mercredi 4 février 2015

[biblio.] Rapport : Parution du Rapport annuel de la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’année 2014


La parution électronique du Rapport annuel de la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’année 2014, dans une version encore provisoire, est l’occasion de revenir sur les différents arrêts importants – ou du moins ceux jugés comme tels par la Cour et figurant dans l’« aperçu de la jurisprudence » – de l’année passée en matière de privation de liberté. Si ces arrêts apportent le plus souvent de simples précisions à des raisonnements éprouvés, ils rappellent aussi l’implication de très nombreuses dispositions de la Convention dans l’encadrement de la privation de liberté. Si l’article 5, pourtant spécialisé en la matière, en souffre peut-être quant à son enrichissement, il reste l’un des fondements les plus fertiles en condamnation, signe le plus évident des progrès restant à réaliser en Europe en matière de privation de liberté [en 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme a retenu 212 violations de l’article 5 sur un total de 756 arrêts constatant au moins une violation de la Convention, et seuls les articles 3 – 248 – et 6 – 313 – ont fondé un nombre plus important de constat de violation ; rap. p. 179].
D’abord, les arrêts relatifs à la privation de liberté ont permis plusieurs apports à la délimitation de la compétence et à la définition des conditions de recevabilité, dans le sens de l’extension du champ d’action de la Cour, principalement du fait de l’usage de la privation de liberté dans les conflits internationaux auxquels participent des États tiers à la Convention [v. concernant l’arrestation et la détention d’un combattant national durant les opérations militaires de 2003 dirigées en Irak par les forces américaines et britanniques, Hassan c. Royaume-Uni [GC], n° 29750/09, CEDH, 2014, rap. p. 84 ; v. concernant la détention secrète et la torture de personnes suspectées de terrorisme en Pologne par les autorités américaines, Al Nashiri c. Pologne, no 28761/11, 24 juil. 2014 et Husayn (Abu Zubaydah) c. Pologne, no 7511/13, 24 juil. 2014, rap. p. 85 ; v. concernant l’inapplication de la condition de l’épuisement des voies de recours, s’agissant de la pratique administrative d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens par la Russie, Géorgie c. Russie (no 1) [GC], no 13255/07, CEDH, 2014, rap. p. 87 et nos obs. ici et ].
D’autres arrêts ont apporté des précisions quant à l’étendue des obligations positives mises à la charge des États pour protéger la vie [v. pour une limitation de l’obligation positive de l’État, qui ne saurait constituer une obligation de résultat quant à la prohibition de la circulation de produits stupéfiants en prison, concernant le décès d’un détenu par overdose, Marro et autres c. Italie (déc.), no 29100/07, 8 avr. 2014, rap. p. 92] ou la santé [v. concernant le traitement médical défectueux d’un détenu, notamment au regard des effets secondaires de celui-ci, qui avait créé une dépendance, Budanov c. Russie, no 66583/11, 9 janv. 2014, rap. p. 103] des détenus.
Des arrêts signalés reviennent sur le contrôle de mesures de sécurité particulièrement sévères appliquées à des personnes privées de liberté : si la Cour s’est montrée stricte quant à la pratique de la comparution au tribunal dans une cage en métal, au point pratiquement de la considérer par principe comme contraire à l’article 3, alors que ses constats de violation antérieurs étaient plus mesurés [Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, CEDH, 2014, rap. p. 101], elle a appliqué plus classiquement sur le même fondement un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte à la dignité provoquée et le gain pour la sûreté obtenu concernant le port de vêtements scellés par des détenus isolés, destiné à éviter toute détention de drogue [Lindström et Mässeli c. Finlande, no 24630/10, 14 janv. 2014, rap. p. 103], dans un raisonnement plus lâche rappelant son contrôle du port des menottes.
La Cour européenne des droits de l’Homme a aussi poursuivi son encadrement de la perpétuité réelle autour de la notion du droit au réexamen, établie sur le fondement de l’article 3 dans l’arrêt de Grande chambre Vinter de 2013, qu’il s’agisse du contentieux de l’extradition vers un pays pratiquant une telle peine [Trabelsi c. Belgique, no 140/10, 4 sept. 2014, rap. p. 104] ou du contentieux de l’infliction d’une telle peine par un État partie à la Convention [Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, nos 15018/11 et 61199/12, CEDH, 2014, rap. p. 106 et nos obs. ici et ], ces deux arrêts montrant des progrès dans l’intensité du contrôle, même si la marge d’appréciation des États en la matière reste importante, comme l’a montré la même année l’arrêt Bodein, non rapporté [v. notre comm. de celui-ci ici].
Un tel recensement rappelle l’importance cruciale de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme concernant la protection des droits des personnes privées de liberté [v. pour une illustration de différents contrôles de la privation de liberté réalisés par la Cour européenne des droits de l’Homme sur ce fondement, Harakchiev et Tolumov, préc., la Cour y assurant sur ce fondement le contrôle de la dignité des conditions matérielles de détention, de l’isolement pénitentiaire et du caractère compressible de la peine perpétuelle].
Seuls deux arrêts cités concernent l’article 5. Le premier reconnaît, dans un raisonnement original, l’atténuation de l’application des garanties de la disposition pour la personne détenue par des autorités agissant dans le cadre du droit international humanitaire [Hassan, préc., rap. p. 108]. Le second, peut-être le plus important de l’année dans notre matière, concerne l’application d’une exigence de célérité renforcée à l’intervention du Tribunal, saisi par la personne privée de liberté sur le fondement de l’article 5 § 4, lorsqu’elle réalise le premier contrôle judiciaire de la détention, solution marquant un pas décisif vers la généralisation de l’Habeas corpus : le Tribunal doit intervenir dans ce cas avec une célérité s’approchant d’« aussitôt », notion contenue à l’article 5 § 3 et applicable, selon le texte, uniquement au premier contrôle judiciaire de la privation de liberté du suspect, plutôt qu’à « bref délai », l’exigence textuelle réservée désormais aux interventions ultérieures [Shcherbina c. Russie, no 41970/11, 26 juin 2014, rap. p. 110 et notre comm. ici ; la mention de l’arrêt au rapport rappelle son intérêt, alors qu’un faible niveau d’importance lui avait été attribué à sa publication et que le collège a rejeté son renvoi en Grande chambre].
D’autres dispositions ont aussi servi, dans des raisonnements classiques, au contrôle de la privation de liberté, qu’il s’agisse de l’article 8, concernant le contrôle de la proportionnalité de l’ingérence causée à ce droit du détenu par rapport au gain obtenu par les autorités pour la sécurité [v. pour la sanction de l’interdiction de mener des conversations téléphoniques dans la langue maternelle du détenu kurde, Nusret Kaya et autres c. Turquie, nos 43750/06 et autres, CEDH, 2014, rap. p. 137], ou de l’article 10, concernant, par exception, le contrôle de la proportionnalité des peines privatives de liberté à temps prononcées pour réprimer des manifestations protégées par la disposition [v. pour la sanction d’une peine de treize ans d’emprisonnement réprimant le versement de peinture sur cinq statues de Kemal Atatürk, Murat Vural c. Turquie, no 9540/07, 21 oct. 2014, rap. p. 143 ; v. pour l’admission de peines d’emprisonnement d’un total cumulé de sept ans, prononcées et purgées en répression du comportement réitéré de l’individu, qui se montrait nu dans des lieux publics, Gough c. Royaume-Uni, no 49327/11, 28 oct. 2014, rap. p. 143].
De manière plus originale, dans une jurisprudence dont la portée reste à préciser, au regard de la courte durée de la peine d’emprisonnement prononcée en l’espèce et du constat dans le même arrêt de sa disproportion sur le fondement de l’article 10, la Cour a estimé que l’exécution totale de la peine privative de liberté avant que la juridiction saisie en appel ne se soit prononcée violait le droit à un double degré de juridiction en matière pénale consacré à l’article 2 du Protocole n° 7 [Shvydka c. Ukraine, no 17888/12, 30 oct. 2014].
Enfin, les outils conventionnels visant à assurer l’effectivité de la jurisprudence européenne ont été employés en matière de la privation de liberté, qu’il s’agisse du contrôle des mesures étatiques prises après l’adoption d’un arrêt-pilote pour remédier aux conditions matérielles de détention indignes généralisées [Stella et autres c. Italie (déc.), no 49169/09, 16 sept. 2014, rap. p. 82], qu’il s’agisse de l’adoption de mesures individuelles [v. pour une utilisation innovante destinée à empêcher que le requérant ne subisse à l’avenir une nouvelle détention défectueuse, alors qu’il se trouvait, à la sortie de la première privation de liberté, dans la même situation qui avait entraîné son arrestation, Kim c. Russie, no 44260/13, 17 juil. 2014, rap. p. 163 ; v. pour une application plus classique, concernant le détenu gravement malade, visant à lui apporter un traitement médical adéquat et à surveiller son état, Amirov c. Russie, no 51857/13, 27 nov. 2014, rap. p. 165] ou qu’il s’agisse du contrôle du respect de la mesure provisoire précédemment adoptée [v. pour la sanction de l’État qui n’a pas respecté l’obligation de procéder à une expertise médicale indépendante pour apprécier la compatibilité de l’état de santé du détenu avec la détention, Amirov, préc., rap. p. 165].






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire