé de la condamnation initiale », ni du « bien-fondé de la durée d’une détention », tandis que « les questions se rapportant au caractère approprié de la peine sortent en général du champ d’application de la Convention » : elle refuse « de décider quelle est la durée de détention qui convient pour une infraction donnée »], un tel contrôle européen est exceptionnel [à l’inverse, la Cour européenne a déjà constaté la violation de la Convention du fait du prononcé d’une peine privative de liberté de trois avec sursis pour réprimer des brutalités policières ayant entraînées la mort d’un suspect évaluée insuffisamment sévère, au regard de l’obligation positive de l’État de protéger la dignité des personnes ; v. CEDH, sect. V, 20 déc. 2007, Nikolova et Velichkova c. Bulgarie, req. n° 7888/03, en angl.]. Toutefois, la Cour, sur le fondement de l’article 3, a désormais ouvert un contrôle du quantum de la peine prononcée, limité à la « nette disproportion » [CEDH, gde ch., 9 oct. 2013, Vinter et autres c. Royaume‑Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 : Rec. CEDH, 2013 ; § 102 - CEDH, sect. IV, 10 avr. 2012, Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni, req. nos 24027/07, 11949/08, 36742/08, 66911/09 et 67354/09, en angl. ; § 237 : la Cour utilise l’expression de « gross disproportionality » – CEDH, sect. IV, 17 janv. 2012, Harkins et Edwards c. Royaume-Uni, req. nos 9146/07, 32650/07 et 17/01/2012, en angl. ; RDP, 2013, chron., p. 725, obs. B. Pastre‑Belda ; D., actu., 6 févr. 2012, obs. O. Bachelet].
Mais l’usage limité de la privation de liberté en matière de liberté d’expression journalistique concerne aussi la détention provisoire, comme la Cour l’a rappelé récemment dans deux arrêts concernant la poursuite de deux journalistes d’investigation, lauréats de prix internationaux, auxquels étaient reprochés, notamment, des faits de « propagande noire » dans des livres concernant le traitement par l’État d’un réseau criminel, commis dans l’intention de saper la confiance de l’opinion publique dans les institutions judiciaires [CEDH, sect. II, 8 juil. 2014, Nedim Sener c. Turquie, req. n° 38270/11 - CEDH, sect. II, 8 juil. 2014, Sik c. Turquie, req. n° 53413/11]. Sur le fondement de l’article 5 § 3, la Cour avait déjà noté que « les délits de diffamation ou de pression sur la justice », même à considérer que ces faits pouvaient être reprochés aux requérants, « ne nécessitaient pas une détention provisoire d’une telle ampleur »  [Nedim Sener : préc. ; § 76 – Sik : préc. ; § 63]. Cependant, une telle formulation insistait sur la disproportion de la mesure quant à sa durée, sans écarter la nécessité du placement. Sur le fondement de l’article 10, la Cour estimait aussi que la détention provisoire constituait une ingérence injustifiée à la liberté d’expression journalistique, notant que « quelles que soient les circonstances, ces mesures ont constitué une ingérence disproportionnée » [Nedim Sener : préc. ; § 121 – Sik : préc. ; § 110], dans une formulation qui semblait plus franchement écarter par principe la nécessité du placement [v. pour la sanction sur le fondement de l’article 10 de la Convention du placement en détention provisoire d’un journaliste pendant deux semaines, afin de le contraindre à révéler ses sources, sans que la Cour ne s’interroge principalement sur la durée de celle-ci, CEDH, sect. III, 22 nov. 2007, Voskuil c. Pays‑Bas, req. n° 64752/01, en angl.], puis la proportionnalité du maintien en détention provisoire. La Cour confirmait d’ailleurs l’emploi d’une vigueur plus importante pour sanctionner ces détentions sur le fondement de l’article 10, par rapport à la sanction de l’article 5 § 3, écartant seulement sur le premier fondement les motifs invoqués par les autorités nationales pour écarter leur bien-fondé [Nedim Sener : préc. ; § 72 et s. – Sik : préc. ; § 58 et s.], et recherchant uniquement sur le second fondement les véritables motifs illégitimes de la détention provisoire des journalistes dissimulés par les autorités internes, à savoir provoquer « un effet dissuasif sur la volonté du requérant de s’exprimer sur des sujets relevant de l’intérêt public » et « un climat d’autocensure pour lui et pour tous les journalistes d’investigation envisageant d’effectuer des recherches et de faire des commentaires sur le comportement et agissements des organes étatiques » [Nedim Sener : préc. ; § 122 – Sik : préc. ; § 111].

B. L'interdiction de l'application de toute rigueur non nécessaire

1) Nécessité, proportionnalité et adéquation de la loi privative de liberté

20.              L'élargissement des pouvoirs d'arrestation : la transformation de l'enquête préliminaire en flagrance à l'issue de surveillances. La distinction entre l'enquête préliminaire et l'enquête de flagrance, notamment quant à l'usage de la contrainte et de la privation de liberté, tend à s’amenuiser, d'autant plus que le Conseil constitutionnel [Cons. const., déc. n° 2012-257 QPC du 18 juin 2012, [Société Olano Carla et autre] : J. O., 19 juin 2012, p. 10181 ; AJP, 2012, p. 602, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions, 2012, p. 442, obs. A. Darsonville ; RSC, 2013, p. 441, obs. B. De Lamy ; LPA, 25 mars 2013, p. 4, chron. V. Tellier-Cayrol] a validé la comparution forcée du suspect ou du témoin dans le premier cadre sur autorisation préalable du procureur de la République [art. 78 CPP]. Les dernières distinctions d'importance entre les deux cadres tiennent dans l'absence de disposition législative expresse autorisant la capture de l'individu à l'initiative du policier en enquête préliminaire [v. sur les questions de légalité posées par cette absence, A. Gogorza, « Arrestation et garde à vue : des fondements et de la régularité des interpellations pendant la phase policière » ; Dr. pén., n° 10, 2012, ét. n° 23 ; à l'inverse, l'article 73 du Code de procédure pénale règle l'arrestation du suspect en flagrance pour toute personne] et, pour le même cadre, dans l'impossibilité de principe pour le policier de réaliser une perquisition à sa simple initiative [v. l'art. 56 CPP pour cette faculté pour l’officier de police judiciaire en enquête de flagrance]. La large admission de la transformation de l'enquête préliminaire en enquête de flagrance réduit encore ces distinctions. Par exemple, si la révélation par des étrangers, entendus dans une autre affaire, de leur travail clandestin à la réfection d’un immeuble justifie l'ouverture d'une enquête préliminaire pour emploi d'étrangers sans titre de séjour et aide au séjour irrégulier, les indices obtenus par la surveillance extérieure de l'immeuble, comme « des entrées et sorties de camions chargés de matériaux de construction, le stationnement de véhicules utilitaires [...], la présence d'engins de chantier et de personnes en train de travailler », s'ajoutant aux renseignements préalablement obtenus, suffisent à caractériser « l'existence d'indices apparents d'infractions en train de se commettre » justifiant l'usage des pouvoirs de flagrance, dont l'introduction dans la résidence et l’emploi ultérieurement de mesures de contrainte [Cass. crim., 25 juin 2014, n° 14-81.647 : à paraître au bulletin]. Peu importe alors, comme en l'espèce, que les policiers aient justifié d'un titre inapplicable pour s'introduire [en l'espèce, une réquisition du procureur de la République prise sur le fondement de l'article 78-2-1 du Code de procédure pénale, qui ne permet pas, selon la loi, l'introduction dans une résidence]. La Chambre criminelle ne tenait pas non plus compte dans son raisonnement du délai d'une semaine séparant les dernières surveillances de l'introduction dans la résidence, ni même du délai entre les premières surveillances et l’introduction, de plus de trois semaines, sans vérifier si celles-ci étaient déjà de nature à établir la flagrance. En cas d'infraction dont les éléments constitutifs se prolongent dans le temps, sans qu'elle ne constitue une infraction d'habitude ou une infraction continue, les enquêteurs bénéficient d'une marge certaine.

21.              Délimitation par la Cour européenne des droits de l'Homme du placement en garde à vue : la sanction du pouvoir discrétionnaire de police. La Cour européenne des droits de l'Homme a sanctionné le pouvoir discrétionnaire de la police de placer en garde à vue, poursuivant son encadrement de la détention policière [Petkov et Profirov ; préc. ; § 53 et s. : « the discretionary power of the police » ; § 53]. Deux critères utiles à la Cour pour borner le pouvoir du placement en garde à vue ressortent du texte même de la Convention à l'article 5 § 1er-c), qui autorise l'arrestation et la détention du suspect « s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ». D'abord, la Cour contrôle de manière classique l'existence des soupçons au moment de l'arrestation, condition faisant défaut en l'espèce [§ 46]. La Cour se fonde ensuite sur le sens de la privation de liberté du suspect, fixant un critère finaliste au placement en garde à vue : la mesure doit servir à conduire l'individu devant l'autorité judiciaire [« the purpose of bringing the arrested person before the competent legal authority » ; § 52]. En l’espèce, dès lors que la détention de vingt-quatre heures des individus n'a servi qu'à leur audition rapide après l'arrestation, sans enregistrement, l'absence d'enquête plus approfondie durant la période de privation de liberté exclut que celle-ci ait servi cette finalité. Ce raisonnement avait servi à la Cour jusqu'ici pour sanctionner des gardes à vue plus longues, l’arrêt marquant son développement [v. par exemple CEDH, sect. IV, 15 oct. 2013, Gutsanovi c. Bulgarie, req. n° 34529/10]. Ce dernier critère, à se développer encore, pourrait servir à sanctionner la courte garde à vue de confort, même en cas d'existence de soupçons suffisamment graves pour justifier l'arrestation. Enfin, la Cour, sur le fondement plus général de l'article 5, rappelle que toute privation de liberté ne peut être légitime que si elle est entourée de garanties suffisantes contre l'arbitraire. Si elle constate en l'espèce que les individus n'avaient pu bénéficier ni de l'accès à un avocat dès leur arrestation, ni d'un recours leur permettant de contester immédiatement la légalité de leur détention, c’était sans reconnaître la valeur supra‑légale du droit du suspect privé de liberté à bénéficier de l’assistance d’un avocat sur le fondement de l’article 5 [v. supra, n° 11] et sans réaliser d’apport majeur sur la célérité de l’Habeas corpus, précisant seulement l’articulation entre l’Habeas corpus et le recours à bref délai [v. infra, n° 51].

22.              L'exigence européenne de la prise en compte croissante des éléments de personnalité dans la prolongation de la détention provisoire face aux motifs d'ordre public. L'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme reconnaît à la personne suspecte et traduite devant l'autorité judiciaire « le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure ». Ce droit fonde le contrôle par la Cour européenne des droits de l'Homme de la détention provisoire [de jurisprudence constante, la détention provisoire prend fin à la première décision de condamnation, même si celle-ci n'est pas définitive ; v. par ex. CEDH, 1er juil. 2014, sect. III, Simon c. Roumanie, req. n° 34945/06 ; § 30], par l'analyse des motifs avancés par le juge national pour placer et prolonger, qui doivent être des « raisons pertinentes et suffisantes » de nature à contrecarrer « le risque que l’accusé ne prenne la fuite [...], et le risque que, une fois remis en liberté, il n’entrave l’administration de la justice [...], ne commette de nouvelles infractions [...] ou ne trouble l’ordre public [...] » [CEDH, sect. III, 24 juin 2014, Ionut‑Laurentiu Tudor c. Roumanie, req. n° 34013/05 : § 68 - Simon : préc. ; § 36]. Le juge national se trouve en conséquence dans l’obligation de motiver la prolongation de la détention provisoire, son défaut entraînant une violation de l’article 5 § 3, la Cour européenne des droits de l’Homme se trouvant dans l’impossibilité de contrôler la durée raisonnable [CEDH, sect. V,  10 juil. 2014, Buglov c. Ukraine, req. n° 28825/02, en angl. ; § 102 et s. – Nedim Sener : préc. ; § 75], et l’établissement d’une « présomption légale de nécessité de maintien en détention provisoire », y compris pour le reproche d’infractions graves, apparaît contraire par principe à l’article 5 § 3 [Nedim Sener : préc. ; § 77]. L'existence des considérations d'ordre public ainsi définies par la Cour, suffisantes au début pour justifier le placement en détention provisoire [Simon préc. ; § 37], doivent être mises en balance par le juge national, au fil de son cours, par l’examen « [du] profil personnel et [de la] situation familiale » du prévenu, ainsi que de « la possibilité d’adopter l’une des mesures alternatives prévues par le droit interne » [Ionut-Laurentiu Tudor préc. ; § 70], ou encore de l'état de santé du requérant [Simon : préc. ; § 41]. La gravité de la peine encourue ou de l’infraction reprochée ne saurait suffire à justifier abstraitement le maintien en détention provisoire, si bien que le risque de pression sur les témoins ou de fuite doit être démontré concrètement, même dans le domaine de la criminalité organisée [CEDH, sect. I, 3 juil. 2014, Dubinsky c. Russie, req. n° 48929/08, en angl. : § 64 et s.].
Même si la Cour admet que le motif du risque de trouble à l'ordre public, pris au sens strict de « l’impact négatif que [la] remise en liberté [est] susceptible d’avoir sur l’opinion publique » [Simon : préc. ; § 38], distinct du risque de réitération, justifie le placement [Simon : préc. ; § 40], y compris pour des faits de gravité relative [en l'espèce, le requérant était poursuivi des chefs d’escroquerie, de faux et d’usage de faux, ayant causé, pour sept sociétés et trois banques, un préjudice total d’environ 17.000 €], la Cour exclut, dans une formulation abstraite, pour une détention provisoire ayant duré seize mois, que ce seul critère serve à justifier le maintien de la privation de liberté : « en tout état de cause, ce motif ne peut justifier à lui seul le maintien en détention provisoire pour une période assez longue » [Simon : préc. ; § 39]. Si la Cour européenne des droits de l'Homme semble se montrer plus tolérante lorsque le juge national use du risque de réitération, encore faut-il que celui-ci se réfère à des « faits concrets », les seuls antécédents ne pouvant suffire, d'autant plus lorsqu'ils concernent des chefs de gravité et de nature différents [Ionut-Laurentiu Tudor : préc. ; § 72].
C'est avant tout en imposant au juge national de réaliser un contrôle de proportionnalité de la prolongation de la détention provisoire, en confrontant les éléments d'ordre public militant pour le maintien en privation de liberté et les éléments de personnalité militant pour la remise en liberté que la Cour européenne des droits de l'Homme entend délimiter la détention provisoire, tandis que l'admission des quatre légitimes permettant de placer ou de prolonger la mesure de contrainte a peu limité son champ, notamment du fait de la validation large du motif des risques de troubles à l'ordre public.

23.              Conditions de délimitation de la privation de liberté de l'étranger prévue à l'article 5 § 1er-f) de la Convention européenne des droits de l'Homme : rappel des conditions classiques... La détention de l'étranger contre lequel « une procédure d'expulsion [...] est en cours » [mais qui concerne aussi les cas prévus par la même disposition de l’étranger contre lequel une procédure d’extradition est en cours ou l’étranger dont l’entrée a été refusée sur le territoire] doit être effectuée de « bonne foi », doit avoir pour finalité constante l'exécution de l’expulsion, le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés, et sa durée ne doit pas excéder « le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi » [v. par ex. CEDH, sect. I, 26 juin 2014, Egamberdiyev c. Russie, req. n° 34742/13, en angl. ; § 59]. Par exemple, le terme de la procédure d’extradition menée contre l’étranger en vertu du droit interne doit entraîner sa libération, le maintien en privation de liberté durant quelques jours supplémentaires entraînant une violation de la Convention [Rakhimov : préc. ; § 121 et s.]. Ces conditions de conventionnalité particulières à la détention de l'étranger doivent intégrer le contrôle du juge national, saisi, en vertu de l'article 5 § 4, d'une demande de remise en liberté [v. sur ce point nos obs.]. Quant à l'appréciation de la durée raisonnable, concernant la législation russe, dans un raisonnement sans doute favorisé par les censures précédentes, la Cour européenne des droits de l'Homme a même sanctionné abstraitement la durée maximale de la détention dans l'attente de l'expulsion, en l'espèce de deux ans, au regard des défauts de la loi, quant à l'organisation du contrôle judiciaire ou quant à sa qualité [Egamberdiyev ; préc. ; § 62 et s.], mais aussi de la disproportion entre la durée maximale « préventive » permise pour réaliser l'expulsion de l'étranger en situation irrégulière et la peine privative de liberté encourue pour sanctionner cette même situation, qualifiée par le droit russe d'« infraction administrative », d'une durée maximale de 30 jours [ibid., § 63 – v. aussi pour l’utilisation du même argument Rakhimov : préc. ; § 137].

24.              ...et enrichissement par inclusion de la conventionnalité de l'ordre d'expulsion. Dans un raisonnement plus original, la Cour européenne des droits de l'Homme a semblé faire de l'inconventionnalité de l'ordre d'expulsion une cause d'inconventionnalité de la privation de liberté de l'étranger servant son exécution forcée, sur le fondement de l'article 5 § 1er [Géorgie c. Russie (I) : préc. ; § 186 : le constat de l'existence des expulsions collectives « implique » la violation de l'article 5 § 1er, en raison du caractère « arbitraire » des arrestations et détentions réalisées pour procéder à leur exécution forcée]. L'expulsion au sens de l'article 5 § 1er-f) vise autant l'étranger dangereux pour l'ordre public que l'étranger en situation irrégulière [v. par ex. CEDH, sect. V, 19 janv. 2012, Popov c. France, req. nos 39472/07 et 39474/07 : JCP, 2012, n° 221, obs. F. Sudre ; Dr. famille, 2012, comm. n° 43, note M. Bruggeman ; AJDA, 2012, p. 1726, chron. L. Burgorgue‑Larsen ; D., 2012, p. 363, obs. C. Fleuriot ; ibid., p. 864, entretien S. Slama ; ibid., p. 2267, chron. A. Gouttenoire ; ibid., 2013, p. 324, chron. K. Parrot ; AJP, 2012, p. 281, note S. Slama ; Rev. crit. DIP, 2012, p. 826, comm. K. Parrot], et la solution a vocation à s'étendre à la décision de refus d'entrée sur le territoire en cas de maintien en zone d'attente, ou au décret d’extradition en cas de détention pour assurer l’exécution de la procédure, autres cas de privation de liberté de l'étranger prévus à l'article 5 § 1er-f).
En conséquence, la contestation de la légalité en droit interne de l'ordre national d'expulsion, au moins lorsqu'elle est de nature à aboutir à son annulation et lorsque la privation de liberté sert à son exécution forcée, pourrait relever de l'article 5 § 4 de la Convention [la compétence du juge national ainsi saisi doit concerner « chacune des conditions indispensables à la "légalité" de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 » - CEDH, gde ch., 17 janv. 2012, Stanev c. Bulgarie, req. n° 36760/06 : Rec. CEDH, 2012 ; RDSS, 2012, p. 863, note K. Lucas ; JDI, 2013, chron. n° 8, obs. X. Aurey ; §° 168 - CEDH, ch., 29 août 1990, E. c. Norvège, req. n° 11701/85 : Rec. CEDH, série A, n° 181-A ; RSC, 1990, p. 831, obs. L.-E. Pettiti ; RFDA, 1991, p. 843, chron. V. Berger, H. Labayle et F. Sudre ; § 50], puisque la Cour européenne des droits de l'Homme a déjà considéré que la privation de liberté prise sur le fondement d'un ordre national d'expulsion illégal en droit interne violait l'article 5 § 1er [CEDH, sect. II, 8 févr. 2011, Seferovic c. Italie, req. n° 12921/04]. Les griefs portant sur l’inconventionnalité de l’ordre d’expulsion au regard des autres dispositions de la Convention, notamment en raison de l’atteinte disproportionnée au droit à mener une vie familiale ou de l’exposition à un traitement inhumain et dégradant, qui seraient consommées par l’exécution de l’ordre, devraient aussi logiquement inclure l’office du juge national sur le fondement de l’article 5 § 4 pour l’étranger privé de liberté, plutôt que dépendre d’un droit de recours forgé dans des combinaisons avec l’article 13 [v. infra, n° 45]. Si une telle solution n'est pas de nature à remettre en cause la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction en droit français [v. concernant la validité de principe de la dualité dans le contrôle juridictionnel de la privation de liberté de l’aliéné, CEDH, sect. V, 18 nov. 2010, Baudoin c. France, req. n° 35935/03 ; RTD civ., 2011, p. 101, obs. J. Hauser ; AJDA, 2010, p. 2239, obs. R. Grand ; AJP, 2011, p. 144, obs. É. Péchillon ; JCP, 2011, n° 189, note K. Grabarczyk], encore faut-il que le juge administratif, saisi de la légalité de la décision administrative d'expulsion, de refoulement ou d’extradition, au regard du droit interne ou du droit européen, concernant l'étranger détenu, statue alors à bref délai et que l'annulation de celle-ci aboutisse à la libération [v. pour les questions tenant à l’exigence d’automaticité et de célérité accrue d’un tel recours, infra, n° 52 - v. pour les questions tenant à l’effet suspensif d’un tel recours, infra, n° 45].

25.              Développement du contrôle européen de l’opportunité de la privation de liberté de l’étranger. Le contrôle de la Cour européenne des droits de l’Homme du bien-fondé de la privation de liberté de l’étranger est limité, pour se cantonner au contrôle du délai raisonnable de sa durée au regard des diligences réalisées par les autorités nationales et à l’existence d’une procédure d’expulsion, d’extradition ou de refoulement [A. et autres c. Royaume-Uni, gde ch. : préc. – v. supra, n° 23], délaissant toute exigence quant à l’appréciation par les autorités nationales de l’insuffisance des mesures alternatives à la privation de liberté au stade du placement ou de la prolongation. Cette position classique s’érode pourtant de plus en plus dans la jurisprudence européenne, notamment en cas de mesure provisoire prise par la Cour, qui suspend la procédure d’extradition, d’expulsion ou de refoulement, puisque, si elle ne s’oppose pas par principe au maintien de l’étranger en détention dans ce cas, le seul défaut des autorités nationales à envisager l’adoption de mesures alternatives à sa suite apparaît comme un critère essentiel du constat de la violation de la durée raisonnable [Rakhimov : préc. ; § 139 – v. pour comp. une autre affaire dans laquelle la Cour avait expressément recherché et établi l’opportunité de mesures alternatives au regard des éléments de fait, CEDH, sect. II, 20 déc. 2011, Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique, req. n° 10486/10 ; § 124]. Désormais, la Cour européenne des droits de l’Homme exige également un contrôle approfondi des autorités nationales compétentes de la nécessité du placement en détention de l’étranger mineur, et celles‑ci doivent rechercher à « lui substituer une autre mesure moins radicale afin de garantir son expulsion » [CEDH, sect. I, 5 avr. 2011, Rahimi c. Grèce, req. n° 8687/08 ; § 109]. De tels développements, qui relèvent encore de l’exception pour la détention de l’étranger, participent progressivement à un alignement des exigences de la Cour quant au contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de la privation de liberté sur les exigences développées en matière de détention provisoire ou d’internement de l’aliéné, plus riches en ces domaines pour l’instant, alors qu’elle avait pris le soin, dans une synthèse éclairante de sa jurisprudence, de rappeler la modulation de l’application de ces principes selon les cas de privation de liberté [CEDH, gde ch., 29 janv. 2008, Saadi c. Royaume-Uni, req. n° 13229/03 : Rec. CEDH ; AJDA, 2008, p. 978, chron. J.‑F. Flauss].

26.              Le développement d’un droit à préparer sa réinsertion pendant l’exécution d’une peine perpétuelle. L’adéquation impose que le régime juridique du placement en privation de liberté et de sa prolongation ainsi que le régime de son exécution soient définis de manière à assurer l’objectif de la privation de liberté et le contrôle de l’adéquation, juridique ou matérielle, participe à la délimitation du champ de la privation de liberté de manière abstraite, comme les notions de nécessité et de proportionnalité. Les exigences d’adéquation sont nettement développées pour la privation de liberté prononcée à titre de mesure de sûreté, en raison de la dangerosité de l’individu, notamment quant à l’adéquation matérielle, puisque le contenu de la détention doit être de nature à résorber l’état justifiant la privation de liberté, pour l’aliéné [v. CEDH, ch., 28 mai 1985, Ashingdane c. Royaume-Uni, req. n° 8225/78 : Rec. CEDH, série A, n° 95 ; § 44 : « un certain lien entre, d’une part, le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et de l’autre, le lieu et le régime de la détention », si bien que « la détention d’une personne comme malade mental ne sera régulière […] que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié »] ou même le condamné, qui a été maintenu en privation de liberté au terme de l’exécution de la peine à temps, en raison du maintien de sa dangerosité, dans une mesure de sûreté pénale [Cons. const., déc. n° 2008-562 DC du 21 févr. 2008 portant sur la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental : J. O., 26 févr. 2008, p. 3272 ; RSC, 2008, p. 731, comm. Ch. Lazerges ; D., 2008, p. 1359, comm. Y. Mayaud ; JCP, 2008, actu., 166, obs. B. Mathieu ; JCP, 2008, II, n° 10077, comm. J.‑Ph. Feldman ; consid. n° 14 : le Conseil constitutionnel validait l’adéquation de la rétention de sûreté, en constatant que « le placement de la personne en centre socio‑médico-judiciaire de sûreté est destiné à permettre, au moyen d'une prise en charge médicale, sociale et psychologique qui lui est proposée de façon permanente, la fin de cette mesure » - CEDH, sect. V, 17 déc. 2009, M. c. Allemagne, req. n° 19359/04 : Rec. CEDH ; AJP, 2010, p. 129, comm. J. Leblois-Happe ; RSC, 2010, p. 236 [sur l’art. 7] et p. 228 [sur l’art. 5], obs. D. Roets ; D., 2010, p. 737, note J. Pradel ; JCP, 2010, n° 334, note M. Giacopelli ; Dr. pén., 2010, ét. n° 9, note L. Grégoire et F. Boulan ; AJP, 2010, p. 389, obs. É. Péchillon ; § 129 : « les personnes en détention de sûreté ont particulièrement besoin de suivi et de soutien psychologiques en raison de la durée potentiellement illimitée de leur détention. Afin d’atteindre l’objectif consistant à prévenir la criminalité, il faudrait, comme le CPT le déclare de manière convaincante […] "un niveau élevé de soins, avec une équipe pluridisciplinaire, un travail intensif à caractère individuel avec les détenus (grâce à des plans individualisés préparés rapidement), dans un cadre cohérent destiné à assurer une progression en vue de la libération, laquelle doit constituer une possibilité réelle" »].
La peine privative de liberté échappe à un contrôle de son contenu dès lors que, dans le standard supra-légal, celle-ci est affublée du sens univoque de la répression [v. sur les conséquences de cette conception quant à l’application de l’article 5 § 4, en lien avec la théorie du contrôle incorporé, pour la peine à temps, infra, n° 53, et pour la peine perpétuelle, infra, n° 54], sans consécration de véritable droit à préparer sa réinsertion en détention, simple politique légitime pour la Cour européenne des droits de l’Homme [CEDH, sect. I, 17 janv. 2012, Choreftakis et Choreftaki c. Grèce, req. n° 46846/08 ; § 49 : « tout en soulignant que l’une des fonctions essentielles d’une peine d’emprisonnement est de protéger la société, la Cour a reconnu le but légitime d’une politique de réinsertion sociale progressive des personnes condamnées à des peines d’emprisonnement »] ou simple objectif de la peine pour le Conseil constitutionnel [Cons. const., déc. n° 93-334 DC du 20 janv. 1994 relative à la loi instituant une peine incompressible et relative au nouveau Code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale : J. O., 26 janv. 1994, p. 1380 ; RFD const., 1994, p. 353, note Th. Renoux ; D., 1995, p. 340, obs. Th. Renoux ; ibid., p. 293, obs. É. Oliva : la peine privative de liberté « a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui‑ci et préparer son éventuelle réinsertion »], ce qui dégage en la matière une large marge d’appréciation au législateur national [v. par ex. pour l’inscription dans cette marge d’appréciation du choix de l’application du droit social au travail pénitentiaire, Cons. const., déc. n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013, [M. Yacine T. et autre] : J. O., 16 juin 2013, p. 10025 ; D., 2013, p. 1221, obs. S. Slama ; ibid., p. 1909, obs. F. Chopin ; Procédures, 2013, comm. n° 266, obs. J. Buisson]. Si l’article 10 § 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques apparaît comme un fondement international fiable à la consécration de ce droit en disposant que « le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social », la disposition bénéficie en droit interne d’une application contrastée [v. pour une application de la disposition par le Conseil d’État dans son contrôle de la légalité de dispositions réglementaires intervenant dans la définition du régime d’isolement pénitentiaire, CE, sect., 31 oct. 2008, Sect. fr. OIP, n° 293785 : Rec. CE, p. 374 ; RFDA, 2009, p. 73, concl. M. Guyomar ; D., 2009, p. 134, note M. Herzog‑Evans ; Gaz. Pal., 13 déc. 2008, p. 33, note M. Guyomar ; AJDA, 2008, p. 2389, chron. É. Geffray et S.‑J. Liéber ; AJP, 2008, p. 500, obs. É. Péchillon ; Dr. admin., 2009, comm. n° 10, note F. Melleray – v. contra pour le refus de découvrir dans la disposition une liberté fondamentale ouvrant le recours au référé-liberté, CE, 15 juil. 2010, Puci c. min. Justice, n° 340313 : inédit].
Le contrôle du contenu de la peine privative de liberté est toutefois en développement pour ses modalités les plus sévères. Ainsi, l’application d’une mesure de sûreté pénale, permettant le maintien du condamné en privation de liberté au terme de l’exécution de sa peine à temps, comme par exemple la rétention de sûreté française, n’est permise que si le détenu a pu bénéficier pendant l’exécution de la peine d’un traitement de nature à permettre sa réhabilitation, exigence posée de manière concordante dans la jurisprudence européenne [CEDH, sect. II, 13 oct. 2009, De Schepper c. Belgique, req. n° 27428/07 : Dr. pénal, 2010, n° 4, chron. E. Dreyer ; § 48 : les autorités nationales ont l’obligation « de tenter d’assurer au requérant un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa liberté » avant même le placement en détention pénale de sûreté, et donc pendant l’exécution de la peine privative de liberté] et constitutionnelle [Déc. n° 2008-562 DC du 21 févr. 2008 : préc. ; consid. n° 19 : l’établissement de la nécessité du placement en rétention de sûreté suppose de démontrer que le « condamné a pu, pendant l'exécution de sa peine, bénéficier de soins ou d'une prise en charge destinés à atténuer sa dangerosité mais que ceux-ci n'ont pu produire des résultats suffisants, en raison soit de l'état de l'intéressé soit de son refus de se soigner »]. La Cour européenne des droits de l’Homme a même étendu l’obligation d’apporter un contenu visant à assurer la réhabilitation des condamnés à la peine perpétuelle anglaise connaissant du « tariff », dès la première partie de la peine, pourtant à finalité répressive puisque non aménageable [v. supra, n° 4], sans attendre son basculement dans sa seconde partie de sûreté marquée par le dépassement de la durée fixée par le « tariff », pendant laquelle la libération est permise, à condition de constater l’extinction de la dangerosité du détenu [James, Wells et Lee : préc. ; § 205 et s. : la Cour sanctionnait surtout l’impossibilité pour les détenus de bénéficier du traitement favorisant la réhabilitation durant la période de sûreté, ultérieurement au « tariff », mais elle étudiait également l’accès au traitement dès la partie répressive, ce qui semble également l’imposer dès cette période, même si cette conclusion est moins nette]. C’est donc progressivement l’ensemble des cas de privation de liberté perpétuels, en lien avec une condamnation pour la commission d’une infraction [le placement en détention pénale de sûreté au terme de la peine suppose l’établissement d’un lien de causalité entre la continuation de la privation de liberté et la condamnation originelle – M. c. Allemagne : préc. ; § 55 : « le mot "après" figurant à l’alinéa a) n’implique pas un simple ordre chronologique de succession entre "condamnation" et "détention" : la seconde doit en outre résulter de la première, se produire, "à la suite et par suite" – ou "en vertu""de celle-ci" »], qui s’ouvre à l’obligation d’assurer au détenu un contenu visant à assurer sa réadaptation, qu’il s’agisse de la peine à temps précédant la détention pénale de sûreté [De Schepper : préc. ; § 48 : la Cour y évoque l’obligation d’apporter un « traitement adapté »] ou de cette dernière [M. c. Allemagne : préc. ; § 129 : la Cour y évoque « un niveau élevé de soins »], ou de la totalité de la peine perpétuelle sécable entre une première partie répressive et une partie de sûreté, par exemple par le mécanisme du « tariff » [James, Wells et Lee : préc. ; § 209 : la Cour y évoque la notion de « rehabilitation », en anglais], sauf la peine perpétuelle conservant durant la totalité de son exécution une finalité répressive [v. pour les distinctions entre les peines perpétuelles, supra, n° 4 et infra, n° 54].
Ce dernier pas vient d’être franchi par la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a tiré les conséquences de sa consécration d’un droit au réexamen au profit du condamné à une peine perpétuelle continuellement répressive, celui-ci devant au surplus exister dès le début de l’exécution de la peine, sur le fondement de l’article 3 [v. infra, n° 54], pour se reconnaître, sur le même fondement, le contrôle du bénéfice pour le condamné d’une véritable opportunité, afin de pouvoir ultérieurement bénéficier, dans ce cas, de la libération ouverte par le droit au réexamen [CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, req. nos 15018/11 et 61199/12 : § 263 : « having a genuine opportunity of reforming himself »]. Cependant, la Cour se montrait timide quant à la nouvelle obligation découverte à la charge des autorités, refusant la reconnaissance de droits à la réhabilitation [ibid., § 264 : « rehabilitation »] ou à la réinsertion [ibid. : « reintegration »], définis comme imposant aux autorités la fourniture de « cours ou de conseils » au condamné pendant l’exécution de sa peine [ibid. : « courses or counselling » - par comparaison, au regard de l’arrêt précité James, Lee et Wells, dès lors que la Cour s’est référé au terme anglais de « rehabilitation » pour décrire le traitement devant être apporté au condamné pendant la peine perpétuelle sécable, l’obligation ainsi décrite, sans doute d’une étendue supérieure par rapport à celle s’appliquant à la peine continuellement répressive, pourrait ainsi concerner la fourniture de cours et de conseils], mais plutôt d’un droit à l’obtention d’une « opportunité appropriée pour se réhabiliter » [Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 264 : « the authorities must also give life prisoners a proper opportunity to rehabilitate themselves »], celui-ci devant être assuré par « le régime et les conditions de la détention des condamnés à la peine perpétuelle » [ibid., § 265 : « the regime and conditions of a life prisoner’s »]. Une telle évolution était fondée par la Cour, notamment, par l’article 10 § 3 du Pacte [ibid., § 264], disposition déjà employée pour la peine perpétuelle sécable [James, Wells et Lee : préc. ; § 208], dont la portée, dans la jurisprudence européenne, apparaît en accroissement. En l’espèce, la Cour se contentait de constater que le régime d’isolement pénitentiaire particulièrement sévère auquel avait été soumis le requérant s’opposait à ce qu’il puisse bénéficier d’une telle opportunité [ibid., § 266].
La portée de cette nouvelle obligation au bénéfice du condamné à une peine perpétuelle purement répressive devra toutefois être précisée, notamment quant à la capacité de son irrespect à entraîner seul la violation de la Convention, fondée en l’espèce également sur le défaut d’existence du droit au réexamen dès le début de l’exécution de la peine perpétuelle [v. infra, n° 54], ou quant à l’enrichissement de l’obligation, alors que l’isolement pénitentiaire des détenus avait été sanctionné dans un contrôle distinct et déjà existant dans la jurisprudence européenne [v. infra, n° 33 et s.]. L’expansion des exigences européennes quant au contenu de la peine perpétuelle, plus marquée encore pour la peine perpétuelle sécable que pour celle continuellement répressive, tendant à toujours y développer un droit à préparer sa réinsertion durant son exécution, marque une convergence entre leurs régimes, et un alignement plus important encore pourrait aboutir à la suppression de la théorie du contrôle incorporé et à celle du sens univoque dans la matière de la peine perpétuelle, pour imposer toujours l’application du recours à bref délai de l’article 5 § 4, une fois déterminé le terme de sa partie répressive.

2) L'interdiction de toute affliction disproportionnée dans l'exécution de la privation de liberté

27.              L’usage de l’article 3. L’article 3 sert à sanctionner l’affliction disproportionnée à laquelle le détenu a été soumis, concernant le contrôle des conditions matérielles de détention, le contrôle de la détention dans la détention [c'est-à-dire la soumission de l’individu à différentes mesures d’isolement ou de sécurité] ou le contrôle de la compatibilité de l’état de santé avec la détention. Ce contrôle aboutit à l’établissement d’un standard abstrait et général de l’exécution de la détention, quant au conditions matérielles minimales à appliquer, quant à la prise en charge médicale des détenus, et quant aux conditions permettant l’usage des mesures de sécurité, ainsi que concernant l’ampleur et l’effet des droits de recours internes issus de la combinaison des articles 3 et 13 pour porter les griefs de la violation du standard. L’évolution du contrôle européen, pour devenir de plus en plus objectif, et même juridique et abstrait, interroge quant au maintien de l’utilisation de l’article 3, et non de l’inclusion du contrôle dans l’article 5, qui reviendrait à faire définitivement de la proportionnalité de l’affliction causée une condition de la légalité de la privation de liberté, et de l’impossibilité de remédier à sa disproportion une cause de libération. Des liens apparaissent parfois dans la jurisprudence européenne entre le contrôle des conditions matérielles d’exécution de la détention sur le fondement de l’article 3 et le contrôle de la privation de liberté sous l’angle de l’article 5 [dans l’arrêt Popov, la Cour européenne des droits de l’Homme a sanctionné les autorités nationales pour ne pas avoir envisagé l’adoption de mesures alternatives lors du placement, alors qu’une telle obligation est exclue en principe de la détention dans l’attente de l’expulsion – v. supra, n° 23 –, en se fondant notamment sur la sévérité des conditions matérielles de détention, sanctionnées sur le fondement de l’article 3 par le même arrêt ; Popov : préc. ; § 116 et s. - v. aussi pour la confortation du défaut de recours interne effectif pour contester les conditions matérielles de détention, du fait du défaut de base légale de qualité pour la privation de liberté sanctionnée sur le fondement de l’article 5, Yarashonen : préc. ; § 64 et s.].


a) Le standard pénitentiaire européen

28.              Le raisonnement de droit commun : la caractérisation d’un niveau d’« humiliation » ou d’« avilissement » dépassant le seuil « de l’élément habituel d’humiliation inhérent à chaque arrestation ou détention ». Dans une conception classique de la sanction du traitement inhumain et dégradant sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la souffrance infligée doit dépasser un seuil nécessaire à caractériser la violation de Convention, celui-ci s’appréciant in concreto au regard des faits de l’espèce et subjectivement au regard de la personnalité de l’individu [v. pour le contrôle d’une peine de châtiment corporel, CEDH, ch., 25 avr. 1978, Tyrer c. Royaume-Uni, req. n° 5856/72 : Rec. CEDH, série A, n° 26 ; § 30]. Le même fondement sert à la Cour européenne des droits de l'Homme pour sanctionner les conditions matérielles de détention indignes, dans un raisonnement bien établi [v. F.‑X. Fort, « La protection de la dignité de la personne détenue » ; AJDA, 2010, p. 2249, P. Poncela, « Quelques aspects du respect de la dignité en droit de l'exécution des peines » ; RSC, 2011, p. 645 ; F. Sudre, « L’article 3 bis de la Convention européenne des droits de l’homme : le droit à des conditions de détention conformes au respect de la dignité humaine » ; in Mélanges Cohen-Jonathan, Libertés, justice, tolérance, Bruylant, 2004, vol. 2, p. 1449]. Pris sur le fondement de l'article 3, le contrôle concerne tous les cas de privation de liberté [v. par ex., pour la détention provisoire, CEDH, sect. III, 1er juil. 2014, Mihailescu c. Roumanie, req. n° 46546/12, en angl. - v. pour la détention de l'étranger dans son attente d'expulsion, Géorgie c. Russie préc. - v. pour le contrôle des conditions de détention dans les geôles du Tribunal, avant les audiences, CEDH, sect. III, 17 juin 2014, Zamfirachi c. Roumanie, req. n° 70719/10, en angl. : § 69 et s.], même si du fait de sa durée et des difficultés de surpopulation, la peine privative de liberté est particulièrement concernée [v. par ex. CEDH, sect. III, 17 juin 2014, Marian Toma c. Roumanie, req. n° 48372/09]. Sous le visa de l’article 3, le contrôle des conditions matérielles de détention est en principe concret et factuel, résultant d'une analyse globale, pour apprécier le dépassement d'un seuil de « souffrance » supérieur à celui normalement causé par la détention, par transposition du raisonnement de droit commun [CEDH, gde ch., 26 oct. 2000, Kudla c. Pologne, req. n° 30210/96 : Rec. CEDH, 2000-XI ; AJDA, 2000, p. 1006, chron. J.‑F. FlaussRFDA, 2001, p. 1250, chron. H. Labayle et F. Sudre ; § 94 – Nedim Sener : préc. ; § 52 : « pour que l’arrestation ou la détention d’une personne dans le cadre de poursuites judiciaires soient dégradantes au sens de l’article 3, l’humiliation ou l’avilissement dont elles s’accompagnent doivent se situer à un niveau particulier et différer en tout cas de l’élément habituel d’humiliation inhérent à chaque arrestation ou détention »]. Un simple « manque de confort » ou la tenue d’une audience entre 23 h et 6 h le lendemain afin de trancher le maintien du suspect en détention provisoire avant l’échéance de la durée maximale de la garde à vue ne dépassent pas le seuil minimum [Nedim Sener : préc. ; § 53 et 54].

29.              Cas autonomes de violation du standard européen : surpopulation...  Au-delà de cette présentation classique, le contentieux a bénéficié d'une objectivisation, tendant à la création d'un standard abstrait et normatif, même s'il est peu exigeant, caractérisé par des cas autonomes de violation de l'article 3, l'absence de démonstration médicale de l'atteinte à la santé [v. pour comp. et un raisonnement plus classique mené sur le fondement, le rejet de la violation de l'article 3 du fait de l'emploi de produits chimiques pour désinfecter la cellule, du fait du défaut de preuve médicale de l'atteinte à la santé, Zamfirachi préc. : § 53 et s.], ou encore la prise en compte de la durée du traitement. Ainsi, la surpopulation carcérale grave, caractérisée, par référence aux travaux du CPT, au confinement dans un espace pénitentiaire inférieur à 4 m² par détenu [CEDH, sect. III, 8 juil. 2014, Dulbastru c. Roumanie, req. n° 47040/11 ; § 34 - Buglov : préc. ; pour une détention en cellule collective, la Cour divise simplement la surface de la cellule par le nombre d’occupants afin d’établir l’espace du détenu], aboutit pratiquement à elle-seule à une violation de l'article 3 [v. par ex. Ionut‑Laurentiu Tudor : préc. ; § 48 : « l'élément essentiel » de la violation tenait à la détention dans un « espace personnel » compris entre 1,20 m² et 2,35 m² le communiqué de presse notait d'ailleurs, dans son résumé du dispositif, à côté de la violation de l'article 3, la précision « à raison de la surpopulation carcérale » - v. par ex. Dulbastru : préc. ; § 33 : la surpopulation, concernant une personne détenue dans des cellules de 2,74 et 2,76 m², constitue l’« élément central » du constat de violation], sans que la Cour ne se montre particulièrement rigoureuse quant à la durée du traitement [ibid. : la Cour ne fixait pas précisément la durée d'application de ces conditions - v. aussi Marian Toma : préc. : la Cour ne s'intéressait pas non plus à la durée de la détention en surpopulation, ne la déterminant même pas]. La sanction autonome de la surpopulation apparaît logique tant celle-ci est de nature à corrompre de manière globale la privation de liberté [v. par ex. le lien établi par la Cour entre surpopulation et difficulté à assurer l'hygiène des lieux de privation de liberté, Zamfirachi préc. : § 66]. Le cumul de la surpopulation et de la dégradation des conditions matérielles de détention du fait de l'insalubrité ou de la vétusté permet de sanctionner en tout cas de courtes privations de liberté [v. par ex. pour des détentions d'une durée comprise entre 2 et 15 jours, Géorgie c. Russie : préc. ; § 193 et s.].
Au moins, la masse du contentieux facilite la preuve, puisque la Cour se réfère parfois à sa propre jurisprudence concernant « les mêmes prisons que celles dans lesquelles l’intéressé a été incarcéré et à des périodes proches de celles de sa détention » pour établir la surpopulation, à défaut pour l'État de ramener la preuve contraire [Marian Toma : préc. : § 32 - v. aussi Zamfirachi préc. : § 66]. Les constats du Comité de la prévention de la torture apparaissent « fiables » pour la Cour [Yarashonen : préc., § 77], et si ceux-ci sont anciens, les éléments de tout rapport, gouvernemental, étatique ou international, peuvent servir à leur actualisation dans le temps [ibid.]. La Cour peut elle-même réaliser un calcul rudimentaire entre la surface totale des cellules et le nombre de personnes détenues, dès lors que si le quotient approche ou dépasse la surface de 4 m², la grave surpopulation est suffisamment établie, puisque les éléments mobiliers n’ont pu être déduits [ibid., § 76].
La violation de la Convention du fait de la surpopulation bénéficie toutefois de faits justificatifs, puisque la grande liberté dont bénéficie le détenu en dehors de la cellule ou ses nombreuses activités de « loisir » à l’intérieur de l’établissement apparaissent de nature à éviter la violation de la Convention [ibid., § 78 et s.]. On peut toutefois douter de leur efficacité à permettre la compensation d’un grave état de surpopulation [v. par ex. pour l’admission d’une surpopulation de 14,50 à 30 % du fait que « le requérant a bénéficié d’un accès suffisant à la lumière et l’air naturels et à des moments de loisirs et de convivialité avec des détenus autres que ceux qui se trouvaient dans sa cellule », CEDH, sect. II, 16 juil. 2009, Sulejmanovic c. Italie, req. n° 22635/03].

30.              …et inadaptation des lieux à la détention de longue durée. Comme la surpopulation, l'inadaptation du lieu de privation de liberté à la détention de longue durée [CEDH, sect. I, 26 juin 2014, De Los Santos et de la Cruz c. Grèce, req. nos 2134/12 et 2161/12 ; § 44 : en l'espèce, il s'agissait de la détention d'étrangers en attente de leur expulsion dans un commissariat de police pendant 42 et 49 jours, pratique couramment sanctionnée par la Cour européenne des droits de l'Homme concernant la Grèce], de par son défaut d'infrastructures permettant aux personnes privées de liberté de se promener [ibid., § 44 : en l'espèce, les étrangers pouvaient uniquement marcher dans un petit couloir], de bénéficier d' « activités récréatives » [ibid., § 40] et de disposer d'une alimentation satisfaisante [ibid., § 44 : en l'espèce, les étrangers devaient se nourrir pour 5,87 euros par jour], constitue une cause autonome de violation de l'article 3 [si en l'espèce la violation des conditions de détention résultait, en plus de l'inadaptation des lieux, des autres défauts classiquement sanctionnés en la matière, la Cour notant que « les requérantes étaient placées dans une cellule où la superficie était inférieure à 3 m² par personne, où la majorité des détenues dormaient sur des matelas posés par terre et avec un accès médiocre à la lumière », la seule inadaptation du lieu à la longue privation de liberté apparaît, à la lecture de l'arrêt, susceptible de violer la Convention ; ibid., § 44], dès que ce traitement s'applique pendant plus de deux ou trois mois, le critère de la durée conservant pour ce cas de l'importance [ibid., § 43]. Lorsque la grave surpopulation s’ajoute à l’inadaptation, l’application du traitement pendant quelques jours seulement suffit à caractériser un traitement inhumain et dégradant [Rakhimov : préc. ; § 107 : en l’espèce, la privation de liberté dans un commissariat d’un étranger en attente d’expulsion avait duré 7 jours].
Outre l'hypothèse de l'étranger détenu dans l'attente de son expulsion en commissariat, la question de l'inadaptation du lieu à la privation de liberté de longue durée peut également résulter de la détention dans les geôles du Tribunal durant le procès, mais il faut établir son caractère « continu » [Zamfirachi : préc. ; § 75 : « continuous »], leur nombre répété [ibid., § 69 et s. : en l'espèce, le requérant dénombrait deux cent passages en geôles, concernant le procès de première instance et celui d'appel] et le dépassement en certaines occasions de la durée nécessaire [ibid., §  73 : la Cour notait parfois des dépassements de 6 ou 7 heures] ne suffisant pas à l’établir. 
Ce dernier contrôle, sur le fondement de l’article 3, liant le lieu au cas de privation de liberté [le contrôle de l’adéquation matérielle existe sur le fondement de l’article 5 § 1er principalement, aboutissant à interdire la détention de l’aliéné en établissement pénitentiaire, sauf pour une courte durée provisoire ; v. CEDH, ch., 30 juil. 1998, Aerts c. Belgique, req. n° 25357/94 : Rec. CEDH, 1998-V] pourrait permettre, à se développer, d’exiger la modulation du niveau d’affliction permis selon les cas de privation de liberté, ce qui apparait dans le contrôle de la détention de l’étranger refoulé, notamment par rapport à la détention pénitentiaire [v. sur le fondement de l’art. 5, CEDH, sect. I, 2 mai 2013, Barjamaj c. Grèce, req. n° 36657/11 ; § 38 : « les lieux et conditions de détention doivent être appropriés, car une telle mesure s’applique non pas à des auteurs d’infractions mais à des étrangers qui, craignant souvent pour leur vie, fuient leur propre pays » - v. sur le fondement de l’article 3 le constat par la Cour de la détention de l’étranger dans des conditions plus sévères que les condamnés à perpétuité, lui servant à conclure à la violation, Yarashonen : préc., § 78].

31.              Raisonnement commun : violation par « effets cumulatifs » des conditions matérielles de détention. Hors des cas typiques de violation résidant dans la surpopulation ou encore l'inadaptation du lieu de privation à la durée de la mesure [v. supra, n° 29 et s.], des vices moins graves, liés le plus souvent à la vétusté et l'insalubrité, peuvent, par « effets cumulatifs » [Mihailescu ; préc. : § 53], entraîner également la violation de la Convention. La Cour examine l'ensemble des défauts de conditions de détention, mais l'un des critères principaux demeure l'état de la cellule : l'absence de mobilier adapté, par exemple pour l'alimentation, et la vétusté des lieux, alors que des fuites dans les conduits d'eau rendent la cellule humide, provoquant parfois des inondations, permettent d'établir la violation de la Convention, même en l'absence de surpopulation [ibid., § 57]. L’absence d’intimité minimale pour le détenu dans une cellule collective, le laissant à la vue des autres lors de l’usage des toilettes s’y trouvant, participe aussi au constat des conditions de détention indignes [Buglov : préc. ; § 88].

32.              Conditions restrictives de l’édiction de l’empêchement du transfert du demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin II vers un autre État, en raison du risque d’exposition à un traitement inhumain et dégradant, résultant de l’exécution d’une privation de liberté. Dans un raisonnement classique, l’exposition de l’étranger à un « risque réel et personnel » de subir un traitement inhumain et dégradant résultant des conditions de détention en cas de transfert dans un autre État [v. par ex. pour la validation de l’extradition de l’individu qui risque d’être condamné à une peine perpétuelle dans les conditions d’isolement des établissements supermax, Babar Ahmad : préc.], l’empêche, même pour les demandeurs d’asile déplacés selon le règlement Dublin II [v. les principes généraux exposés dans l’arrêt CEDH, sect. I, 3 juil. 2014, Mohammadi c. Autriche, n° 71932/12, en angl. ; § 57 et s.]. L’existence d’une note du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés demandant aux États de l’Union européenne de s’abstenir de déplacer les étrangers dans l’État concerné apparaît comme une condition indispensable pour interdire le transfert, sans que la Cour ne se livre à une étude précise des conditions de détention auxquelles le demandeur d’asile risque d’être exposé, ou s’attarde sur les simples préoccupations émises par l’organisme international [Mohammadi : préc. ; § 105 et s. – v. aussi CEDH, sect. I, 6 juin 2013, Mohammed c. Autriche, req. n° 2283/12, en angl. : §  105].
Dans le cas Mohammadi [préc.], la Cour avait noté aussi que le placement en détention du demandeur d’asile transféré en Autriche n’était pas automatique, notamment du fait de la possibilité d’adopter des mesures alternatives [ibid, § 68]. Si cette considération aidait sans doute la Cour a écarté en l’espèce le risque « réel et personnel », elle posait aussi la question du caractère arbitraire de la détention, à laquelle le requérant aurait pu être soumis en cas de transfert, au regard des principes établis sur le fondement de l’article 5 de la Convention. Le grief n’était pas soulevé devant la Cour, qui admet que le risque d’être soumis à une détention arbitraire puisse empêcher un transfert à des conditions très restrictives cependant, puisque seul un « risque réel de violation flagrante de l’article 5 » peut alors être relevé, la Cour admettant elle-même recourir à un « seuil élevé »  [CEDH, sect. IV, 17 janv. 2012, Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, req. n° 8139/09 : Rec. CEDH, 2012 ; JCP, 2012, n° 141, obs. L. Milano ; AJDA, 2012, p. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen ; RFDA, 2013, p. 576, chron. H. Labayle, F. Sudre, L. Milano et X. Dupré de Boulois ; § 233 : la Cour donnait des exemples de violations flagrantes dépassant la seuil et permettant l’empêchement du transfert, comme la détention pendant plusieurs années sans aucune intention de jugement ou le risque d’une condamnation sévère à la suite d’un procès manifestement inéquitable, si bien que l’exposition de l’individu en cas d’extradition à une détention avant jugement de cinquante jours sans contrôle judiciaire, soulevée en l’espèce, ne constituait pas une violation suffisamment flagrante pour empêcher la remise].

b) Le contrôle de la détention dans la détention

33.              L’interdiction de l’isolement total : le maintien de la définition stricte de la notion. L'isolement pénitentiaire de sûreté est un régime pénitentiaire dérogatoire pérenne destiné « à prévenir les risques d’évasion, d’agression ou la perturbation de la collectivité des détenus »si bien que « ces régimes ont comme base la mise à l’écart de la communauté pénitentiaire accompagnée d’un renforcement des contrôles » [CEDH, sect. IV, 27 nov. 2012, Chervenko c.Bulgarie, req. n° 45358/04 ; § 61]. L'isolement total constitue par nature un traitement inhumain et dégradant [CEDH, 8 juin 1999, Messina c. Italie, req.n° 25498/94, déc. : Rec. CEDH, 1999-V], celui-ci résidant dans « l’isolement sensoriel complet combiné à un isolement social total » [ibid.], conditions cumulatives appréciées strictement, comme l'a montré la validation des conditions matérielles de détention en établissement américain SUPERMAX [Babar Ahmad : préc.]. Un arrêt récent confirme cette définition étroite, rappelant que les requérants n'avaient pas subi d'isolement total [Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 204 : « complete isolation »], même si chacun avait été confiné dans sa cellule entre 21 et 22 heures par jour, sans pouvoir communiquer avec les autres détenus subissant la même mesure [ibid.].

34.              Le contrôle européen peu exigeant de l’affliction générée par l’isolement relatif. L'isolement relatif, par dérogation, peut également être sanctionné sur le fondement de l'article 3, du fait de son affliction excessive, au regard « [des] conditions particulières, [de] la rigueur de la mesure, [de] sa durée, [de] l’objectif poursuivi [et des] effets sur la personne concernée » [CEDH, sect. II, 9 oct. 2012, X. c. Turquie, req. n° 24626/09 ; § 46]. La sanction de l'isolement relatif sur le fondement de la seule sévérité de son régime a en réalité rarement servi [v. pour la validation d'un isolement de huit ans malgré ses effets avérés sur la santé de l'individu, CEDH, gde ch., 4 juil. 2006, Ramirez Sanchez c. France, req. n° 59450/00 : Rec. CEDH, 2006-IX : D., 5 juil. 2006, actu., obs. E. Allain ; AJDA, 2006, p. 1709, chron. J.‑F. Flauss ; RSC, 2006, p. 431, chron. F. Massias - v. pour la validation d'un isolement de 6 ans pour un individu détenu seul sur une île, CEDH, gde ch., 12 mai 2005, Öcalan c. Turquie, req. n° 46221/99Rec. CEDH, 2005-IV : RFDA, 2006, p. 308, chron. H. Labayle ; RSC, 2006, p. 431, chron. F. Massias ; AJDA, 2006, p. 466, chron. J.-F. Flauss - il est vrai que dans les deux cas, la personnalité du détenu était particulière] et sa sanction nécessite, le plus souvent, de constater, au surplus, l'insalubrité ou la vétusté des conditions matérielles de détention [CEDH, gde ch., 8 juil. 2004, Ilascu et autres c. Moldavie et Russie, req. n° 48787/99 : Rec. CEDH, 2004‑VII - CEDH, sect. III, 29 sept. 2005, Mathew c.Pays-Bas, req. n° 24919/03 : Rec. CEDH, 2005‑IX], ou bien la commission de fouilles contraires à la dignité humaine accompagnant l'isolement [CEDH, sect. III, 24 juil. 2012, Ciupercescu c. Roumanie (n° 2), req. n° 64930/09 - CEDH, sect. IV, 27 nov. 2012, Savics c. Lettonie, req. n° 17892/03, en angl.] ou toute autre circonstance exceptionnelle [v. par ex. pour la sanction de l'isolement dans les couloirs de la mort, CEDH, 29 avr. 2003, Poltoratski c. Ukraine, req. n° 38812/97 : Rec. CEDH, 2003-V - v. par ex. pour la sanction de l'isolement reposant sur un motif discriminatoire, X. c. Turquie ; préc.]. Un arrêt récent poursuit cette approche stricte, même pour l'isolement relatif, pour ne pas se contenter du défaut d'activité stimulante sur le plan physique ou intellectuel mis à disposition du détenu, pourtant constaté, pour sanctionner l'isolement [Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 208]. Et si la Cour européenne des droits de l'Homme n'a pas estimé nécessaire d'étudier l'ensemble des critiques des conditions matérielles de détention soulevées devant elle [ibid., § 213], la Cour notait malgré tout, au surplus de la sévérité du régime de l'isolement, les difficultés d'accès des détenus aux toilettes, les obligeant à employer un sot hygiénique [ibid., § 211], pour établir le constat de violation, circonstance lui servant par ailleurs au constat de l'indignité des conditions matérielles de détention dans son contrôle du régime pénitentiaire de droit commun [CEDH, sect. I, 9 mars 2006, Cenbauer c. Croatie, req. n° 73786/01 : Rec. CEDH, 2006-III].

35.              Application du contrôle désormais classique de la proportionnalité de la durée du placement en isolement. Puisque l’isolement de sûreté est un « emprisonnement au sein de la prison » [Chervenko : préc.] qui ne peut durer « indéfiniment » [ibid.], les autorités nationales doivent organiser un contrôle périodique de la justification de son maintien [CEDH, sect. IV, 17 avr. 2012, Horych c. Pologne, req. n° 13621/08,en angl.] et motiver les décisions de prolongation par des « motifs sérieux » [Chervenko : préc. ; § 60 et s.], qui doivent être « détaillés et argumentés » [ibid.] de plus en plus fermement au fil du temps [v. aussi CEDH, sect. IV, 11 juil. 2006, Campisi c. Italie, req. n° 24358/02 ; § 38]. Les autorités doivent même envisager la possibilité de prononcer des mesures alternatives moins sévères [Mathew préc.]. Progressivement, c’est un contrôle de la proportionnalité concrète de la durée raisonnable de l’isolement de sûreté que la Cour s’approprie [CEDH, sect. IV, 17 avr. 2012, Piechowicz c. Pologne, req. n° 20071/07, en angl. : préc. ; § 178 : « the Court finds that the duration and the severity of the measures taken exceeded the legitimate requirements of security in prison and that they were not in their entirety necessary to attain the legitimate aim pursued by the authorities »], sur le fondement de la pertinence et de la suffisance des motifs invoqués par les autorités internes pour prolonger, appliquant pratiquement à l'isolement pénitentiaire de sûreté sa méthode de contrôle de la durée raisonnable de la détention provisoire [v. sur celle-ci supra, n° 22, et nos obs. ici et ]. 
Les mesures d’isolement pénitentiaire de sûreté de longues durées, par exemple de 12 ou 14 ans, sans être sanctionnées par nature, subissent ce contrôle, l'isolement ne pouvant se justifier que par l'existence, tout au long de son maintien, de raisons particulières de sécurité [Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 204 : « isolation should be justified by particular security reasons obtaining throughout the duration of this measure »]. La Cour réalise alors un contrôle de la pertinence des motifs de la prolongation : la formulation de plaintes contre les autorités par le détenu ou son attitude revendicative quant à la défense de ses droits ne peuvent servir à la démonstration de sa dangerosité [ibid., § 205]. La Cour réalise aussi un contrôle de la suffisance des motifs pertinents : si une seule bagarre entre codétenus est un motif de nature à justifier le placement en isolement, sa portée est relative, au regard de la Recommandation Rec(2003)23 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée, dont l'article 6, concernant le principe de « sécurité et de sûreté », formule qu'« une distinction claire devrait être faite entre les risques que les condamnés [...] présentent pour la société, pour eux-mêmes, pour les autres détenus et pour les personnes qui travaillent dans la prison ou qui la visitent » [ibid., § 206].

36.              Vers le durcissement du contrôle européen de la nécessité du placement en isolement pénitentiaire. Au contraire, quant à l'appréciation de la nécessité du placement en isolement de sûreté, la Cour européenne des droits de l'Homme avait accordé jusqu'ici une grande marge d'appréciation aux Etats, admettant même qu'il puisse résulter automatiquement de l’application de la loi dans le domaine de la grave criminalité [v. concernant une personne en détention provisoire, Hordych préc. ; § 93 et s.], ne sanctionnant le placement qu'en cas de défaut manifeste d’opportunité, caractérisant une mesure « arbitraire » [CEDH, sect. II, 7 juin 2011, Csullog c. Hongrie, req. n° 30042/08, en angl. ; § 37]. Dans une évolution de sa jurisprudence se fondant sur l'article 7 des recommandations précitées selon lequel « il faudrait prendre en considération le fait que les condamnés à perpétuité et les autres détenus de longue durée ne devraient pas être séparés des autres prisonniers selon le seul critère de leur peine », la Cour européenne des droits de l'Homme a sanctionné le placement en isolement qui résultait, en droit interne, automatiquement de la nature de la peine à laquelle les deux requérants avaient été condamnés [Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 204]. Il en ressort que les autorités doivent dès le placement en isolement procéder à une évaluation précise et concrète de la dangerosité de l'individu, même pour la grave criminalité. La portée du principe dégagé reste relative. D'abord, la violation de l'article 3 résultait en l’espèce de l'ensemble des vices relevés – durée excessive [v. supra, n° 35] et affliction de l’isolement trop sévère [v. supra, n° 34], en plus du défaut de nécessité -, sans que la Cour n'ait pris le soin de hiérarchiser ni de distinguer ses différents contrôles, pour un raisonnement, il est vrai, principalement classique, mais dont l'apport se trouve relativisé. De plus, le droit interne analysé était particulièrement sévère, puisque le placement en isolement automatique durait cinq ans [Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 114 et s.]. L'utilisation d'un fondement international, même non contraignant, atteste toutefois de la volonté de la Cour d’adopter un raisonnement de principe. 

37.              Le maintien d'une marge des autorités pour le menottage du détenu même en cas de publicité. L'usage excessif des menottes à l'encontre du détenu est susceptible d'entraîner une violation de l'article 3 à défaut de nécessité [CEDH,ch., 16 déc. 1997, Raninen c. Finlande, req. n° 20972/92 : Rec. CEDH, 1997‑VIII ; RSC, 1998, p. 380, obs. R. Koering‑Joulin ; AJDA, 1998, p. 37, chron. J.-F. Flauss]. Le contentieux n'a pas profité de l'objectivisation et l'ajout de circonstances particulières au défaut de nécessité, comme la publicité du port des menottes [CEDH,sect. II, 6 mars 2007, Erdogan Yagiz c.Turquie, req. n° 27473/02 ; § 44 et s.] ou son usage lors d'extractions médicales [CEDH,sect. I, 27 nov. 2003, Hénaf c. France, req. n° 65436/01 : Rec. CEDH, 2003-XI : JCP, 2004, II, n° 10093, note L. Di Raimondo ; JCP A, 2004, n° 243, note C. Gauthier ; D., 2004, p. 1196, comm. D. Roets ; RSC, 2004, p. 441, chron. F. Massias ; D., 2004, p. 1095, chron. É. Péchillon]. La Cour européenne des droits de l'Homme a maintenu l'exigence d'un seuil élevé pour sanctionner le menottage en l'écartant dans une espèce, malgré la formulation de doutes sur sa nécessité [Zamfirachi : préc. ; § 49 : la Cour notait que le requérant n'était pas suspecté d'une infraction violente et qu'aucune attitude agressive ou velléité de fuite n’avaient été attestées] et son usage public [ibid., § 48 et s. : l'usage public des menottes concernait l'acheminement du détenu du véhicule jusqu'à l'édifice du tribunal, sans que la Cour ne s’intéresse à leur fréquence], au regard de l'absence de preuve, à la charge du requérant, d'impact de cette mesure sur son psychisme [ibid., § 51] et au regard de la courte durée de l'usage public des menottes [ibid., § 50 : la Cour notait par exemple l'absence d'usage des menottes durant les audiences], dans une appréciation encore subjective de l'atteinte à la dignité.

38.              Le contrôle des conditions de transport des détenus : la transposition du contrôle du régime normal de détention. La Cour européenne des droits de l'Homme a développé son contrôle des conditions de transport des détenus, sur le fondement de l'article 3, sur route ou par chemin de fer, en transposant, en quelque sorte, son contrôle des conditions matérielles de détention, fixant un espace personnel minimal de près d’1 m², en s’appuyant sur les travaux du Comité de prévention et de la torture, dont la violation apparaît pratiquement comme un cas autonome de sanction de l’article 3, indépendamment de la durée du transport [CEDH, sect. I, 10 juil. 2014, M. S. c. Russie, req. n° 8589/08, en angl. ; § 74 et s. : la Cour sanctionnait les transports réalisés dans un compartiment de 0.5 m² d’un prisonnier conduit au Palais de justice à trente reprises pendant cinq mois, les allers et venues durant entre 25 minutes et cinq heures, tout en indiquant s’aligner sur les travaux du CPT, qui avait déjà réprouvé le transport de prisonniers dans des compartiments leur laissant 0,4, 0,5 ou 0,8 m², indépendamment de la courte durée des traitements, ou même un seul transport par chemin de fer d’une durée de quinze heures, pendant lequel le détenu se trouvait dans un compartiment de 3,5 m² en compagnie de quinze codétenus, qui pouvaient fumer, situation jugée par la Cour « inacceptable »], tandis qu'à défaut, le critère de la durée et la méthode des effets cumulatifs des conditions insalubres servent à l'établissement de la violation [CEDH, sect. IV, 8 nov. 2005, Khoudoïorov c. Russie, req. n° 6847/02 : Rec. CEDH, 2005-X ; § 117 : « en l'espèce, les compartiments individuels du fourgon (d'une taille d’1 m²) ne paraissent pas enfreindre les normes du Comité de prévention de la torture, à condition que la capacité prévue ne soit pas dépassée et que ces compartiments soient suffisamment éclairés, aérés et chauffés et munis de sièges et dispositifs permettant aux détenus de ne pas perdre l'équilibre pendant le trajet »]. Dans ce dernier cas, le critère de la durée du transport prédomine, et des courts parcours, même répétés, sans que la Cour ne cherche à établir les critiques sur la ventilation ou le chauffage, ne violent pas la Convention [Zamfirachi préc. ; § 77].

c) La capacité à la privation de liberté

39.              Droit à l’assistance médicale : le cas du retard de soins. Si l’état de santé incompatible avec le maintien en détention ouvre un droit à la libération, le simple défaut de soin, s’il viole aussi l’article 3 [v. pour la distinction CEDH, sect. II, Ürfi Cetinkaya c. Turquie, req. n° 19866/04 ; § 87 et s.], ne génère pas un tel droit, mais, par comparaison avec le grief des conditions matérielles de détention, ouvre devant les juridictions internes un recours préventif, celui permettant d’obtenir le traitement médical adapté, et un recours compensatoire [v. infra, n° 71]. En cas de critique d’un retard de soin, la Cour distingue selon la gravité des symptômes, les plus graves semblant de nature à engager la responsabilité de l’État de plein droit au regard de son obligation positive d’assurer la santé des détenus, tandis que pour des symptômes plus communs, comme la toux et la fatigue, quand bien même proviendraient-ils d’une maladie grave, en l’espèce la tuberculose, qui plus est possiblement transmise en détention selon les propres constatations de la Cour, la violation de la Convention suppose une sollicitation du détenu aux autorités pour obtenir une assistance médicale [Yarashonen : préc. ; § 82 et s. : la Cour posait ce raisonnement pour étudier la condition d’épuisement des voies de recours internes, écartée du fait de l’absence de sollicitation]. En cas de diagnostic d’une maladie dans une phase asymptomatique, un défaut dans le suivi thérapeutique de l’évolution de la maladie ne suffit pas à entraîner une violation de l’article 3, et il faut ramener la preuve que celui-ci à entraîner un retard dans l’apport du traitement approprié [M. S. c. Russie : préc. ; § 91 et s.].

40.              Distinction du traitement inhumain de celui dégradant. Si la distinction entre le traitement inhumain et dégradant n’est pas toujours claire dans la jurisprudence européenne [celle-ci ne caractérise d’ailleurs pas toujours le traitement sanctionné, pour évoquer plus sobrement « une violation de l’article 3 » ; v. par ex. Dulbastru : préc. ; § 35], le contentieux du droit à l’assistance médicale du détenu semble soumis à une séparation nette des deux notions, le retard de soin ou son arrêt injustifié constituant un traitement dégradant, même lorsqu’il concerne des pathologies lourdes – en l’espèce, le détenu était atteint du sida et de la tuberculose -, sauf à établir que ces défauts ont créé la soumission de l’individu à des souffrances importantes [M. S. c. Russie : préc. ; § 100]. Pour le contrôle des conditions matérielles de détention, des conditions sévères ne semblent suffire à aboutir à la qualification de traitement inhumain [v. pour la qualification retenue de traitement dégradant, malgré une surpopulation importante, le détenu bénéficiant de 2,25 m² d’espace personnel à l’intérieur d’une cellule collective dans des conditions ne respectant pas son intimité lors de l’usage des toilettes, Buglov : préc. ; § 80 et s.].

3) L'interdiction de toute rigueur non nécessaire aux droits fondamentaux du détenu

41.              Le cas des soins forcés en détention. Le Conseil constitutionnel a pleinement reconnu la conservation par la personne privée de liberté de ses droits fondamentaux, sauf par définition, sa liberté individuelle, les atteintes à ceux-ci devant se cantonner aux limitations nécessaires aux contingences de la privation de liberté [v. par exemple pour le contrôle des restrictions aux droits fondamentaux de l’aliéné, Cons. const., déc. n° 2010-71 QPC du 26 nov. 2010, [Mme S.] : J. O., 27 nov. 2010, p. 21119 ; Dr. Famille, 2011, comm. n° 11, note I. Maria ; RFDA, 2011, p. 951, chron. A. Pena ; JCP, 2011, n° 189, note K. Grabarczyk ; AJDA, 2011, p. 174, X. Bioy ; consid. n° 30 et s. - v. pour le même contrôle pour la peine privative de liberté, Cons. const., déc. n° 2009‑593 DC du 19 nov. 2009 portant sur la loi pénitentiaire : J. O., 25 nov. 2009, p. 20222 ; RSC, 2010, p. 217, obs. B. de Lamy ; AJDA, 2009, p. 2425, obs. P. Wachsmann ; consid. n° 4 et s.]. Un principe similaire soutient la jurisprudence européenne, notamment lors de son contrôle des atteintes aux droits des détenus protégés par la Convention [v. par exemple pour la recherche de la nécessité de l’ingérence du droit de correspondance du détenu fondé sur l’article 8 de la Convention, Buglov : préc. ; § 128 et s.]. Alors que la Cour européenne des droits de l’Homme a limité, sur le fondement de l’article 5, le recours à la privation de liberté pour réaliser des soins forcés [v. CEDH, sect. II, 2 oct. 2012, Pleso c. Hongrie, req. n° 41242/08, en angl. ; § 66 : la Cour y rappelait l’exigence d’un péril immédiat pour la santé de l’aliéné, afin de valider son internement, évoquant pour le reste un droit d’être malade, «  a right to be ill » - v. CEDH, 25 janv. 2005, Enhorm c. Suède, req. n° 56529/00 : Rec. CEDH, 2005-I ; RSC, 2006, p. 431, chron. F. Massias : la Cour y limitait l’usage de la privation de liberté de la personne malade sur le plan somatique à celle présentant un état contagieux dangereux pour la santé publique], l’obligation positive pour les autorités d’assurer la santé des détenus [Kudla : préc.] leur octroie une large marge de manœuvre dans le traitement contraint de la personne privée de liberté sans lien avec son état de santé physique, à condition d’établir son intérêt thérapeutique, sans s’intéresser véritablement à la capacité du détenu à y consentir, qu’il s’agisse de l’alimentation forcée en cas de grève de la faim [CEDH, sect. II, 5 avr. 2005, Nevmerjitski c. Ukraine,  req. n° 54825/00] ou du traitement ultérieur à des mutilations ou à une tentative de suicide [CEDH, sect. III, 8 juil. 2014, Ciorap c. République de Moldavie (n° 4), req. n°14092/06 ; § 49 et s.].

*****

III. Le contrôle juridictionnel de la privation de liberté

42.              Cour européenne des droits de l’Homme, juge de quatrième degré. La Cour européenne des droits de l’Homme, en découvrant différentes conditions à la privation de liberté sur le fondement de l’article 5 § 1er [v., par ex., supra, n° 23], participe à la délimitation abstraite de la privation de liberté en posant des conditions à sa conventionnalité, dont il revient d’abord au juge national d’assurer le respect lorsqu’il s’en trouve saisi sur le fondement de l’article 5 § 4, et dont elle assure le respect, après épuisement des voies de recours interne. La Cour européenne des droits de l’Homme assure également le contrôle du droit interne, dont la violation constitue aussi une violation de l’article 5 § 1er [si bien qu’elle ouvre droit à réparation sur le fondement de l’article 5 § 5 ; v. infra, n° 46], dès lors que cette disposition exige que la privation de liberté se réalise selon « les voies légales ». Par exemple, le placement en détention provisoire, à la suite d’une arrestation réalisée immédiatement après le refus d’un premier juge de placer en détention provisoire, sur le fondement d’éléments connus des enquêteurs dès la première demande, alors que la loi interne n’autorise un nouveau placement uniquement en cas de faits nouveaux, viole la loi interne et par ricochet la Convention [Dubinsky : préc. ; § 41 et s.].

43.              Dualité : vers le transfert au juge administratif du contrôle du bien-fondé de la rétention administrative. L'article 66 de la Constitution fait de l'autorité judiciaire le gardien de la liberté individuelle. L'autorité judiciaire bénéficie ainsi du monopole de l'appréciation du bien-fondé de la privation de liberté [v. par ex. Cons. const., déc. n° 2010-80 QPC du 17 déc. 2010, [M. F.] : J. O., 19 déc. 2010, p. 22374 ; Constitutions, 2011, p. 525, note E. Daoud et A. Talbot ; Procédures, 2011, comm. n° 73, obs. J. Buisson]. La disposition a toutefois toujours été interprétée de manière à préserver une compétence administrative importante, notamment dans l'appréciation de la légalité des décisions administratives pour l’exécution desquelles la privation de liberté est prise [v. Cons. const., déc. n° 89‑261 DC du 28 juil. 1989 portant sur la loi relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France : J. O., 1er août 1989 ; RFDA, 1989, p. 691, note B. Genevois ; AJDA, 1989, p. 619, note J. Chevallier ; D., 1990, p. 161, note X. Prétot ; consid. n° 17 et s. : le Conseil constitutionnel y rappelait notamment que « conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République", celui selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle »]. Le juge administratif apparaît de plus comme le « juge pénitentiaire » [M. Guyomar, « Le juge administratif, juge pénitentiaire » ; in Mélanges offerts en l'honneur du professeur Jégouzo, Terres du droit, D., 2009]. Il peut, pour ces raisons, être également qualifié de gardien de la liberté individuelle. La Cour européenne des droits de l’Homme ne s’oppose pas à ce que le juge administratif exerce le contrôle entier de la privation de liberté [Yarashonen : préc. ; § 48], ou le partage avec l’ordre judiciaire [Baudoin : préc.], dès lors qu’il constitue un Tribunal au sens de l’article 5 § 4 et dispose du pouvoir de libération en cas de constat de l’illégalité de la privation de liberté, au sens de la disposition [dans les deux derniers arrêts cités, le défaut de ce pouvoir avait disqualifié le juge administratif].
En matière de placement en rétention administrative, la distinction des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif apparaît la moins cloisonnée. D’abord, le juge judiciaire a découvert certaines hypothèses l’autorisant à assurer le contrôle de la légalité de la décision administrative d’éloignement lorsque celle-ci concerne un étranger qui, par principe, est écarté de son champs d’application [Cass. civ. II, 10 nov. 1999, n° 98-50.014 : inédit ; Rev. crit. DIP, 2000, p. 697, obs. N. Guimezanes : le juge judiciaire est fondé à contrôler la condition de la durée de résidence de l’étranger – Cass. civ. I, 10 mai 2006, n° 04-50.149 : Bull. civ. I, n° 229 : le juge judiciaire est fondé à vérifier la condition de l’âge de l’étranger – Cass. civ. I, 17 nov. 2010, n° 09‑70.413 : inédit : le juge judiciaire est fondé à vérifier la condition de la nationalité de l’étranger]. Ensuite, le législateur a organisé en premier la saisine du juge administratif pour l’étranger placé en rétention administrative afin de contester la légalité de cette décision [le juge administratif doit statuer au plus tard au bout de cinq jours - art. L. 512-1 CESEDA – alors que le juge judiciaire doit statuer pour prolonger la rétention administrative au plus tard au bout de six jours – art. L. 552-1 CESEDA], alors que son contrôle déborde sur la nécessité du placement en privation de liberté, par rapport à l’insuffisance du recours à l’assignation à résidence, que l’autorité administrative peut prononcer en vertu de l’article L. 561-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile [CE, 14 mars 2005, pft Haute-Garonne c. M. Dalache, n° 259881 : inédit : le juge administratif estimait « qu'il ressort également des pièces du dossier que [l’étranger] était titulaire d'un passeport en cours de validité et que sa domiciliation chez un compatriote était connue des services de la préfecture depuis plus de six mois à la date de la décision attaquée ; que, dès lors, [il] est fondé à soutenir que cette décision […] n'était pas nécessaire » – CE, 7 avr. 2006, M. Benayad, n° 261595 : inédit. – CE, 9 janv. 2006, X c. pft Haute‑Savoie, n° 272843 : inédit], contrôle que le juge administratif a maintenu depuis sa promotion comme la première juridiction intervenant dans le contrôle de la rétention administrative [CAA Bordeaux, 20 mars 2012, n° 11BX02932 : AJDA, 2012, p. 1023 : l’autorité administrative n’a pas commis d’erreur d’appréciation quant au placement en rétention administrative puisque l’étranger « ne disposait ni d'un passeport en cours de validité, ni d'un domicile propre, ni de ressources, et ne présentait donc pas de garanties de représentation »].
La Cour de cassation semble elle-même acter l’acquisition par le juge administratif du contrôle du bien-fondé de la privation de liberté, pourtant contraire à l’article 66 de la Constitution, en estimant que le juge judiciaire saisi de la prolongation de la rétention administrative ne peut réaliser la « vérification des conditions de délai nécessaires au départ prévu à l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile » [la disposition prévoit qu’« un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ » et que « l'administration doit exercer toute diligence à cet effet »], sans « [porter] une appréciation sur la légalité de la décision administrative ordonnant le placement en rétention administrative [de l’étranger] » et violer « le principe de la séparation des pouvoirs » [Cass. civ. I, 25 juin 2014, n° 13‑23.940 : inédit]. En visant « les » conditions de l’article L. 554-1, c’est donc autant la première condition figurant dans le texte, celle du cantonnement de la durée de la rétention au « temps strictement nécessaire à son départ », qui est compromise, par exemple, lorsque l’éloignement ne semble pouvoir être acquis avant l’écoulement du temps maximum de détention [c’est cet argument que le juge judiciaire du fond avait employé pour écarter la prolongation de la rétention administrative en l’espèce, en estimant que le demandeur d’asile concerné, qui avait saisi la Commission nationale du droit d’asile, ne pourrait être éloigné avant que celle-ci ne rende sa décision, et que l’éloignement devait nécessairement être réalisé ultérieurement, sous peine d’empêcher l’étranger de bénéficier d’un recours effectif contre celui-ci – v. pour la sanction européenne de la détention aux fins d’exécution de l’expulsion alors que celle-ci apparaissait compromise à défaut de trouver un pays d’accueil, A. et autres c. Royaume-Uni, gde ch. : préc.], que la seconde condition, celle du contrôle de de la « diligence à cet effet » de l’administration, qui est compromise, par exemple, en cas de latence dans le traitement de la procédure [la Cour européenne des droits de l’Homme opère ce contrôle sur le fondement du délai raisonnable, sanctionnant l’inaction de l’administration, v. supra, n° 23], c’est-à-dire les deux éléments délimitant la proportionnalité de la privation de liberté, qui échappent au contrôle du juge judiciaire, sans que la formulation de l’arrêt ne comporte aucun limite à la compétence ainsi abandonnée au juge administratif. Si en l’espèce, le juge judiciaire qui avait libéré était celui saisi de l’appel de la première autorisation de prolongation du juge du fond, la formulation ne semblait pas cantonner la solution à cette première prolongation, qui, il est vrai, intervient désormais peu de temps après l’intervention du juge administratif, pour autoriser le juge judiciaire à réinvestir ce contrôle lors de la seconde prolongation, alors que le contrôle du juge administratif est plus lointain [la seconde prolongation du juge judiciaire doit intervenir moins de vingt jours après la première prolongation et est limitée également à une durée de vingt jours – v. l’art. L. 552-7 CESEDA], dès lors que c’est plus généralement toute « vérification des conditions de délai nécessaires », sans nuance ni précision, qui est écartée par l’arrêt, ces conditions semblant toujours intégrer « la légalité de la décision administrative » de placement.
À ce que cette interprétation la plus limitative de la compétence du juge judiciaire s’impose, l’abandon par le juge judiciaire du contrôle de la diligence de l’administration apparaîtrait comme un net recul, alors qu’il s’était engagé dans cette voie [Cass. civ. II, 30 nov. 2000, n° 99-50.085 : Bull. civ. II, n° 158 : se trouve conforté le juge judiciaire qui a refusé de prolonger la rétention administrative dès lors que « le préfet […] n'[apporte] pas les justifications des diligences qui lui incombaient pour exécuter la mesure d'éloignement » - Cass. civ. I, 16 juin 2011, n° 10-18.226 : Bull. civ. I ; Rev. crit. DIP, 2012, p. 82, obs. S. Corneloup : le juge judiciaire était conforté dans son refus de prolonger la rétention du fait de son constat de l’arrêt des diligences de l’administration pour exécuter l’éloignement, du fait de la formulation par l’étranger d’une demande d’asile]. Une telle solution serait directement contraire à la jurisprudence constitutionnelle, qui a relié l’intervention du juge judiciaire au contrôle de la proportionnalité de la durée de la rétention, notamment au regard des diligences réalisées, dans une formulation reprenant les termes toujours inscrits à l’article L. 554-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile [Cons. const., déc. n° 2003‑484 DC du 20 nov. 2003 portant sur la loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité : J. O., 27 nov. 2003, p. 20154 : Gaz. Pal., 2005, doct., p. 685, comm. J. Boyer ; consid. n° 51 ; LPA, 20 janv. (partie I) et 21 janv. (partie II) 2004, p. 10, comm. J.‑É. Schoettl ; consid. n° 66 : « l'étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet ; […] l'autorité judiciaire conserve la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient »]. Une telle solution n’apparaît pas non plus véritablement conforme à la loi, car si l’article L. 554-1 se réfère bien au « placement » en rétention administrative, faisant sans doute de ses exigences des conditions de la légalité de la décision administrative de placement en rétention, la disposition vise tout autant le « maintien », et donc les différentes prolongations autorisées par le juge judiciaire, saisi par l’autorité administrative. La consécration de la solution reviendrait surtout à sacrifier l’exercice de ce contrôle tout au long de la rétention, pour le cantonner à une appréciation du juge administratif au seul début de la privation de liberté, puisque celui-ci s’estime dessaisi du contrôle de la rétention dès sa première prolongation par le juge judiciaire [CE, réf., 29 nov. 2007, Grabis, n° 310912 : inédit : « la décision de l'autorité administrative ordonnant le placement en rétention ne peut produire effet que pendant quarante-huit heures et, qu'au terme de ce délai, seule une décision de l'autorité judiciaire peut maintenir un étranger en rétention, sans l'intervention d'aucune autorité administrative ; qu'ainsi, l'étranger maintenu en rétention, par ordonnance du juge des libertés et de la détention, ne peut utilement contester au-delà de ce terme l'arrêté par lequel le préfet l'a placé en rétention » – CE, réf., 12 sept. 2007, Benamara, n° 309317 : Rec. CE, T. – CE, 15 mars 2002, min. Intérieur c. M. Benkhira, n° 236539 : Rec. CE, T., p. 773 : LPA, 20 déc. 2002, n° 254, p. 20, concl. I. Da Silva].

44.              L’action en libération : Habeas corpus et recours à bref délai. La consécration de l'autorité judiciaire comme le gardien de la liberté individuelle à l'article 66 de la Constitution, impose une « intervention » immédiate du juge judiciaire en cas d'arrestation, afin d'apprécier la légalité de la privation de liberté, dans une exigence tendant à la création d'un Habeas corpus français [Cons. const., déc. n° 79-109 DC du 9 janv. 1980 portant sur la loi relative à la prévention de l’immigration clandestine et portant modification de l’ord. n° 45-2658 du 2 nov. 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers et portent création de l’Office national d’immigration : J. O., 11 janv. 1980, p. 84 ; consid. n° 4 : « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible »]. Le juge judiciaire se trouve pourvu du pouvoir de libération dans sa mission [Cons. const., déc. n° 97-389 DC du 22 avr. 1997 relative à la loi portant diverses dispositions relatives à l’immigration : J. O., 27 avr. 1997, p. 6432 ; AJDA, 1997, p. 524, comm. F. Julien‑Laferrière ; JCP, 1997, II, n° 22890, obs. J.‑C. Zarka ; RDP, 1997, p. 931, comm. F. Luchaire ; consid. n° 60 : « lorsqu'un magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs que lui confère l'article 66 de la Constitution en tant que gardien de la liberté individuelle, décidé par une décision juridictionnelle qu'une personne doit être mise en liberté, il ne peut être fait obstacle à cette décision, fût-ce dans l'attente, le cas échéant, de celle du juge d'appel ».]. Au contraire, une intervention judiciaire immédiate afin de contrôler la légalité de la privation de liberté n’est prévue dans la Convention européenne des droits de l’Homme qu’au profit du suspect [art. 5 § 3 CEDH : « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires »]. L’Habeas corpus, plutôt qu’un droit de recours, constitue une garantie au profit de la personne privée de liberté, puisque le contrôle judiciaire s’exerce dans ce cadre automatiquement. La Convention européenne des droits de l’Homme brille par un droit de recours spécialement consacré au profit de toute personne privée de liberté, prévu à l’article 5 § 4, afin de contester la légalité de la privation de liberté et d’obtenir la libération, l’action à bref délai [« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale »], qui se distingue de l’Habeas corpus par son défaut d’automaticité et sa célérité moindre.

45.              Les questions soulevées par la reconnaissance par la Grande chambre de l’efficacité de l’article 5 § 1er en combinaison avec l’article 13 : dégagement d’un effet suspensif à la contestation de la privation de liberté ou erreur de plume. La grande chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme, dans son arrêt Géorgie contre Turquie [préc. ; v. sur ce point nos obs.], a reconnu, pour la première fois dans la jurisprudence de la convention, il nous semble, l'efficacité de la combinaison des articles 5 § 1er et 13, et a même conclu à une violation en l'espèce sur ce fondement. L'article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l'Homme consacre pourtant un droit de recours interne spécifique à la personne privée de liberté et de jurisprudence constante, l'article 13 de la Convention était jugé inapplicable pour fonder un droit de recours interne concernant la contestation du respect de l’article 5, pour être une disposition de lex generalis, qui s'efface devant la lex specialis, [v. sur cette jurisprudence constante, l'opinion en partie dissidente du Juge Lopez Guerra, à laquelle se rallient les juges Bratza et Kalaydjieva]. L'arrêt de Grande chambre rappelle d'ailleurs l'incompatibilité de la combinaison de l'article 5 § 4 et de l'article 13 dans l’arrêt, puisque la violation de la première disposition « implique en soi l’absence de recours effectifs et accessibles » [ibid. ; § 212].
La nouvelle combinaison apparaît pourtant inutile à couvrir un champ qui serait jusque-là exclu du champ des recours internes de l’article 5. L'article 5 § 4 définit lui-même le grief ouvrant le droit de recours devant le juge interne, celui de l'illégalité de la privation de liberté. Sur ce dernier point, la Cour européenne des droits de l'Homme inclut dans la légalité de la privation de liberté, au sens de l'article 5 § 4, « chacune des conditions indispensables à la "légalité" de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 » [Stanev : préc. ; §° 168 – E. c. Norvège : préc. ; § 50] : la sanction du défaut de recours effectif interne pour porter le grief de l'illégalité de la privation de liberté, c'est-à-dire principalement pour porter le grief de la violation des principes de l'article 5 § 1er, relève bien en principe de l'article 5 § 4, au moins lorsqu'il fonde une demande de remise en liberté. A posteriori, une fois la privation de liberté terminée, le seul article 5 § 5 fonde le droit de recours interne, sans qu’il soit nécessaire d’employer non plus la combinaison des articles 5 § 1er et 13, pour couvrir ces mêmes griefs [v. par ex. pour la requalification de la requête individuelle critiquant « l'approche formaliste adoptée par le tribunal [...] quant à l'établissement de l'existence d'un préjudice moral du fait de son placement illégal en détention provisoire » sur le fondement de la combinaison des articles 5 § 5 et 13 par la Cour, celle-ci estimant le grief recevable sur le seul fondement de l'article 5 § 5, CEDH, sect. V, 3 fév. 2009, Danev c. Bulgarie, req. n° 9411/05, déc.]. La dernière disposition fonde également le droit de recours interne des violations de l’article 5 § 1er n’incorporant pas la catégorie des « conditions indispensables », qui se trouvent exclues du champ de l’article 5 § 4, à des fins indemnitaires. L'usage de la combinaison des articles 5 § 1er et 13 n'est pas non plus utile à faire de ces griefs, ou du moins certains, des causes de libération, puisque l’étendue de celles-ci résulte directement du sens que donne la jurisprudence de la Cour à la notion de « légalité » de la privation de liberté figurant à l'article 5 § 4.
Au regard de la formulation de la Grande chambre [la combinaison des articles 5 § 1er et 13 de la Convention européenne des droits de l'Homme sanctionne « l’absence de recours effectifs et accessibles pour les ressortissants géorgiens contre les arrestations, détentions et décisions d’expulsion au cours de la période litigieuse » ; Géorgie c. Russie : préc. ; § 213]. L'intérêt de l'usage de la combinaison, pour fonder le droit de recours interne, par rapport à l'usage de l’article 5 § 4 seul, pourrait se trouver dans la reconnaissance d’un effet suspensif, en développement dans la jurisprudence européenne concernant l’article 13, en particulier au profit de l'étranger détenu pour l'exécution forcée de son éloignement. L'article 13, en combinaison avec l'article 3, en cas de contestation portant sur l'exécution future de l'extradition, de l'expulsion ou du refoulement de l'étranger, en ce qu'elle exposerait l'étranger à un traitement inhumain et dégradant dans le pays de destination, impose de plein droit un recours suspensif devant le juge interne, l'exécution de la mesure n'étant permise qu'après la décision juridictionnelle [v. pour l'extradition CEDH, gde ch., 21 janv. 2011, M. S. S. c. Belgique et Grèce, req. n° 30696/09 : Rec. CEDH, 2011 : JCP, 2012, doctr. n° 924, chron. F. Sudre ; AJDA, 2011, p. 138, obs. M. C. De Montecler ; AJDA, 2011, p. 1993, chron. L. Burgorgue-Larsen ; § 385 - v. pour l'expulsion, implicitement, CEDH, sect. V, 30 juin 2011, De Souza Ribeiro c. France, req. n° 22689/07 ; ADL, 1er juil. 2011, comm. N. Hervieu ; AJDA, 2011, p. 1993, chron. L. L. Burgorgue-Larsen; § 43 - v. pour le refoulement CEDH, sect. II, 26 avr. 2007, Gebremedhin [Gaberramadhien] c. France, req. n° 25389/05 : Rec. CEDH, 2007-II ; Procédures, 2007, comm. n° 150, obs. L. Milano ; AJP, 2007, p. 476, comm. H. Gacon ; D., 2007, p. 2780, comm. J.‑P. Marguénaud ; AJDA, 2007, p. 1918, chron. J.-F. Flauss]. L'effet suspensif du droit de recours interne peut même concerner la contestation de la proportionnalité de l'atteinte au droit à la vie familiale normale de l'étranger sur le fondement des articles 8 et 13 combinés, même si l'effet ne s'applique pas de plein droit dans ce cas [CEDH, gde ch., 13 déc. 2012, De Souza Ribeiro c. France, req. n° 22689/07 : Rec. CEDH, 2012 : ADL, 16 déc. 2012, comm. N. Hevieux ; RFDA, 2013, p. 576, chron. H. Labayle et F. Sudre ; AJDA, 2012, p. 2408, obs. D. Necib ; D., 2013, p. 324, obs. K. Parrot ; Rev. crit. DIP, 2013 p. 448, note F. Jault-Seseke ; JCP, 2013, doctr. n° 64, chron. F. Sudre ; § 83]. En l'espèce, la combinaison des articles 5 § 1er et 13, utilisée par la Grande chambre, pourrait servir à sanctionner spécialement l'exécution de l'expulsion, sans reconnaître à l'étranger un droit de recours interne suspensif pour contester la légalité de la privation de liberté, la combinaison ajoutant simplement à la sanction de l'article 5 § 4, déjà retenue dans l'arrêt, le défaut de caractère suspensif du recours en contestation de la légalité de la privation de liberté, reconnu spécialement au cas de l'étranger détenu dans le cadre de l’article 5 § 1er-f).
Dès lors que la privation de liberté constitue le seul moyen d'exécuter l'extradition, l'éloignement ou l'expulsion de l'étranger, dans le respect du principe de nécessité de la privation de liberté, il est cohérent d'empêcher l'exécution de ces décisions, aux très lourdes conséquences, lorsque la privation de liberté est illégale, et donc de reconnaître le caractère suspensif du recours interne en contestation de la légalité de la privation de liberté fondé sur l’article 5 § 4. Toutefois, la reconnaissance de l'effet suspensif menace d'augmenter la durée de la privation de liberté, du fait de l'empêchement de la mise à l'exécution de l'extradition, de l'expulsion ou du refoulement, avant le bref délai, exigence de célérité relative de l'article 5 § 4, et l'apport aux garanties de la personne privée de liberté s'accompagnerait d'un effet néfaste [cet inconvénient reste relatif, d’autant plus à ce que la jurisprudence européenne confirme l’exigence d’une célérité renforcée concernant l’intervention du Tribunal réalisant le premier contrôle judiciaire de la privation de liberté ; v. infra, n° 52].
Une nouvelle fois, l'usage de la combinaison des articles 5 § 1er et 13 n'est toutefois pas vraiment utile à la reconnaissance du caractère suspensif. Si le juge administratif français a refusé de reconnaître l'effet suspensif du recours de l'article 5 § 4 sur l'exécution de l'éloignement [CE, 4 mars 2013, min. Intérieur c. Mehrzi, n° 359428 :  Rec. CE ; Dr. admin., 2013, comm. n° 35, note V. Tchen ; JCP A, 2013, actu., 251, obs. L. Erstein ; ibid., actu., n° 2232, obs. G. Marti], la jurisprudence européenne a déjà sanctionné l'exécution de l'éloignement de l'étranger avant l'examen par le juge interne de la légalité de privation de liberté sur le fondement de l'article 5 § 4, lorsque les autorités nationales ont agi de mauvaise foi [v. CEDH, 5 févr. 2002, Conka c. Belgique, req. n° 51564/99 : Rec. CEDH, 2002‑I ; AJDA, 2001, p. 1060, obs. J.-F. Flauss ; § 53 : l’affaire concernait l’arrestation d’étrangers, après convocation en préfecture, procédé déloyal accentué par le retard dans la transmission de l'information des motifs de l'arrestation – v. aussi CEDH, sect. I, 12 oct. 2006, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, req. n° 13178/03 : Rec. CEDH, 2006-XI ; D., 2007, p. 771, comm. P. Munzy ; § 113 : l'affaire concernait l'usage du référé-détention dans le seul but de réaliser l'exécution forcée de l'étranger, avant que le juge de second degré ne statue sur le référé]. Finalement, sans doute faut-il considérer cette innovation comme une erreur de plume, les faits de l’espèce ne se prêtant guère à cette avancée, d’autant plus qu’on imagine mal la Grande chambre la formuler alors de manière aussi elliptique, et cette curiosité pourrait bien disparaître de la jurisprudence.

46.              L'action en réparation. L'article 5 § 5 prévoit que « toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation ». La disposition fonde un recours interne en réparation pour toute violation de l'article 5 : la constatation d'une violation de la disposition par la Cour, alors que les juridictions internes avaient refusé l'indemnisation pour le même grief, pour avoir estimé le droit national respecté, viole en conséquence le droit à réparation [Petkov et Profirov : préc. ; § 75 et s.]. Le recours interne doit être certain [Shcherbina : préc. ; § 49 et s. : à défaut de jurisprudence déjà établie, un régime de responsabilité pour faute des autorités, sans précision de la nature ou de la gravité de celle-ci, ou encore l’application analogique d’un régime d’indemnisation prévu spécialement pour un autre cas de privation de liberté, ne sont pas des recours certains]. Au sens de la disposition, le simple constat par le juge interne de l’illégalité de la privation de liberté, sans indemnisation, ne suffit pas à faire perdre au requérant sa qualité de victime [ibid., § 35 et s.].

A) L'autorité judiciaire, gardien de la liberté individuelle



1) Les formes du contrôle judiciaire de la privation de liberté

47.              Les quatre formes du contrôle judiciaire de la privation de liberté. L’entrée en privation de liberté ne repose que rarement sur un Titre du tribunal [v. pour le rejet constitutionnel d’une telle exigence pour l’internement des aliénés, Cons. const., déc. n° 2011-174 QPC du 6 oct. 2011, [Mme P.] : J. O., 8 oct. 2011, p. 17017 ; Dr. admin., 2011, comm. n° 99, comm. C. Lantero ; JCP A, 2012, n° 2040, comm. É. Péchillon : « si l’article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, il n’impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté »], et même si certains titres de privation de liberté, réservés au Tribunal dans le standard supra-légal, peuvent réaliser l’entrée en détention [par ex. la mise à exécution d’une peine privative de liberté, résultant nécessairement d’une condamnation provenant d’un Tribunal au regard de l’article 5 § 1er-a) ou par. ex. le placement en détention provisoire, pour lequel la jurisprudence européenne tend à imposer un titre du Tribunal sur le fondement de l’art. 5 § 3 ; v. sur ce point infra, n° 50], ceux-ci peuvent aussi être précédés de l’arrestation du suspect ou du condamné sur mandat de l’autorité judiciaire ou initiative de l’autorité policière. La plupart du temps, l’arrestation de l’aliéné, du suspect, ou de l’étranger, est réalisée sans titre de Tribunal préalable, et quatre formes de contrôle judiciaire se dessinent dans le standard supra-légal et s’enchaînent, selon les cas, au fur et à mesure que la privation de liberté se prolonge, dans une approche globale de la privation de liberté [v. L. Mortet, op. cit.] : le contrôle en temps réel de l’autorité judiciaire, dépendante ou indépendante, bénéficie d’une reconnaissance constitutionnelle pour le suspect, mais d’aucune reconnaissance supra-légale pour les autres cas [v. infra, n° 49] ; l’Habeas corpus, assurant un premier contrôle immédiat du juge indépendant bénéficie d’une reconnaissance internationale uniquement pour le suspect tandis que la jurisprudence constitutionnelle le reconnaît à toute personne privée de liberté, la tenue du premier procès de la privation de liberté à ce stade n’étant pas consacrée nettement [v. Laurent Mortet, op. cit.] ; le premier titre juridictionnel de privation de liberté, dans le respect des grands principes du procès équitable, est seulement exigé à « bref délai », sur le fondement de l’article 5 § 4 [v. infra, n° 51] ; la dernière forme du contrôle judiciaire de la privation de liberté se trouve dans les interventions ultérieures du Tribunal, saisi périodiquement, pour prolonger la privation de liberté [v. sur le champ du contrôle judiciaire périodique de la privation de liberté, notamment quant à son application à la peine privative de liberté, supra, n° 53]. 


a) Les caractéristiques du contrôle judiciaire

i) Le contrôle en temps réel

48.              L'officier de police judiciaire, gardien de la liberté individuelle. Si l'officier de police judiciaire ne bénéficie pas du monopole de l'arrestation, il bénéficie du monopole du placement en détention de police judiciaire, au sens où l'individu arrêté par un agent de rang inférieur [l’arrestation est ici définie largement comme le début de l'application de la contrainte sur l'individu] doit lui être présenté immédiatement afin qu’il puisse décider du maintien en détention [v. l'art. 73 CPP pour l'arrestation en flagrance ; v. l'art. 78-6 CPP pour la vérification d'identité ; v. l'art. 62-2 CPP pour le placement en garde à vue]. Ce rôle bénéficie même d'une reconnaissance constitutionnelle : la consécration d'un pouvoir d'arrestation à l'agent de police judiciaire de rang inférieur suppose qu'il soit mis « mis à la disposition de l'officier de police judiciaire » [Cons. const., déc. n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 relative à la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure : J. O., 15 mars 2011, p. 4630 ; cons. n° 60] et que l’agent lui rende compte « dans le plus bref délai » de l'arrestation [ibid., consid. n° 47]. Ce rôle de l'officier de police judiciaire semble avoir été confirmé par la Cour de cassation concernant la retenue factuelle prise pour opérer les vérifications de l'imprégnation alcoolique du conducteur [v. supra, n° 8], et si l'ampleur de son contrôle n'a pas été précisée, la Chambre criminelle a pris le soin de vérifier que « le prévenu a fait l'objet d'une interpellation par les agents de police judiciaire agissant conformément aux instructions de l'officier de police judiciaire » [Cass. crim., 17 juin 2014, n° 13-86.059 : inédit ; préc.].

49.              La valeur du contrôle en temps réel par l'autorité judiciaire de la privation de liberté. L'article 66 de la Constitution impose pour le suspect qu'un magistrat de l'autorité judiciaire, du siège ou du parquet [de solution constante, le Conseil constitutionnel estime que « l’autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet » ; Cons. const., déc. n° 94-355 DC du 10 janv. 1995 portant sur la loi organique modifiant l'ordonnance n° 58 1270 du 22 déc. 1958 relative au statut de la magistrature : J. O., 14 janv. 1995, p. 727], et pas seulement le juge judiciaire, à la différence de l'Habeas corpus, exerce un contrôle « en temps réel » [L. Mortet, op. cit.] de la légalité de la privation de liberté, de l'arrestation à l'Habeas corpus : ce contrôle suppose l’information immédiate du magistrat de l'arrestation [Cons. const., déc. n° 93-326 DC du 11 août 1993 portant sur la loi modifiant la loi n° 93-2 du 4 janv. 1993 portant réforme du Code de procédure pénale : J. O., 15 août 1993, p. 11599 ; RFD const., 1993, p. 848, note Th. Renoux], de lui reconnaître la compétence pour apprécier l'opportunité de la privation de liberté et de le doter du pouvoir d’y mettre un terme à tout moment [Cons. const., déc. n° 2010-14/22 QPC du 30 juil. 2010, [M. W.] : J. O., 31 juil. 2010, p. 14198 ; RTD civ., 2010 p. 513, obs. P. Puig ; RSC, 2011, p. 139, obs. A. GiudicelliD., 2010, p. 2254, obs. J. Pradel ; AJP, 2010, p. 470, comm. J.‑B. PerrierConstitutions, 2010, p. 571, comm. E. Daoud et E. MercinierRSC, 2011, p. 165, obs. B. De Lamy ; consid. n° 26].
En revanche, le Conseil constitutionnel a refusé d'étendre ce contrôle en temps réel à toute privation de liberté, et l'a écarté expressément pour le dégrisement, en raison de sa courte durée et de sa nature de mesure de police administrative [Cons. const., déc. n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012, [M. D.] : J. O., 9 juin 2012, p. 9796 ; Gaz. Pal., 5 juil. 2012, p. 11, comm. S. DetrazLPA, 25 mars 2013, p. 4, chron. V. Tellier-Cayrol ; consid. n° 8 : « considérant, en second lieu, qu'eu égard à la brièveté de cette privation de liberté organisée à des fins de police administrative par les dispositions contestées, l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire ne méconnaît pas les exigences de l'article 66 de la Constitution »]. Le législateur a toutefois souvent organisé ce contrôle en la matière, par exemple en prévoyant l'information du magistrat du parquet du placement en rétention administrative [art. L. 551-2 CESEDA], du maintien en zone d'attente [art. L. 221-3 CESEDA], du placement en retenue pour vérification du droit au séjour [art. 611-1-1 CESEDA] ou du placement en l'hospitalisation forcée à la demande du représentant de l'État [art. L. 3213-9 CSP] ou à la demande d'un tiers [art. L. 3212-5 CSP], même si son pouvoir de provoquer la libération interroge dans ses différents cas de privation de liberté, au regard de son absence de direction sur les opérations de police administrative [v. nos quelques remarques sur ce point ici, concernant l'étranger en retenue pour vérification du droit au séjour].
Ce contrôle en temps réel ne bénéficie pas d'une consécration internationale, même pour le suspect [CEDH, sect. V, 27 juin 2013, Vassis et autres c. France, req. n° 62736/09 ; Gaz. Pal., 15 oct. 2013, p. 41, note F. Fourmet ; ibid., 4 juil. 2013, p. 3, obs. C. Kleitz ; AJP, 2013, p. 549, obs. G. Roussel ; JCP, 2013, n° 843, obs. L. Milano ; D., 2013, p. 1687, obs. O. Bachelet ; RSC, 2013, p. 656, note D. Roets ; § 53 : « l’intervention d’un membre du ministère public au début et pendant le déroulement de la garde à vue ne soulève pas, en soi, de difficulté, pourvu que la personne gardée à vue soit ensuite présentée à un “juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires” dans un délai conforme aux exigences de l’article 5 § 3 »]. La Cour européenne des droits de l'Homme a confirmé cette solution, en vérifiant, sur le fondement de l'article 5, l'existence d'un recours permettant au suspect d'obtenir immédiatement sa libération uniquement dans la mesure où celui-ci était reconnu par la législation interne [Petkov et Profirov : préc. ; § 54].

ii) l'Habeas corpus

50.              Arrestation du criminel condamné par défaut à une peine privative de liberté et défaut d’Habeas corpus : une nouvelle perspective de condamnation européenne concernant la privation de liberté du suspect. La Cour d’assises, condamnant l’accusé à de l’emprisonnement ferme, au terme de la procédure de jugement par défaut, doit  décerner « mandat d'arrêt contre l'accusé, sauf si celui-ci a déjà été décerné » [art. 379-3 CPP]. Le mandat d’arrêt [s’il a été délivré au cours de l’instruction, l’ordonnance de mise en accusation prolonge sa validité ; art. 181 CPP] constitue ainsi la base légale de l’arrestation ou du maintien en détention de l’accusé. Le suspect détenu dans le cadre du mandat d’arrêt bénéficie d’un véritable Habeas corpus, qu’il soit arrêté pendant l’instruction [art. 133CPP] ou après sa clôture [art. 135-2 CPP]. Le mandat d’arrêt servant à l’appréhension de l’accusé, jugé en son absence et condamné à une peine privative de liberté, qu’il soit pris avant le règlement de l’instruction ou par la juridiction de jugement, a cependant un effet spécifique, puisque la loi précise qu’il « vaut mandat de dépôt et [que] l'accusé demeure détenu jusqu'à sa comparution devant la cour d'assises » [art. 379-4 CPP]. La Chambre criminelle a tiré toutes les conséquences de cette spécificité, concernant un mandat d’arrêt valant mandat de dépôt, pour écarter toute présentation devant le juge des libertés de l’accusé de « faits ayant donné lieu à la délivrance du mandat d'arrêt [et] condamné par défaut à une peine privative de liberté, en l'espèce quinze ans de réclusion criminelle », en précisant que la base légale de la privation de liberté, en l’espèce, résidait dans « le mandat d'arrêt antérieur à l'ordonnance de règlement pris par le juge d'instruction, qui n'a jamais été levé » [Cass. crim., 9 juil. 2014, n° 14‑82.838 : à paraître au Bulletin].
La solution n’apparaît pourtant pas exempte de toutes critiques au regard de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme, non visé par le pourvoi. D’abord, la condamnation par défaut ne peut servir de base légale à la privation de liberté, tant au regard du droit interne [selon l’article 379-4 du Code de procédure pénale, « si l'accusé condamné [par défaut] se constitue prisonnier ou s'il est arrêté avant que la peine soit éteinte par la prescription, l'arrêt de la cour d'assises est non avenu dans toutes ses dispositions » et la disposition s’applique également, comme dans l’arrêt ici signalé, à l’accusé condamné en vertu de l’ancienne procédure par contumace ; v. Cass. crim., 19 janv. 2011, n° 09‑88.363 : Bull. crim., n° 10] qu’au regard de la jurisprudence européenne [la peine privative de liberté, prévue à l’article 5 § 1er-a) de la Convention, suppose une « condamnation par un Tribunal compétent », la notion de Tribunal supposant le respect des « garanties d’une procédure judiciaire » - v. CEDH, gde ch., 29 mars 2001, D. N. c. Suisse, req. n° 27154/95 : Rec. CEDH, 2001-III -, ce que n’assure pas la condamnation par défaut].
En conséquence, l’usage de la contrainte n’apparaît justifié que par l’existence des éléments de suspicion, si bien que l’arrestation et la détention de l’accusé, même jugé par défaut, relèvent du cas de l’article 5 § 1er-c), et celui-ci doit bénéficier de l’Habeas corpus de l’article 5 § 3 [la personne suspecte « doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires »]. Même si le mandat d’arrêt émane de l’autorité judiciaire et concerne un suspect en fuite, ces circonstances ne semblent pas suffire à écarter l’Habeas corpus, appliqué de manière constante par la jurisprudence européenne à l’arrestation et à la détention du suspect qui n’a pas comparu, prises sur le fondement du mandat de dépôt décerné par la juridiction de jugement [CEDH, sect. III, 20 déc. 2011, Poghosyan c. Arménie, req.n° 44068/07, en angl. ; § 69 et s. - CEDH, sect. IV, 19 nov. 2013, El Kashif c. Pologne, req. n° 69398/11 ; § 67 et s. - CEDH, sect. II, 23 sept 2008, Vrencev c. Serbie, req. n° 2361/05, en angl. ; § 67 - CEDH, sect. III, 1er avr.2008, Varga c. Roumanie, req. n°73957/01 ; § 54]. La possibilité pour l’accusé de demander sa remise en liberté, par combinaison des articles 148-1 et 379-4 du Code de procédure pénale [la première disposition prévoit que « la mise en liberté peut aussi être demandée en tout état de cause par toute personne mise en examen, tout prévenu ou accusé, et en toute période de la procédure », et la seconde que le mandat d’arrêt « vaut » mandat de dépôt] ne saurait couvrir le défaut d’Habeas corpus, qui exige célérité exceptionnelle et automaticité [v. pour les caractéristiques de l’Habeas corpus européen prévu par l’article 5 § 3, Medvedyev, gde ch.: préc.]. L’automaticité de l’Habeas corpus empêche en tout cas que la gravité de l’infraction et la fuite de l’accusé ne suffisent à justifier le défaut de contrôle judiciaire de l’arrestation.
De plus, la Cour européenne des droits de l’Homme développe sur le fondement de l’article 5 § 3 des exigences procédurales propres au placement en détention provisoire, à savoir la tenue d’une audience assurant le contradictoire et l’égalité des armes [v. pour un arrêt de la Cour imposant ces garanties en tenant un raisonnement propre à l’espèce, excluant de les imposer par principe à tout placement en détention provisoire, CEDH, sect. I, 25 oct. 2007, Lebedev c. Russie, req. n° 4493/04, en angl. : Rec. CEDH, série A, n° 107 ; § 80 et s. – v. pour une application des principes issus de l’arrêt Lebedev à la décision de placement en détention provisoire, s’appuyant notamment pour sur le défaut de l’information du suspect dans les meilleurs délais des raisons de l’arrestation, CEDH, sect. V, 3 juil. 2012, Lutsenko c. Ukraine, req. n° 6492/11, en angl. ; § 89 et s.]. La « novation » du mandat d’arrêt en mandat de dépôt, du fait de l’arrestation ou de la reddition de l’accusé condamné à une peine privative de liberté par défaut, constitue un placement en détention provisoire ne respectant pas ces garanties. La gravité des faits et la fuite de l’accusé pourraient ne pas suffire non plus à justifier ce placement en détention provisoire automatique, alors que la Cour européenne des droits de l’Homme a déjà refusé que la gravité de l’infraction permette au législateur d’écarter, durant un premier temps de détention, la possibilité d’obtention de la libération sous caution [CEDH, sect. III, 26 juin 2012, Piruzyan c. Arménie, req. n° 33376/07,en angl. ; § 103 et s.]. Une telle solution présente en conséquence des nouveaux risques de condamnation par la Cour européenne des droits de l’Homme du droit français concernant la privation de liberté du suspect du fait d’un défaut de contrôle judiciaire.

51.              L'articulation entre l'Habeas corpus et le recours au Tribunal à bref délai du suspect. Le suspect bénéficie d'une garantie forte protégeant sa liberté individuelle, dont il est le seul à bénéficier dans la Convention européenne des droits de l'Homme, l'Habeas corpus [art. 5 § 3 CEDH : tout suspect arrêté et détenu dans les conditions de l'article 5 § 1er-c) « doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires »], qui réside dans une présentation automatique et immédiate devant l'autorité judiciaire indépendante [Medvedyev, gde ch.: préc.]. L'arrestation génère à la fois la garantie automatique de l'Habeas corpus [CEDH, sect. V, 23 nov. 2010, Moulin c. France, req. n° 37104/06 : AJDA, 2011, p. 889, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D., 2011, p. 277, obs. J.-F. Renucci ; ibid., p. 338, obs. S. Lavric ; ibid., note J. Pradel ; ibid., p. 26, point de vue F. Fourment ; RSC, 2011, p. 208, note D. Roets ; Dr. pénal, 2011, comm. n° 26, obs. A. Maron et M. Haas ; Procédures, 2011, comm. n° 30, note A.‑S. Chavent-Leclère ; Gaz. Pal., 9 déc. 2010, p. 6, note O. Bachelet ; JCP, 2010, n° 1206, obs. F. Sudre] ainsi que le droit de recours à bref délai [v. infra, n° 53]. Le suspect est d'autant plus privilégié que la Cour européenne des droits de l'Homme tend à exiger une audience respectant les grandes garanties du procès équitable concernant son placement en détention provisoire sur le fondement de l'article 5 § 3, provoquant, automatiquement, l'obtention d'un tire d'un Tribunal [Lutsenko : préc. ; § 89 et s.]. Le principe de la génération du recours à bref délai dès l'arrestation permet en conséquence à la Cour européenne de droit de l'Homme de sanctionner l'État qui n'organise pas un tel recours, quand bien même les requérants auraient été relâchés rapidement, et même avant la réalisation de l'Habeas corpus [Petkov et Profirov : préc. ; § 74 et s.].



iii) Le recours à bref délai

52.              La découverte de l’obligation du Tribunal, saisi sur le fondement de l’article 5 § 4 pour assurer le premier contrôle judiciaire de la privation de liberté, de trancher dans une célérité renforcée « s’approchant d’aussitôt » : vers la généralisation de l’Habeas corpus européen. L’Habeas corpus européen de l’article 5 § 3 ne concerne que le suspect. Pour les autres cas d’arrestation – l’aliéné, l’alcoolique, le malade contagieux, le mineur pour son éducation surveillée, l’étranger pour son refoulement, son expulsion ou son extradition –, dès lors que la Convention n’impose pas de titre de privation de liberté du Tribunal au préalable, le premier contrôle judiciaire indépendant de la privation de liberté, dans le standard minimum, n’interviendra au mieux, qu’à « bref délai », soit une quinzaine de jours [v. plus bas], à condition que la personne saisisse le Tribunal sur le fondement de l’article 5 § 4 dès son arrestation, celle-ci faisant naître le droit de recours [v. supra, n° 53]. La Cour européenne des droits de l’Homme vient de combler cette lacune en précisant, concernant la saisine du Tribunal pour assurer le premier contrôle judiciaire de la privation de liberté [l’étranger avait été arrêté en vue de son extradition le 28 février 2011 sur ordre du Procureur, puis avait contesté l’ordonnance de placement en détention le 30 mars 2011, le Tribunal rendant sa décision le 15 avril 2011 : la Cour devait donc trancher en principe, sur le fondement de l’article 5 § 4, la conformité au bref délai d’une durée de seize jours séparant la saisine du Tribunal et le rendu de sa décision, puisque l’Habeas corpus du suspect ne s’applique pas à l’étranger placé en détention extraditionnelle], que « le critère de "célérité" d’un contrôle juridictionnel au sens de l’article 5 § 4 de la Convention se rapproche davantage de l’exigence de "promptitude" au sens de l’article 5 § 3 » [Shcherbina : préc. ; v. nos obs. ici ; § 70 : «  the Court considers that the standard of “speediness” of judicial review under Article 5 § 4 of the Convention comes closer to the standard of “promptness” under Article 5 § 3 » ; nous avons repris, pour sa traduction en français, une citation du communiqué de presse]. C’est au premier contrôle judiciaire, même résultant de l’article 5 § 4 et non de l’article 5 § 3, que la Cour a transposé l’exigence de célérité maximale de cette dernière disposition, le Tribunal devant trancher « aussitôt », [nous avons repris l’adverbe servant à qualifier la célérité de l’Habeas corpus prévue à l’article 5 § 3 dans sa version française, dès lors de la Cour, outre l’emploi du visa de l’article 5 § 3 pour décrire l’exigence de célérité accrue, utilise le substantif « promptness », dérivant lui-même de l’adverbe « promptly », utilisé à l’article 5 § 3 dans la version anglaise de la Convention], ou plus exactement, pour reprendre les termes de l’arrêt, d’une célérité « s’approchant d’aussitôt » [ibid., § 70 : la Cour utilise le verbe « to come closer »], tandis que le « bref délai » se trouve réservé aux interventions ultérieures du Tribunal. Le nouveau délai maximum dans lequel le Tribunal, une fois saisi du première contrôle judiciaire de la privation de liberté, doit se prononcer sur sa légalité, pourrait donc être de quatre jours, puisque la Cour européenne des droits de l’Homme a fait de cette même durée le délai dans lequel le suspect doit être présenté au juge de l’Habeas corpus, sur le fondement de l’article 5 § 3 [v. CEDH, sect. IV, 23 juin 2009, Oral et Atabay c. Turquie, req. n° 39686/02 ; § 43 : une « période de garde à vue dépassant quatre jours est prima facie trop longue, même dans un contexte de lutte contre le terrorisme » ; v. sur la longue évolution jurisprudentielle, L. Mortet, op. cit.].
La solution découverte ici apparaît de principe. Bien que la Cour européenne des droits de l’Homme ait pris soin de relativiser la portée de la formule par un avertissement [« in view of the above, and in the light of the specific circumstances of the present case » ; ibid. ; § 70], les circonstances spécifiques ne servaient pas à définir le champ d’application de la célérité renforcée, mais au contraire, à étudier la justification éventuelle, par exception, de sa violation [ibid., § 67 et s. : au regard de l’arrêt, un retard imputable au détenu ou à la complexité de l’affaire pourrait justifier une célérité moindre]. Le cas de privation de liberté de l’espèce, la détention extraditionnelle, n’apparaît pas non plus comme un critère restrictif du champ de la solution à la lecture de l’arrêt, d’autant plus que le régime de la détention extraditionnelle est plutôt conforme à celui des autres cas de détention de l’étranger de l’article 5 § 1er-f) qu’à celui de la privation de liberté du suspect [v. pour le rejet de l’examen de la pertinence et de la suffisance des motifs avancés pour prolonger la détention, ni de l’insuffisance des mesures alternatives, dans le contrôle de la durée raisonnable de la détention extraditionnelle, CEDH, gde ch., 9 oct. 2003, Slivenko c. Lettonie, req. n° 48321/99 : Rec. CEDH, 2003-X ; AJDA, 2004, p. 534, chron. J.-F. Flauss ou Raf. : préc., ou pour l’application des mêmes principes à la détention de l’étranger dans l’attente de son expulsion, CEDH, gde ch., 15 nov. 1996, Chahal c. Royaume‑Uni, req. n° 22414/93 : Rec. CEDH, 1996-V ; RSC, 1997, p. 452, p. 458, p. 462 et p. 485, obs. R. Koering-Joulin ; ibid., p. 687, obs. L.-E. Pettiti ; AJDA, 1997, p. 977, chron. J.-F. Flauss].
Cette solution interroge quant à l’éventuelle généralisation de l’Habeas corpus dans la Convention sur le fondement de l’article 5 § 4, dont les germes figurent dans sa jurisprudence depuis longtemps, sans avoir jusque-là prospérés, qu’il s’agisse, concernant la première intervention du Tribunal, de la célérité accrue [Lebedev : préc. ; § 96 : « the Court would be less concerned with the speediness of the proceedings before the court of appeal, if the detention order under review was imposed by a court and on condition that the procedure followed by that court had a judicial character and gave to the detainee the appropriate procedural guarantee »] ou de l’automaticité [CEDH, gde ch., 29 avr. 1999, Aquilina c. Malte, req. n° 25642/94 : Rec. CEDH, 1999-III ; § 49 : cette automaticité était envisagée pour des « catégories vulnérables de personnes arrêtées, telles celles atteintes d’une déficience mentale ou celles qui ne parlent pas la langue du magistrat »]. En revanche, l’arrêt n’a pas consacré l’automaticité [il en avait l’occasion, puisque le détenu n’avait saisi le Tribunal qu’un mois après son arrestation], dernier pas nécessaire à la consécration de l’Habeas corpus en cas de confirmation de l’exigence de célérité accrue, et cette dernière exigence se trouve encore en veille [v. par ex. CEDH, sect. IV, 22 oct. 2013, M. H. c. Royaume-Uni, req. n° 11577/06, en angl. ; § 79 : la Cour avait admis l’opportunité dans cette affaire, qui concernait l’internement d’un l’aliéné, privé de sa capacité juridique, décidé par une autorité non juridictionnelle, et réalisé avec l’accord de son représentant légal, du recours automatique du Tribunal, mais n’avait pas sanctionné son seul défaut – v. aussi CEDH, sect. V, 22 nov. 2012, Sykora c. République Tchèque, req. n° 23419/07, en angl. ; § 67 : la Cour avait évoqué la possibilité d’imposer un contrôle judiciaire automatique du placement de l’incapable en internement, au regard des normes internationales applicables, sur le fondement de la qualité de la loi, pour l’écarter, constatant qu’un tel système n’était pas adopté par la plupart des pays du Conseil de l’Europe].

53.              Le fait générateur du recours à « bref délai ». L'article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l'Homme reconnait à « toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention » le droit « d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ». La disposition ne s'entend pas comme un droit d'appel, si bien que lorsque la privation de liberté tire son fondement d'un titre du Tribunal préalable [le titre doit être rendu dans le respect des grandes garanties du procès équitable, et ne saurait se confondre avec le mandat judiciaire d'arrestation ; v. supra, n° 50], le contrôle judiciaire permis par la disposition est considéré comme incorporé au titre [CEDH, plén., 18 juin 1971, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, req. nos 2832/66, 2835/66 et 2899/66 : Rec. CEDH, série A, n° 12 ; § 76 : « si la décision privative de liberté émane d’un organe administratif, l’article 5 par. 4 (art. 5-4) astreint sans nul doute les États à ouvrir au détenu un recours auprès d’un tribunal, mais rien n’indique qu’il en aille de même quand elle est rendue par un tribunal statuant à l’issue d’une procédure judiciaire. Dans cette dernière hypothèse, le contrôle voulu par l’article 5 par. 4 (art. 5-4) se trouve incorporé à la décision; tel est le cas, par exemple, d’une "condamnation" à l’emprisonnement prononcée "par un tribunal compétent" »]. Le recours de l'article 5 § 4 est donc en principe exclu lors de l’exécution de la peine privative de liberté, la détention reposant sur un titre du Tribunal, et son exécution ne faisant naître aucune nouvelle question de légalité, pour toujours reposer sur l'objectif de répression [en conséquence, la libération conditionnelle n'intègre pas par principe le standard européen ; CEDH, sect. I, 21 juin 2011, Kafkaris c. Chypre (n° 2), req. n° 9644/09, déc., en angl.].
Le recours de l'article 5 § 4 est en revanche périodique, se régénérant dès que « les circonstances justifiant cette détention à l’origine peuvent changer au point de disparaître » [CEDH, plén., 24 juin 1982, Van Droogenbroeck c. Belgique, req. n° 7906/77 : Rec. CEDH, série A, n° 50 ; § 48]. Pour autant, le recours à bref délai renait aussi automatiquement pour la personne privée de liberté au bout d’un certain délai de détention, et l’impossibilité celle-ci d’user du recours une fois cette période abstraite dépassée suffit à entraîner de plein droit une violation de la Convention, sans avoir à démontrer la modification des circonstances qui avaient justifié initialement le placement en détention [Rakhimov : préc. ; § 147 et s. : en l’espèce, l’étranger n’avait pu contester la légalité de son maintien en détention pendant neuf mois, ultérieurement au contrôle judiciaire de son placement en détention extraditionnelle].
La Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé nettement que le recours naissait à l'arrestation [Petkov et Profirov : préc. ; § 67 ; « the wording of Article 5 § 4 of the Convention indicates that it becomes operative immediately after arrest or detention » ; v. supra, n° 51]. La solution, conforme au texte, est d'autant plus indispensable qu'à défaut d'Habeas corpus généralisé, le recours à bref délai constituera le premier contrôle judiciaire de la privation de liberté lorsque l'arrestation a été décidée par l'autorité de police. La précision n'est pas inutile, notamment lorsqu'une courte privation de liberté provisoire est permise pour permettre à l'autorité de police d'adopter la décision de placement pérenne [par ex. l'aliéné interné d'office après des mesures provisoires ou encore l'étranger placé en rétention administrative après une retenue pour vérification du droit au séjour].

54.              Les incertitudes européennes quant aux droits de recours servant à contester le bien-fondé de la poursuite de l’exécution de la peine perpétuelle pendant son cours : avancées et reculades entre chance d’être libéré, droit au réexamen et recours à bref délai. Si la théorie du contrôle incorporé interdit de reconnaître au cours de la peine privative de liberté un droit de recours devant un Tribunal pour contester la légalité de son maintien, notamment du fait de la contestation de son bien-fondé ou de son opportunité [v. supra, n° 53], la Cour européenne des droits de l’Homme avait progressivement atténué le principe pour la peine perpétuelle, en requalifiant parfois une partie de celle-ci en mesure de sûreté soumise à l’article 5 § 4, dès lors qu’elle établissait la perte de sa fonction répressive, pour poursuivre comme seule finalité la neutralisation de la dangerosité de l’individu [v. supra, n° 4 ; v. sur cette évolution jurisprudentielle, L. Mortet, op. cit.]. La théorie du contrôle incorporé persiste assurément pour la peine perpétuelle qualifiée par la Cour européenne des droits de l’Homme de purement répressive, à laquelle l’article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme échappe toujours [v. CEDH, sect. I, 21 juin 2011, Kafkaris c. Chypre (n° 2), req. n° 9644/09, déc., en angl. : la Cour européenne des droits de l’Homme établissait le caractère répressif permanent de la peine perpétuelle puisque celle-ci avait été prononcée automatiquement du fait des crimes commis, aucun élément de personnalité, et donc d’appréciation relative à la dangerosité de l’individu, n’ayant justifié son prononcé – v. aussi CEDH, sect. V, 2 sept. 2010, Iorgov c. Bulgarie (n° 2), req. n° 36295/02 : Dr. pénal, 2011, n° 4, chron. E. Dreyer : la peine perpétuelle issue d’une commutation de la peine de mort échappe à l’article 5 § 4 au regard de la nature de la peine initiale, mesure de répression la plus grave, si bien que la peine perpétuelle ne perd jamais cet objectif], mais une telle peine fait l’objet d’un contrôle sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui prohibe la peine perpétuelle de facto et de jure incompressible, puisque c’est uniquement « si l’on peut dire qu’un détenu condamné à perpétuité a des chances d’être libéré » que la peine perpétuelle répressive est conforme à la Convention [CEDH, gde ch., 12 févr. 2008, Kafkaris c. Chypre, req. n° 21906/04 : Rec. CEDH, 2008 : RSC, 2008, p. 692, obs. D. Roets ; § 97 – v. pour l’analyse européenne sur la possible obtention d’une grâce présidentielle, de jure d’abord, au regard de l’étude abstraite des principes réglant celle-ci, puis de facto, au regard du nombre de grâces obtenues et de la jeunesse du régime, Iorgov (n° 2) : préc. ; § 52]. Les derniers développements de la jurisprudence européenne sur la peine perpétuelle concernent d’abord son contrôle sur le fondement de l’article 3 [Vinter, gde ch. : préc. - Harakchiev et Tolumov : préc.], au point que la valeur de ses anciens raisonnements menés sur l’application de l’article 5 § 4 interroge [le raisonnement apparaît en tout cas toujours appliqué pour la peine perpétuelle soumise au système anglais du « tarrif », qui distingue nettement une première partie de peine répressive, car non aménageable, puis une seconde de sûreté, au contraire aménageable en cas du constat de l’absence de dangerosité – v. James, Wells et Lee : préc.] et qu’en tout cas, la marche vers l’abandon de la théorie du contrôle incorporé pour la peine perpétuelle est interrompue [à l’inverse, le même arrêt participait par ailleurs à un rapprochement entre les deux types de peine perpétuelle quant à son contrôle du contenu de la peine, de nature à étayer la justification de l’abandon du contrôle incorporé pour toute peine perpétuelle ; v. supra, n° 26], le contrôle de la peine perpétuelle apparaissant désormais comme une question épineuse pour la Cour, comme le montre ses longues justifications dans ses derniers arrêts accroissant son contrôle sur le fondement de l’article 3 [ibid.].
Jusqu’à récemment, l’existence de la moindre chance d’être libéré suffisait à écarter la violation de l’article 3 de la Convention, comme par exemple la possibilité d’obtenir une grâce présidentielle, même discrétionnaire [Kafkaris, gde ch. : préc. ; § 103 – Iorgov (n° 2) : préc. ; § 51 et s. : dans cet arrêt, la Cour a toutefois réalisé une analyse plus poussée pour mesurer dans les faits l’effectivité de la voie de la grâce et si elle n’avait jamais été accordée à un condamné au même type de peine perpétuelle que le requérant, la Cour l’estimait utile au regard de la relative jeunesse du mécanisme et de la durée encore limitée d’exécution de la peine privative de liberté par le requérant, de treize ans seulement au moment de l’introduction de la requête], ou la possibilité, même très hypothétique, d’obtenir une libération conditionnelle [CEDH, sect. III, 16 oct. 2001, Einhorn c. France, req. n° 71555/01, déc. : Rec. CEDH, 2001‑XI ; § 27 – CEDH, sect. V, 3 nov. 2009, Meixner c. Allemagne, req. n° 26958/07, déc., en angl. : Dr. pénal, 2011, n° 3, chron. É. Garçon – Iorgov (n° 2) : préc. ; § 52 : l’obtention de la libération conditionnelle n’était possible qu’après l’obtention d’une grâce présidentielle discrétionnaire commuant la peine perpétuelle incompressible en une peine perpétuelle aménageable].
L’arrêt de Grande chambre Vinter a réalisé une hausse de contrôle, pour consacrer, sur le fondement de l’article 3, un droit au « réexamen » au bénéfice du condamné [Vinter, gde ch. : préc. ; § 110], y posant notamment que « les impératifs de châtiment, de dissuasion, de protection du public et de réinsertion figurent au nombre des motifs propres à justifier une détention » [ibid., § 111], dont l’existence permet de caractériser les peines perpétuelles « compressibles » [ibid., § 119], c'est-à-dire celles à finalité répressive permanente valides au regard de l’article 3. La Grande chambre a pris le soin de définir les modalités de ce droit au réexamen, fixant un délai d’épreuve de vingt-cinq ans [ibid., § 120 - v. pour comp., CEDH, sect. III, 8 sept. 2005, Scoppola c. Italie, req. n° 10249/03, déc. : la Cour y avait décidé que la peine perpétuelle aménageable par la libération conditionnelle uniquement après vingt-six ans de réclusion ne posait aucun problème sérieux de conventionnalité] au terme duquel un réexamen périodique doit être permis [Vinter, gde ch. : préc. ; § 120], imposant que ce droit au réexamen soit prévu par la loi dès le début de l’exécution de la peine [ibid, § 122], et écartant que celui-ci se confonde avec un pouvoir de libération discrétionnaire, dès lors que ce droit au réexamen doit tendre à reconnaître une obligation « de libérer tout détenu dont le maintien en détention se révélerait incompatible avec l’article 3, par exemple parce qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne permettrait plus de justifier cette mesure » [ibid., § 125]. En revanche, le droit au réexamen se distingue du droit de recours à bref délai de l’article 5 § 4, dont l’exemple typique, appliqué à la peine privative de liberté, réside dans la libération conditionnelle, pour ne pas être confié à l’appréciation d’un Tribunal [ibid., § 124 : la Cour étudiait en l’espèce une voie de réexamen interne confiée à un ministre, sans que la Cour ne le disqualifie par nature].
Si l’arrêt de Grande chambre Vinter semblait promis à fixer la jurisprudence dans le sens d’un contrôle plus sévère de la peine perpétuelle, au moins sur le fondement de l’article 3, le dernier arrêt saisi de la même question se montre pourtant décevant dans l’application de ces apports [Harakchiev et Tolumov : préc.]. Si les détenus, condamnés en droit interne à une peine perpétuelle sans possibilité de commutation, ne pouvaient encore bénéficier du droit au réexamen tel que défini par le standard européen dans l’arrêt Vinter pour se trouver encore dans le délai d’épreuve, la Cour devait rechercher si un tel droit au réexamen existait dès le début de l’exécution de leur peine, conformément à l’un des apports du même arrêt Vinter, alors même que la Cour avait considéré préalablement que le droit bulgare offrait une chance suffisante d’être libéré avant le durcissement de sa jurisprudence, s’agissant de l’obtention d’une grâce présidentielle discrétionnaire [Iorgov (n° 2) : préc. ; § 48], empire du droit sous lequel les requérants avaient été aussi détenus [v. pour la problématique posée par la Cour elle-même et le rappel de son raisonnement dans l’affaire précédente, Harakchiev et Tolumov : préc. ; § 253 et s.]. L’espèce offrait donc l’occasion d’observer la hausse d’intensité des exigences européennes, puisque la Cour européenne était amenée à réaliser le contrôle du même droit national validé avant les évolutions de l’arrêt Winter. Si le constat de violation en l’espèce du fait d’un défaut de droit au réexamen garanti par l’ancienne législation bulgare dès le début de l’exécution de la peine perpétuelle des requérants marque nécessairement une hausse des exigences de la Cour, celle-ci reste limitée, car c’est le caractère discrétionnaire, voire arbitraire, de l’obtention de la grâce dans le droit antérieur qui était sanctionné [ibid., § 262 et s.]. Au contraire, dans un obiter dictum, la Cour estimait que la réforme du droit de grâce, principalement par une décision de la Cour constitutionnelle de 2012, satisfaisait dorénavant la Convention, dès lors que celle-ci a défini la portée de ce pouvoir, son obtention devant tenir compte en droit national de l'équité, de l'humanité, de la compassion, de la miséricorde, de la santé et de la situation familiale du condamné, ainsi que des évolutions de sa personnalité, et que la procédure est devenue plus transparente, du fait de la publication par l’organe administratif compétent de statistiques et des critères d’obtention [ibid., § 258 et s.]. Dès lors, une application du droit de grâce par l’autorité exécutive, non plus de manière discrétionnaire, mais de manière « cohérente et prévisible » [ibid. : « that ruling gives weighty guarantees that the presidential power of clemency will be exercised in a consistent and broadly predictable way »] suffit à rendre la peine perpétuelle à finalité répressive permanente compatible avec l’article 3, sans examen plus poussé des critères abstraits d’attribution de la grâce [ibid., § 259 : la Cour se contentait de noter que l’organe national devait prendre en considération les différents principes issus des instruments internationaux en matière de droits de l’Homme], sans véritable exigence sur les garanties procédurales applicables [ibid., § 258 : un recours devant la Cour constitutionnelle était prévu mais à des conditions restrictives, que la Cour européenne des droits de l’Homme n’analysait pas], sans s’intéresser enfin à la qualité de la « loi » [ibid., § 261 : la Cour regrettait la fixation des principes applicables dans un simple décret présidentiel pris à la suite de la décision constitutionnelle, tout en renvoyant la source à la marge nationale des États].
Finalement, la marge d’appréciation des États octroyée par la Cour européenne des droits de l’Homme du fait de la reconnaissance d’un simple « droit au réexamen » au cours de l’exécution de la peine perpétuelle à finalité répressive permanente, plutôt que par l’application du recours à bref délai de l’article 5 § 4, dépasse la nature de l’organe compétent, pour concerner également les garanties procédurales applicables, et plus largement la qualité du droit. C’est que l’usage de l’article 3, au-delà de son usage naturel servant à écarter par principe l’usage de la privation de liberté dans des modalités contraires à la dignité humaine du fait de l’affliction trop importante causée [la disposition est ainsi légitimement fondée à servir à l’interdiction de l’isolement pénitentiaire total ; v. supra, n° 33], pour fonder le contrôle des modalités juridiques de son exécution, soit pour l’isolement pénitentiaire relatif [v. supra, n° 5] ou la peine perpétuelle, permet une réduction limitée de la marge d’appréciation des États, toujours forte en ces matières, que seule l’application de l’article 5 contredirait.



b) Le juge de la privation de liberté

55.              La partialité de la juridiction de jugement en raison de son intervention préalable dans le contentieux de la détention provisoire : application à l’intervention après renvoi. Par principe, l’intervention d’un magistrat au cours de la détention provisoire ne suffit pas à le rendre partial et à imposer sa mise à l’écart de la juridiction de jugement sur le fondement de l’article 6 [CEDH, plén., 24 mai 1989, Hauschild c. Danemark, req. n° 10486/83 : Rec. CEDH, série A, n° 154 ; § 50 : « qu’un juge de première instance ou d’appel, dans un système [ne connaissant pas le juge d’instruction] ait déjà pris des décisions avant le procès, notamment au sujet de la détention provisoire, ne peut donc passer pour justifier en soi des appréhensions quant à son impartialité » ; v. pour le rappel du principe pour un système juridique connaissant du juge d’instruction, CEDH, 16 déc. 1992, Sainte‑Marie c. France, req. n°12981/87 : Rec. CEDH, série A, n° 253‑A : D., 1993, p. 204, obs. J. Pradel ; ibid., p. 384, obs. J.-F. Renucci ; RSC, 1993, p. 367, obs. L.‑E. Pettiti ; § 30 et s.]. La sanction du cumul suppose « des circonstances spéciales » [CEDH, ch., 24 août 1993, Nortier c. Pays‑Bas, req. n°13924/88 : Rec. CEDH, série A, n° 267 ; D., 1994, p. 37, note S. Becquerelle ; ibid., 1995, p. 105, note J.-F. Renucci ; § 35].
L’obligation législative pour le magistrat contrôlant la détention provisoire de se prononcer au-delà de la simple persistance de soupçons pour maintenir en détention [« l’existence et la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention » pour la jurisprudence européenne ; v. par ex. CEDH, gde ch., 22 mai 2012, Idalov c.Russie, req. n° 5826/03 : § 140], aboutissant à une prise de position sur la culpabilité, par exemple lorsque la législation oblige le juge à se prononcer sur l’existence de « soupçons particulièrement renforcés » [Hauschild : préc.] ou à déterminer si le suspect a « probablement commis les faits dont il était accusé » [Ionut-Laurentiu Tudor : préc. ; § 84], le disqualifie pour participer au jugement.
De manière plus intéressante, dans la dernière affaire citée, la Cour a rappelé que l’atteinte à l’impartialité pouvait résulter de l’intervention du juge dans le contentieux de la détention provisoire durant l’instruction ou ultérieurement [Ionut-Laurentiu Tudor : préc. ; § 82 – v. pour un arrêt plus ancien adoptant la même solution, CEDH, sect. III, 26 oct. 2010, Cardona Serrat c. Espagne, req. n°38715/06]. Si la législation française interdit au magistrat instructeur ou au juge des libertés et de la détention de participer ultérieurement à la juridiction de jugement [v. les art. 49, 137-1 et 253 du Code de procédure pénale], plus aucune incompatibilité législative n’est prévue spécifiquement concernant le contrôle de la détention provisoire ultérieurement au règlement de l’information, et le contentieux de la détention provisoire est même confié directement à la juridiction de jugement saisie [art. 148‑1 CPP]. Le cumul est même possible pour un magistrat ayant connu de la détention provisoire au stade de l’instruction, au regard du champ limité des incompatibilités, par exemple lorsqu’elle concerne une décision d’appel.
Si le placement ou la prolongation de la détention provisoire en droit français n’oblige pas le juge à se prononcer sur l’ampleur des soupçons [si la privation de liberté ne concerne, avant le premier jugement au fond, que la personne mise en examen ou renvoyée devant la juridiction de jugement, le juge de la détention provisoire n’est donc tenu quant à l’existence d’éléments de suspicions suffisants qu’au seul standard européen de l’article 5 § 3], la jurisprudence européenne a élargi les cas de sanction au-delà de l’hypothèse traditionnelle censurée dans l’affaire Hauschild. Le contenu de la motivation du juge de la détention provisoire, indépendamment des critères légaux, peut servir à établir le préjugé sur la culpabilité [CEDH, sect. V, 22 avr. 2010, Chesne c. France, req. n° 29808/06 : D., 2010, p. 1215, obs. S. Lavric ; AJP, 2010, p. 346, obs. L. Ascensi ; RSC, 2010, p. 690, obs. D. Roets ; § 34 et s. : en l’espèce, l’arrêt sur la détention provisoire s’exprimait « en des termes clairs et non équivoques quant au rôle exact du requérant et à sa place dans le réseau délictueux », comme « sur l'étendue de son implication dans ce trafic » et avait tiré « des conclusions catégoriques de discordances apparentes […] entre les déclarations du requérant et certains éléments matériels recueillis lors des investigations »]. La Cour européenne des droits de l’Homme s’éloigne même parfois de la motivation employée par le juge de la détention provisoire et a par exemple censuré la partialité du magistrat de la juridiction de jugement ayant participé à une décision sur la détention provisoire de nature très défavorable pour le prévenu et y ayant tenu un rôle primordial [CEDH, sect. III, 17 janv. 2012, Alony Kate c. Espagne, req. n° 5612/08 ; § 49 et s. : en l’espèce, le magistrat avait été rapporteur au cours de la décision de jugement et au cours de la décision sur la détention provisoire, celle-ci ayant invalidé en appel une décision de remise en liberté].
Le contrôle de la Chambre criminelle apparaît aujourd’hui incertain. Concernant la participation de trois magistrats composant la juridiction de jugement en appel ayant pris part à une décision sur la détention provisoire, la Chambre criminelle a estimé que « le simple fait qu'un juge ait pris, avant le procès, une décision relative à la détention provisoire ne peut, en soi, suffire à justifier que soit contestée son impartialité » [Cass. crim., 28 mars 2012, n° 11‑85.225 : Bull. crim. : Gaz. Pal., 2012, p. 38, note F. Fourment ; RSC, 2012, p. 617, note A. Giudicelli ; ibid., p. 929, obs. J.-F. Renucci ; Procédures ; 2012, comm. n° 190, obs. A.‑S. Chavent‑Leclère]. Si le principe ainsi formulé est bien conforme à la jurisprudence européenne, celle-ci a aussi sanctionné l’impartialité d’une juridiction de jugement dont deux membres sur trois avaient déjà rendu une décision sur la détention provisoire, même si elle avait retenu d’autres éléments lui servant à caractériser la partialité, comme la nature particulière de la décision rendue sur la détention provisoire, qui avait réalisé le placement, ou l’utilisation d’un motif soulevé d’office, au sens qu’il n’avait pas été relevé par le ministère public [CEDH, sect. III, 26 oct. 2010, Cardona Serrat c. Espagne, req. n° 38715/06 ; § 25 et s.]. Si le pourvoi soulevé devant la Chambre criminelle ne s’était fondé que sur la seule composition similaire des juridictions, une argumentation plus poussée, critiquant, outre la composition, la motivation employée et la nature de la décision, justifierait sur le fondement de l’article 6 un contrôle plus poussé de la Chambre criminelle.

c) Le procès de la privation de liberté

56.              Les limites des garanties procédurales entourant le recours à bref délai en contestation de la légalité de la détention provisoire. Si l’article 5 § 4 ne se réfère pas directement aux règles du procès équitable à la différence de l’article 6, les deux dispositions visent le même organe compétent, le « Tribunal », et logiquement, la Cour européenne des droits de l’Homme a importé les grandes garanties du procès équitable à l’article 5 § 4, tout en formulant une clause lui permettant de faire fluctuer le niveau de garanties pour le recours à bref délai [CEDH, ch., 21 nov. 1986, Sanchez‑Reisse c. Suisse, req. n° 9862/82 : Rec. CEDH, série A, n° 107 ; § 44 et s.]. Malgré l’application des principes du contradictoire et de l’égalité des armes, la situation du prévenu autorise cependant des limitations à son accès à l’entier dossier pénal [CEDH, sect. I, 13 févr. 2001, Lietzow c. Allemagne, req. n° 24479/94 : Rec. CEDH, 2001-I ; § 47 : « la Cour reconnaît [que] la nécessité d'une conduite efficace des enquêtes pénales [puisse] impliquer qu'une partie des informations recueillies durant ces investigations doivent être gardées secrètes afin d'empêcher des suspects d'altérer des preuves et de nuire à la bonne administration de la justice », cependant « ce but légitime ne saurait être poursuivi au prix de restrictions importantes apportées aux droits de la défense », si bien que « des informations essentielles pour apprécier la légalité de la détention d'une personne doivent être mises à disposition de l'avocat du suspect d'une manière adaptée à la situation »]. En principe, le prévenu qui conteste la légalité de sa détention provisoire doit avoir au moins « une connaissance suffisante du contenu des documents qui revêtaient une importance essentielle pour la contestation de la légalité de la détention de l’intéressé » [Sik : préc. ; § 73 – Nedim Sener : préc. ; § 84 – dans les deux espèces, les documents qualifiés d’essentiels concernaient des documents saisis chez des tiers]. Même l’accès aux pièces essentielles semble pouvoir être restreint, à condition d’établir in concreto l’existence d’une « justification valable » [Sik : préc. ; § 73 – Nedim Sener : préc. ; § 86]. En l’espèce, la Cour constatait que les éléments retenus contre les individus avaient été obtenus dans un premier temps d’une enquête contre un réseau criminel antérieur aux poursuites engagées contre les requérants et que ceux-ci étaient accusés d’être de simples exécutants dans le réseau, si bien que la révélation des documents n’aurait pas eu pour effet d’entraver l’enquête [Sik : préc. ; § 74 – Nedim Sener : préc. ; § 85], raisonnement qui permettait à la Cour de conclure à la violation de l’article 5 § 4.



2) Le contrôle du juge judiciaire de la légalité de l'arrestation : l'Habeas corpus

57.              Portée éventuelle sur le contrôle judiciaire interne de l'accroissement du contrôle européen de la durée de la garde à vue. Si la portée du développement européen du contrôle du placement e, garde à vue est difficilement prévisible [Petkov et Profirov : préc. ; § 74 et s. ; v. infra, n° 21], notamment du fait d'une privation de liberté particulièrement viciée quant aux autres critères de délimitation, elle apparaît en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation qui écarte tout contrôle de la durée concrète de la garde à vue dans le contentieux de l'annulation, dès lors qu'elle n'a pas dépassé le maximum légal, même en cas de violation manifeste de la durée nécessaire, du fait de la réalisation d'aucun acte d'enquête [Cass. mixte, 7 juil. 2000, n° 98-50.007 : Bull. crim., n° 257 ; JCP, 2000, II, n° 10418, note O. Guérin ; Procédures, 2001, comm. n° 17, note J. Buisson ; RSC, 2001, p. 189, obs. A. Giudicelli : « les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices faisant présumer qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction peuvent être gardées à vue pendant une durée n’excédant pas vingt-quatre heures »]. Quand bien même la durée excessive de la garde à vue deviendrait une cause de nullité en droit interne, l'effet de la nullité a été restreint par la Cour de cassation en matière de garde à vue, pour retenir une vision étroite du critère du « support nécessaire » [la nullité de la garde à vue ne se communique pas au procès-verbal d'interpellation, considéré comme antérieur à la garde à vue ; Cass. crim., 1er févr. 2005, n° 04-85.952 : inédit - la nullité de la garde à vue ne se communique pas de plein droit à l'interrogatoire de première comparution ou au placement en détention provisoire, dès lors que d'autres éléments que les auditions annulées fondent les charges ; Cass. crim., 16 mai 2012, n° 11-85.874 : inédit - cette dernière solution s'applique même à la saisine du Tribunal correctionnel en comparution immédiate ; Cass. crim., 26 mars 2008, n° 07-83.814 : Bull. crim., n° 76 ; D., 2008, p. 1063, note M. LÉNA ; AJP, 2008, p. 286, obs. C. SaasRSC, 2008, p. 926, obs. R. FINIELTZ ; Dr. pén., 2008, comm. n° 92, obs. A. Maron et M. Haas - la nullité de la garde à vue ne se communique pas à la perquisition réalisée pendant celle-ci; Cass. crim., 22 juin 2000, n° 00-82.632 : Bull. crim., n° 242 ; Dr. pén., 2000, comm. n° 108]. Quant à la question de la légalité de la garde à vue dans le contentieux du contrôle judiciaire de la privation de liberté, la Chambre criminelle refuse de jurisprudence constante que la question soit discutée devant le juge de la détention provisoire [v. par ex. Cass. crim., 30 janv. 1995, n° 94-85.241 : inédit], ce que le Conseil constitutionnel a semblé validé [Cons. const., déc. n° 2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 nov. 2011, [Mme A.] : J. O., 19 nov. 2011, p. 19480 ; D., 2011, p. 3034, comm. H. Matsopoulou ; Dr. pén., 2012, ét. n° 4, comm. J. Leroy ; JCP, 2011, n° 452, note J. Pradel ; Gaz. Pal., 22 nov. 2011, comm. O. Bachelet ; Gaz. Pal., 7 juil. 2011, p. 12, comm. G. Straehli ; Gaz. Pal., 3 mai 2011, p. 12, obs. D. Marais ; LPA, 4 juin 2012, p. 8, chron. V. Tellier-Cayrol ; consid. n° 28 : l’assistance de l’avocat en garde à vue n'a pas pour fonction de discuter de « la légalité des actes d’enquête ou du bien-fondé des éléments de preuve », ces éléments ayant « vocation, le cas échéant, à être discutés devant les juridictions d’instruction ou de jugement », a priori donc, devant le juge de l'annulation]. 
Cet effet limité de l'illégalité de la garde à vue en droit interne n'apparaît pas, pour l'instant, remise en cause par la jurisprudence européenne, qui dans son contrôle de la conventionnalité de la détention provisoire adoptée immédiatement après une garde à vue viciée au regard du droit interne, a estimé que seule une « irrégularité grave et manifeste » [CEDH,sect. II, 9 juil. 2013, Dinc et Cakir c.Turquie, req. n° 66066/09 ; § 50] était de nature à corrompre la dernière privation de liberté reposant sur le titre d’un Tribunal, précisant même devoir interpréter plus étroitement encore cette notion dans ce contentieux [ibid. - la notion est également employée quant à la conventionnalité de la privation de liberté reposant initialement sur un titre de tribunal ultérieurement annulé dans le cadre de son contrôle juridictionnel ultérieur ; v. CEDH, gde ch., 9 juil. 2009, Mooren c. Allemagne, req. n° 11364/03 : infra, n° 62], validant finalement le placement en détention provisoire en l'espèce, puisque l'audition irrégulière ne constituait pas un des éléments déterminants qui avaient justifié le maintien en privation de liberté.

58.              La légalité de l'arrestation de l'étranger : le contrôle du respect du paquet de droits généré par l'arrestation. La violation du paquet de droits de l'étranger placé en rétention administrative est une cause de nullité de la procédure permettant au juge des libertés et de la détention, automatiquement saisi pour prolonger la privation de liberté, de libérer, sans caractériser de grief [Cass. civ. I, 31 janv. 2006, 5 espèces, nos 04-50.093, 04‑50.121, 04‑50.128, 04-50.129 et 04-50.157 : Bull. civ. I, n° 45 : AJP, 2006, p. 165, obs. H. Gacon ; Rev. crit. DIP, 2006 p. 369, obs. P. Lagarde : il revient au juge judiciaire, « au moment de la notification de la décision de placement en rétention, pleinement informé de ses droits et placé en mesure de les faire valoir » - la prolongation de la rétention administrative peut même être refusée en cas de violation du paquet de droits généré par le placement en retenue pour vérification du droit au séjour, lorsque la rétention administrative lui succède immédiatement ; v. nos obs.]. 
Au regard de cette jurisprudence stricte, la loi a été modifiée pour admettre le décalage entre la notification des droits, toujours immédiate, et leur exercice, reporté « à compter de [l’] arrivée [de l’étranger] au lieu de rétention » ; art. L. 551-2 CESEDA]. La jurisprudence judiciaire vérifie désormais logiquement que l'étranger a été mis en mesure d'exécuter ses droits à ce moment [Cass. civ. I, 15 mai 2013, n° 12-14.566 : publié au Bulletin]. La loi n'a pas non plus défini les modalités d'exercice des droits reconnus à l'étranger, notamment son droit à « l'assistance […] d'un conseil » [art. L. 551-2 CESEDA], si bien que le juge administratif a refusé de forcer l'organisation d'une permanence d'avocats [CE, 30 déc. 2002, Ordre des avocats à la Cour de Paris, n° 234415 ; AJDA, 2003, p. 239, concl. M. Guyomar]. L’effectivité de ce dernier droit n’est guère plus protégée par le juge judiciaire, qui a admis que la notification à l'étranger par l'intermédiaire d'un interprète des numéros de téléphone de l'ordre des avocats et d'une association suffisait à mettre celui-ci en mesure de l'exercer [Cass. civ. I, 9 juil. 2014, n° 13-20.648 : inédit]. 

59.              La légalité de l'arrestation de l'étranger : le contrôle de la légalité du contrôle du titre de séjour la précédant. Le contrôle constitue souvent l'antichambre de la privation de liberté de l'étranger. Si le contrôle révèle directement la situation autorisant le placement en rétention administrative; l'arrêté de placement sera adopté à la suite d'une privation de liberté factuelle admise par la Chambre criminelle [Cass. civ. I, 14 juin 2005, n° 04‑50.063 : Bull. civ. I, n° 249]. Si l'étranger « n'est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de séjourner en France » à la suite du contrôle, une retenue pour vérification du droit au séjour peut être prise pour établir les conditions permettant le placement en rétention administrative [art. L. 611-1-1 CESEDA ; v. notre chr. sur le contrôle judiciaire de la nouvelle retenue]. Les cas permettant le contrôle du titre de séjour de l'étranger sont larges, puisque celui-ci peut être réalisé au cours de tout contrôle d'identité le concernant de manière incidente [art. 78-1  et s. CPP] et « à toute réquisition des officiers de police judiciaire » [art. 611-1 CESEDA].
Le juge judiciaire de la rétention administrative, intervenant en Habeas corpus, exerce un contrôle d'autant plus large de la privation de liberté qu'il doit assurer le contrôle de la légalité du contrôle d'identité ou du titre de séjour préalable à l'arrestation et libérer s'il est vicié [v. par ex. Cass. civ. I, 9 juil. 2014, n° 13-22.010 à paraître au Bulletin]. Le cas d’espèce rappelle la profusion des cas de contrôle du titre de séjour, alors que le même jour et au même endroit s'étaient déroulées des opérations de contrôle prises sur le fondement de l'article 78‑2 al. 4, soit les contrôles de type Schengen, et des opérations de contrôle prises sur le fondement de l'article 78-2 al. 2, soit les contrôles sur réquisitions du Procureur de la République. L'admission du cumul des cas de contrôle en un même jour et un même lieu risquait d’aboutir à conférer aux opérations un caractère permanent, en contradiction avec les limites propres à chaque cas. La Cour de cassation a limité sa validité en confortant le raisonnement du juge du fond qui avait établi, observant que le « contrôle d'identité […] intervenu sur instruction administrative [s'intercalait] entre quatre contrôles ordonnés par le procureur de la République sur les mêmes lieux pour une durée totale de neuf heures », que « l'enchaînement de ces contrôles constituait en l'espèce un contrôle unique ». Au regard de la solution, la reconnaissance du caractère unique des opération de contrôle d’identité et de titre du séjour rapprochées semble pouvoir être appliquée à toutes les combinaisons, malgré l’existence de cas de police judiciaire et de cas de police administrative, dans une analyse directement confortée par la législation, qui permet de contrôler le titre de séjour de l’étranger à l’occasion d’un contrôle d’identité de police judiciaire [art. 611-1 CESEDA] ou qui permet de relever les infractions incidentes révélées par le contrôle d’identité de police administrative [art. 78-1 et s. CPP].
La « fusion » des cas de contrôle réalisés le même jour sur un même lieu aboutit à appliquer  au contrôle d’identité auquel l’étranger a été soumis, en l’espèce fondé sur le seul article 78‑2 al. 4, aux limitations cumulées des différents cadres appliqués, sans qu’il ne faille considérer qu’un cadre estimé comme dominant absorbe le second. Ainsi, si la Cour de cassation constate l’illégalité du contrôle sans user de l’argument du dépassement de la durée maximale de six heures qui concerne le contrôle Schengen, cadre utilisé en l’espèce pour fonder le contrôle de l’étranger, celui-ci n’était pas qualifié non plus d’inopérant ou d’erroné. En revanche, la Cour de cassation censurait bien le contrôle d’identité au regard de l’irrespect des conditions restrictives posées par la loi dans le cadre des contrôles sur réquisitions du Procureur de la République, pourtant non employé directement pour justifier le contrôle, celui-ci devant en principe déterminer dans ses réquisitions « les lieux » et « la période de temps » des opérations, ce qu’il n’avait pu réaliser, dès lors qu’« un tel enchaînement [n’a] pas été porté à la connaissance du procureur de la République ».

60.              Effets de la violation du paquet de droits généré par l'arrestation de l'aliéné : le développement de la théorie générale. La jurisprudence judiciaire tend à faire, de manière générale, de la violation du paquet de droits une cause de nullité de la procédure d'arrestation. Pour le suspect, la violation de son droit à l'assistance d'un avocat ou de son droit à la notification immédiate des droits est une cause de nullité de la procédure, au grief neutralisé, pour porter « nécessairement atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne » [v. pour la notification des droits, Cass. crim., 29 avr. 1998, n° 98-80.121 : Bull. crim., n° 145 ; RSC, 1998, p. 785, obs. J.-P. Dintilhac - v. pour le droit à l'assistance de l'avocat, Cass. crim., 10 mai 2001, n° 01-81.762 Bull. crim., n° 118]. La portée de la violation des règles du paquet est cependant atténuée en cette matière par le maintien du grief pour les autres droits le constituant [v. par ex. pour le droit à un examen médical, Cass. civ. I, 10 oct. 2012, n° 11-30.131 : Bull. civ. I, n° 196 ; JCP, 2012, n° 1309, note F. Desprez - v. pour le droit de prévenir un tiers, Cass. crim., 18 juin 2008, n° 08-82.356 : inédit] et par l’effet limité de l’irrégularité sur la procédure pénale et sur la continuation de la procédure pénale [v. supra, n° 57]. La violation du paquet de droits reconnu à l’étranger lors du placement en retenue pour vérification du droit au séjour ou même reconnu à l’étranger lors de son placement en rétention administrative doit être relevée par le juge judiciaire de l’Habeas corpus et la sanction est forte, puisque l’irrégularité doit entraîner la libération [v. supra, n° 58]. La sanction de l'atteinte aux droits de l'étranger par la libération est une solution d'autant plus intéressante que, à la différence du gardé à vue, il bénéficie d'une certaine autonomie et de droits plus étendus, n'étant pas restreint a priori dans son droit à « communiquer avec son consulat et avec une personne de son choix » ou dans son droit à « l'assistance d'un interprète, d'un conseil ainsi que d'un médecin », étendue similaire à l'aliéné, qui bénéficie « en tout état de cause » des droits « de prendre conseil d'un médecin ou d'un avocat de son choix » [art. 3211-3 CSP], sans que cette étendue n'interdise de relier les droits, au moins au début de la privation de liberté, à la protection de la liberté  individuelle et à la lutte contre l'arbitraire, dans l'attente de l'intervention du juge judiciaire en Habeas corpus. En outre, l'aliéné bénéficie, comme le suspect ou l'étranger placé en rétention administrative, du droit à la notification immédiate des droits [l'aliéné doit être informé « dès l'admission ou aussitôt que son état le permet [...] de sa situation juridique, de ses droits, des voies de recours qui lui sont ouvertes et des garanties qui lui sont offertes » ; art. 3211-3 CSP] et à l'information des raisons de l'arrestation [l'aliéné doit être informé « le plus rapidement possible et d'une manière appropriée à son état, de la décision d'admission [...], ainsi que des raisons qui [la] motivent » ; ibid.]. Ce paquet renait à chaque décision « prononçant le maintien des soins […] ou définissant la forme de la prise en charge », en particulier la notification des droits et l'information des raisons de la privation de liberté [ibid.]. La nouvelle information des motifs de la privation de liberté pourrait sans doute s'inscrire dans l'article 5 § 2, dès lors que les raisons de fait ou de droit justifiant la privation de liberté ont changé, et si le texte de la disposition vise l'arrestation, la jurisprudence européenne, dans un glissement de sens, se réfère à la notion d' « information des raisons de la privation de liberté » [CEDH, sect. I, 2 oct. 2008, Rusu c. Autriche, req. n° 34082/02, en angl. ; § 41 : « informed of the reasons relied on to deprive him of his liberty »]. Toute décision prolongeant l'internement ou modifiant la forme de l'hospitalisation ouvre le droit de recours en contestation de la légalité de la privation de liberté de l'article 5 § 4, puisque de nouvelles questions de légalité peuvent se poser [v. pour le rejet de l'application de l'article 5 § 4 du fait qu' « aucune question nouvelle de légalité ne se pose », CEDH, 18 juil. 1994, Wynne c. Royaume-Uni, req. n° 15484/89 : Rec. CEDH, série A, n° 294‑A ; RSC, 1994, p. 796, obs. L.-E. Pettiti ; § 36], et, après l'information de la nouvelle décision, l'exercice de l'aliéné des droit de « de prendre conseil d'un médecin ou d'un avocat de son choix »dont il reçoit de nouveau notification, contribue à l'efficacité du recours. Le paquet de droit, de manière nette pour celui généré par l'arrestation, mais également pour celui généré par l'adoption d'une nouvelle décision, avant la première intervention du juge judiciaire en Habeas corpus ou ultérieurement, assure toujours la protection de la liberté individuelle et sa violation, au moins avant l’Habeas corpus, justifie une sanction forte, comme pour l’étranger, et comme, moins nettement cependant, pour le suspect.
La Cour de cassation s'est prononcée dernièrement sur l'effet de la violation du paquet [Cass. civ. I, 18 juin 2014, n° 13-16.887 : inédit], plus précisément la violation du droit de l'aliéné d'être avisé des motifs de la privation de liberté et de son droit à cette occasion de recevoir la notification de ses droits, concernant la décision du préfet de le placer en hospitalisation complète, à la suite de la période d'observation consécutive à l'admission [art. 3213-1 CSP], survenant avant la première intervention automatique du juge judiciaire pour prolonger l’internement. La Cour de cassation a admis que ces irrégularités de procédure permettaient au juge du fond de ne pas « maintenir » la privation de liberté, sans adopter de formulation de principe, ni établir de visa. La décision est sans doute d'importance, car la Cour de cassation se prononçait pour la première fois sur l'effet de la violation du paquet, et sa solution rejoignait la jurisprudence judiciaire sur la garde à vue ou le placement en rétention administrative, développant encore sa construction d'une théorie générale de la protection juridique de la personne arrêtée [v. nos obs. précédentes]. La suppression de la dualité, en confiant au juge judiciaire la « régularité des décisions administratives » [art. 3216-1 CSP] a donc profité à la protection de l'aliéné, alors qu'auparavant, le juge administratif s'estimait compétent pour apprécier la violation du paquet de droits ou le défaut de notification de la décision administrative, pour estimer ces deux vices sans effet sur la légalité de la mesure [v. pour le défaut de notification, CE, sect., 28 juil. 2000, M. E. A., n° 151068 : Rec. CE, p. 347 ; RFDA, 2001, p. 1239, concl. S. Boissard ; JCP, 2001, IV, n° 1368, obs. M.-Ch. Rouault - v. pour le défaut de la notification des droits à la suite de l'adoption de mesures proivoires, CE, 13 mars 2013, Pft police c. Vaugenot, n° 354976 : Rec. CE, T.]. A ce titre, on notera que la Cour de cassation interprète strictement la limite législative selon laquelle « l'irrégularité affectant une décision administrative [...] n'entraîne la mainlevée de la mesure que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l'objet » [art. 3216‑1 CSP], inappliquée en l'espèce, pour être réservée strictement au vice de l'acte, et non à l'ensemble du contentieux autrefois laissé à la compétence du juge administratif. D’autre part, la Cour de cassation s'approprie par cette décision l'entièreté du contrôle de la régularité procédurale de l'internement, même si l'article 3216-1 vise plus étroitement la  régularité de la décision administrative.
L'arrêt souffre sans doute de son défaut de publication et de formulation de principe quant à sa portée [la Cour de cassation apparaît pour l'instant prudente, alors que, concernant le contrôle du juge des libertés et de la détention de l'internement forcé, elle a refusé de statuer du fait de la mainlevée de la mesure, dès lors qu'il n'y avait plus rien à juger ; Cass. civ. I, 9 juil. 2014, n° 13-17.984 : inédit - par comparaison, la même Chambre étudie les pourvois concernant le pouvoir du même juge dans son contrôle de la rétention administrative, alors qu'il n'y a plus rien à juger non plus, puisque, en raison des délais, l'arrêt de cassation intervient systématiquement après le terme de la rétention], même si, au regard de la jurisprudence judiciaire dans les autres domaines, la solution était prévisible. Ce contrôle trouve directement sa source dans l'article 66 de la Constitution et à vocation à s'appliquer à toute privation de liberté. La Cour de cassation a d’ailleurs fondé ce contrôle pour la rétention administrative sur ce fondement [Cass. civ. II, 28 juin 1995, Bechta et autres, nos 94-50.001, 94-50.002, 94‑50.005 et 94-50.006 : Bull. civ. II, nos 216, 221, 211 et 212 ; JCP, 1995, II, n° 22504, avis J. Saint-Rose ; D., 1996, p. 102, obs. F. Julien-Laferrière ; AJDA, 1996, p. 72, A. Legrand ; Rev. crit. DIP, 1996, p. 275, N. Guimezanes ; RTD civ., 1996, p. 235, comm. J. Normand ; Gaz. Pal., 1995, doct., p. 1356, comm. J.-É. Malabre : « en vertu des articles 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 et 136 du Code de procédure pénale, il appartient au juge, saisi par le préfet en application de l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 nov. 1945, de se prononcer comme gardien de la liberté individuelle, sur les irrégularités attentatoires à cette liberté, invoquées par l’étranger, d’une mesure de [contrainte], lorsque cette mesure précède immédiatement un maintien en rétention administrative »] comme le Conseil constitutionnel, pour le même cas, mais moins nettement [Cons. const., déc. n° 2003 484-DC du 20 nov. 2003 portant sur la loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité : J. O., 27 nov. 2003, p. 20154 : Gaz. Pal., 2005, doct., p. 685, comm. J. Boyer ; consid. n° 51 ; LPA, 20 janv. (partie I) et 21 janv. (partie II) 2004, p. 10, comm. J.‑É. Schoettl ; consid. n° 64 : il revient à « l'autorité judiciaire » chargée de la prolongation de la rétention administrative de s'assurer que « l'étranger a été placé en situation de faire valoir ses droits »]. L'effet de la violation du paquet de droits, généré par la prolongation de l'hospitalisation forcée ou de la modification des formes de celle-ci, ultérieurement à la première saisine du juge judiciaire en Habeas corpus, interroge plus.

61.              Première application par la Cour de cassation du contrôle de la régularité administrative de la décision d'internement. La solution quant à la violation du paquet de droit est d'autant plus éclatante, notamment quant à la justification de cette solution au regard de la protection de la liberté individuelle, que la Cour de cassation a rendu un premier arrêt le même jour sur le contrôle judiciaire de la décision administrative, restrictif concernant la notion d’« irrégularité affectant une décision administrative » et concernant la notion d’« atteinte aux droits de la personne qui en faisait l'objet », démonstration nécessaire, selon l’article 3216‑1 du Code de la santé publique, pour permettre la mainlevée de la mesure [Cass. civ. I, 18 juin 2014, n° 13-16.363 : inédit]. Concernant les décisions de placement et de maintien en hospitalisation forcée réalisée à la demande d'un tiers, prise par le directeur d'établissement, alors que celles-ci comprenaient un défaut quant à l'exigence de « la mention légalement requise des nom, prénom, qualité du signataire d'une décision administrative » en vertu de l'article 4 de la loi 2000-321 du 12 avr. 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, la Cour de cassation écartait que ce simple vice constitue une « irrégularité », sauf à démontrer l'impossibilité pour l’aliéné d'établir l'identité de l'auteur au  regard « des éléments extrinsèques portés à la connaissance de l'intéressé » et censurait le juge du fond, pour n'avoir pas effectué cette recherche. La démonstration de l'atteinte aux droits de l'aliéné réalisée le juge du fond, qui avait tenté de relier le défaut des mention à l'impossibilité de démontrer que l'aliéné avait bien été informé des décisions de prolongation, était aussi censurée par la Cour de cassation, rappelant non seulement l’obligation pour le juge du fond de caractériser l’atteinte aux droits, mais annonçant en plus, sur ce point, un contrôle de la motivation du juge du fond.

3) Le contrôle du juge judiciaire de la détention : le titre du Tribunal

62.              Les incidences de l’annulation par le Tribunal supérieur du précédent titre de détention concernant la privation de liberté exercée sur ce dernier. La Cour européenne des droits de l’Homme fait preuve d’une certaine mansuétude concernant la privation de liberté exécutée sur un titre de Tribunal ultérieurement annulé par un Tribunal, pour déterminer si la privation de liberté exécutée sur le titre vicié a violé l’article 5 § 1er : « une distinction fondamentale doit être établie entre les titres de placement en détention manifestement invalides – par exemple ceux émis par un tribunal en dehors de sa compétence […] ou dans les cas où la partie intéressée n'a pas été dûment avertie de la date de l'audience […] – et les titres de détention qui sont prima facie valides et efficaces tant qu'ils n'ont pas été annulés par une juridiction supérieure » [Mooren, gde ch. : préc. ; § 75]. Une erreur d’appréciation sur le bien-fondé de la privation de liberté ne figure pas dans la catégorie des vices les plus graves et la privation de liberté réalisée sur le premier titre inopportun ne viole pas l’article 5 § 1er [v. par ex. pour la mauvaise appréciation du juge du fond sur le risque de fuite, qui avait justifié en appel la libération de l’individu et son assignation à résidence, Shcherbina : préc. ; § 43]. Cette solution aboutit à empêcher que la violation du droit interne constatée par le juge national ouvre droit à réparation sur le fondement de l’article 5 § 5, puisqu’aucune violation de la Convention n’est établie.


a) Le contrôle judiciaire de la détention provisoire

63.              « Surmotivation » de la détention provisoire pendant l'instruction. Conformément au contrôle européen de la détention provisoire, qui accroît au fil du temps son contrôle des motifs avancés par le juge du fond pour justifier la prolongation de la détention provisoire [v. supra, n° 22], la législation impose une « surmotivation » du maintien en détention provisoire au-delà de huit mois en matière correctionnelle : « les décisions ordonnant sa prolongation ou rejetant les demandes de mise en liberté doivent aussi comporter les indications particulières qui justifient en l'espèce la poursuite de l'information et le délai prévisible d'achèvement de la procédure » [art. 145-3 CPP]. Le premier élément de la surmotivation devrait contraindre le juge à s'expliquer sur des éléments servant à la Cour européenne des droits de l'Homme à son appréciation de la durée raisonnable, en invoquant la complexité de l'affaire [v. par ex. CEDH, sect. V, 18 oct. 2012, Rossi c. France, req. n° 60468/08 ; Procédures, 2012, comm. n° 368, obs. A.‑S. Chavent-Leclère], ou en rendant compte des investigations déjà réalisées, pourtant encore inachevées, pour démontrer la « diligence particulière » avec laquelle l'instruction a été menée [la latence dans l'instruction, contraire à la notion de « diligence particulière », justifie le constat du dépassement de la durée raisonnable ; CEDH, ch., 26 janv. 1993, W. c. Suisse, req. n° 14379/88 : Rec. CEDH, série A, n° 254-A ; RSC, 1994, p. 362, chron. R. Koering‑Joulin]. L'absence de motivation quant aux « indications particulières qui justifient en l'espèce la poursuite de l'information » est une cause de cassation [Cass. crim., 17 juin 2014, n° 14-82.674 : inédit], comme aussi l'oubli de la fixation du délai d'achèvement de la procédure prévisible [Cass. crim., 21 juin 2005, n° 05-82.010 Bull. crim., n° 182], la Chambre criminelle se livrant au moins au contrôle de l’existence de la motivation des éléments exigés par la loi.

64.              Le faible contrôle de la motivation de l'insuffisance des mesures alternatives. La motivation de la nécessité du placement ou de la prolongation en détention provisoire, à l'image de celle de l'emprisonnement ferme [v. infra, n° 68], suppose une démonstration positive, celle que la détention provisoire constitue « l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs » par la loi, et une démonstration négative, celle de l'insuffisance du contrôle judiciaire ou de l'assignation à domicile avec surveillance électronique pour atteindre ces objectifs [art. 144 CPP]. La loi française force donc le juge à étudier l’opportunité d’adopter des mesures alternatives, examen exigé d’office par la Cour européenne des droits de l’Homme pour la prolongation de la détention provisoire [CEDH, sect. I, 8 nov. 2007, Lelièvre c. Belgique, req. n° 11287/03] mais aussi lors du placement en détention provisoire pour des infractions de gravité relative [CEDH, sect. IV, 18 mars 2008, Ladent c. Pologne, req. n° 11036/03]. Comme pour la motivation de l’emprisonnement ferme, les démonstrations sont sans doute redondantes, la première établissant la seconde et inversement. La motivation de la détention provisoire se prête pourtant à la mise en évidence d’un contrôle de proportionnalité, au sens de technique juridictionnelle, forçant à exposer la comparaison entre, d’un côté, les éléments militant pour le placement ou le maintien en détention, ceux liés à l’ordre public en lien avec les motifs listés par la loi, et, de l’autre côté, les élément militant pour l’adoption d’une mesure alternative, ceux liés plutôt à la personnalité de l’individu, à l’image du raisonnement de la Cour européenne des droits de l’Homme [v. supra, n° 22]. Si la mention par le juge du fond de l’insuffisance du contrôle judiciaire [Cass.crim., 26 févr. 2008, n° 07‑88.336 : Bull. crim., n° 50] ou de l’assignation à domicile sous surveillance électronique [Cass. crim., 18 août 2010, n° 10-83.819 : Bull. crim., n° 124 ; Gaz. Pal., 4 janv. 2011, p. 18, comm. R. Mésa ; Procédures, 2010, comm. n° 381, obs. A.‑S. Chavent‑Leclère ; Dr. pén., 2010, comm. n° 128, obs. A. Maron et M. Haas ; AJP, 2011, p. 37, obs. L. Ascensi ; RSC, 2011, p. 147, obs. J. Danet] est exigée sous peine de cassation, des références à la gravité de l’infraction reprochée ou aux antécédents judiciaires du prévenu suffisent à satisfaire l’obligation de motivation, la Cour de cassation n’opérant pas de contrôle strict de la qualité de la motivation [Cass. crim.,25 juin 2014, n° 14‑82.426 : inédit].

65.              Célérité accrue de l'instruction pour le mis en examen en détention provisoire. La prise en compte de la détention provisoire, sans doute pour limiter au mieux sa durée au terme de l'instruction, aboutit à ce que le délai de forclusion de la requête en nullité soit plus court pour la « personne mise en examen [...] détenue », sans que la loi ne précise la cause de la privation de liberté [un mois selon l'article 175 CPP], que pour le mis en examen libre [trois mois ; ibid.]. Sous le visa des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, un moyen soulevait, implicitement au moins, la contradiction pouvant parfois atteindre la procédure pénale entre l’exigence de la célérité particulière exigée par la protection de la liberté individuelle de la personne détenue et au contraire la nécessité de laisser à la partie le temps de se défendre, concernant la détermination du délai applicable au prévenu détenu pour une autre cause que la détention provisoire prononcée contre lui dans le cadre de sa poursuite [Cass. crim., 17 juin 2014, n° 14-81.584 : à paraître au Bulletin]. La Chambre criminelle a interprété la disposition conformément à sa ratio legis, servant la limitation de la durée de la détention provisoire après clôture de l'instruction par protection de la liberté individuelle, pour estimer que le délai d'un mois ne concerne que le mis en examen « détenu dans le cadre de l'information en cause » et que le délai de trois mois profite au mis en examen détenu pour une autre cause.

66.              Motivation de l'arrêt de la Chambre de l'instruction prononçant le maintien en détention provisoire après infirmation de l'ordonnance de remise en liberté du juge d'instruction : application des exigences légales. En matière pénale, le condamné « doit être à même de comprendre le verdict qui a été rendu » [CEDH, gde ch., 16 nov. 2010, Taxquet c. Belgique, req. n° 926/05 ; RSC, obs. J.‑P. Marguénaud ; D., 2011, p. 47, obs. O. Bachelet ; ibid., note J. Pradel ; ibid., note J.-F. Renucci ; AJP, 2011, p. 35, obs. C. Renaud-Duparc ; § 90]. Cette exigence, « garantie essentielle contre l’arbitraire » [ibid.], est principalement assurée par la motivation, bien que la Cour n'ait pas exigé pas dans cet arrêt, la remise en cause de la motivation des arrêts de la Cour d'assises par des questions. La lutte contre l'arbitraire, au cœur de l'article 5 [la Cour en a même fait un des principes généraux impliqués la Convention ; v. Simons, déc. : préc. ; § 32], justifie l'obligation pour les juridictions de motiver le placement et la prolongation de la détention provisoire, leur défaut justifiant une sanction de l'article 5 § 1er [CEDH, sect. V, 11 févr. 2010, Sabirov c. Russie, req. n° 13465/04, en angl. ; § 34]. La contradiction entre deux décisions de justice, notamment lorsque celle postérieure à des effets défavorables pour l'individu, pourrait en conséquence justifier une obligation de motivation plus importante, pour éclairer celle-ci [v. par ex. pour un contrôle plus exigeant des moyens à disposition de l'accusé pour comprendre le verdict, CEDH, sect. V, 10 janv. 2013, Fraumens c. France, req. n° 30010/10 ; D., 2013, p. 615, note J. F. Renucci ; RSC, 2013, p. 158, obs. J.‑P. Marguénaud ; ibid., p. 112, note J. Danet ; § 49]. Dès lors, le reproche à la Chambre de l'instruction d'avoir maintenu en détention provisoire, infirmant l'ordonnance de libération du juge d'instruction, sans « s'expliquer sur les raisons susceptibles d'écarter les considérations sur lesquelles le juge d'instruction s'était fondé pour [...] mettre fin à la détention provisoire » n'apparaît pas dénué de toute pertinence, même sans obligation légale, ni principe jurisprudentiel fermement posé par la jurisprudence européenne [le moyen ne visait d'ailleurs pas la Convention]. La Chambre criminelle y a répondu que même dans cette hypothèse, la chambre d'instruction n'était soumise qu'aux simples exigences légales communes, c'est-à-dire de répondre « aux articulations essentielles du mémoire de l'appelant » et de se déterminer « par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale » [Cass. crim., 24 juin 2014, n° 14‑82.366 : inédit].

67.              Demande de remise en liberté fondée sur l'état de santé incompatible du prévenu : obligation de motivation. La Cour de cassation reconnaît depuis longtemps l'efficacité de l'état de santé incompatible du prévenu pour appuyer une demande de remise en liberté [Cass. crim., 10 fév. 1966, n° 65-93.217 : Bull. crim., n° 40]. Pour autant, la Cour de cassation a parfois laissé au juge du fond un pouvoir discrétionnaire, le dégageant de l'obligation de motiver sur ce point [v. par ex. Cass. crim., 17 janv. 1989, n° 88‑86.400 : inédit - Cass. crim., 17 mars 2004, n° 03 87.936 : inédit - v. contra, Cass. crim., 16 juil. 1999, n° 99‑83.093 : inédit]. Le principe de l'obligation de motivation du juge est désormais fixé [Cass. crim., 2 sept. 2009, n° 09-84.172 : Bull. crim., n° 149 ; AJP, 2009, p.452, obs. J. Lasserre-Capdeville], comme le rappelle un arrêt récent [Cass. crim., 17 juin 2014, n° 14-82.674 : inédit]. La jurisprudence de la Cour de cassation pourrait même s'orienter vers le contrôle de celle-ci, sans laisser un pouvoir souverain au juge du fond [v. Cass. crim., 3 oct. 2012, n° 12-85.054 : Bull. crim., n° 209 ; RSC, 2012, p. 879, obs. X. Salva]. L'accroissement des exigences de la Cour de cassation apparaît logique, dès lors que la Cour européenne des droits de l'Homme intègre désormais la compatibilité de l'état de santé dans son appréciation de la durée raisonnable de la détention provisoire [v. par ex. Simon : préc. ; § 41 : « la Cour observe que si les juridictions internes se sont assurées que l’état de santé du requérant était compatible avec la détention, elles ont prolongé cette mesure sans avoir égard à sa situation familiale et sans envisager des mesures autres que la détention »].

b) Le contrôle judiciaire de la peine privative de liberté

68.              La réduction de l'obligation de motivation de la peine privative de liberté au seul cas de l'emprisonnement ferme, hors cas de récidive légale. Sauf disposition légale expresse, le choix de la peine, dans les limites légales, est une « faculté » du juge qu'il n'a pas à motiver [Cass. crim., 27 oct. 2010, n° 10-81.770 : inédit], tant concernant sa nature, que concernant son quantum, y compris lorsqu'il relève une cause d'atténuation de la responsabilité pénale au sens de l'article 122-1 du Code pénal [v. par ex. pour une peine privative de liberté, Cass. crim., 9 juil. 2014, n° 13-86.908 : inédit Cass. crim., 30 mai 2006, n° 05‑86.790: inédit : « l'article 122-1, alinéa 2, du [Code pénal] n'impose pas aux juges de motiver spécialement le choix de la peine prononcée et de son régime d'exécution »]. Concernant plus précisément la peine privative de liberté, le juge pénal bénéficie d'un pouvoir souverain d'appréciation dans le contentieux de la confusion de peine, la Cour de cassation contrôlant simplement que le total ne dépasse pas le maximum de la peine encourue la plus lourde, refusant tout contrôle de la motivation utilisée [Cass. crim., 18 juin 2014, n° 13‑81.862 : inédit Cass. crim., 21 mai 2014, n° 13-80.449 : inédit], même si la Chambre criminelle semble imposer au juge du fond de motiver, ce qui impose qu’elle pourrait censurer son inexistence [Cass. crim., 7 mai 2014, n° 14-90.011 [QPC] : inédit]. Si l'article 132-23 du Code pénal impose l'adoption d'une « décision spéciale » du juge pour élever la durée de la période de sûreté au-delà de celle s'appliquant automatiquement, la disposition n'impose pas non plus au juge de motiver ce choix [Cass. crim., 23 oct. 2013, n° 12-88.285 : inédit : « attendu qu'aucune disposition légale n'impose à la cour d'assises, dont les délibérations sont régies par le seul article 362 du code de procédure pénale, de motiver la décision spéciale par laquelle elle porte aux deux tiers de la peine la durée de la période de sûreté assortissant celle-ci, en application de l'article 132‑23 du code pénal »]. De surcroît, la décision spéciale doit plutôt s'entendre de la décision portant dans ses motifs la mention spéciale de la hausse de la durée de la période de sûreté [Cass. crim., 9 juil. 2014, n° 13‑86.908 : inédit : alors que le pourvoi critiquait l'arrêt de condamnation « à la peine de seize ans d'emprisonnement, assortis d'une période de sûreté qui sera fixée aux deux tiers de cette peine », pour ne contenir « aucune référence à une quelconque décision spéciale », la Cour de cassation validait, dès lors que « les énonciations de l'arrêt attaqué [la] mettent en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, par décision spéciale, fixé la durée de la peine de sûreté aux deux tiers de la peine dans les conditions prévues par l'article 132-23 du code pénal »]. Le débat de la motivation des arrêts de Cour d'assises n'a concerné que les raisons de la culpabilité, et la réforme législative n'a pas obligé à une motivation de la peine sur la nouvelle feuille annexée [art. 365-1 CPP]. En conséquence, l'infliction de la peine privative de liberté échappe largement à l'examen de la Cour de cassation, en partie de son propre fait, si bien que le contrôle en droit de celle-ci se limite pour l'essentiel à la vérification de son inclusion dans les limites légales. 

69.              Motivation de la peine d'emprisonnement ferme hors cas de récidive légale : le contrôle minimal de la Chambre criminelle. En revanche, le prononcé de la peine d'emprisonnement ferme sans sursis, sauf en cas de récidive légale, est soumis à motivation spéciale, rappelant au juge son caractère dérogatoire : « une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 » [art. 132-24 CP ; v. nos obs. précédentes]. Logiquement, au regard du mécanisme, le juge n'a pas à motiver la mise à l'écart des exception lui permettant de déroger aux peines minimales lorsqu'il prononce une peine respectant leur principe [Cass. crim., 9 juil. 2014, n° 13-86.908 inédit]. Cette définition légale n'est pas sans incohérence, le principe de nécessité de la peine privative de liberté se trouvant répété à trois reprises, dans des formulations différentes ne conférant pas au principe la même exigence : le dernier recours, la nécessité, et l'inadéquation manifeste de toute autre sanction. Le juge du fond n'est pas tenu de se justifier sur ces trois éléments ayant trait à la nécessité [v. par exemple pour la motivation validée ne traitant pas de la notion de « dernier recours » et n'apportant pas d'élément concret sur l'inadéquation des autres sanctions, Cass. crim., 18 juin 2014, n° 12-87.803 inédit - v. aussi pour la validation de la motivation n'évoquant pas l'inadéquation manifeste de toute autre sanction, Cass. crim., 18 juin 2014, n° 12-88.060 : inédit ou encore Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13‑81.749 : inédit]. En conséquence, la Cour de cassation peut tirer des mêmes éléments avancés par le juge du fond, même s'il n'a pas décomposé son raisonnement et ne s'est référé dans celui-ci, parmi les différents critères de l'article 132-24 ayant trait à la nécessité, à la seule inadéquation de toute autre sanction, l'établissement du caractère « nécessaire » de la peine prononcée et celui « manifestement inadéquate » de toute autre sanction, sans s'intéresser à la démonstration par celui-ci du prononcé de l'emprisonnement ferme en « dernier recours » [Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-82.720 : inédit].Quant à l'impossibilité de prononcer un aménagement, le juge du fond peut directement la justifier par sa méconnaissance de la personnalité du condamné, ou du moins son défaut d'élément suffisant pour apprécier de l'opportunité d'un tel aménagement [Cass. crim., 18 juin 2014, n° 12‑87.803 inédit - Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-82.720 inédit], ou même simplement écarter cette possibilité par simple mention abstraite de son caractère inopportun [Cass. crim., 18 juin 2014, n° 12‑88.060 inédit], et la Cour de cassation, dans un arrêt, n'a d'ailleurs même pas vérifié que le juge du fond avait réalisé cette recherche, limitant l'obligation de motivation à la démonstration que « la gravité de l'infraction [...] et sa personnalité rendent la peine prononcée nécessaire et [l'établissement] que toute autre sanction était manifestement adéquate » [Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-82.720 inédit]. Dès lors, la mise en correspondance entre un élément de personnalité et des éléments de fait montrant la gravité de l'infraction [Cass. crim., 18 juin 2014, n° 12-87.803 inédit], et même la mise en correspondance d'un élément de personnalité avec la mention abstraite se référant à la gravité de l'infraction [Cass. crim., 18 juin 2014, n° 12-88.060 inédit] suffisent à satisfaire les obligations légales.
Quant au contrôle de la pertinence des motifs avancés par les juges du fond, la Chambre criminelle s'en est déjà saisie, en sanctionnant sur le fondement de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme un juge du fond qui avait reproché au condamné, dans sa motivation de la condamnation à l'emprisonnement ferme, l'usage d'une voie de recours [Cass. crim., 24 janv. 2007, n° 06-84.330 : Bull. crim., n° 17]. Dans un arrêt récent cependant [Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-82.720 inédit], la Chambre criminelle n'a pas sanctionné un juge du fond, qui s'était fondé sur le fait que « l'intéressé conteste devant la cour sa culpabilité », alors même qu'elle avait déjà écarté ce critère pour la motivation de l'emprisonnement correctionnel sur le même fondement de l'article 6 [Cass. crim., 1er oct. 2008, n° 08‑81.338 : Bull. crim., n° 201 ; Dr. pén., 2009, comm. n° 4, obs. M. Véron ; RSC, 2009, p. 412, obs. R. Finieltz] et que ce critère de l'absence d'aveu a aussi été écarté de l'aménagement des peines [pour la libération conditionnelle, v. Cass. crim., 3 févr. 2010, n° 09-84.850 : inédit ; Procédures, 2010, comm. n° 196, obs. A.‑S. Chavent‑Leclère ; AJP, 2010, p. 334, obs. M. Herzog-Evans - pour le placement sous surveillance électronique, v. Cass. crim., 25 nov. 2009, n° 09-82.971 : Bull. crim., n° 197 ; AJP, 2010, p. 90, obs. M. Herzog-Evans].

B) Le juge administratif, gardien de la liberté individuelle

1) Le contrôle de la légalité de la décision administrative servant de fondement à la privation de liberté visant son exécution

70.              Vers l’obligation d’instaurer un Habeas corpus pour l’étranger en droit administratif. La légalité de la décision administrative qui fonde directement la privation de liberté, comme la décision d’hospitalisation psychiatrique à la demande du représentant de l’État, celle de placement en rétention administrative, ou  celle de maintien en zone d’attente, est une condition de la légalité de la privation au sens de l’article 5 § 1er, pas seulement au regard des conditions de conventionnalité particulières déduites de la disposition pour les différents cas de privation de liberté [par ex., l’autorité de placement doit réaliser une étude des alternatives à la détention pour le placement d’une famille en rétention ; Popov : préc.] mais également pour leur légalité au regard du droit interne [Baudoin : préc.], si bien que le recours interne pour ces différentes contestations doit relever de l’article 5 § 4 et que le Conseil constitutionnel reconnaît pour le contrôle de ces décisions administratives la possibilité pour le législateur de dégager un bloc de compétence au profit du juge judiciaire [v. pour l’internement des aliénés Cons. const., déc. n° 2010-71 QPC du 26 nov. 2010, [Mme S.] : J. O., 27 nov. 2010, p. 21119 ; Dr. Famille, 2011, comm. n° 11, note I. Maria ; RFDA, 2011, p. 951, chron. A. Pena ; JCP, 2011, n° 189, note K. Grabarczyk ; AJDA, 2011, p. 174, X. Bioy ; consid. n° 37 : « si, en l’état du droit applicable, les juridictions de l’ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour apprécier la régularité de la procédure et de la décision administratives qui ont conduit à une mesure d’hospitalisation sans consentement, la dualité des ordres de juridiction ne limite pas leur compétence pour apprécier la nécessité de la privation de liberté en cause » – le législateur s’en est emparé pour établir le bloc de compétence en la matière ; v. supra, n° 61]. La légalité de la décision administrative qui, sans fonder la privation de liberté, fixe l’obligation pour l’exécution forcée de laquelle la détention est permise, comme l’ordre national d’expulsion, de refoulement ou d’extradition [au sens de l’article 5 § 1er-f)], au regard du droit interne comme au regard du droit européen, semble également relever de l’article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme, puisqu’elle constitue une condition de la validité de la détention au sens de l’article 5 § 1er [v. supra, n° 45 – le Conseil constitutionnel, dans une décision ancienne, a rejeté pour ces décisions la possibilité de dégager un bloc de compétence au profit du juge judiciaire ; v. Cons. const., déc. n° 89‑261 DC du 28 juil. 1989 portant sur la loi relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France : J. O., 1er août 1989 ; RFDA, 1989, p. 691, note B. Genevois ; AJDA, 1989, p. 619, note J. Chevallier ; D., 1990, p. 161, note X. Prétot – la Cour européenne des droits de l’Homme n’aide pas à la consécration définitive de cette solution, en utilisant l’article 13 pour fonder le recours interne contre la conventionnalité de ces décisions administratives au regard de l’article 3 ou 8 ; v. supra, n° 45].
La soumission à l’article 5 § 4 de la légalité de ces décisions, au regard des développements de la jurisprudence européenne exigeant une célérité renforcée lorsque le recours provoque le premier contrôle judiciaire de la légalité de la privation de liberté, portant la question de la consécration éventuelle de son automaticité et de son effet suspensif [v. supra, n° 45], pourrait aboutir à forcer la consécration d’un Habeas corpus en droit administratif pleinement efficace. En réalité, un tel recours existe déjà dans la loi pour certains cas de placement en rétention administrative, [art. L. 512-1 CESEDA], ou pour le maintien en zone d’attente [art. L. 213-9 CESEDA], montrant la validité du raisonnement. Les dispositions ne couvrent toutefois pas l’ensemble des cas de privation de liberté de l’étranger reconnus par l’article 5 § 1er-f) [v. par ex. les faits de l’arrêt Souza Ribeiro : préc.] et les référés administratifs, par nature, ne semblent pas suffire à combler les différents manques, en raison des conditions restrictives de leur champ d’application [v. pour leur disqualification par principe concernant l’internement de l’aliéné, Baudoin : préc. ; § 103], le juge administratif ne développant de toute manière pas leur applicabilité en la matière [v. pour le rejet du référé-liberté contre le décret d’extradition, du fait de l’usage consistant à ne pas exécuter la mesure tant que le Conseil d’État n’a pas statué sur la légalité du décret, empêchant de caractériser l’urgence CE, 19 juin 2014, n° 381358 : inédit – v. pour le refus d’admettre le référé-liberté contre la décision d’éloignement ayant servi au placement en rétention administrative, une fois celle-ci prolongée par le juge judiciaire, CE, réf., 29 nov. 2007, Grabis, n° 310912 : inédit : « la décision de l'autorité administrative ordonnant le placement en rétention ne peut produire effet que pendant quarante-huit heures et, qu'au terme de ce délai, seule une décision de l'autorité judiciaire peut maintenir un étranger en rétention, sans l'intervention d'aucune autorité administrative ; qu'ainsi, l'étranger maintenu en rétention, par ordonnance du juge des libertés et de la détention, ne peut utilement contester au-delà de ce terme l'arrêté par lequel le préfet l'a placé en rétention » – v., dans le domaine de l’internement de l’aliéné, pour l’admission en principe de l’utilité du référé‑suspension pour porter la critique de la légalité externe de l’arrêté, mais son rejet en l’espèce en raison du défaut d’urgence établi par le bien-fondé de la mesure, CE, 9 nov. 2001, Deslandes, n° 235247 : Rec. CE, p. 547 ; Dr. admin., 2002, comm. n° 74, obs. C. Landais].

2) Le contrôle des conditions matérielles de détention

71.              Le droit de recours interne en violation des conditions matérielles de détention : le recours préventif [« preventive remedy »] et le recours compensatoire [« compensatory remedy »]. Dès lors que les conditions matérielles de détention violent la Convention, sa combinaison avec l’article 13 ouvre un droit au détenu en souffrant «  à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale » indépendante [ainsi, un recours devant l’administration pénitentiaire fédérale ne satisfait pas l’article 13 ; M. S. c. Russie : préc. ; § 85], indifféremment du cas de détention [v. pour l’application des principes à la détention de l’étranger, Yarashonen : préc. ; § 56 et s.] ou du grief défendable sur le fondement de l’article 3 [v. pour la sanction du défaut de droit de recours interne concernant la critique des conditions de transport, M. S. c. Russie ; § 80 et s.]. Le recours est indemnitaire, ou « compensatoire », pour les conditions de détention passées, tandis que pour les conditions de détention actuelles, au recours indemnitaire doit s’ajouter un recours permettant l’obtention de conditions de détention conformes au standard européen, ou « préventif », cette distinction s’appliquant pour tous les griefs [v. pour les conditions de détention insalubres, Yarashonen : préc. – v. pour les conditions de transport, M. S. c. Russie : préc.].

72.              Vers une hausse du contrôle du juge national du placement en isolement pénitentiaire de sûreté. La critique de la proportionnalité de la durée de l'isolement pénitentiaire de sûreté [v. supra, n° 35], dont le contrôle européen est bien établi, ouvre un recours interne pour porter le grief, sur le fondement de la combinaison des articles 3 et 13 [le recours doit fournir au détenu des « moyens pour se plaindre des prolongations de son maintien à l’isolement […] "effectifs" en ce sens qu’ils auraient pu empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée » ; Ramirez Sanchez, gde ch. : préc. ; § 157 et s.]. Le développement du contrôle de la nécessité du placement par la Cour européenne des droits de l'Homme [v. Harakchiev et Tolumov : préc. ; supra, n° 36] tend à en faire un grief défendable sur le fondement de l'article 3, et à imposer aussi en droit interne le contrôle du placement en isolement pénitentiaire, sur la même combinaison. Dans ce cas, l'ouverture du recours en excès de pouvoir contre le placement en isolement de sûreté [CE, 30 juil. 2003, Remli, n° 252712 : Rec. CE, p. 366 ; D., 2003, jur., p. 2331, note M. HerzogEvansAJDA, 2003, p. 2090, note D. CostaRSC, 2005, p. 390, obs. P. PoncelaGaz. Pal., 13 nov. 2003, p. 10, concl. M. Guyomar] ne saurait suffire à assurer l'effectivité de la contestation, au regard de son défaut de célérité [pour le recours contre le placement en cellule disciplinaire, il est vrai d'une durée limitée, la Cour insiste sur les « garanties minimales de célérité » du recours interne effectif  ; CEDH, sect. V, 20 janv. 2011, Payet c. France, req. n° 19606/08 : D., 2011, p. 380, obs. S. Lavric ; D., 2011, p. 643, obs. J.-P. Cere ; RSC, 2011, p. 718, obs. J.‑P. MarguénaudJCP, 2011, n° 184, obs. B. Pastre-BeldaProcédures, 2011, comm. n° 94, obs. N. FriceroGaz. Pal., 21 avr. 2011, p. 11, comm. É. Senna ; § 133]. Si le droit pénitentiaire français permet au détenu en isolement de sûreté d'user de l'action du référé-liberté [art. 726-1 CPP], les conditions de droit commun du recours s'appliquent, et la jurisprudence administrative estime que la condition de l'urgence, à caractériser « in concreto » [CE, 1er févr. 2012, Khider, n° 350899 : Rec. CE, T. : AJP, 2012, p. 237, obs. J.‑P. Cere ; AJDA, 2012, p. 1177, obs. J.‑F. CalmetteGaz. Pal., 26 avr. 2012, p. 17, chron. M. Guyomar], dépend de « la gravité des effets de la mesure en cause », elle‑même appréciée principalement selon « la durée » [ibid.], ce qui semble exclure le contrôle du placement, sauf à invoquer une circonstance particulière propre au détenu, par exemple son état de santé incompatible avec la mesure. Le développement du contrôle européen de la nécessité du placement pourrait aboutir à une nouvelle condamnation de la France pour défaut de droit de recours interne effectif, à moins que le juge administratif ne fasse évoluer sa jurisprudence, pour considérer la condition d'urgence satisfaite de plein droit, concernant la décision de placement, en appréciant « la gravité des effets de la mesure en cause » au regard de sa seule nature.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire