lundi 7 juillet 2014

[obs.] Retour sur les droits de recours interne de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme (5 § 4, 5 § 5 et 5 § 1er combiné avec l'article 13) : à propos d'une curiosité de l'arrêt Géorgie c. Russie [CEDH, gde ch., 3 juil. 2014, GÉORGIE c. Russie (I), req. n° 13255/07]

La Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme, dans son arrêt Géorgie contre Turquie [CEDH, gde ch., 3 juil. 2014, GÉORGIE c. Russie (I), req. n° 13255/07 ; v. nos remarques sur l'arrêt], a reconnu, pour la première fois dans la jurisprudence de la convention, il nous semble, l'efficacité de la combinaison des l'articles 5 § 1er et 13, et a même conclu à une violation en l'espèce sur ce fondement : par cette combinaison, la Cour européenne des droits de l'Homme a en conséquence sanctionné le défaut de recours efficace interne [l'article 13 dispose que "Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale"] pour trancher le grief de la violation d'une garantie conventionnelle figurant dans l'article 5 § 1er de la Convention. 

C'est une curiosité. L'article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l'Homme consacre un droit de recours interne spécifique à la personne privée de liberté : "toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale." De jurisprudence constante, l'article 13 de la Convention est jugé inapplicable à l'article 5, puisque c'est une disposition de lex generalis, qui s'efface devant la lex specialis, l'article 5 § 4, seule cette dernière servant de manière autonome à sanctionner l'absence ou l'inefficacité du droit au juge national reconnu à la personne privée de liberté [v. sur cette jurisprudence constante, l'opinion en partie dissidente du Juge Lopez Guerra, à laquelle se rallient les juges Bratza et Kalaydjieva]. Cette solution est d'ailleurs préférable, puisque l'article 5 § 4 comprend des garanties spécifiquement adaptées à la privation de liberté, notamment au regard de sa célérité, le recours devant être tranché à "bref délai", et de la sanction de l'illégalité prévue expressément par la disposition, à savoir la libération. L'examen du texte de la Convention montre d'ailleurs une supériorité de l'article 5 § 4 sur l'article 13, le premier organisant un recours devant le "Tribunal", et donc une instance juridictionnelle, tandis que le second se réfère plus vaguement à "une instance nationale" [au contraire, le droit de recours interne de l'article 5 § 4 se trouve en retrait par rapport à celui de l'article 6, puisque les garanties du procès équitable sont mentionnées uniquement dans cette dernière disposition, la jurisprudence européenne ayant toutefois en grande partie cette lacune, en exigeant que le recours de l'article 5 § 4 respecte les grandes garanties du procès équitable ; v. par ex. pour l'application de l'égalité des armes, CEDH, ch., 30 mars 1989, Lamy c. Belgique, req. n° 10444/83 : Rec. CEDH, série A, n° 151]. 

L'arrêt de Grande chambre rappelle d'ailleurs l'incompatibilité de la combinaison de l'article 5 § 4 et de l'article 13, puisque la violation de la première disposition "implique en soi l’absence de recours effectifs et accessibles" [§ 212]. Il faudrait donc distinguer la simple sanction de l'absence de recours interne à disposition de la personne détenue, relevant de l'article 5 § 4, de la sanction particulière de l'absence de recours au sujet de la contestation d'une garantie précise de l'article 5, relevant de la combinaison de l'article 13 et du paragraphe concerné de l'article 5. L'article 13, par son système de combinaison, rappelle pourtant que la sanction du droit au juge n'est jamais purement processuelle, mais est reliée à un droit particulier dont la nature ouvre le droit de recours : l'article 13 n'ouvre le droit de recours interne que s'agissant d'"un grief défendable fondé sur la Convention" [CEDH, gde ch., 21 janv. 2011, M. S. S. c. Belgique et Grèce, req. n° 30696/09 : Rec. CEDH, 2011 : JCP, 2012, doctr. n° 924, chron. F. SUDRE ; AJDA, 2011, p. 138, obs. M. C. DE MONTECLER ; AJDA, 2011, p. 1993, chron. L. BURGORGUE-LARSEN ; § 282]On voit mal comment il pourrait en aller différemment de l'article 5 § 4, d'autant plus que les deux dispositions sont de même nature pour la jurisprudence européenne [la Cour européenne des droits de l'Homme n'est cependant pas toujours rigoureuse et sanctionne parfois simplement, dans son dispositif, une violation du seul article 13 ; v. par ex., pour le défaut de recours effectif interne concernant le grief des conditions matérielles de détention, CEDH, sect. IV, 8 juillet 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgaire, req. n° 15018/11 et 61199/12, en angl.]. L'article 5 § 4 définit d'ailleurs lui même le grief ouvrant le droit au juge interne de la privation de liberté, celui de l'illégalité de la privation de liberté. Sur ce dernier point, la Cour européenne des droits de l'Homme inclut dans la légalité de la privation de liberté, au sens de l'article 5 § 4, "chacune des conditions indispensables à la "légalité" de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1" [CEDH, gde ch., 17 janv. 2012, Stanev c. Bulgarie, req. n° 36760/06 : Rec. CEDH, 2012 ; RDSS, 2012, p. 863, note K. LUCAS ; JDI, 2013, chron. n° 8, obs. X. AUREY ; §° 168 - CEDH, ch., 29 août 1990, E. c. Norvège, req. n° 11701/85 : Rec. CEDH, série A, n° 181-A ; RSC, 1990, p. 831, obs. L.-E. PETTITI ; RFDA, 1991, p. 843, chron. V. BERGER, H. LABAYLE ET F. SUDRE ; § 50] : la sanction du défaut de recours effectif interne pour porter le grief de l'illégalité de la privation de liberté, c'est-à-dire principalement pour porter le grief de la violation des principes de l'article 5 § 1er, relève bien en principe de l'article 5 § 4, au moins lorsqu'il fonde une demande de remise en liberté.

A ne pas véritablement trouver de grief fondé sur l'article 5 § 1er dont le droit au recours interne ne serait pas assuré par l'article 5 § 4, ou même par l'article 5 § 5, la reconnaissance par la Grande chambre de l'efficacité de la combinaison des articles 5 § 1er et 13 pourrait apparaître comme une erreur de plume, voire une incohérence. Une telle conclusion ne peut cependant être établie qu'à la suite d'un examen rigoureux, concernant un raisonnement de la Grande chambre. L'utilité de la combinaison des articles 5 § 1er et 13 doit être recherchée dans la fonction des droits de recours interne de l'article 5 [I], leur étendue [II] et leur régime [III].

I./ La recherche de l'utilité de la combinaison dans la fonction des droit de recours interne de l'article 5

L'article 5 § 4, au regard de ses propres termes, concerne la personne privée de liberté et vise l'obtention de la libération. A posteriori, une fois la privation de liberté terminée, le droit de recours aux fins d'indemnisation de la détention irrégulière, du fait de la violation des principes de l'article 5 § 1er, ne ressort donc plus de l'article 5 § 4. Pour ce cas, le seul article 5 § 5, qui dispose que "toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation", fonde le droit de recours interne.

La Cour européenne des droits de l'Homme retient cette analyse lorsque, afin de s'assurer du respect du seul article 5 § 5, elle affirme devoir "vérifier si la violation de l’article 5 §§ 1 et 4 constatée en l’espèce aurait pu donner lieu, avant le prononcé du présent arrêt, à un droit à réparation devant les tribunaux internes" [gde ch., Stanev préc. ; § 185] : la disposition fonde bien un droit au recours autonome [v. par ex. pour la requalification de la requête individuelle critiquant "l'approche formaliste adoptée par le tribunal [...] quant à l'établissement de l'existence d'un préjudice moral du fait de son placement illégal en détention provisoire" sur le fondement de la combinaison des articles 5 § 5 et 13 par la Cour, celle-ci estimant le grief recevable sur le seul fondement de l'article 5 § 5, CEDH, sect. V, 3 fév. 2009, Danev c. Bulgarie, req. n° 9411/05, déc.], si bien que la combinaison n'est pas utile, même pour la contestation de la personne libre.

II./ La recherche de l'utilité de la combinaison dans l'étendue des droit de recours interne de l'article 5

En revanche, la Cour européenne des droits de l'Homme, dans sa jurisprudence traditionnelle, semble reconnaître que l'étendue du droit de recours de l'article 5 § 4 est moins large que l'ensemble des conditions de conventionnalité de la privation de liberté contenues dans l'article 5 § 1er, puisque la légalité de la détention, au sens de la première disposition, n'inclurait que les "conditions indispensables" énoncées à l'article 5 § 1er [gde ch., Stanev préc. ; § 178].

Au regard de cette définition, les garanties conventionnelles figurant dans les autres paragraphes, à l'exception du premier, n’intègrent pas les conditions de la légalité de la privation de liberté au sens de l'article 5 § 4. Cette dernière affirmation n'a guère de portée sur l'existence d'un droit de recours interne, puisque celui-ci, concernant donc le grief de la violation des articles 5 § 2, 5 § 3 et même 5 § 4, reste garanti par l'article 5 § 5. Mais de telles violations resteraient en conséquence cantonnées à des fins indemnitaires et le juge national, intervenant dans le cadre de l'article 5 § 4, ne pourrait prononcer la remise en liberté sur le fondement de telles violations, intervenues précédemment à sa saisine. L'usage de la combinaison n'est pas non plus utile à élargir les causes de libération au-delà de la violation des "conditions indispensables" de l'article 5 § 1er, puisque leur étendue résulte directement du sens que donne la jurisprudence de la Cour à la notion de "légalité" de la privation de liberté figurant à l'article 5 § 4, pour l'interprétation de laquelle le texte de la Convention lui laisse une large marge d'interprétation.

Les conditions de la conventionnalité de la privation de liberté contenues dans l'article 5 § 1er relèvent de trois ensembles distincts, dans chacun desquels l'utilité de la combinaison peut être recherchée, soit le respect du droit interne (A), le respect des principes prétoriens tirés de l'objectif de la lutte contre l'arbitraire (B) et le respect des conditions particulières de délimitation de chaque cas de privation de liberté (C).

A) La recherche de l'utilité de la combinaison dans la contestation du respect du droit interne

La privation de liberté doit d'abord s'appliquer dans le respect du droit interne [l'article 5 § 1er prévoit que toute privation de liberté doit s'appliquer "selon les voies légales"] : puisque la violation du droit interne est aussi constitutive d'une violation de l'article 5 § 1er, la Cour européenne des droits de l'Homme s'est octroyée le contrôle du droit interne [gde ch., Stanev ; préc., § 143 : "la Cour rappelle que l’article 5 § 1 requiert d’abord la "régularité" de la détention litigieuse, y compris l’observation des voies légales" et "en la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond comme de procédure"].

Les plus lourdes violations du droit national, y compris de forme, relèvent de l'office du juge de l'article 5 § 4 et peuvent fonder la libération [la Cour européenne des droits de l'Homme a sanctionné le droit français sur le fondement de l'article 5 § 4, en raison de l'impossibilité de libérer l'aliéné, malgré l'annulation par le juge administratif de l'arrêté de placement ou de prolongation de l'hospitalisation forcée, pour défaut de motivation ; CEDH, sect. V, 18 nov. 2010, Baudoin c. France, req. n° 35935/03 ; RTD civ., 2011, p. 101, obs. J. HAUSER ; AJDA, 2010, p. 2239, obs. R. GRAND ; AJP, 2011, p. 144, obs. É. PÉCHILLON ; JCP, 2011, n° 189, note K. GRABARCZYK]. En revanche, les violations les plus mineures du droit interne ne semblent pas de nature à permettre la libération [dans le contentieux de l'annulation du titre judiciaire de détention par une décision juridictionnelle ultérieure, seule l’"irrégularité grave et manifeste" du titre rend la privation de liberté contraire à l'article 5 § 1er dès son origine, tandis que les autres vices "peuvent être purgés par les juridictions d’appel internes dans le cadre d’une procédure de contrôle juridictionnel" ; CEDH, gde ch., 9 juil. 2009, Mooren c. Allemagne, req. n° 11364/03 ; § 75], si bien que pour celles-ci, le droit au recours ne semble plus pouvoir se justifier sur le fondement de l'article 5 § 4, même pour la personne détenue. Ces violations mineures du droit interne constituent malgré tout une violation de l'article 5 § 1er [v. par ex., concernant une violation du droit interne de l'exécution de la privation de liberté, CEDH, sect. I, 24 oct. 2013, Housein c. Grèce, req. n° 71825/11 ; § 71 et s.] et le droit à un recours pour porter leur contestation, alors à fins indemnitaires, résulte de l'article 5 § 5 [v. supra], sans que, de nouveau, la combinaison ne soit utile.

Au regard de la formulation de la Grande chambre [la combinaison des articles 5 § 1er et 13 de la Convention européenne des droits de l'Homme sanctionne "l’absence de recours effectifs et accessibles pour les ressortissants géorgiens contre les arrestations, détentions et décisions d’expulsion au cours de la période litigieuse" ; § 213], la légalité de la décision d'expulsion figure comme une des conditions de la légalité de la privation de liberté lorsqu'elle sert son exécution, sans que la critique de la pertinence de l'usage de la combinaison ne remette en cause cet élément. Cette conclusion est d'autant plus nette que la Cour européenne des droits de l'Homme a exclu préalablement de sanctionner le défaut de recours effectif contre les expulsions collectives sur la combinaison de l'article 4 du Protocole n° 4 et de l'article 13, jugeant celle-ci inopérante [§ 212].

En conséquence, la contestation de la légalité en droit interne de l'ordre national d'expulsion, au moins lorsqu'elle est de nature à aboutir à son annulation et lorsque la privation de liberté sert à son exécution forcée, pourrait relever de l'article 5 § 4 de la Convention. La Cour européenne des droits de l'Homme a d'ailleurs déjà considéré que la privation de liberté prise sur le fondement d'un ordre national d'expulsion illégal violait l'article 5 § 1er [CEDH, sect. II, 8 févr. 2011, Seferovic c. Italie, req. n° 12921/04]. L'expulsion au sens de l'article 5 § 1er-f) vise autant l'étranger dangereux pour l'ordre public que l'étranger en situation irrégulière [v. par ex. CEDH, sect. V, 19 janv. 2012, Popov c. France, req. nos 39472/07 et 39474/07 : JCP, 2012, n° 221, obs. F. SUDRE ; Dr. famille, 2012, comm. n° 43, note M. BRUGGEMAN ; AJDA, 2012, p. 1726, chron. L. BURGORGUE LARSEN ; D., 2012, p. 363, obs. C. FLEURIOT ; ibid., p. 864, entretien S. SLAMA ; ibid., p. 2267, chron. A. GOUTTENOIRE ; ibid., 2013, p. 324, chron. K. PARROT ; AJP, 2012, p. 281, note S. SLAMA ; Rev. crit. DIP, 2012, p. 826, comm. K. PARROT] et la solution a vocation à s'étendre à la décision de refus d'entrée sur le territoire en cas de maintien en zone d'attente, autre cas de privation de liberté de l'étranger prévu à l'article 5 § 1er-f). Si une telle solution n'est pas de nature à remettre en cause la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction en droit français [la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'arrêt précité Baudoin n'a pas sanctionné par principe la dualité au regard de l'article 5 § 4], encore faut-il que le juge administratif, saisi de la légalité de la décision administrative d'expulsion, d'éloignement ou de refus d'entrée concernant l'étranger détenu, statue alors à bref délai et que l'annulation de celle-ci aboutisse à la libération. Reste que la combinaison des articles 5 § 1er et 13 n'apparaît pas véritablement utile, concernant cette contestation.

B) La recherche de l'utilité de la combinaison dans la contestation du respect des principes prétoriens tirés de l'objectif de la lutte contre l'arbitraire

La privation de liberté doit aussi respecter cinq conditions dégagées par la Cour européenne des droits de l'Homme sur le même objectif de l'article 5, la lutte contre l'arbitraire, malgré leur absence de consécration textuelle [CEDH, gde ch., 29 janv. 2008, Saadi c. Royaume-Uni, req. n° 13229/03 : Rec. CEDH ; AJDA, 2008, p. 978, chron. J. F. FLAUSS ; § 67 : "le respect du droit national n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire" ; si cet arrêt n'a pas découvert ces principes, il est tout de même essentiel, pour avoir pris le soin de synthétiser la jurisprudence, notamment quant au champ d'application des principes, qui fluctue selon les cas de privation de liberté] : la privation de liberté doit être exempte "de mauvaise foi ou de tromperie de la part des autorités" [gde ch., Saadi ; préc. ; § 69] ; la privation de liberté doit être "nécessaire pour atteindre le but déclaré", c'est à dire demeurer une mesure de "dernier recours", permise "lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention" ; la privation de liberté doit être "proportionnée" quant à sa durée [ibid., § 70] ; l'exécution de la privation de liberté doit respecter "un certain lien entre, d’une part, le motif invoqué pour justifier la privation de liberté autorisée et, de l’autre, le lieu et le régime de détention" [ibid., § 69] ; enfin "l’ordre de placement en détention mais aussi l’exécution de cette décision [doit cadrer] véritablement avec le but des restrictions autorisées par l’alinéa pertinent de l’article 5 § 1" [ibid., § 69].

La Cour européenne des droits de l'Homme, par ces principes découverts dans le but de l'article 5 § 1er, étend notamment son contrôle sur l'adéquation matérielle et juridique de la privation de liberté au regard de son sens et sur son opportunité ou son bien-fondé, ainsi que vérifie l'absence de détournement d'un cas de privation de liberté autorisé par la Convention. Dans un arrêt concernant le principe prétorien de l'adéquation matérielle, mais dont la solution semble transposable aux autres, la Cour européenne des droits de l'Homme a clairement sanctionné son contrôle insuffisant par le juge interne sur le fondement de l'article 5 § 4 [CEDH, sect. V, 10 janv. 2013, Claes c. Belgique, req. n° 43418/09 ; § 134 : "la limitation des compétences [du juge interne] a eu pour effet de priver le requérant d’un contrôle assez ample pour s’étendre à l’une des conditions indispensables à la « légalité » de sa détention au sens de l’article 5 § 1 e), à savoir le caractère approprié du lieu de détention"]. La combinaison n'est donc pas non plus utile pour dégager le droit de recours interne s'agissant des griefs fondés sur ces conditions, déjà assuré par l'article 5 § 4 au profit de la personne détenue, et de l'article 5 § 5 s'agissant de la contestation a posteriori.

C) La recherche de l'utilité de la combinaison dans la contestation du respect des conditions particulières de délimitation de chaque cas de privation de liberté

Enfin, l'article 5 § 1er, qui établit une liste exhaustive des cas autorisés de privation de liberté [CEDH, gde ch., 13 déc. 2012, El-Masri c. « L’Ex-République Yougoslave de Macédoine », req. n° 39630/09 : Rec. CEDH, 2012 ; RFDA, 2013, p. 576, chron. H. LABAYLE et F. SUDRE ; AJDA, 2013, p. 165, chron. L. BURGORGUE-LARSEN ; JCP, 2013, doctr. n° 64, chron. F. SUDRE ; ibid., 2013, n° 58, obs. G. GONZALES; § 230 : "Atteste de l’importance de la protection accordée à l’individu contre l’arbitraire le fait que l’article 5 § 1 dresse la liste exhaustive des circonstances dans lesquelles un individu peut être légalement privé de sa liberté, étant bien entendu que ces circonstances appellent une interprétation étroite puisqu’il s’agit d’exceptions à une garantie fondamentale de la liberté individuelle"], telle qu'elle est interprétée par la jurisprudence de la Cour, contient des conditions particulières à chaque cas de privation de liberté, servant à leur délimitation [v. par ex. sur les conditions délimitant la privation de liberté de l'étranger dans l'attente de son expulsion telles que tirées de l'articles 5 § 1er-f) par la jurisprudence européenne, nos observations précédentes - v. pour un autre exemple. sur les conditions délimitant la privation de liberté de l'aliéné tirées de l'article 5 § 1er-f) par la jurisprudence européenne, CEDH, ch., 24 oct. 1979, Winterwerp c. Pays-Bas, req. n° 6301/73 : Rec. CEDH, série A, n° 33 ; § 39 : l'internement forcé suppose que les autorités aient "établi son "aliénation" de manière probante", au moyen d'"une expertise médicale objective" et "le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement", celui-ci ne pouvant "se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble"].

Les principes prétoriens communs à plusieurs cas de privation de liberté [leur étendue fluctue encore selon les cas de privation de liberté ; v. gde ch., Saadi ; préc.], abordés plus haut, ont d'abord été dégagés comme des conditions particulières de délimitation d'un cas particulier de privation de liberté [v. par ex. pour la découverte du contrôle de la nécessité de la privation de liberté pour le cas particulier du dégrisement autorisé à l'article 5 § 1er-e), CEDH, 4 avr. 2000, Witold Litwa c. Pologne, req. n° 26629/95 : Rec. CEDH, 2000-III ; § 78]. Même pour les conditions de délimitation demeurant relatifs à un cas de privation de liberté [par exemple l'exigence de la preuve médicale des troubles mentaux de l'aliéné], celles-ci restent assurément des conditions essentielles de légalité au sens de l'article 5 § 1er, puisque leur non-respect aboutit à empêcher le rattachement de la privation de liberté à un des cas de la liste de la disposition, ce défaut, caractérisant dans son sens le plus strict une détention arbitraire [v. par ex. CEDH, sect. V, 21 déc. 2012, Ichin et autres c. Ukraine, req. nos 28189/04 et 28192/04 ; § 40], et le droit au recours pour les griefs ayant trait à ces conditions contenues dans l'article 5 § 1er est assuré par l'article 5 § 4 pour obtenir la remise en liberté [et par l'article 5 § 5 pour l'action en réparation], sans que la combinaison ne soit utile.

Au regard de notre arrêt, puisque la sanction de la privation de liberté est déduite de la sanction des expulsions ["dès lors, le fait que ces expulsions étaient qualifiées de « collectives » par la Cour implique dans les circonstances de l’espèce que les arrestations qui les précédaient revêtaient un caractère arbitraire" ; § 186], la conventionnalité de l'ordre national d'expulsion, au moins dans son aspect minimum tenant à l'interdiction des expulsions collectives, apparaît comme une nouvelle condition particulière de la légalité de la privation de liberté de l'étranger servant à son exécution [v. nos observations précédentes], et entre, à ce titre, dans l'office du juge national saisi d'une demande de remise en liberté sur le fondement de l'article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l'Homme, de la même manière que les conditions de sa légalité interne.

Si finalement la consécration de la combinaison n'apparaît pas véritablement utile quant à l'étendue des droits de recours interne de l'article 5, au regard de la large étendue du droit au recours interne de l'article 5 § 4 pour fonder l'action en remise en liberté et de celui de l'article 5 § 5 pour fonder l'action en réparation, l'utilité de la combinaison pourrait être trouvée dans le régime des recours.
     
III./ La recherche de l'utilité de la combinaison dans le régime des droit de recours interne de l'article 5

L'intérêt de l'usage de l'article 13 en combinaison avec l'article 5 § 1er, pour fonder le droit de recours interne, par rapport à l'article 5 § 4, pourrait se trouver dans le bénéfice de l'effet suspensif, en développement dans la jurisprudence européenne concernant la disposition de droit commun consacrant le droit au juge, en particulier au profit de l'étranger détenu pour l'exécution forcée de son expulsion.

L'article 13, en combinaison avec l'article 3, en cas de contestation portant sur l'exécution future de l'extradition, de l'expulsion ou du refoulement de l'étranger, en ce qu'elle exposerait l'étranger à un traitement inhumain et dégradant dans le pays de destination, impose de plein droit un recours suspensif devant le juge interne, l'exécution de la mesure n'étant permise qu'après la décision juridictionnelle [v. pour l'extradition CEDH, gde ch., 21 janv. 2011, M. S. S. c. Belgique et Grèce, req. n° 30696/09 : Rec. CEDH, 2011 : JCP, 2012, doctr. n° 924, chron. F. SUDRE ; AJDA, 2011, p. 138, obs. M. C. DE MONTECLER ; AJDA, 2011, p. 1993, chron. L. BURGORGUE-LARSEN ; § 385 - v. pour l'expulsion, implicitement, CEDH, sect. V, 30 juin 2011, De Souza Ribeiro c. France, req. n° 22689/07 ; ADL, 1er juil. 2011, comm. N. HERVIEU ; AJDA, 2011, p. 1993, chron. L. BURGORGUE-LARSEN ; § 43 - v. pour le refoulement CEDH, sect. II, 26 avr. 2007, Gebremedhin [Gaberramadhien] c. France, req. n° 25389/05 : Rec. CEDH, 2007-II ; Procédures, 2007, comm. n° 150, obs. L. MILANO ; AJP, 2007, p. 476, comm. H. GACON ; D., 2007, p. 2780, comm. J. P. MARGUÉNAUD ; AJDA, 2007, p. 1918, chron. J.-F. FLAUSS].

L'effet suspensif du droit de recours interne peut même concerner la contestation de la proportionnalité de l'atteinte au droit à la vie familiale normale de l'étranger, qui serait engendrée par la mise à exécution de l'extradition, du refoulement ou de l'expulsion, sur le fondement des articles 8 et 13 combinés, même si l'effet ne s'applique pas de plein droit dans ce cas [CEDH, gde ch., 13 déc. 2012, De Souza Ribeiro c. France, req. n° 22689/07 : Rec. CEDH, 2012 : ADL, 16 déc. 2012, comm. N. HERVIEU ; RFDA, 2013, p. 576, chron. H. LABAYLE et F. SUDRE ; AJDA, 2012, p. 2408, obs. D. NECIB ; D., 2013, p. 324, obs. K. PARROT ; Rev. crit. DIP, 2013 p. 448, note F. JAULT SESEKE ; JCP, 2013, doctr. n° 64, chron. F. SUDRE ; § 83].

En l'espèce, la combinaison des articles 5 § 1er et 13 utilisée par la Grande Cour pourrait servir à sanctionner spécialement l'exécution de l'expulsion, sans reconnaître à l'étranger un droit de recours interne suspensif pour contester la légalité de la privation de liberté, la combinaison ajoutant simplement à la sanction de l'article 5 § 4 déjà retenue dans l'arrêt le défaut de caractère suspensif du recours en contestation de la légalité de la privation de liberté, reconnu spécialement au cas de l'étranger détenu dans le cadre de l'article 5 § 1er-f). Cette solution, à défaut de ressortir incontestablement de la lecture de l'arrêt, n'est pas non plus incompatible avec les constats de violation retenus, et a le mérite de conférer un intérêt à la consécration de la combinaison, non trouvé dans la fonction ou l'étendue des différents recours.

Dès lors que la privation de liberté constitue le seul moyen d'exécuter l'extradition, l'éloignement ou l'expulsion de l'étranger, au regard du principe de nécessité de la privation de liberté, il est cohérent d'empêcher l'exécution de ces décisions, aux très lourdes conséquences, lorsque la privation de liberté est illégale, et donc de reconnaître le caractère suspensif du recours interne en contestation de la légalité de la privation de liberté. La reconnaissance de l'effet suspensif menace toutefois d'augmenter la durée de la privation de liberté, du fait de l'empêchement de la mise à l'exécution de l'extradition, de l'expulsion ou du refoulement, avant le bref délai, exigence de célérité relative de l'article 5 § 4, et l'apport aux garanties de la personne privée de liberté s'accompagne d'un effet néfaste. Cet inconvénient peut toutefois être en partie neutralisé. La Cour européenne des droits de l'Homme rappelle que l'appréciation du bref délai varie selon les circonstances, et dans ce cas, pour empêcher que le seul usage du recours suspensif ne prolonge excessivement la durée de la privation de liberté, elle pourrait renforcer spécialement ses exigences de célérité [v. par exemple pour la formulation d'une exigence de célérité renforcée lorsque le juge interne exerce le premier contrôle de la privation de liberté, CEDH, sect. I, 25 oct. 2007, Lebedev c. Russie, req. n° 4493/04, en angl. : Rec. CEDH, série A, n° 107 ; § 95 et s.].

Une nouvelle fois, l'usage de la combinaison des articles 5 § 1er et 13 n'est toutefois pas vraiment utile pour reconnaître le caractère suspensif de la contestation de l'étranger devant le juge interne de la légalité de la privation de liberté. Si le juge administratif français a refusé de reconnaître l'effet suspensif du recours de l'article 5 § 4 sur l'exécution de l'éloignement [CE, 4 mars 2013, min. Intérieur c. Mehrzi, n° 359428 :  Rec. CE ; Dr. admin., 2013, comm. n° 35, note V. TCHEN ; JCP A, 2013, actu., 251, obs. L. ERSTEIN ; ibid., actu., n° 2232, obs. G. MARTI], la jurisprudence européenne a pourtant déjà sanctionné l'exécution de l'éloignement de l'étranger avant l'examen par le juge interne de son recours contestant la légalité de privation de liberté sur le fondement de l'article 5 § 4, lorsque les autorités nationales ont agi de mauvaise foi [v. CEDH, 5 févr. 2002, Conka c. Belgique, req. n° 51564/99 : Rec. CEDH, 2002 I ; AJDA, 2001, p. 1060, obs. J.-F. FLAUSS ; § 53 ; l’affaire concernait l’arrestation d’étrangers, après convocation en préfecture, procédé déloyal, accentué par le retard dans la transmission de l'information des motifs de l'arrestation – v. aussi CEDH, sect. I, 12 oct. 2006, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, req. n° 13178/03 : Rec. CEDH, 2006-XI ; D., 2007 p. 771, comm. P. MUZNY : préc. ; § 113 ; l'affaire concernait l'usage d'un référé-liberté dans le seul but de réaliser l'exécution forcée de l'étranger, avant que le juge de second degré ne statue sur le référé] : l'article 5 § 4 consacrerait déjà un droit de recours interne suspensif au profit de l'étranger, empêchant jusqu'à son examen par le juge national, l'exécution de l'éloignement, selon des modalités similaires au recours interne de l'étranger fondé sur la combinaison des articles 13 et 8 [v. gde ch., De Souza Ribeiro ; préc.], c'est à dire que l'effet suspensif ne s'appliquerait pas de pleine droit. Ces deux précédents relativisent forcément l'explication de la reconnaissance de l'efficacité de la combinaison par la consécration de l'effet suspensif dans le droit de la privation de liberté.

Finalement, seule la jurisprudence ultérieure permettra d'établir si la curieuse reconnaissance de l'efficacité de la combinaison des articles 5 § 1er et 13 résulte d'une erreur de plume de la Grande chambre, destinée à être éradiquée de la jurisprudence ultérieure, ou si au contraire, elle résulte d'un raisonnement complexe lié à la reconnaissance de l'effet suspensif du recours de l'étranger devant le juge interne contre la légalité de sa privation de liberté, dont les étapes ont été éludées, hypothèse la moins probable, tant l'espèce ne se prêtait pas à la consécration d'une telle avancée.

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